25
janvier
2024
Athlètes et sponsors : application du régime juridique du mannequinat
Author:
TAoMA
Durant plusieurs années, un litige a opposé la filiale française de l’équipementier sportif UHLSPORT à l’URSSAF.
Comme bon nombre de ses concurrents, UHLSPORT, spécialisé notamment dans la fabrication d’articles de football, a recours à des contrats de parrainage ou de « sponsoring » conclus avec des athlètes afin de promouvoir ses articles.
Aux termes de ces contrats, les athlètes sont rémunérés en contrepartie de l’utilisation des équipements d’UHLSPORT lors des rencontres sportives et du respect d’un certain nombre d’obligations.
A la suite d’un contrôle, l’URSSAF a souhaité réintégrer dans l’assiette des cotisations dues par UHLSPORT le montant des sommes versées aux athlètes sponsorisés, considérant que ces rémunérations correspondaient à des salaires.
Plus précisément, l’URSSAF a estimé que la promotion des produits d’UHLSPORT par l’intermédiaire des contrats de parrainage devait s’interpréter, pour les sportifs concernés, comme une activité de mannequin soumise à la présomption de salariat de l’article L. 7123-3 du code du travail.
En effet, l’article L. 7123-2 du code du travail adopte une définition large du mannequinat :
« Est considérée comme exerçant une activité de mannequin, même si cette activité n’est exercée qu’à titre occasionnel, toute personne qui est chargée :
1° Soit de présenter au public, directement ou indirectement par reproduction de son image sur tout support visuel ou audiovisuel, un produit, un service ou un message publicitaire ;
2° Soit de poser comme modèle, avec ou sans utilisation ultérieure de son image. »
Sauf à démontrer l’absence de lien de subordination, l’athlète parrainé est présumé exercer une activité de mannequin.
UHLSPORT a contesté cette interprétation de l’URSSAF et a porté l’affaire devant le Tribunal de la sécurité sociale des Bouches du Rhône qui a statué en faveur de l’équipementier1.
Le 13 septembre 2019, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence a confirmé la décision du Tribunal en reprochant à l’URSSAF de retenir la présomption de salariat sans démontrer l’existence d’un lien de subordination1.
Par un arrêt remarqué, la Cour de cassation a cassé et annulé cet arrêt, considérant que la Cour d’appel avait inversé la charge de la preuve2.
Selon la Cour, la présomption de salariat faisait peser sur l’équipementier la charge de la preuve contraire et, pour ce faire, il appartenait à ce dernier de démontrer l’absence de lien de subordination.
Le 23 mai dernier, la Cour d’appel a, sur renvoi, abondé dans le sens de la Cour de cassation3.
En substance, elle a tout d’abord exposé que, contrairement aux arguments développés par UHLSPORT, rien n’interdisait aux athlètes concernés, déjà liés par des contrats de travail avec leurs clubs, d’exercer une autre activité salariée auprès de l’équipementier.
Par ailleurs, la Cour d’appel a jugé que compte-tenu des obligations pesant sur les athlètes sponsorisés et des sanctions prévues en cas de non-respect (rupture contractuelle, suppression du droit aux indemnités), UHLSPORT ne démontrait pas l’absence de lien de subordination.
En conséquence, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence a validé l’interprétation de l’URSSAF en jugeant que les athlètes sponsorisés par UHLSPORT devaient être considérés comme des mannequins salariés de cette dernière, dont la rémunération est soumise à cotisation.
Cette décision n’est pas isolée et peut être rapprochée de l’arrêt de la Cour de cassation du 23 juin 2022, adoptant une solution équivalente à l’égard de l’équipementier sportif « Speedo »4.
A la lecture de ces décisions, il semble que la très grande majorité des partenariats établis entre athlètes et équipementiers, lorsque chacun est domicilié et exerce en France, devrait être interprétée comme une relation de salariat.
Le code du travail va même plus loin, puisqu’il dispose en son article L.7123-4 que la présomption de salariat « n’est pas non plus détruite par la preuve que le mannequin conserve une entière liberté d’action pour l’exécution de son travail de présentation ».
Dès lors, la démonstration par un équipementier de l’absence de tout lien de subordination avec l’athlète sponsorisé parait extrêmement délicate, voire impossible, dès lors que même la liberté totale de l’athlète ne semble pas suffisante.
A la lecture des dernières décisions, nous pourrions avancer l’hypothèse selon laquelle l’absence de lien de subordination pourrait être démontrée lorsqu’en plus d’être libre dans son travail de présentation, le mannequin n’est soumis à aucune autre contrainte, notamment relative à sa propre réputation et au respect de l’image de marque de l’annonceur, ni à aucune sanction en cas de mauvaise exécution de ses prestations.
Toutefois, une telle interprétation devra être confirmée ou infirmée par la jurisprudence.
Le statut de mannequin entraine l’application du droit du travail.
Au-delà de ses conséquences en matière de cotisations et contributions sociales, ce régime juridique entraine l’application du code du travail, incluant les dispositions spéciales relatives au mannequinat.
Parmi les contraintes découlant de ce régime, on peut notamment évoquer l’obligation de recourir à un contrat écrit contenant certaines mentions obligatoires, le risque de requalification de la relation de travail en CDI en cas d’irrégularités contractuelles (absence de contrat, recours à des CDD en dehors des circonstances prévues par la loi) et ses conséquences en cas de rupture sans cause réelle et sérieuse.
En outre, le régime du mannequinat prévoit ses propres spécificités, incluant le monopole des agences de mannequins, activité règlementée nécessitant une licence, pour le placement de ces derniers auprès des « utilisateurs » souhaitant promouvoir leurs produits ou leurs services.
En raison de ce monopole, les mannequins établis en France ne peuvent exercer leur activité que par l’intermédiaire d’agences titulaires de la licence ou directement auprès des utilisateurs, et toujours dans le cadre d’un contrat de travail. Aucun mannequin français ne peut, à l’heure actuelle, exercer son activité en tant que professionnel indépendant.
Ainsi, le parrainage entre un équipementier sportif et un athlète ne saurait être abordé comme un simple partenariat commercial souple et aisément résiliable, mais doit au contraire être envisagé comme une relation contractuelle engageante ayant vocation à s’établir sur le long terme.
Robin Antoniotti
Avocat à la Cour
(1) CA Aix-en-Provence, 13 septembre 2019, n° 18/14352
(2) Cass. 2e civ., 12 mai 2021, n° 19-24.610
(3) CA Aix-en-Provence, 23 mai 2023, n° 21/14908
(4) Cass. 2e civ., 23 juin 2022, n° 21-10.416
08
août
2023
Cession de droits de propriété intellectuelle : si c’est gratuit, c’est notarié
Author:
TAoMA
Les droits de propriété intellectuelle peuvent faire l’objet d’une cession par contrat, que ce soit à titre onéreux ou bien à titre gratuit.
Après s’être prononcé en 2022 sur la cession d’une marque à titre gratuit (dont vous pouvez retrouver la news de TAoMA ici) [1], le Tribunal judiciaire de Paris semble confirmer son approche dans une ordonnance de référé rendue le 12 avril 2023 [2], s’agissant cette fois-ci de droits d’auteur.
Guerre et PI
Le demandeur est un ancien militaire de l’armée russe, qui a participé à l’invasion de l’Ukraine. Après avoir été blessé sur le front puis rapatrié en Russie, il a diffusé sur le réseau social VKontakte son témoignage intitulé « ZOV », qui signifie « l’appel ». Ce terme a notamment été peint sur des chars russes lors de l’invasion.
Ayant dû fuir la Russie pour la France, il a décidé de céder à titre gratuit et par acte sous seing privé ses droits d’auteur sur son manifeste à une association, en septembre 2022.
Cette association a elle-même conclu un contrat de cession de droits d’auteur avec la société d’édition Albin Michel, pour la publication de l’œuvre en format imprimé et électronique. Conformément à ce contrat, un livre intitulé « ZOV : L’homme qui a dit non à la guerre » a été publié en novembre 2022 en France.
L’association et la société d’édition ont alors été assignées devant le Tribunal judiciaire de Paris par l’ex militaire. Elles ont ensuite été assignées en référé pour que soit réalisé le placement sous séquestre conservatoire des recettes générées par l’ouvrage, dans l’attente du rendu d’une décision au fond.
Le sort de la cession gracieuse de droits de propriété intellectuelle à nouveau face aux juges
Rappelant les dispositions de l’article 931 du code civil (prévoyant que « tous actes portant donation entre vifs seront passés devant notaires dans la forme ordinaire des contrats ; et il en restera minute, sous peine de nullité »), le juge des référés a constaté que le contrat conclu entre l’ex militaire et l’association emporte « explicitement cession « gratuite » de droits d’auteurs », et qu’il est « donc possible que cet acte conclu sous seing privé soit nul ».
Le juge des référés ne peut rendre une décision sur le fond de l’affaire mais uniquement sur des mesures provisoires. Ainsi, il ne fait ici que « supposer » la nullité de l’acte laissant au juge du fond trancher la question.
Le séquestre provisoire des recettes issues du livre a en conséquence été ordonné, dans l’attente d’une décision au fond. Les juges du fond devraient, selon toute vraisemblance, prononcer la nullité de la cession des droits d’auteur à titre gratuit, qui aurait dû être réalisée par acte notarié pour pouvoir être valide.
Il est ainsi rappelé que la propriété intellectuelle, tant s’agissant de cession gracieuse de marque que de droit d’auteur, ne déroge pas aux règles du droit commun de la donation entre vifs.
La cession à titre gratuit de droits de propriété intellectuelle est juridiquement considérée comme une donation et doit être passée devant notaire, sous peine de nullité.
Cette solution réitérée semble sceller le sort de cette pratique répandue, notamment pour les cessions de marque.
Arthur Burger
Stagiaire juriste
Jean-Charles Nicollet
Associé – Conseil en Propriété Industrielle
[1] Tribunal judiciaire de Paris, 3e ch, 8 février 2022, n° 19/14142
[2] Tribunal judiciaire de Paris, 12 avril 2023, n° 23/50949
01
août
2023
Le pouvoir juridique des emojis : quand un 👍 conclut un contrat
Un cas récent et notable a mis en évidence une pratique contractuelle peu orthodoxe. La société canadienne SWT a prétendu avoir conclu un contrat d’achat à livraison différée avec la société agricole Achter Land & Cattle Ltd, dans lequel elle s’engageait à acheter 87 tonnes de lin métrique, la livraison étant prévue en novembre.
Néanmoins, Achter Land & Cattle Ltd n’a jamais livré ces 87 tonnes de lin ! En cause ? Le prétendu contrat résultait d’un document rédigé et signé par l’acheteur, ensuite transmis par SMS à Chris Achter, représentant de la société vendeuse. Ce dernier avait simplement répondu par un 👍. Malgré cette réaction positive, Achter, soutenant qu’aucun contrat n’avait été formellement conclu, n’a jamais honoré son engagement de vente.
Une approbation par 👍 validée par la Cour
La Cour du Banc du Roi pour la Saskatchewan a rendu un verdict le 8 juin 20231 : l’emoji 👍, utilisé en réponse au contrat, a été jugé suffisant pour une acceptation contractuelle valide ! Selon la Cour, ce processus qui comprenait l’envoi du contrat par SMS, suivi d’une approbation par emoji, respectait les normes contractuelles canadiennes.
Les justifications du jugement
Pour arriver à cette conclusion, le juge a considéré plusieurs éléments. Premièrement, compte tenu des relations commerciales existantes entre les parties, où l’acceptation de contrats a souvent été exprimée par des termes tels que « look good » ou « ok », un emoji « pouce en l’air » 👍 a été jugé admissible en tant qu’expression d’acceptation.
De plus, en vertu de la Loi de 2000 sur l’information et les documents électroniques, du Canada, le juge a considéré que le pouce levé pouvait être considéré comme un acte électronique exprimant l’acceptation d’une offre.
Ainsi, le contrat a été jugé signé grâce à l’utilisation de cet emoji. Achter Land & Cattle Ltd a contesté la formation du contrat, affirmant qu’il n’avait pas l’intention d’accepter l’offre lorsqu’il a envoyé le fameux émoji. Néanmoins, le juge, en prenant en compte le contexte global de l’affaire, a jugé autrement. En effet, il a considéré les relations commerciales préexistantes et stables entre les deux parties, ainsi que le fait que leurs termes contractuels n’ont jamais varié. Dans ce contexte, il a estimé que le consentement avait bien été donné, validant ainsi la formation du contrat.
Implications pour le droit français des contrats
Cette affaire ouvre une réflexion intéressante pour le droit français des contrats. Comme au Canada, le principe de base en France est le consensualisme, où un contrat est formé par le simple échange des volontés des parties.
Le Code civil français n’exige pas de formalisme spécifique pour la formation du contrat, sauf exceptions prévues par la loi. En principe, tant que l’offre et l’acceptation démontrent la volonté des parties de conclure, qu’elles soient expresses ou tacites, le contrat est considéré comme valablement formé.
La validité du contrat peut être remise en cause en cas de défaut de consentement, d’incapacité contractuelle ou si le contenu du contrat est illégal ou incertain2. Ainsi, peu importe la manière dont l’acceptation est communiquée à l’offreur, si le juge est convaincu que les parties ont donné leur consentement, le contrat doit être exécuté. Les emojis, bien que considérés comme des moyens d’expression informels, pourraient donc être pris en compte par les tribunaux français dans le cadre de litiges.
Juliette Danjean
Stagiaire juriste
Gaëlle Loinger-Benamran
Associée – Conseil en Propriété Industrielle
(1) South West Terminal Ltd. v Achter Land, 2023 SKKB 116 (CanLII)
(2) Article 1128 du code civil
31
janvier
2023
Un contrat de franchise qui porte bien son nom
Dans l’univers du luxe, tout n’est pas calme et volupté.
La Cour d’appel de Paris a été témoin de cela dans une affaire qui met en jeu la diffusion des produits de la marque Elie Saab. Dans un arrêt du 9 novembre 2022 la Cour a rappelé que l’absence de remise d’un Document d’Information Précontractuelle (DIP) au franchisé, ne permet pas de caractériser automatiquement une réticence dolosive et un manquement contractuel de la part du franchiseur envers ses obligations précontractuelles.
Le DIP est la somme d’information obligatoirement communiquée par le franchiseur dans le cadre d’un contrat de franchise. Imposé par la loi Doubin depuis 1989, il doit être remis par le franchiseur à son franchisé au moins 20 jours avant la signature du contrat ou avant tout versement d’argent dans le cadre d’un précontrat de réservation de zone (Article L330-3 du Code de commerce).
Ce document a pour objectif de s’assurer que le franchisé signe le contrat de franchise en pleine connaissance de cause après avoir pris connaissance de toutes les informations nécessaires avant son plein engagement. Le franchiseur s’engage à fournir tout ce qui est nécessaire à la mise en place d’une collaboration basée sur la transparence et la sincérité.
Dans cette affaire, la société DJ Couture avait conclu un contrat de franchise avec la société SIM Licensing, en mars 2012 concédant l’exclusivité de la distribution de la marque Elie Saab sur une partie du territoire de la Suisse. Elle a résilié le contrat trois ans plus tard et a demandé la réparation du préjudice causé par la résiliation du contrat aux torts exclusifs du franchiseur.
Pour cela, elle s’est fondée entre autres, sur la réticence dolosive, et des manquements précontractuels du franchiseur pour s’être abstenu de la renseigner en toute loyauté et transparence sur les coûts réels des travaux d’aménagement de la boutique dont elle était la franchisée.
Par deux décisions du 31 octobre 2018 et 3 février 2020, le Tribunal de commerce de Paris a débouté la société DJ Couture de sa demande qui a été portée ensuite en appel.
La Cour a confirmé sur ce point la décision du Tribunal de commerce du 31 octobre 2018, en retenant que « si le franchiseur n’avait effectivement pas fourni de document d’information précontractuelle (DIP) comme l’impose la loi française choisie par les parties au contrat de franchise (…) la société DJ Couture ne démontre pas en quoi l’absence de ce document avait vicié son consentement ni de la réalité d’une réticence dolosive du franchiseur ou de grossières erreurs de sa part lors de la phase précontractuelle sans lesquelles la société DJ Couture n’aurait pas contracté »
Par cette décision, la Cour d’appel rappelle un principe constant1 : en l’absence de document d’information pré contractuelle ou si celui-ci est incomplet, la nullité du contrat n’est pas automatique. Pour l’obtenir, le franchisé doit prouver que son consentement a été vicié.
A contrario, le dol est retenu lors d’un mensonge délibéré, entrainant la nullité du contrat2.
Dans cet arrêt, la Cour relève que malgré l’absence de « DIP », il y a bien eu des échanges d’informations entre les Parties.
En effet, le franchiseur soumet aux débats des courriels où il communique des informations relatives au contrat de franchise qui permettraient au franchisé de développer au mieux sa franchise. Ces informations comprennent des exigences sur la taille recommandée du magasin, sur les frais de design, et, sur la base de son expérience, les coûts de décoration et du mobilier de la boutique, ainsi que sur le personnel nécessaire à la bonne tenue de la boutique.
Par ailleurs, le franchisé a obtenu, à l’occasion d’un rendez-vous demandé par lui auprès du franchiseur, des informations complémentaires sur le contrat de franchise.
Enfin, le franchisé n’a jamais fait lors de ces échanges « d’injonction de communiquer » des documents ou informations supplémentaires sur l’aménagement de la boutique.
La Cour retient que ces échanges ne démontrent pas de manœuvres dolosives de la part du franchiseur visant à dissimuler intentionnellement des informations, ni de déloyauté particulière pour la communication d’information dans le secteur confidentielle de la haute-couture.
La haute-couture peut Voguer tranquillement…
Emeline Jet
Elève-avocate
Anne Messas
Avocate
(1) Cass. com., 10 févr. 1998, n° 95-21.906 ; Cass. 1re civ., 3 nov. 2016, n° 15-24.886
(2) Cass. 1re civ., 3 nov. 2016, n° 15-24.886 : A titre d’exemple, il avait été décidé qu’en occultant les raisons de l’échec du précédent franchisé ainsi que les répercussions qui en ont découlé sur le secteur au regard de la réputation commerciale de l’enseigne, en procédant à une présentation erronée du réseau et en opérant une transmission erronée des chiffres prévisionnels, le franchiseur a enfreint son obligation de sincérité sur des données nécessairement déterminantes au regard du consentement du franchisé et que les informations transmises, par leur caractère erroné et dénué de sérieux, sont révélatrices de la volonté délibérée de la société SDAR de tromper le consentement de son cocontractant.
21
décembre
2020
Droits de PI et Brexit : fin de la transition le 31/12 – et après ?
Author:
teamtaomanews
Première publication du 16 avril 2020
Mise à jour du 20 janvier 2021
Le Royaume-Uni a quitté, de manière définitive, l’Union européenne le 31 décembre 2020. Le Brexit a donc des conséquences directes sur vos droits de propriété industrielle européens.
L’équipe News de TAoMA vous propose une mise à jour sur le sujet.
Marques
Tout d’abord, si vos marques de l’Union européenne sont toujours protégées au Royaume-Uni, cette situation prendra fin le 31 décembre 2020 !
Mais pas de panique, nous vous expliquons la situation des marques de l’Union européenne après cette date et selon les différents cas de figure possibles.
1ère situation : les marques de l’Union européenne enregistrées au 1er janvier 2021
Aucun changement à prévoir jusqu’au 31 décembre 2020 pour :
Les marques de l’Union européenne enregistrées ;
Les marques de l’Union européenne actuellement en cours d’enregistrement et les marques déposées d’ici la fin de la transition et qui seront enregistrées au 31 décembre 2020 ;
Les marques de l’Union européenne arrivant à expiration avant le 31 décembre 2020 et dûment renouvelées avant cette date (ou en période de grâce).
Pour l’ensemble de ces marques, l’office britannique créera automatiquement des marques nationales équivalentes sur son registre. Ces équivalences britanniques seront totalement indépendantes de la marque de l’Union européenne initiale, mais conserveront les dates de dépôts et de priorité correspondantes.
La bonne nouvelle est que l’office n’exigera pas le paiement d’une taxe officielle pour la création de ces nouvelles marques nationales équivalentes.
Les titulaires ne seront pas notifiés par l’office britannique et ne recevront pas de nouveau certificat d’enregistrement de leur équivalence mais pourront accéder aux détails de leur nouvelle marque sur le site de l’office britannique en indiquant leur numéro de marque de l’Union européenne, précédé par la référence « UK009 ».
Par ailleurs, ces marques devront être renouvelées à leur échéance auprès de l’office britannique comme toute marque nationale.
Si un titulaire de marque de l’Union européenne ne souhaite pas obtenir d’équivalence, des mesures d’opt-out (renoncement à obtenir une équivalence britannique) seront possibles à compter du 1er janvier 2021 (le formulaire correspondant qui sera disponible sur le site gov.uk ne devrait pas être publié avant cette date).
2ème situation : les marques de l’Union européenne en cours d’enregistrement au 1er janvier 2021
Pour les marques de l’Union européenne déposées mais pas encore enregistrées au 1er janvier 2021, il sera obligatoire de solliciter la création d’un droit équivalent auprès de l’office britannique et de payer les taxes officielles correspondantes. Cette démarche volontaire devra être effectuée avant le 30 septembre 2021, afin de remplacer les droits européens qui ne couvriront plus le Royaume-Uni.
Cette démarche volontaire permettra de demander le maintien des demandes de marques européennes au Royaume-Uni en conservant leur date de dépôt européenne initiale.
3ème situation : les marques de l’Union européenne arrivant à expiration après le 1er janvier 2021
Pour vos marques européennes dont la date de renouvellement est postérieure au 1er janvier 2021, il sera obligatoire d’effectuer, dans le délai imparti, le renouvellement et le paiement de taxes auprès de l’EUIPO ET de l’office britannique, afin de remplacer les droits européens qui ne couvriront plus le Royaume-Uni.
Attention, si vous avez procédé au renouvellement de votre marque européenne, auprès de l’EUIPO, avant le 31 décembre 2020, espérant anticiper le Brexit, il n’en est rien ! En effet, ce renouvellement anticipé ne vous permet pas d’échapper à l’obligation de payer les taxes de renouvellement de la marque britannique équivalente qui sera créée automatiquement le 1er janvier 2021.
4ème situation : les marques internationales désignant l’Union européenne
Des mesures équivalentes sont prévues pour les marques internationales désignant l’Union européenne.
Toutefois, une particularité est à prévoir puisque l’équivalence britannique sera indépendante de la marque internationale.
5ème situation : Quid de l’usage et la renommée des marques de l’Union européenne ?
Enfin, nous clôturons ce paragraphe sur les marques en précisant que l’usage et la renommée des marques au sein de l’Union européenne, même à l’extérieur du Royaume-Uni, au cours des 5 années précédant la fin de la période de transition, soit le 31 décembre 2020, pourront être valablement invoqués au Royaume-Uni.
Dessins et modèles
Ces mêmes mesures sont transposées aux dessins et modèles, y compris les dessins et modèles communautaires non enregistrés pour lesquels un registre spécifique sera créé par l’office britannique. Cette mesure est rassurante pour les titulaires de tels droits puisqu’à la différence d’un dessin ou modèle enregistré classique, un dessin ou modèle communautaire non enregistré permet de conférer une protection (plus limitée) pour une durée de 3 ans non renouvelable, à compter de sa première divulgation au public sur le territoire de l’Union européenne).
Autres conséquences
En revanche, le Brexit pourrait avoir des incidences importantes sur les contrats (accords de coexistence, lettres d’engagement, licences…), les actions judiciaires en cours au Royaume-Uni au 1er janvier 2021 engagées sur la base d’une marque ou d’un dessin et modèle de l’Union européenne, les procédures d’opposition auprès de l’EUIPO sur la base de marques britanniques, ou encore les noms de domaine .eu dont les titulaires sont britanniques, etc.
Nous vous recommandons donc de procéder à des audits de vos portefeuilles, contrats et procédures en cours afin d’anticiper au mieux les conséquences de la sortie effective du Royaume-Uni de l’Union européenne.
L’ensemble de l’équipe TAoMA est mobilisée sur ces problématiques et reste à votre disposition pour vous accompagner dans cette période de transition.
Stay safe !
Marion Mercadier
Conseil en Propriété Industrielle
Jean-Charles Nicollet
Conseil en Propriété Industrielle
Responsable du Pôle juridique
10
décembre
2018
Droit à l’image du mannequin : un « flou » pas qu’artistique
Author:
teamtaomanews
La jurisprudence relative aux contrats de mannequinat se dessine par petites touches et confirme régulièrement que, comme en matière de droit d’auteur, les droits cédés ne le sont que dans la limite de ce qui est expressément prévu.
Le Juge des référés du tribunal de grande instance de Paris vient de rendre une ordonnance qui confirme ce principe, tout en apportant un élément intéressant relatif au « floutage » du visage du mannequin, réalisé par l’utilisateur de son image afin d’atténuer le préjudice allégué.
Une entreprise offrant des solutions technologiques pour améliorer la santé de ses clients (Umanlife) avait fait réaliser une vidéo promotionnelle où un couple interagissait avec leur nouveau-né, leurs amis et leurs outils high-tech. La durée d’exploitation de l’image des deux personnages principaux avait été fixée à deux ans sans que le point de départ de cette période ait été précisé. Un des deux mannequins avait considéré que la période était échue et, constatant que la vidéo était toujours en ligne, avait mis en demeure Umanlife de cesser cette utilisation.
L’entreprise a alors appliqué un filtre flou sur le visage du demandeur chaque fois qu’il apparaissait sur la vidéo. Estimant que cette mesure n’était pas suffisante, celui-ci a assigné Umanlife en référé, réclamant l’interdiction de la diffusion du spot publicitaire ainsi que la réparation de son préjudice.
Sur la caractérisation de l’atteinte
Le Juge des référés s’est considéré compétent car le trouble manifestement illicite découlait de la « seule violation » résultant du simple fait que le « corps, attribut du droit à l’image, [apparaissait dans la vidéo] ». Le demandeur avançait en effet que, dans le cadre de son métier, il utilisait autant son corps, et notamment ses mains, très exploitées dans la vidéo, que son visage. Ainsi, le TGI reconnaît que le corps du mannequin est protégeable au titre du droit à l’image, au même titre que son visage.
Sur ce point, il est est intéressant de comparer ce jugement à des décisions rendues en matière de protection de la vie privée qui ont conclu, au contraire, que la victime d’un paparazzi pouvait obtenir réparation du préjudice subi à condition que le floutage des images n’empêche pas son identification (notamment Cour d’Appel de Versailles, 6 novembre 2008, RG n°07/08158). La différence de solution semble être justifiée par le fait que le corps du mannequin est bien son instrument de travail et que la nature de l’atteinte est différente.
Le juge a ensuite réglé la question du point de départ de la période de cession du droit à l’image, absent du contrat. Il a interprété le contrat « à la lumière de la volonté des parties » en adoptant comme date d’entrée en vigueur de l’accord celle qui avait été retenue pour établir les redevances régularisées auprès de la deuxième mannequin (qui avait apparemment signé un protocole avec la société à compter du 24 septembre 2015, ce qui impliquait que le contrat initial avait pris fin à cette date), donnant ainsi raison au demandeur.
Il a dès lors constaté que l’image du mannequin avait été exploitée après la période contractuelle et en a déduit une violation du droit à l’image.
Cette ordonnance vient compléter une jurisprudence antérieure qui avait considéré que l’absence de durée précise ne valait pas durée illimitée (TGI Créteil, 1e chambre civile, 15 novembre 2016, Nathalie L. c/ Éditions Concorde).
Sur l’impact du « floutage » opéré par la défenderesse sur la détermination des mesures de réparation
Si le juge a donné raison au demandeur sur le principe, il n’a pas accordé les mesures demandées. En effet, il a estimé que la provision octroyée (4.000€) suffisait, à ce stade, à réparer le préjudice subi et que le retrait de la vidéo serait disproportionné. La justification avancée est que la défenderesse est une simple start-up qui a d’ores et déjà rémunéré la deuxième mannequin pour deux années supplémentaires et flouté le visage du demandeur.
La solution peut paraitre étrange car, si la violation est caractérisée, « peu import[ant] que le visage du demandeur soit ‘flouté’ », elle devrait être sanctionnée par la cessation de l’atteinte. On peut donc voir dans cette ordonnance une application du principe de proportionnalité, qui trouve un terrain d’élection particulier en matière de référé lorsque le juge doit concilier certains droits avec la liberté d’expression, mais également une répercussion de la patrimonialisation de l’image (puisqu’il ne s’agissait pas d’une violation de la vie privée du mannequin, mais d’une atteinte à son outil de travail, une réparation pécuniaire peut être satisfaisante).
Référence et date : Tribunal de grande instance de Paris, Ordonnance de référé du 16 novembre 2018
Lire L’ordonnance sur Legalis
19
novembre
2018
Affaire Zemmour/ ITélé : les termes « En principe » dans le contrat, formule magique ?
Author:
teamtaomanews
La Cour d’appel de Versailles vient de confirmer un jugement du Tribunal de Grande Instance de Nanterre se prononçant sur le caractère abusif de la rupture de la relation contractuelle entre une société d’exploitation audiovisuelle et un célèbre polémiste français.
Depuis 2003 le Groupe Canal + et la Société d’Exploitation d’un Service d’Information (SESI), sollicitaient Monsieur Zemmour en qualité de chroniqueur d’une émission télévisée, ayant pour objet de décrypter l’actualité politique hebdomadaire, d’abord directement, puis par l’intermédiaire de la société RUBEMPRE, dont il était le gérant, au moyen de contrats à durée déterminée ayant pour objet, pour chaque saison, de « déterminer les conditions d’intervention de M. Zemmour sur les antennes d’iTélé dans le cadre de l’émission ‘’Ca se dispute’’ ».
La dernière de ces conventions a été conclue le 27 juin 2014 pour la saison 2014/2015, soit en principe jusqu’en juillet 2015.
Cependant, à la suite de plusieurs publications polémiques de M. Zemmour et à la vague d’indignation les ayant suivies, la SESI a annoncé fin décembre 2014, ne pas vouloir reconduire l’émission « Ca se dispute » pour l’année 2015. Elle a en conséquence publié un communiqué de presse dans lequel elle indiquait « iTélé a décidé de mettre fin à l’émission ‘’Ça se dispute’’ qui ne reprendra pas en janvier 2015 », et indiqué à la société RUBEMPRE que, « le contrat [les liant] devenait sans objet, et donc que M. Zemmour était libéré de ses obligations notamment vis-à-vis de la chaîne iTélé ».
Estimant que la SESI avait rompu brutalement et abusivement le contrat, la société RUBEMPRE et M. Zemmour l’ont assignée en réparation des préjudices qu’ils estimaient avoir subis.
Par jugement du 17 novembre 2016, le TGI a fait droit aux demandes de la société RUBEMPRE et a condamné la SESI à lui verser la somme de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts.
M. Zemmour et la société RUBEMPRE ont interjeté appel de ce jugement en demandant la confirmation de la condamnation, mais estimant que les dommages et intérêts devaient être plus importants.
SUR LA RUPTURE DU CONTRAT
La cour relève que le contrat donnait une certaine souplesse à la SESI quant à la programmation hebdomadaire de l’émission ou à l’obligation de recourir à l’occasion de chaque émission à une prestation de M. Zemmour puisqu’il précisait que ses prestations :
– Étaient « en principe» hebdomadaires ;
– Étaient conditionnées aux « besoins de SESI en termes de programmation et plus précisément selon la diffusion ou non de l’émission sur la chaîne, de telle sorte qu’il est entendu entres les parties qu’il ne pèse sur SESI aucune obligation de faire appel au contractant chaque semaine de la saison 2014/2015».
– Devaient durer « en principe» jusqu’au 17 juillet 2015.
Cependant, ces dispositions contractuelles ne pouvaient s’analyser comme ne faisant « peser sur la société SESI aucune obligation de recourir aux prestations » de M. Zemmour, au risque d’être considérées comme conditionnant ses interventions à la seule volonté de la SESI, auquel cas elles devraient être interprétées comme des conditions potestatives, nulles aux termes de l’article 1174 du Code civil dans la version qui était alors applicable.
De plus, les juges ont estimé que les motifs de la SESI selon lesquels les propos de M. Zemmour avaient pris une dimension politique n’étaient pas fondés, dans la mesure où il intervenait justement pour ses qualités de polémiste.
Le contrat aurait donc dû se poursuivre jusqu’à son échéance, le seul moyen d’y mettre fin unilatéralement étant l’invocation d’un manquement contractuel et le respect d’un préavis de 15 jours, prévu au contrat.
La cour confirme donc la décision rendue par les juges de première instance.
SUR L’INDEMNISATION DU PRÉJUDICE
La cour d’appel rappelle que « la faute de la société SESI réside non pas dans le fait d’avoir renoncé à confier à la société RUBEMPRE la poursuite des prestations qu’elle lui avait confiées jusqu’alors, ce qu’elle était libre de faire ou non, mais d’y avoir renoncé brutalement sans respecter un préavis d’usage devant tenir compte des relations jusqu’alors entretenues par les parties ».
En outre, « depuis le mois de décembre 2014, la rédaction de la chaîne iTélé avait été confrontée à une vague d’indignation tant de la société civile que des journalistes de sa chaîne à la suite de la polémique suscitée par les propos de M. Zemmour, de telle sorte que la société RUBEMPRE pouvait s’attendre à ce que la chaîne ait recours moins régulièrement [à ses] interventions », ce qui était rendu possible grâce à l’insertion des termes « en principe » dans le contrat qui, même s’ils ne pouvaient pas entièrement dédouaner la SESI, lui permettaient de jouir d’une certaine latitude quant au recours aux prestations de M. Zemmour.
Ainsi, la cour valide le calcul du préjudice réalisé par le TGI, qui l’avait estimé à 50.000€, contrairement aux demandes de la société RUBEMPRE qui exigeait une indemnisation à hauteur de l’addition des sommes qui auraient dû lui être allouées par l’émission jusqu’à la fin de la saison, soit 68.200€ HT.
Quant à son prétendu préjudice économique (elle estimait que l’émission aurait pu « se prolonger encore durant au moins cinq années supplémentaires » et exigeait en conséquence la réparation de son préjudice à hauteur de 527.000€ HT, correspondant à la somme de 2.200€ par émission diffusée pendant 260 semaines), il a été considéré, aussi bien par le tribunal que par la cour, comme hypothétique, donc insusceptible de réparation.
Enfin, concernant la demande de Monsieur Zemmour relative à son prétendu préjudice moral, la cour observe que le communiqué de presse annonçant la fin de son émission était « particulièrement sobre et ne renferm[ait] aucun propos vexatoire » à son encontre et que la rédactrice en chef de la chaine avait procédé de manière non condamnable, en menant au préalable une enquête et en lui permettant de s’exprimer sur ses propos polémiques.
Sa demande est également rejetée.
Ainsi, malgré une reconnaissance de la responsabilité de la SESI, la cour d’appel a nettement limité la réparation due à ce titre, en n’allouant que 50.000€ aux appelantes, qui réclamaient au total plus d’un million d’euros.
Référence de l’arrêt : Cour d’appel de Versailles, 04 octobre 2018, n° 16/09301
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