24
janvier
2023
Digital Market Act et Digital Service Act : à quoi correspondent ces Règlements européens visant à réguler internet ?
Author:
TAoMA
Définitivement votés par le parlement européen en juillet 2022, le Règlement sur les marchés numériques (Digital Markets Act ou DMA) et le Règlement sur les services numériques (Digital Services Act ou DSA) ont été publiés respectivement les 12 et 27 octobre 2022.
En apparence différents, ces deux règlements visent à assainir le marché numérique de manière durable, avec deux objectifs distincts, celui de lutter contre les pratiques anticoncurrentielles des géants de l’Internet et celui de lutter contre les contenus illicites en ligne.
Mais que vont-ils concrètement changer ? Quels sont les acteurs concernés ? Pour quelles activités ? Quelles sont les sanctions en cas de non-respect ?
I. Le règlement sur les marchés numériques
Le DMA affiche un objectif clair et limpide : lutter contre les pratiques anticoncurrentielles des géants de l’Internet (notamment les GAFAM) et corriger les déséquilibres causés par leur domination.
Toutes les entreprises ne sont pas concernées par le DMA. Celui-ci ne cible que les « Gatekeepers », autrement dit, les contrôleurs d’accès à l’entrée d’Internet, les PME étant épargnées par cette qualification. Sont qualifiées de Gatekeepers les plateformes qui :
Ont un chiffre d’affaires ou une valorisation boursière très élevée (plus de 7,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires annuel en Europe dans les 3 dernières années ou une valorisation en bourse d’au moins 75 milliards d’euros durant la dernière année)
Enregistrent un grand nombre d’utilisateurs dans l’UE (plus de 45 millions d’utilisateurs mensuels actifs et plus de 10 000 professionnels par an pendant les trois dernières années)
Fournissent un ou plusieurs services de plateforme essentiels dans au moins trois pays européens
Le DMA concerne donc les services de plateformes jugés essentiels tels que les services de messagerie, les réseaux sociaux, les moteurs de recherches ou encore les marketplaces.
Pour ce faire, des outils de régulation ex-ante sont mis en place afin de créer une concurrence loyale entres les acteurs, de stimuler l’innovation, la croissance et la compétitivité sur le marché numérique et, enfin, de renforcer la liberté de choix des consommateurs européens.
Parmi ces outils figurent une vingtaine d’obligations (désinstallation facile d’applications préinstallées ; désabonnement à un service de plateforme essentiel aussi simple que l’abonnement, etc.) ou d’interdictions (réutilisation de données personnelles d’un utilisateur à des fins de publicité ciblée sans son consentement explicite ; fait d’imposer des logiciels importants comme un moteur de recherche par défaut à l’installation du système d’exploitation, etc.) que les responsables de traitement devront respecter sous peine d’amende. Toute personne qui s’estime lésée pourra, sur la base de ces obligations ou interdictions, demander, devant les juges nationaux, des dommages et intérêts.
De même, en cas de non-respect du DMA, la Commission Européenne pourra prononcer, à l’égard du Gatekeepers des amendes proportionnelles à son chiffre d’affaires (jusqu’à 10% du chiffre d’affaires mondial ou 20% en cas de récidive). Des mesures correctives additionnelles sont prévues en cas de violation systématique (notamment, une cession de parties de l’activité du contrôleur d’accès).
II. Le règlement sur les services numériques
La volonté des législateurs européens, au travers de ce règlement, est de mettre en place un système selon lequel tout ce qui est illégal hors ligne l’est également en ligne.
Le DSA s’applique à toutes les plateformes en ligne qui offrent des biens, contenus ou services sur le marché européen. Cela signifie que même les sociétés étrangères opérant en Europe sont concernées. Parmi ces plateformes, sont notamment visés les fournisseurs d’accès à internet (FAI), les services de cloud, les marketplaces, les réseaux sociaux, les plateformes de partage de contenus, etc.
Dans cette perspective, le règlement fixe un ensemble de mesures, graduées selon les acteurs en ligne et leur rôle, qui viennent lutter contre les contenus illicites en ligne et incitent les plateformes à se responsabiliser.
Les mesures prévues par ce règlement peuvent être classées selon trois catégories, la lutte contre les contenus illicites, la transparence en ligne et, l’atténuation des risques et réponse aux crises.
D’abord, concernant la première catégorie, un système permettant aux internautes de signaler facilement les contenus illicites devra être mis en place. En ce sens, les plateformes devront coopérer avec des signaleurs de confiance dont les signalements seront traités en priorité. Une fois le contenu illicite signalé, les plateformes devront retirer ou bloquer rapidement le contenu.
Par ailleurs, les marketplaces devront mieux tracer les vendeurs proposant des produits et services ainsi que mieux informer les consommateurs.
Ensuite, concernant la transparence en ligne, les plateformes auront l’obligation d’avoir un système de traitement interne des réclamations. Elles devront également expliquer le fonctionnement des algorithmes qu’elles utilisent pour recommander des contenus publicitaires fondés sur le profil des utilisateurs et, pour les plus grandes plateformes, l’obligation de proposer un système de recommandation de contenus non-fondé sur le profilage.
Enfin, le troisième volet d’obligations concerne les très grandes plateformes et les très grands moteurs de recherche dont la liste sera fixée par la Commission européenne. Ils devront entre autres, analyser tous les ans les risques systémiques qu’ils génèrent et effectuer des audits indépendants de réductions des risques sous le contrôle de la Commission. Ils devront également fournir une analyse des risques que posent leurs interfaces lorsqu’une crise émerge (santé publique ou sécurité publique), la Commission pouvant même leur imposer durant un temps limité des mesures d’urgence.
Les sanctions notables semblent pouvoir pousser les entreprises à se plier au respect du règlement. Dans le cas contraire la Commission peut prononcer des amendes allant jusqu’à 6% du chiffre d’affaires annuel mondial des entreprises, voire, en cas de violations graves et répétées, leur interdire d’exercer leur activité sur le marché européen.
Alors que le DMA cible certains acteurs, le DSA à un spectre beaucoup plus large, s’adressant à tous les intermédiaires qui offrent leurs services sur le marché européen (FAI, places de marché, réseaux sociaux…etc). Des règles spécifiques s’appliqueront aux plateformes ayant une audience importante au sein de l’Union européenne (plateforme de plus de 45 millions d’utilisateurs actifs par mois). Inversement, les plus petites plateformes seront quant à elles exemptées de certaines obligations (PME).
Pour ce qui est de leur entrée en vigueur respective, le Règlement DMA serait applicable dès mai 2023, le temps, pour la Commission, de prendre les actes nécessaires à la mise en œuvre des nouvelles règles. Concernant le Règlement DSA, il est entré en vigueur en novembre 2022 avec une applicabilité en février 2024, exception faite pour les très grandes plateformes en ligne et les très grands moteurs de recherche pour qui le règlement serait applicable dès 2023 (4 mois après que la Commission européenne en aura établi la liste).
Les équipes de TAoMA sont à votre disposition pour toute question que vous pourriez avoir sur le sujet ou pour échanger avec vous de ces réformes importantes et impactantes aussi bien pour les sociétés concernées que pour les consommateurs.
Nathan Audinet
Stagiaire Pôle Avocats
Jean-Charles Nicollet
Conseil en Propriété Industrielle
01
février
2022
La preuve par constat d’achat, oui ! Mais qui peut procéder à l’achat?
Author:
teamtaomanews
Dans notre newsletter du 12 janvier 2021, nous avions rappelé l’importance de la date choisie pour établir les constats d’huissier, lesquels permettent avant tout procès de démontrer la commercialisation d’un produit contrefaisant dans une boutique ou sur un site en ligne.
S’il est fréquent qu’un constat d’huissier soit fourni aux débats, il convient toutefois de s’interroger sur les liens éventuels de dépendance entre la personne qui assiste l’huissier de justice et le requérant.
En effet, dans un arrêt du 16 décembre 2021, la deuxième chambre civile de la Cour d’appel de Douai a rappelé les exigences d’indépendance entre le requérant et le tiers acheteur qui assiste l’huissier instrumentaire.
A l’origine de ce litige, une demande reconventionnelle en concurrence déloyale initiée par la société Vaillant contre la société Cartospé pour des actes de concurrence déloyale commis à son encontre et consistant à ne pas avoir respecté les normes relatives aux emballages.
Au soutien de sa demande, la société Vaillant a fourni un constat d’achat de deux lots de 10 emballages de la société Cartospé, effectué sur le site Internet de cette dernière et établi par huissier de justice à Paris en 2014.
Or, comme l’a relevé la Cour d’appel de Douai, il résulte du procès-verbal de l’huissier instrumentaire que la personne qui a procédé à l’achat de cartons est Mme X., alors élève-avocat du cabinet Linklaters lui-même avocat de la société Vaillant, requérante, laquelle n’a pas fait pas état de cette qualité lors de l’achat mais a au contraire, fait état de l’adresse d’une société de gestion immobilière située 32 rue de Malte à Paris 70011 ainsi que d’une adresse Gmail personnelle et non pas des coordonnées du cabinet Linklaters étant ajouté que l’huissier constatant ne mentionne pas plus la qualité de Mme X. Il en résulte que le constat d’achat du 26 mai 2014 n’a pas été réalisé par une personne indépendante de la partie requérante et doit être annulé de même que les actes subséquents des 13 et 26 juin 2014[1].
Rappelons que si l’huissier de justice se borne le plus souvent à constater l’achat de l’article litigieux par un tiers acheteur, ce dernier doit toutefois être indépendant de la partie requérante.
Cette condition d’indépendance a notamment été rappelée par la Cour de Cassation dans un arrêt du 25 janvier 2017[2].
A la lumière de l’article 6§1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et de l’article 9 du code de procédure civile, la Cour a rappelé que le droit à un procès équitable (…) commande que la personne qui assiste l’huissier instrumentaire lors de l’établissement d’un procès-verbal de constat soit indépendante de la partie requérante.
Ce nouvel arrêt vient renforcer les exigences d’indépendance entre le tiers acheteur et le requérant, démontrant de nouveau la grande sévérité des juges en matière de constats d’huissier.
Ainsi, si l’utilité des constats d’huissier n’est plus à démontrer en raison de leur force probante reconnue par les tribunaux, il convient toutefois d’être particulièrement vigilant sur le choix du tiers acheteur, sous peine de rejet de ce mode de preuve par les juridictions.
Gaëlle Bermejo
Juriste
[1] Cour d’appel de Douai, ch. 2 – sec. 1, arrêt du 16 décembre 2021 – Cartospé-Packaging / Cartonnage Vaillant & Astra Inks (arrêt)
[2] Cour de cassation, arrêt du 25 janvier 2017, pourvoi n° 15-25.210
18
mars
2021
Campagne télévisée de ventes promotionnelles : Lidl dans le viseur des enseignes Intermarché et Carrefour
Author:
teamtaomanews
La guerre dans le secteur de la grande distribution fait rage et les deux arrêts rendus par la Cour de Cassation le 16 décembre 2020 [1] en sont le parfait exemple.
Les enseignes Intermarché et Carrefour reprochaient à l’enseigne Lidl d’avoir fait, au cours des années 2015 et 2016, la promotion télévisée de ventes promotionnelles, pratique pourtant interdite par les dispositions du décret relatif à la prohibition des publicités télévisuelles pour des ventes promotionnelles du secteur de la distribution (Article 8 du décret n°92-280 du 27 mars 1992) [2].
La Cour d’Appel de Paris avait, par deux arrêts datés de 2019, reconnu que les actes de la société Lidl étaient contraires aux textes précités et l’avait ainsi condamnée pour pratiques commerciales déloyales.
Or, c’était sans compter sur la ténacité du discounter qui se pourvu alors en cassation. Outre le quantum de la condamnation, la société Lidl remettait également en cause la conformité du décret n°92-280 à la Directive 2005/29/CE du 11 mai 2005 sur les pratiques commerciales déloyales, ainsi que la qualification de ventes promotionnelles.
La Cour de Cassation, par ces deux arrêts en date du 16 décembre 2020, rejette les moyens de la société Lidl au soutien de ces pourvois.
D’une part, la Cour de Cassation retient que l’objectif de l’interdiction édictée par le décret n°92-280 n’est pas de protéger le consommateur mais de préserver l’attractivité des différents médias par rapport à la télévision, afin que la publicité de la grande distribution, qui constitue une source importante de revenus, ne se concentre pas sur les régies publicitaires de chaines de télévision.
Aussi, le décret n°92-280 n’entrant pas dans le champ d’application de la Directive 2005/29/CE du 11 mai 2005 sur les pratiques commerciales déloyales, il n’y avait pas lieu d’examiner sa conformité à ladite Directive et, par voie de conséquence, son applicabilité.
D’autre part, et sur la qualification de vente promotionnelle, la Cour de Cassation relève que les cinq produits mis en avant dans les spots télévisés diffusés par Lidl en avril, mai et juin 2016 n’étaient plus offerts à la vente dans aucun des quatre magasins Lidl visités par les huissiers de justice le 19 juillet 2016.
De même, dans les vingt-deux magasins visités par les huissiers de justice le 8 décembre 2015, la très grande majorité des produits mis en avant dans les spots diffusés de septembre à novembre 2015, étaient absents des rayons des magasins visités.
Or, selon la doctrine de l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité, doivent être qualifiées de promotions, les opérations caractérisées par une exposition à la vente en magasin inférieures à quinze semaines.
D’autres éléments factuels ont, par ailleurs, convergé vers une qualification de ventes promotionnelles et, notamment, le fait que :
l’essentiel des ventes étaient intervenues dans les deux à quatre premières semaines de commercialisation ;
le niveau de stock était quasiment atteint à l’issue de la quatrième semaine de vente ;
aucun réassort n’avait été effectué à l’issue de la quatrième semaine de commercialisation.
La Cour de cassation confirme donc l’analyse des juges du fond qui ont retenu que les opérations commerciales litigieuses en question étaient des opérations de promotion dont la publicité par voie de télévision était interdite par l’Article 8 du décret n°92-280 du 27 mars 1992.
La société Lidl est ainsi condamnée à réparer le préjudice résultant de ces pratiques commerciales déloyales à hauteur de 9,7 millions d’euros.
Cette nouvelle condamnation s’ajoute à une longue liste d’affaires impliquant le discounter d’origine allemande, dont une décision récente des tribunaux espagnols qui l’a condamné pour contrefaçon du brevet Thermomix de la société allemande Vorweck pour son robot CUISINE CONNECT. Une procédure identique est actuellement pendante devant les tribunaux français et nous ne manquerons pas de vous faire part de son issue dans le cadre d’une prochaine TAoMA News.
Dorian Souquet
Juriste Stagiaire
Baptiste Kuentzmann
Juriste
[1] Cour de Cassation, Chambre commerciale, 16 décembre 2020, 19-16.760 – Cour de Cassation, Chambre commerciale, 16 décembre 2020, 19-12.820.
Décision non publiée, communiquée sur demande à contact-cpi@taoma-partners.fr
[2] Article 8 du décret n°92-280 du 27 mars 1992 : « Est interdite la publicité concernant, d’une part, les produits dont la publicité télévisée fait l’objet d’une interdiction législative et, d’autre part, les produits et secteurs économiques suivants : (…) – distribution pour les opérations commerciales de promotion se déroulant entièrement ou principalement sur le territoire national, sauf dans les départements d’outre-mer et les territoires de la Polynésie française, des îles Wallis et Futuna, dans la collectivité départementale de Mayotte et en Nouvelle-Calédonie. Au sens du présent décret, on entend par opération commerciale de promotion toute offre de produits ou de prestations de services faite aux consommateurs ou toute organisation d’événement qui présente un caractère occasionnel ou saisonnier, résultant notamment de la durée de l’offre, des prix et des conditions de vente annoncés, de l’importance du stock mis en vente, de la nature, de l’origine ou des qualités particulières des produits ou services ou des produits ou prestations accessoires offerts »
04
février
2021
Affaire Aya Nakamura : revers pour le styliste qui l’accusait de parasitisme
Author:
teamtaomanews
Un styliste explique avoir envoyé un moodboard (planche de tendances) comportant plusieurs styles vestimentaires à la chanteuse Aya Nakamura puis avoir réalisé avec elle une séance de photographies dans l’environnement esthétique et vestimentaire qu’il proposait. Or, à la sortie du clip de l’artiste illustrant le morceau « POOKIE », il a découvert que plusieurs tenues vestimentaires qu’elle arborait correspondaient aux styles qu’il lui avait proposés . Après une demande d’indemnisation infructueuse de 50.000 euros à la maison de production, il a décidé d’assigner la chanteuse pour des actes de parasitisme sur le fondement de l’article 1240 du Code civil.
Pour rappel, le parasitisme résulte d’agissements visant à s’approprier de façon injustifiée et sans contrepartie une valeur économique résultant d’un savoir-faire, de travaux ou d’investissements. Ainsi, il suppose la caractérisation d’une faute génératrice d’un préjudice.
Ce dernier point suffit à écarter la qualification de fait parasitaire dans ce litige. En effet, le juge constate que, si les tenues et postures proposées dans le moodboard ainsi que pour la séance photographique et pour le clip sont bien inspirées d’un univers commun, elles présentent de nettes différences (robe blanche fine décolletée versus combinaison épaisse boutonnée avec une lavallière de couleur blanc argenté / haut en fourrure rouge et orange versus vêtements rouges en cuir verni, etc.). Or le seul fait d’utiliser des tenues d’un style similaire de celui proposé par le demandeur ne suffit pas à établir une reprise constitutive d’une faute, d’autant qu’il n’a pas établi les conditions dans lesquelles il avait transmis son moodboard et organisé la séance de shooting. Aussi, rien ne permet de prouver qu’il n’a pas reçu de contrepartie pour son travail.
Par ailleurs, la juridiction a eu à se prononcer sur la demande de la célèbre chanteuse-compositrice qui reprochait notamment au styliste d’avoir exposé publiquement les différentes étapes de la procédure, notamment dans des posts sur les réseaux sociaux qui ont été largement relayés et repris par plusieurs journaux, ce qui lui aurait causé un préjudice.
Le tribunal estime que « cette publicité donnée sans justification par le demandeur à ses accusations à l’encontre de la défenderesse, procédant d’une intention manifeste de nuire, a nécessairement porté préjudice à la défenderesse en termes d’image et de réputation ».
Le tribunal relève ainsi le caractère fautif des accusations et de la publicité effectuée par le styliste dans l’affaire. Dans la mesure où cette faute a causé un préjudice moral à la chanteuse, particulièrement en termes de réputation et d’image, il est condamné à 5.000 euros de dommages-intérêts.
Sur le même thème : https://taoma-partners.fr/blog/2019/04/01/divulguer-cest-denigrer/
Thibault FELIX
Stagiaire Pôle Avocat
Anita DELAAGE
Avocate
Référence et date : Tribunal judiciaire de Paris, 15 janvier 2021, n° 19/07796
Décision non publiée, communiquée sur demande à contact-avocat@taoma-partners.fr
23
avril
2020
La lutte contre la contrefaçon aux temps du Coronavirus
Author:
teamtaomanews
ou : Comment défendre vos droits de propriété intellectuelle en période de confinement ?
Du fait de la crise sanitaire, les tribunaux sont fermés depuis mi-mars 2020, les actions judiciaires les plus courantes – y compris les actions en contrefaçon – ne peuvent pas être engagées et les actions en cours sont suspendues.
Ainsi, les outils judiciaires dont disposent les titulaires de droits de propriété intellectuelle (marques, dessins et modèles, brevets, droits d’auteur, etc.) pour lutter contre la contrefaçon sont devenus indisponibles et risquent de l’être encore pendant un certain temps à l’issue du confinement car l’activité des tribunaux ne redémarrera que progressivement.
Parallèlement, nous assistons à une multiplication des arnaques COVID et des contrefaçons en ligne.
Titulaires de droits, ne restez pas inactifs.
Il est possible d’agir sans attendre le déconfinement et la reprise de l’activité judiciaire. Il existe un ensemble d’outils alternatifs permettant de faire respecter vos droits et de tenter d’obtenir rapidement la cessation des actes de contrefaçon.
TAoMA a identifié quatre étapes préalables, allant de l’utile à l’indispensable :
La surveillance en ligne, pour repérer les actes contrefaisants
La surveillance douanière, pour faire surveiller les allées et venues des produits contrefaisants
L’utilisation de la technologie blockchain, pour authentifier les produits et prouver la contrefaçon repérée
Le constat d’huissier sur Internet, pour prouver la contrefaçon repérée
Ainsi que cinq actions disponibles :
La récupération de noms de domaine contrefaisants
Le signalement d’actes de contrefaçon à l’office européen de la propriété intellectuelle
Le signalement de contenu illicite sur les réseaux sociaux
La lettre de mise en demeure
La notification LCEN
LES ÉTAPES PRÉALABLES
La surveillance en ligne
Un titulaire de droits identifie souvent des actes de contrefaçon en surveillant lui-même l’activité de ses concurrents ou en jetant un œil aux principales plates-formes marchandes, voire en en découvrant de façon inopinée.
Il est toutefois indispensable d’adopter une stratégie systématique de surveillance active afin d’éviter de se retrouver prescrit ou forclos à agir en contrefaçon ou sur un autre fondement.
En ce qui concerne la contrefaçon en ligne, il existe des sociétés spécialisées, comme Safebrands et IP Twin, qui ont rendu certains de leurs services de surveillance provisoirement gratuits.
Ces sociétés proposent notamment les services suivants, pour le monde entier :
Surveillance des nouvelles occurrences de mots-clés dans les liens, pages de sites, metatags, etc.
Surveillance des réseaux sociaux
Surveillance des plates-formes de vente en ligne (Amazon, eBay, Rakuten…)
Surveillance des « adwords »
Surveillance de l’utilisation des logos
Ces sociétés remettent des rapports à intervalles plus ou moins fréquents, comprenant les données brutes collectées. L’analyse du caractère contrefaisant doit être réalisée par un avocat pour être fiable.
TAoMA Partners a également développé ses propres techniques de surveillance et d’identification et les utilise régulièrement au service de ses clients.
La surveillance douanière
La surveillance en ligne peut être utilement doublée par une surveillance « physique » par les douanes. Il est possible de mettre en place une surveillance douanière en en faisant la demande auprès des services des douanes au moyen d’un formulaire identifiant les droits des titulaires, incluant des photographies de produits authentiques et des conseils pour repérer les contrefaçons.
Cette surveillance est toujours disponible en ce moment, les douanes requérant que les demandes de surveillances soient pour l’instant envoyées exclusivement par e-mail.
Sans rentrer dans les détails, la saisie de marchandises contrefaisantes par les douanes donne lieu à une notification au titulaire des droits qui informe les douanes de son souhait, le cas échéant, de faire procéder à une destruction simplifiée des produits ou les informe que les produits ne sont pas contrefaisants.
L’utilisation de la technologie blockchain
Cette technologie réputée infalsifiable, utilisée par la cryptomonnaie Bitcoin, peut être adoptée par les titulaires de droits de propriété intellectuelle pour se protéger contre la contrefaçon.
Cette technologie intéresse tout particulièrement les acteurs du secteur du luxe mais pas exclusivement : elle pourrait s’appliquer aux produits culturels, technologiques ou autres.
Lors de l’achat d’un objet original, un QR code est émis et permet de produire un certificat d’authenticité numérique inscrit dans la blockchain. Il est ainsi possible à tout moment de vérifier si et de prouver que l’objet est authentique. Il peut également contenir l’historique des réparations autorisées et des reventes à d’autres propriétaires de l’objet et de son certificat. Les titulaires des marques peuvent également suivre, de façon anonymisée quant à leurs propriétaires, la vie de l’objet.
La blockchain peut également être utilisée, à la place des enveloppes Soleau, pour prouver une date de création et protéger un actif de propriété intellectuelle non enregistré, comme une œuvre d’art ou une œuvre littéraire, y compris aux différentes étapes de sa création, ce qui intéressera en particulier les producteurs audiovisuels. La date certaine enregistrée par l’inscription dans la blockchain peut en outre être réalisée par huissier, ce qui peut à terme renforcer le caractère probant vis-à-vis de juges pas nécessairement sensibilisés au fonctionnement de la blockchain.
Parmi les autres utilisations possibles, la victime d’actes de contrefaçon peut inscrire dans la blockchain des captures d’écran des actes contrefaisants et le code source des pages concernées. Néanmoins, pour les juges français, à ce stade, le constat d’huissier sur Internet semble le mode de preuve à privilégier.
Le constat d’huissier sur Internet
En matière de contrefaçon, la preuve est libre, ce qui veut dire que les titulaires de droits de propriété intellectuelle peuvent, par exemple, tenter de prouver la contrefaçon en produisant des captures d’écran du site contrefaisant.
Rappelons en outre que les tribunaux accordent de plus en plus de valeur aux pages archivées sur le site web.archive.org et que la date figurant sur ces pages archivées est considérée comme plus probante qu’une datation résultant d’un archivage personnel. Voir notre TAoMA news du 8 novembre 2019.
Mais ce type de document est bien sûr moins probant que des preuves établies par constat d’huissier.
Les huissiers de justice peuvent réaliser, depuis leur domicile ou leur étude, des constats sur Internet, en donnant ainsi une date certaine à la présence en ligne d’actes contrefaisants et en adoptant des techniques permettant d’écarter les doutes qui affectent l’enregistrement « artisanal » de pages web qu’effectuerait un titulaire de droit de propriété intellectuelle.
Le rôle de TAoMA est de travailler de concert avec l’huissier, afin que le constat réalisé réunisse l’ensemble des informations nécessaires pour apporter la preuve de la contrefaçon de manière efficace et exploitable.
Ces constats pourront, bien sûr, être utilisés dans un contentieux judiciaire futur ; mais ils sont également utiles pour mettre en œuvre certaines des actions disponibles en-dehors de toute procédure judiciaire.
LES ACTIONS DISPONIBLES
La récupération de noms de domaine contrefaisants
Les titulaires de marques constatent souvent qu’un tiers a inclus une de leurs marques au sein même d’un nom de domaine, de façon identique ou similaire (par exemple « channel-parfums.com »). Ce type d’atteinte aux droits de marque, appelé « cybersquatting », se multiplie en ce moment.
Plutôt que de requérir d’un juge qu’il ordonner le blocage du site, le titulaire peut choisir de demander la récupération du nom de domaine. Des demandes de récupération peuvent être adressées notamment :
Auprès de l’office mondial de la propriété intellectuelle (OMPI) pour les domaines en .com, .net et .org :
C’est la procédure « UDRP » (Uniform Domain-name Dispute-Resolution Policy)
Et auprès de l’Association française pour le nommage Internet en coopération (Afnic) :
C’est la procédure « Syreli »
En cas de succès, le nom de domaine litigieux pourra être supprimé ou transféré au requérant.
Le centre d’arbitrage de l’OMPI a annoncé être en état de traiter les demandes de récupération, même si l’on peut anticiper des délais accrus, la procédure habituelle prenant trois mois. L’Afnic a également informé qu’elle poursuivait son activité avec un délai de procédure inchangé de deux mois.
L’avantage majeur de ces procédures est que leur coût est très limité et qu’elles se déroulent en ligne. En cette période de confinement, les deux organismes ont en plus décidé d’autoriser l’envoi de notifications par les parties par voie électronique alors que la voie postale est exigée, en temps normal.
Dans certains cas, en fonction des faits, une alternative à ces procédures de récupération peut être trouvée dans la notification LCEN (voir plus bas).
Le signalement à l’EUIPO
L’Office de l’Union européenne pour la Propriété intellectuelle (EUIPO) a mis en place un outil destiné en particulier à signaler la contrefaçon touchant les objets essentiels de lutte contre le coronavirus (masques, médicaments, matériel médical…). Certains de ces produits médicaux reproduisent sans autorisation des marques appartenant à des titulaires n’ayant parfois rien à voir avec le secteur de la santé. Ainsi, un contrefacteur a utilisé une marque de Disney (« Frozen II ») et violé son droit d’auteur en proposant à la vente des masques de protection pour enfants « Reine des Neiges » qui ne respectent évidemment pas les normes de sécurité et mettent en danger les populations, en plus de nuire aux titulaires de droits.
L’outil lancé par l’EUIPO s’appelle IP Enforcement Portal (Portail de mise en œuvre des droits de propriété intellectuelle). Les titulaires de droits peuvent y échanger des informations sur l’étendue de leurs droits et sur les distributeurs autorisés, téléverser des photographies de produits authentiques et signaler les produits contrefaisants. La plateforme est gratuite et rend possible la mise en relation les titulaires de droits avec les autorités de poursuite dans chacun des pays de l’Union, ce qui permet, par exemple, à un titulaire français de signaler une contrefaçon à un magistrat bulgare ou suédois lorsque la contrefaçon en ligne ne s’adresse qu’aux internautes de ces pays.
Dans ce type de situation comportant un péril sanitaire, il n’est pas douteux que les autorités publiques mettent sans tarder en œuvre des mesures de protection des populations et donc, indirectement, de protection des droits des titulaires.
Mais même en-dehors de ces cas, il reste possible d’agir sans attendre. Deux mesures rapides et efficaces sont disponibles pour les titulaires de droit : la lettre de mise en demeure et la notification LCEN. Ces mesures visent à obtenir rapidement le retrait des pages contenant l’offre à la vente de produits ou de services contrefaisants. Un tel retrait n’empêche aucunement de réclamer des dommages-intérêts par la suite, une fois l’activité judiciaire rétablie.
Le signalement sur les réseaux sociaux
Les réseaux sociaux, mais aussi les grandes plates-formes de vente en ligne (Facebook, Amazon, Instagram, Twitter, LinkedIn, YouTube, etc.) prévoient en général leurs propres procédures de signalement de contenus litigieux (contrefaisants, diffamant, ou illégaux d’une manière générale).
Une infraction particulière aux réseaux sociaux est celle du « username squatting » ou des « faux comptes », soit l’utilisation d’une marque comme pseudo, par un tiers (par exemple, l’existence d’une page Facebook au nom d’une marque mais détenue par un fan ou par une personne moins bien intentionnée).
Pour résoudre ce problème, ou tout autre difficulté liée à la présence d’un contenu illicite, le titulaire est invité à fournir des informations dans des formulaires en ligne et de joindre des pièces justificatives qui dépendent à chaque fois du type d’atteinte repérée.
Par exemple, il est possible de signaler une atteinte à un droit de propriété intellectuelle sur YouTube sur cette page, une atteinte à un droit d’auteur sur LinkedIn sur celle-ci ou encore une usurpation d’identité sur Facebook à cette adresse. LinkedIn et Facebook permettent également, ainsi que d’autres réseaux, d’accéder à un formulaire de signalement via des boutons de commandes accompagnant chaque post.
L’avantage considérable de ces procédures internes est qu’elles sont rapides, gratuites et qu’elles peuvent permettre d’obtenir facilement des retraits de contenus au niveau mondial. Mais l’inconvénient est que l’appréciation de la légitimité de la notification est laissée entièrement à l’appréciation des réseaux sociaux, voire de robots aux raisonnements automatisés et parfois peu pertinents, comme par exemple Content ID, un robot qui repère les vidéos contrefaisants sur YouTube et dont le fonctionnement est décrié.
En cas d’échec, il reste toutefois possible d’utiliser les étapes de la lettre de mise en demeure et de la notification LCEN.
La lettre de mise en demeure
Il est d’usage, lorsqu’un titulaire de droits constate qu’un tiers fait usage de sa marque sans autorisation, plagie ses droits d’auteur ou imite le modèle d’un produit qu’il commercialise, d’envoyer avant toute procédure contentieuse une lettre d’avocat ayant pour objet de le mettre en demeure de cesser les actes contrefaisants, de retirer les produits de la vente, de modifier sa marque, etc. Au-delà de la rédaction de la lettre, le regard de l’avocat est essentiel, notamment pour deux raisons : pour évaluer la réalité de la contrefaçon et pour vérifier si la prescription n’est pas acquise (ce qui n’empêcherait pas d’envoyer la lettre mais diminuerait la position de force du titulaire de droits).
La lettre de mise en demeure peut tout à fait être envoyée en période de confinement. Tout d’abord, elle peut toujours être envoyée en recommandé avec accusé de réception dans la mesure où les services postaux fonctionnent toujours. De plus, La Poste propose un service d’envoi de lettres recommandées en ligne qui permet d’éviter à l’expéditeur de se déplacer au bureau de poste pour l’affranchir et l’envoyer. En pratique, l’expéditeur paye en ligne après avoir saisi les informations d’expédition et téléversé le courrier au format PDF. L’inconvénient est donc que le courrier n’est pas remis sous pli fermé à La Poste, mais cette dernière et ses employés sont tenus au secret des correspondances électroniques prévu par la loi. Le recours à un tel service n’est exclu ou fortement déconseillé que si le contenu de la lettre est particulièrement confidentiel ou bien si le courrier lui-même est confidentiel par application de la loi (comme un courrier couvert par le secret médical ou par le secret des avocats – ce qui n’est pas le cas pour une lettre envoyée par un avocat à la partie adverse).
Ensuite, en pratique, la lettre recommandée est doublée d’un envoi en lettre simple et par e-mail quand l’adresse e-mail est connue. Cela permet de s’assurer que le destinataire puisse prendre connaissance rapidement du document sans avoir à aller le retirer à La Poste.
Enfin, cette lettre, qui suffit parfois à obtenir le retrait des contrefaçons ou à voir satisfaites les autres demandes formulées, peut, en cas d’échec, être réutilisée dans le cadre d’une notification LCEN. Cette notification est aussi utile quand l’on ne dispose d’aucune information pour contacter le contrefacteur.
La notification LCEN
La notification LCEN tire son nom de la Loi pour la Confiance dans l’Economie Numérique du 21 juin 2004. Cette loi prévoit les formes dans lesquelles une personne qui estime que ses droits sont enfreints sur un site Internet peut obtenir la suppression du contenu illicite par l’hébergeur et non seulement par l’auteur du contenu.
Ce contenu peut être de diverses natures plus ou moins graves : divulgation de données personnelles, pédopornographie, apologie de crime contre l’humanité, propos injurieux ou diffamants, photographies volées (revenge porn), contrefaçon (texte, photographie, musique, film, marque, dessins et modèles, etc.). Il doit être manifestement illicite : la contrefaçon doit être flagrante et indiscutable. Ce caractère manifestement illicite est apprécié par l’avocat et l’envoi d’une notification LCEN alors que le caractère illicite est discutable ou improbable peut engager la responsabilité de l’auteur de la notification.
En pratique, le titulaire ou son avocat doit envoyer un premier courrier au contrefacteur (la lettre de mise en demeure peut ainsi être réutilisée, mais un simple e-mail suffit).
Cette notification est un courrier envoyé dans les mêmes conditions qu’une lettre de mise en demeure classique : c’est un courrier en recommandé avec accusé de réception doublé par une lettre simple et, quand c’est possible, par un e-mail.
Si l’étape de la lettre de mise en demeure a échoué, parce qu’il a été impossible de contacter directement l’auteur de la contrefaçon en l’absence d’informations ou parce que l’auteur de la contrefaçon n’a pas donné suite au courrier, il convient alors d’envoyer la notification LCEN à l’hébergeur du site, quand il s’agit d’une personne distincte de celle du contrefacteur. Son contact est censé figurer dans les mentions légales.
En l’absence, fautive, de ces mentions, certains sites permettent de rechercher qui est l’hébergeur d’un site Internet.
Voici quelques exemples pour y voir plus clair :
Le contenu d’une notification LCEN est encadré par la loi. Il conviendra, entre autres, d’y mentionner ou d’y adjoindre les éléments suivants :
Une copie de la pièce d’identité du titulaire des droits (un extrait K-Bis dans le cas d’une personne morale)
Un extrait K-Bis de l’hébergeur
La preuve que l’auteur de la notification (ou le client de l’avocat auteur de la notification) est bien titulaire des droits : par exemple, le certificat d’enregistrement de la marque ou une version numérique du livre dont est tiré un passage reproduit sans autorisation
Le fondement juridique qui permet au titulaire des droits de demander le retrait des pages web contrefaisantes : il s’agira des textes du code de la propriété intellectuelle et/ou de règlements européens conférant des droits aux auteurs et aux déposants de titres de propriété industrielle, ainsi que de l’article 6 de la LCEN
L’identification de la matérialité de la contrefaçon incluant l’adresse URL : le constat d’huissier sur Internet est la preuve la plus recommandée
La copie du courrier envoyé au contrefacteur ou la justification de l’impossibilité de le contacter
Etc.
=> Pourquoi une notification LCEN est-elle souvent efficace ?
Parce que l’absence de réaction rapide de la part de l’hébergeur engage sa responsabilité (y compris pénale, la contrefaçon étant un délit) et que les hébergeurs peuvent donc être assignés en justice ou faire l’objet de plaintes pénales même sans que le titulaire de droits n’ait à se préoccuper du contrefacteur lui-même. La totalité des condamnations pourrait donc être supportée par l’hébergeur.
Cet effet dissuasif est recherché par la loi en raison même du fait qu’il est facile, sur Internet, de dissimuler son identité et d’échapper aux poursuites. La LCEN a donc pour mission essentielle d’éviter qu’Internet soit une zone de non-droit, et ce même en période de confinement.
=> Quid quand le site est situé à l’étranger ?
Tout d’abord, un site « situé » à l’étranger, par exemple un site en .br ou en .cn, peut être soumis à la loi française et donc à la LCEN lorsqu’il s’adresse au public français. Cela peut être le cas, par exemple, s’il offre la livraison vers la France, s’il propose une version française de son interface ou encore si ses prix sont libellés en euros.
Dans ce cas, l’obtention de la suppression des produits ou des offres de services contrefaisants sera bien sûr plus difficile à obtenir mais n’est pas impossible. Ainsi, la notification LCEN adressée à l’hébergeur étranger peut préciser que le juge français pourrait ordonner la coupure de l’accès au site depuis la France, par l’intermédiaire des fournisseurs d’accès (FAI). Mais bien sûr, cette solution ne peut passer que par une décision de justice définitive et on doit se contenter de souhaiter que cette menace sera dissuasive, au stade de la notification LCEN.
De plus, si une marque est reprise dans un nom de domaine situé à l’étranger, la procédure de récupération UDRP est tout indiquée.
Enfin, une solution de pis-aller consister à effectuer un signalement aux moteurs de recherche référençant la page web contrefaisante. La loi américaine (le « DMCA ») oblige Google à supprimer de ses résultats de recherche des pages violant les règles de protection du copyright. Il est donc possible d’agir même lorsque la loi française n’est pas applicable.
Anne MESSAS
Avocate à la cour, Associée
Jérémie LEROY-RINGUET
Avocat à la Cour
06
décembre
2019
Vers la fin du Black Friday ?
Author:
teamtaomanews
Les députés ont adopté un amendement visant à interdire les campagnes de promotions du « Black Friday » au sein du projet de loi relatif à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire, qui porte sur quatre grandes orientations : gaspillage, mobilisation des industriels, information du citoyen et collecte des déchets.
Pour rappel, le « Black Friday » est une vaste opération d’origine américaine qui se déroule le lendemain de Thanksgiving (quatrième jeudi de novembre) et durant laquelle les commerçants proposent des remises importantes lançant la période des achats de Noël.
Importé en France il y a quelques années, le « Black Friday » a rapidement connu un succès conséquent.
Cette opération commerciale utilise le flou encadrant les promotions afin de contourner la législation encadrant les soldes. En effet, alors que les soldes sont strictement encadrés (durées délimitées par arrêté ministériel, obligation de détenir le stock depuis plus d’un mois, etc.), les commerçants sont libres de proposer des réductions ou promotions à leur gré, tant que ces offres commerciales ne constituent pas des pratiques commerciales déloyales et restent marginales par rapport aux périodes de vente normales.
Cependant, cette année, de nombreuses critiques se sont élevées, aussi bien sur l’impact écologique de la manifestation que sur le caractère souvent trompeur des publicités qui en font la promotion.
L’amendement proposé par Delphine Batho et adopté par les députés vise à lutter contre les pratiques abusives entourant le « Black Friday » en insérant un alinéa à l’article L. 121-7 du code de la consommation, qui régit les pratiques commerciales agressives. Ainsi, il serait interdit, « dans une publicité, de donner l’impression, par des opérations de promotion coordonnées à l’échelle nationale, que le consommateur bénéficie d’une réduction de prix comparable à celle des soldes […] en dehors de leur période légale ».
Si cet amendement n’interdirait pas le Black Friday lui-même, il pourrait fortement en limiter la portée en le privant de publicité.
Lire l’amendement adopté sur le site de l’Assemblée nationale
Salomé Silliaume
Élève-avocate
Anita Delaage
Avocate
13
novembre
2019
Couverture des romans de Fred Vargas, une sombre histoire de droits d’auteur…
Author:
teamtaomanews
Depuis le départ, en 2014, de l’auteure Fred Vargas de la maison d’édition Viviane Hamy, au sein de laquelle ses romans étaient publiés dans la collection « Chemins Nocturnes », pour rejoindre Flammarion, une bataille judiciaire est née entre les deux maisons d’éditions.
En effet, selon l’ancienne éditrice de la romancière à succès, la maquette de la couverture du premier ouvrage publié chez son concurrent reprenait les codes de sa collection « Chemins Nocturnes » à savoir :
=> un encadrement de couleur blanche à bordure fine sur fond noir mat ;
=> le nom de l’auteur, en lettres blanches capitales, centré et placé sur entête de la couverture, surmonté d’une ligne blanche à bordure fine ;
=> un titre en lettre blanches capitales, centré, compris dans l’encadrement de couleur blanche à bordure fine, placé au-dessus d’une illustration ;
=> une illustration en noir et blanc, dans un style vaporeux et/ou lugubre centrée, comprise dans l’encadrement de couleur blanche à bordure fine, illustrant de manière originale le sujet du roman ;
=> un format semi-poche.
Or, elle estimait que ces caractéristiques étaient le résultat d’un parti pris esthétique ayant pour objectif de susciter un sentiment de confinement, d’incertitude, de perte de repère ou de réalité, permettant à la maquette d’accéder à une protection au titre du droit d’auteur.
Leur reprise était alors, aux dires des éditions Viviane Hamy, constitutive de contrefaçon, voire de concurrence déloyale et parasitisme.
Nous vous laissons apprécier les caractéristiques de chaque couverture, avant de vous dévoiler l’issue du litige…
Couverture d’un ouvrage de Fred Vargas paru aux éditions Viviane Hamy
Couverture du premier ouvrage de Fred Vargas paru aux éditions Flammarion
Exemple de couverture des éditions Gli Adelphi
Un jugement du tribunal de grande instance de Paris l’a déboutée de toutes ses prétentions. Elle a donc interjeté appel, mais la cour a fait sienne les conclusions des juges de première instance, en estimant que :
=> La maquette de couvertures des ouvrages de la collection « Chemins Nocturnes » n’étaient pas protégeables au titre du droit d’auteur.
En effet, elle remarque, d’une part, que tous les éléments opposés sont banals pour des illustrations de romans policiers, et n’expriment donc aucune originalité et, en tout état de cause, la demanderesse ne s’est pas attardée sur certaines caractéristiques notables de l’œuvre revendiquée (tels que la présence du titre de la collection et du logo en forme de chat stylisé) qui ne sont pas reproduites dans la maquette d’ouvrage des éditions Flammarion.
=> La concurrence déloyale et le parasitisme ne sont pas constitués, au motif qu’il n’existe aucun risque de confusion entre les deux maquettes de couverture (la seconde étant par ailleurs ouvertement inspirée de celle d’une autres maison d’édition, Gli Adelphi, qui avait cédé ses droits à Flammarion), du fait des différences évidentes entre ces dernières (notamment proportion de la couverture protégée par l’image, nombre de sous divisions du rectangle central, présence du logo et du nom de la collection, etc.). En outre, l’appelante n’est pas parvenue à apporter la preuve de ses investissements.
Le fait que des commentateurs aient pu noter une « certaine continuité » entre les ouvrages ne serait alors dû qu’au qu’à la grande notoriété de l’auteure.
Malgré cette victoire, il est notable que les couvertures des ouvrages suivants de Fred Vargas publiés chez Flammarion ont quelque peu évolué :
Enfin, on remarquera que la décision peut être rapprochée de litiges concernant la protection de maquettes de couverture de magazines, cas dans lesquels les juges estiment en général que pour être protégée, la couverture doit présenter « une physionomie propre traduisant un parti pris esthétique qui porte l’empreinte de la personnalité de son auteur »[1] ou être « constituée d’une maquette spécifique et constante, répondant à une charte graphique et typographique, constitue, dans la mesure où se trouve caractérisée l’originalité qui la qui la distingue de celle de ses concurrents, une œuvre de l’esprit susceptible de bénéficier de la protection instituée (au titre du droit d’auteur) »[2].
Willems Guiriaboye
Stagiaire
Anita Delaage
Avocate
Cour d’appel de Paris, Pôle 5 – Chambre 1, 24 septembre 2019, n°17/19205
Décision non publiée, communiquée sur demande à contact@taoma-partners.fr
[1] CA Paris, 21 sept. 2012, n°10/11630
[2] CA Paris, 21 févr. 2007, n°06/07885
01
avril
2019
Divulguer, c’est dénigrer!
Author:
teamtaomanews
La divulgation de l’existence d’une action en justice n’ayant pas donné lieu à une décision de justice peut-elle constituer un acte de dénigrement ?
La Chambre commerciale de la Cour de cassation répond par la positive dans un arrêt rendu le 9 janvier 2019.
La société Keter Plastic, fabricante de produits en plastique dont certains produits sont vendus par la société Plicosa, a assigné en contrefaçon la société Shaf en 2012. Cette action a été rejetée par un jugement rendu en 2013, confirmé par un arrêt rendu en 2015. La société Plicosa a divulgué l’existence de cette action en justice dès 2012 aux distributeurs de la société Shaf.
La société Shaf a alors assigné la société Plicosa en paiement de dommages et intérêts pour concurrence déloyale en arguant de l’existence d’une campagne de dénigrement à son encontre. La Cour d’appel a infirmé le jugement rendu en première instance et a rejeté l’action engagée par la société Shaf au motif que la requérante ne démontrait pas le caractère non-objectif, excessif, dénigrant voire mensonger des informations divulguées par la défenderesse.
La société Shaf soutient que la divulgation d’une action en justice, même n’ayant pas donné lieu à une décision de justice, à sa clientèle par la société Plicosa est fautive dès lors qu’elle a conduit plusieurs clients à renoncer à leurs commandes.
La société Plicosa conclut au rejet du pourvoi en indiquant que les messages informant les distributeurs de l’action en justice en contrefaçon n’étaient pas accompagnés de propos mensongers, excessifs, dénigrants ou menaçants susceptibles de constituer un acte de dénigrement.
La Cour de Cassation n’est pas du même avis et casse l’arrêt rendu par la Cour d’appel, au visa du nouvel article 1240 du code civil, au motif que « la divulgation à la clientèle, par la société Plicosa, d’une action en contrefaçon n’ayant pas donné lieu à une décision de justice, dépourvue de base factuelle suffisante en ce qu’elle ne reposait que sur le seul acte de poursuite engagé par le titulaire des droits, constituait un dénigrement fautif ».
La Cour de cassation clarifie également l’articulation entre la liberté d’expression et le dénigrement fautif en expliquant que l’information qui se « rapporte à un sujet d’intérêt général et repose sur une base factuelle suffisante, sous réserve qu’elle soit exprimée avec une certaine mesure » ne constitue pas un acte de dénigrement.
Cette décision confirme la jurisprudence de la Haute Cour qui considère que la divulgation d’une décision de justice non définitive constitue un dénigrement fautif.[1]
[1] Par ex.Cass. com., 27 mai 2015, n° 14-10.800
22
octobre
2018
Taittinger : marque renommée, valeur économique… Quand les noms de famille concentrent toutes les convoitises
Author:
teamtaomanews
Après les conflits portant sur les noms des créateurs de mode (cf. news HMV « nouveau conflit entre un créateur de mode et la société titulaire de la marque reprenant son nom – la Cour de cassation se penche, entre autres, sur la validité de la cession consentie, dans terme, sur un nom patronymique »), c’est au tour du monde du champagne d’être secoué par une affaire liée au business juteux des « grands noms ».
Les membres de la famille champenoise Taittinger, regroupés au sein d’une société commercialisant du champagne sous une marque éponyme, ont cédé leurs parts sociales, s’engageant auprès de l’acquéreur (la société Taittinger CCVC) à ne pas faire usage de leur nom pour désigner des produits en concurrence avec l’activité cédée.
Un des membres de la famille s’est pourtant relancé dans la production de champagne sous la marque « Virginie T », au moyen notamment d’un site internet et plusieurs noms de domaine redirigeant vers celui-ci et contenant le nom « Taittinger ».
Invoquant l’utilisation commerciale du nom « Taittinger » pour la vente et la promotion du champagne « Virginie T », et la mise en œuvre d’une communication systématique axée sur ce nom de famille et sur l’image de la marque « Taittinger », la société Taittinger CCVC a assigné la titulaire de la marque « Virginie T » en violation de la convention de cession de ses titres, atteinte à sa marque renommée ainsi qu’en parasitisme et concurrence déloyale.
Alors que la cour d’appel avait condamné l’héritière Taittinger sur le fondement de la convention et avait débouté la requérante de ses autres demandes, la Cour de cassation prend le contrepied total de cette décision.
Sur la violation de la clause d’interdiction du nom Taittinger :
Madame Taittinger ayant mandaté son père, qui avait lui-même sous-mandaté deux personnes pour réaliser cette cession, la Cour de cassation décide que « le mandat de vente, qui autorisait, en termes généraux, le mandataire à souscrire à tout engagement ou garantie n’emportait pas le pouvoir, pour celui-ci, de consentir une interdiction ou une limitation de l’usage, par son mandant, de son nom de famille, constitutives d’actes de disposition ». L’arrêt de cour d’appel qui l’avait condamnée pour avoir enfreint la convention de cession est donc cassé.
Sur l’atteinte à la marque renommée « TAITTINGER »
La renommée de la marque « TAITTINGER » n’étant pas contestée, et la cour d’appel ayant relevé que « le consommateur normalement avisé était conduit à établir un lien entre les propos imputés à [Mme Taittinger]…, incriminés comme usages, et la marque invoquée », elle ne l’avait cependant pas condamnée, au motif qu’elle « ne [tirait] indûment aucun profit de la renommée de ladite marque, ni ne [portait] préjudice à sa valeur distinctive ou à sa renommée en rappelant son origine familiale, que son nom [suffisait] à identifier, son parcours professionnel ou son expérience passée, même agrémentés de photographies ».
La Cour de cassation censure cette interprétation et souligne que « l’existence éventuelle d’un juste motif à l’usage du signe n’entrait pas en compte dans l’appréciation du profit indûment tiré de la renommée de la marque, mais [devait] être appréciée séparément, une fois l’atteinte caractérisée ».
Sur le parasitisme
Concernant le parasitisme, la cour d’appel de Paris avait également rejeté la demande de la société Taittinger au motif qu’il n’était pas démontré en quoi l’adoption d’une dénomination sociale et d’un nom commercial en tant que tels traduirait à eux seuls les efforts et les investissements, notamment promotionnels, de la société.
Cependant, la Cour rappelle que les valeurs économiques pouvant être parasitées comportent certes les efforts, le savoir-faire ou les investissements consentis, mais également la notoriété acquise. Ainsi, la cour d’appel aurait dû prendre en considération le prestige et la notoriété acquis, et non contestés, de la dénomination sociale et du nom commercial de la société Taittinger CCVC.
Référence et date : Cour de cassation, chambre commerciale, 10 juillet 2018, n°16-23694
Lire l’arrêt sur Legifrance
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