08
août
2023
Cession de droits de propriété intellectuelle : si c’est gratuit, c’est notarié
Author:
TAoMA
Les droits de propriété intellectuelle peuvent faire l’objet d’une cession par contrat, que ce soit à titre onéreux ou bien à titre gratuit.
Après s’être prononcé en 2022 sur la cession d’une marque à titre gratuit (dont vous pouvez retrouver la news de TAoMA ici) [1], le Tribunal judiciaire de Paris semble confirmer son approche dans une ordonnance de référé rendue le 12 avril 2023 [2], s’agissant cette fois-ci de droits d’auteur.
Guerre et PI
Le demandeur est un ancien militaire de l’armée russe, qui a participé à l’invasion de l’Ukraine. Après avoir été blessé sur le front puis rapatrié en Russie, il a diffusé sur le réseau social VKontakte son témoignage intitulé « ZOV », qui signifie « l’appel ». Ce terme a notamment été peint sur des chars russes lors de l’invasion.
Ayant dû fuir la Russie pour la France, il a décidé de céder à titre gratuit et par acte sous seing privé ses droits d’auteur sur son manifeste à une association, en septembre 2022.
Cette association a elle-même conclu un contrat de cession de droits d’auteur avec la société d’édition Albin Michel, pour la publication de l’œuvre en format imprimé et électronique. Conformément à ce contrat, un livre intitulé « ZOV : L’homme qui a dit non à la guerre » a été publié en novembre 2022 en France.
L’association et la société d’édition ont alors été assignées devant le Tribunal judiciaire de Paris par l’ex militaire. Elles ont ensuite été assignées en référé pour que soit réalisé le placement sous séquestre conservatoire des recettes générées par l’ouvrage, dans l’attente du rendu d’une décision au fond.
Le sort de la cession gracieuse de droits de propriété intellectuelle à nouveau face aux juges
Rappelant les dispositions de l’article 931 du code civil (prévoyant que « tous actes portant donation entre vifs seront passés devant notaires dans la forme ordinaire des contrats ; et il en restera minute, sous peine de nullité »), le juge des référés a constaté que le contrat conclu entre l’ex militaire et l’association emporte « explicitement cession « gratuite » de droits d’auteurs », et qu’il est « donc possible que cet acte conclu sous seing privé soit nul ».
Le juge des référés ne peut rendre une décision sur le fond de l’affaire mais uniquement sur des mesures provisoires. Ainsi, il ne fait ici que « supposer » la nullité de l’acte laissant au juge du fond trancher la question.
Le séquestre provisoire des recettes issues du livre a en conséquence été ordonné, dans l’attente d’une décision au fond. Les juges du fond devraient, selon toute vraisemblance, prononcer la nullité de la cession des droits d’auteur à titre gratuit, qui aurait dû être réalisée par acte notarié pour pouvoir être valide.
Il est ainsi rappelé que la propriété intellectuelle, tant s’agissant de cession gracieuse de marque que de droit d’auteur, ne déroge pas aux règles du droit commun de la donation entre vifs.
La cession à titre gratuit de droits de propriété intellectuelle est juridiquement considérée comme une donation et doit être passée devant notaire, sous peine de nullité.
Cette solution réitérée semble sceller le sort de cette pratique répandue, notamment pour les cessions de marque.
Arthur Burger
Stagiaire juriste
Jean-Charles Nicollet
Associé – Conseil en Propriété Industrielle
[1] Tribunal judiciaire de Paris, 3e ch, 8 février 2022, n° 19/14142
[2] Tribunal judiciaire de Paris, 12 avril 2023, n° 23/50949
14
avril
2022
Prudence, la cession d’une marque à titre gratuit équivaut à une donation !
Author:
TAoMA
Le titulaire d’une marque a la faculté de transférer tout ou partie des droits qu’il détient sur celle-ci à un tiers, à travers la conclusion d’un contrat de cession. La cession peut être conclue à titre onéreux ou bien à titre gratuit.
Le jugement du tribunal judiciaire de Paris rendu le 8 février 2022[1] alerte les cocontractants sur les risques liés à une cession d’une marque à titre gratuit, très courante en pratique.
Dans cette affaire, deux associés ont déposé conjointement une marque de l’Union européenne ainsi que des dessins et modèles communautaires pour commercialiser des antennes. À la suite de la liquidation de leur société, l’un des deux titulaires a créé une nouvelle société, à qui il a cédé à titre gratuit ses droits sur la marque et les dessins et modèles, sans obtenir le consentement de son-ex associé.
Le co-titulaire des droits cédés l’a immédiatement assigné en nullité du contrat de cession, au motif que ce contrat, considéré comme une donation, aurait dû être constaté par acte notarié.
Le tribunal fonde sa décision sur l’article 931 du Code civil, qui prévoit que toutes les donations entre vifs (y inclus les personnes morales[2]) doivent être passées devant notaire, sous peine de nullité.
Il rappelle que le Code de la propriété intellectuelle ne déroge pas à ce formalisme et donc qu’en l’absence d’un droit spécial, il convient de prononcer la nullité du contrat de cession de marque et de modèle, qui n’avait pas été constaté par acte notarié.
Ainsi, la cession d’une marque à titre gratuit est considérée juridiquement comme une donation qui doit être passée devant notaire, sous peine de nullité.
Quelles sont les conséquences d’une telle annulation ?
Le contrat est considéré comme n’ayant jamais existé, de sorte que les parties doivent être remises dans l’état dans lequel elles se trouvaient avant sa conclusion[3].
Quelles sont les conséquences d’une qualification de la cession en donation ?
Qualifiée de donation, la cession de droits de marque à titre gratuit implique le paiement de droits de mutation dans les conditions de droit commun. Toutefois, l’exigibilité de ces droits varie en fonction du mode d’exploitation de la marque[4].
Dans l’hypothèse où la cession n’aurait pas été constatée par un acte notarié, la prudence est de mise, dans la mesure où cette situation peut entraîner des conséquences fiscales importantes de la part de l’administration (tel qu’un redressement fiscal).
Comment échapper au régime fiscal des donations ?
Afin d’éviter la constatation de la cession par un notaire et le paiement de droits de mutation, il est fréquent que le prix de cession soit fixé à un montant symbolique (par exemple d’un euro)[5].
Toutefois, l’administration peut considérer que la cession à un tel prix constitue un acte anormal de gestion dans le cas où la marque aurait été sous-évaluée, et requalifier l’acte en contrat à titre gratuit[6].
***
L’argument fondé sur l’irrespect de l’article 931 du code civil avait déjà été tenté par le passé[7] mais sans que les juridictions saisies n’aient à l’examiner, en présence d’irrecevabilités ou d’autres obstacles rendant inutile son examen. Le jugement du 8 février 2022 est donc particulièrement observé par les praticiens.
Pour l’heure, il semblerait qu’aucun appel n’a été formé à l’encontre de cette décision. Si la procédure en restait là ou si la solution du tribunal judiciaire était confirmée en appel, elle pourrait avoir des répercussions importantes pour la pratique, d’autant plus qu’elle s’applique à tous les droits de propriété intellectuelle.
Lire la décision sur Legalis
Margaux Maarek
Stagiaire
Jérémie Leroy-Ringuet
Avocate à la cour
[1] TJ Paris, 3e ch. 8 févr. 2022, n° 19/14142
[2] Cass. com., 7 mai 2019, n° 17-15621
[3] Cass. 1e civ. 16 juill. 1998 n° 96-18404 ; Cass. 3e civ. 2 oct. 2002 n° 01-02924
[4] Répertoire IP/IT et communication, propriété industrielle, régime fiscal, fiscalité des cessions de droits de propriété industrielle, Emmanuel CRUVELIER – Mise à jour décembre 2021.
[5] Fiche pratique n° 542 – Rédiger un contrat de cession de marque, Arnaud FOLLIARD-MONGUIRAL, Lexis 360, Mise à jour le 29 avril 2021
[6] Voir par exemple cour d’appel de Douai, 29 mars 2018, RG n° 17/00192 (pourvoi rejeté)
[7] Notamment, cour d’appel de Paris, 21 mai 1976, n° INPI B19760129 ; 29 janvier 2010, RG n° 08/21549