Pas de qualification de « fake news » pour le tweet de Christophe Castaner

La loi relative à la manipulation de l’information, publiée au journal officiel du 23 décembre 2018, avait pour objectif d’éviter une recrudescence de fausses informations à l’approche des élections européennes.

Cette disposition très spécifique au contexte électoral a été mise à l’épreuve récemment dans un jugement rendu « en état de référé » par la formation collégiale de référé du Tribunal de grande instance de Paris (au visa de l’article 487 du Code de procédure civile).

Ce jugement du 17 mai 2019 refuse d’ordonner de faire cesser la diffusion d’un tweet controversé, publié par Christophe Castaner, ministre de l’Intérieur, à la suite des événements ayant eu lieu à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière en marge des manifestations du 1ermai.

Le tweet en question est rédigé en ces termes :

« Ici à la Pitié-Salpêtrière, on a attaqué un hôpital.
On a agressé son personnel soignant. Et on a blessé un policier mobilisé pour le protéger.
Indéfectible soutien à nos forces de l’ordre : elles sont la fierté de la République ».

Pour les deux plaignants, des parlementaires membres du Parti communiste français, ce post constituait une allégation inexacte et trompeuse au sens de l’article L. 163-2 du Code électoral et devait être retiré par le réseau à l’oiseau bleu.

Selon ce texte, « Pendant les trois mois précédant le premier jour du mois d’élections générales et jusqu’à la date du tour de scrutin où celles-ci sont acquises, lorsque des allégations ou imputations inexactes ou trompeuses d’un fait de nature à altérer la sincérité du scrutin à venir sont diffusées de manière délibérée, artificielle ou automatisée et massive par le biais d’un service de communication au public en ligne, le juge des référés peut, à la demande du ministère public, de tout candidat, de tout parti ou groupement politique ou de toute personne ayant intérêt à agir, et sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire aux personnes physiques ou morales mentionnées au 2 du I de l’article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique ou, à défaut, à toute personne mentionnée au 1 du même I toutes mesures proportionnées et nécessaires pour faire cesser cette diffusion. »

Il revenait donc au juge des référés d’apprécier le contenu du tweet incriminé afin de décider ou non de sa suppression. Ce dernier, après avoir mis hors de cause Twitter France et reçu les interventions de Twitter International et du ministre, a, pour justifier son refus, interprété le texte en accord avec la décision rendue à son sujet par le Conseil constitutionnel le 20 décembre 2018, qui dégageait les critères permettant d’identifier une fake news illicite.

Or le jugement considère que ces critères ne sont pas réunis :

  • Les propos du ministre apparaissent exagérés (pas d’attaque) mais portent sur des faits réels confirmés, à savoir l’intrusion de manifestants dans l’établissement le 1ermai 2019. Ainsi, l’information ne saurait être considérée comme dénuée de tout lien avec le réel, ce qui l’empêche d’être considérée comme manifestement inexacte ou trompeuse
  • Les propos n’ont pas été diffusés d’une manière « cumulativement massive, artificielle ou automatisée, et délibérée » notamment par des robots pour le compte de tiers désireux de répandre la fausse nouvelleCe critère, interprété à la lumière de l’exposé des motifs de la proposition de loi sur la lutte contre la manipulation de l’information, renvoie selon lui à l’usage de tiers rémunérés pour la diffusion de l’information, ou de « bots » permettant une quantité massive et automatique de retweets
  • Enfin, appréciant le risque manifeste d’altération de la sincérité du scrutin, le juge rejette l’argument des demandeurs selon lequel le tweet incriminé, en « faisant croire à un climat de violence pour faire jouer le ressort de la peur et du chaos »aurait un effet manifeste sur la campagne européenne en cours au moment des faits. Selon lui, l’immédiate contestation des propos du ministre par différents articles de presse offrait à l’électeur une pluralité de points de vue sur les événements, le mettant à l’abri de toute manipulation

Au vu de ces trois critères, la demande de retrait est donc rejetée.

Ce jugement offre un regard intéressant sur l’application de la loi « fake news » par nos juridictions et sur le caractère très restrictif de ses conditions d’applications. L’usage de moyens automatisés, ou l’absence de tous liens avec la réalité, ne permettent ainsi au texte que de cibler les plus extravagantes des fausses informations dans un contexte de manipulation de l’opinion publique.

Pour d’autres types de propos mensongers, d’autres textes seront éventuellement applicables : ceux sur la diffamation et ceux sur la dénonciation calomnieuse, ou encore l’article 27 de la loi du 29 juillet 1881 qui continue de réprimer « la publication, la diffusion ou la reproduction, par quelque moyen que ce soit, de nouvelles fausses, de pièces fabriquées, falsifiées ou mensongèrement attribuées à des tiers lorsque, faite de mauvaise foi, elle aura troublé la paix publique, ou aura été susceptible de la troubler ».

 

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