27
janvier
2021
Opérations promotionnelles et boissons alcoolisées, une navigation en eaux troubles…
Author:
teamtaomanews
Il y a bientôt dix ans, la Cour de cassation faisait sensation en décidant, dans une célèbre décision « Ricard », que le partage, par des abonnés Facebook, de messages générés par une application pouvait constituer de la publicité en faveur de boissons alcooliques.
Plus récemment, la cour d’appel de Paris est venue apporter des précisions sur ce qui doit être considéré comme entrant dans la définition de ces publicités, par ailleurs strictement encadrées par le Code de la santé publique.
Une société exploitant des casinos a confié à une agence de publicité le soin de réaliser son programme de fidélité et des actions de création de trafic et d’animation de ses établissements de jeu. Pour ce faire, une campagne promotionnelle a été lancée, comportant :
Une loterie commerciale intitulée « Champagne à vie » dont le lot principal était une bouteille par mois à vie de champagne de la marque Pommery,
Une opération promotionnelle concomitante intitulée « 2 coupes de champagne + 10 euros de jetons pour 10 euros seulement ».
La publicité de ces opérations était effectuée sur :
Le site champagneavie.com, créé pour l’occasion,
Les pages Facebook des casinos concernés,
Le journal Directmatin, notamment disponible en ligne (édité par la société Bolloré Digital Média).
L’Association nationale de prévention en alcoologie et en addictologie (ANPAA) a assigné l’ensemble des parties prenantes (les sociétés du groupe Pommery fournissant le champagne, la société exploitant les casinos, l’agence de communication ayant conçu la campagne et la société Bolloré Digital Média l’ayant relayée), faisant valoir que ces publications constituaient de la publicité illicite en faveur de la boisson alcoolique Champagne Pommery ainsi qu’un parrainage illicite de jeu.
Après de nombreux débats en première instance sur le partage de responsabilité des parties ainsi que sur la valeur du constat d’huissier, l’ANPAA a porté l’affaire devant la cour d’appel de Paris, auprès de laquelle elle conteste :
1- La licéité du visuel faisant la promotion de l’opération, qui contiendrait des mentions qui ne sont pas expressément autorisées le Code de la santé publique, à savoir :
La présence de jetons de casino,
Les mentions « 10 euros de jetons et pour 10 euros seulement » et « champagne à vie » et le nom du casino,
L’illustration de verres en train de trinquer.
Elle critique en outre ce qu’elle qualifie d’invitation à la pratique du jeu sous l’emprise de l’alcool, de nature à susciter une perte de contrôle, prétendant notamment que la jurisprudence sanctionnerait l’association d’éléments liés aux jeu de hasard aux boissons alcooliques et dénonce le fait que les deux coupes de champagne seraient en réalité offertes.
2- La licéité du jeu concours « Champagne à vie » qui constituerait a minima une publicité indirecte pour de l’alcool ne respectant pas les dispositions relatives à ce type de communication et dont le lot lui-même contribuerait à banaliser une consommation déraisonnée et excessive de l’alcool.
3- La présence sur le site Internet champagneavie.com du visuel contesté accompagné du slogan« tout pétille encore plus dans les casinos D. »
4- La présence sur les pages Facebook des casinos concernés de publications constituant des publicités illicites pour des boissons alcooliques en raison de l’utilisation de la marque Pommery et de l’évocation de la boisson vendue sous cette marque, à savoir du champagne.
La cour commence son raisonnement en rappelant les règles strictes issues du Code de la santé publique encadrant la publicité, directe ou indirecte, pour les boissons alcooliques, à savoir, en substance :
Les supports autorisés (presse écrite hors jeunesse, offre d’objets strictement réservés à la consommation d’alcool marqués au nom des fabricants, services de communication en ligne hors jeunesse et associations sportives, etc.) ;
L’interdiction des opérations de parrainage ;
Les mentions autorisées (degré volumique d’alcool, origine, dénomination, modalités de vente et de consommation du produit, référence aux terroirs, etc.) ;
L’obligation d’accompagner la publicité d’un message sanitaire précisant que l’abus d’alcool est dangereux pour la santé.
Appliquant ces règles :
1- Elle estime que le visuel litigieux constitue une publicité illicite.
En effet, la campagne promotionnelle a pour finalité de promouvoir les établissements de jeux concernés et de créer un courant de clientèle par le biais d’offres attractives inhérentes à la démarche publicitaire. Bien qu’elle ne soit donc pas assimilable à une offre de consommation d’alcool gratuite, elle s’apparente bien à de la publicité incitant à la consommation d’une boisson alcoolique, ce que les défenderesses ne pouvaient pas nier puisqu’elles avaient intégré l’avertissement sanitaire imposé par le Code de la santé publique.
Ainsi, ses composants doivent être analysés à la lumière des dispositions dudit Code :
La présentation flatteuse du produit par la mise en valeur de sa couleur et de sa pétillance (sic), la référence à son mode de consommation par l’inclinaison des coupes qui miment le geste de trinquerrenvoient aux caractéristiques objectives du produit et un mode de consommation coutumier et ne peuvent donc pas être critiquées ;
Par contre, la présence des jetons de jeu excède les prévisions du Code qui limitent la communication au produit et son environnement.
2- En revanche, concernant l’opération elle-même, la cour souligne que seule la communication autour de l’opération est soumise au régime légal des publicités en faveur des boissons alcooliques, le jeu lui-même étant soumis aux dispositions du Code de la consommation, qui n’interdit nullement l’offre de champagne en tant que lot.
3- Concernant la présence des visuels litigieux sur le site disponible à l’adresse champagneavie.com, la cour relève qu’il s’ouvre sur un visuel quasi-identique à celui déjà reconnu illicite, caractère accentué par le fait que le slogan « tout pétille encore plus dans les casinos D. » prête à l’établissement une des qualités du vin vendu – son pétillement. Ainsi, ces images sont également illicites.
4- Enfin, à propos des publications sur les pages Facebook des casinos concernés, la cour raisonne en plusieurs temps :
L’annonce de l’opération « champagne à vie » (« Préparez-vous à pétiller. Rendez-vous dans votre casino D pour tenter de remporter du champagne offert chaque mois à vie. Pour en savoir plus et trouver votre casino, cliquez ici : […] Votre bouteille de champagne offerte chaque mois à vie », le tout sans la moindre référence à une marque de commerce d’une boisson alcoolisée) ne constitue qu’une invitation à participer à la loterie, ce qui est licite.
De même, l’annonce d’une « offre découverte » comportant la mention « – 20% sur la 2e place pour le même spectacle + 5 euros de jetons + 2 coupes de champagne », le tout encadré à gauche du dessin de jeton et à droite de deux verres de champagne (qui trinquent), sans la moindre mention de marque de commerce de boissons alcooliques a pour finalité d’inciter les internautes à acquérir une place de spectacle et ne constitue nullement une publicité pour le vin de champagne. Elle n’avait donc pas à être accompagnée d’une mention sanitaire.
Enfin, s’agissant de l’annonce des gagnants de la loterie, une distinction est faite entre :
Le texte de l’annonce « félicitation aux heureux gagnants de notre grand jeu concours Champagne à vie, merci à toutes et à tous pour votre participation. A très bientôt, dimanche, ne ratez pas le tirage au sort de notre jeu champagne à vie. Gagnez en exclusivité ce Jéroboam Silver Pop produit en édition limitée, plus que 3 jours pour tenter de remporter du champagne offert à vie. Rendez-vous dimanche dans votre Casino D pour découvrir si vous avez gagné […] » => dès lors que la loterie ne constitue pas en elle-même un support interdit, l’emploi de ces termes n’était pas interdit.
Les photographies représentant des bouteilles de champagne de marque Pommery sur un présentoir à étage / quatre gagnants posant à côté d’une bouteille et d’un carton, lesquels portent ladite marque / et un jéroboam de champagne Pop de marque Pommery entouré de deux bouteilles de ce même produit d’une contenance moindre => chacune de ces images, sur lesquelles figure le conditionnement de boissons alcooliques, constitue une publicité pour celle-ci et devait, dès lors, comporter un message sanitaire.
Que retenir ? S’il n’est pas exclu que cette décision fasse l’objet d’un pourvoi en cassation, elle permet d’illustrer l’extrême granularité dont font preuve les juridictions dans l’appréciation de l’illicéité des opérations promotionnelles impliquant de l’alcool, faisant notamment une distinction entre l’objet de la campagne (qui peut être une boisson alcoolisée) et le support de cette campagne (qui doit répondre aux exigences strictes du Code de la santé).
Une grande prudence doit donc être de mise !
Anita Delaage
Avocate
Référence et date : Cour d’appel de Paris, Pôle 2 – chambre 2, 3 décembre 2020, n° 18/15699
Décision non publiée, communiquée sur demande à contact-avocat@taoma-partners.fr
26
janvier
2021
Le casse-tête de la période de référence dans les actions en déchéance de marque
Author:
teamtaomanews
Dans un arrêt du 17 décembre 2020, la Cour de justice de l’Union européenne, saisie d’une question préjudicielle introduite par la Cour fédérale de justice allemande, vient préciser que la période de référence à prendre en compte lors d’une demande en déchéance de marque formulée reconventionnellement s’achève à la date de la présentation de cette demande reconventionnelle.
Cette décision intervient suite à l’action en contrefaçon de marque initiée par la société HUSQVARNA à l’encontre de la société LIDL.
La société HUSQVARNA fabrique des appareils et des outils de jardinage et d’aménagement paysager. Dans ce cadre, elle a déposé en 1997, la marque tridimensionnelle de l’Union européenne suivante, enregistrée le 26 janvier 2000 en classe 21 pour désigner des aspersoirs :
Courant 2014, elle constate la commercialisation par la société LIDL, d’un kit de tuyau d’arrosage qu’elle considère comme une contrefaçon de sa marque enregistrée.
Adoptant une défense assez classique en matière d’action en contrefaçon de marque, la société LIDL sollicite à titre reconventionnel la déchéance de la marque de l’Union européenne de la société HUSQVARNA du fait de son non-usage pendant une période ininterrompue de 5 ans.
Un débat s’ensuit relatif à la période de référence à prendre compte, et notamment, la date d’achèvement de la période à retenir.
La question préjudicielle a été posée à la Cour car la législation allemande prévoit que le délai d’usage de 5 ans doit être calculé en se plaçant à la date d’introduction de l’action, ou bien, lorsque la période de non-usage ne prend fin qu’en cours d’instance, à la date de la clôture de l’audience de plaidoirie.
La société HUSQVARNA parvenait à démontrer un usage de la marque en cause jusqu’à mai 2012. Ainsi, la date d’achèvement de la période d’usage à prendre en compte présentait un enjeu important pour la société HUSQVARNA, puisque selon la date retenue (qui pouvait être la date de l’introduction de l’action, soit 2015, ou la date de clôture de plaidoirie, soit octobre 2017), elle était susceptible de voir sa marque déchue.
Le tribunal de première instance rejette la demande reconventionnelle en déchéance de marque initiée par la société LIDL. Cette dernière interjette appel, et la juridiction de second degré infirme cette décision, et déclare la société HUSQVARNA déchue de ses droits en retenant comme date pertinente de fin de calcul de la période ininterrompue de 5 ans, celle de la dernière audience de plaidoirie et non la date d’introduction de la demande reconventionnelle.
Saisie d’un pourvoi en révision, la Cour fédérale de justice allemande interroge alors la Cour de justice de l’Union européenne, afin de savoir quelle est la date du terme à prendre en compte pour déterminer la période de non-usage ininterrompue de cinq ans.
La Cour de justice de l’Union européenne concède que le règlement 207/2009 applicable à cette affaire n’indique pas explicitement la date pertinente aux fins du calcul de la période de non-usage ininterrompue de cinq ans, mais considère assez logiquement qu’il découle de ces dispositions, qu’il s’agit de la date d’introduction de la demande reconventionnelle.
La Cour démontrant sa volonté d’harmonisation européenne affirme ainsi que c’est à compter de la date de la demande reconventionnelle en déchéance de marque que la période de non-usage ininterrompue de cinq de la marque est achevée et que la période de référence est constituée des cinq années antérieures à cette date.
Anne Laporte
Avocate
Arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne, 17 décembre 2020, C-607/19
25
janvier
2021
Cidre de Perche: 22 ans pour obtenir l’AOC!
Author:
teamtaomanews
Les producteurs de cidre de Perche peuvent se réjouir d’avoir obtenu la consécration pour leurs produits : le sceau de l’Appellation d’Origine Contrôlée, de son petit nom AOC.
Nous pourrions être mauvaises langues et nous dire qu’il s’agit d’une AOC de plus, mais il s’agirait d’un commentaire réducteur. La procédure pour obtenir une AOC est longue et compliquée. Dans le cadre du cidre de Perche, il aura fallu près de 22 ans aux producteurs pour obtenir le graal !
En effet, l’AOC signifie que le produit bénéficie de caractéristiques, notamment gustatives, qui résultent aussi bien de la qualité du terroir et des produits locaux que du savoir-faire des producteurs de la région. Toutes les étapes de production doivent être réalisées dans l’aire géographique que l’AOC couvrira.
Il revient donc aux producteurs, qui souhaitent obtenir une AOC, d’apporter la preuve que les caractéristiques de leurs produits ne peuvent être obtenues que dans leur aire géographique. Seul moyen, faire conduire de nombreuses études par des experts sur la topographie, les qualités particulières de la terre locale par rapport à d’autres zones, les méthodes de production, etc.
Toutes ces études prennent du temps et surtout, représentent un investissement financier important. La quête du sceau sacré implique ainsi une démarche réfléchie des producteurs qui croient en leurs produits.
Car le chemin ne s’arrête pas une fois l’AOC obtenue. Le dossier est ensuite transmis à la Commission européenne. Cette dernière en fera une étude minutieuse, pourra demander des compléments d’expertises, etc. Enfin, elle décidera soit de valider l’AOC, qui cèdera alors sa place à l’AOP (Appellation d’Origine Protégée) et sera inscrite au registre européen, soit de refuser l’AOC, entrainant sa disparition.
Dans le cadre de l’AOC cidre de Perche, la Commission européenne pourrait rendre sa décision d’ici la fin de l’année 2021. Les producteurs ne sont donc pas encore au bout de leurs peines, une AOC, ça se mérite !
Jean-Charles Nicollet
Conseil en Propriété Industrielle
Responsable du Pôle juridique CPI
20
janvier
2021
Le Bordeaux et la Feta enfin protégés en Chine
Author:
teamtaomanews
L’Union européenne (UE) a conclu un accord avec la République populaire de Chine pour étendre la reconnaissance et la défense des appellations d’origine de chacun.
La Chine reconnaît donc désormais des Indications Géographiques (IG) européennes telles que Irish Whisky, Feta, Vinho verde, Queseo Manchego, Prosciutto di Parma ou encore Roquefort et Pruneaux d’Agen.
En échange, l’UE reconnaît de nombreuses appellations chinoises désignant des produits comme le riz Panjin et le thé vert Wuyuan qui s’exportent de plus en plus et sont déjà présents dans les magasins européens.
Concrètement, cet accord devrait permettre, par exemple, aux producteurs du bordelais de ne plus faire face à des produits concurrents fabriqués en Chine et qui utilisent indûment l’appellation prestigieuse, en facilitants les actions en contrefaçon et en opposition ou nullité de marque.
20
janvier
2021
Le fax de l’EUIPO ne répond plus
L’office européen a annoncé qu’il n’accepterait plus les communications par fax à compter du 1er mars 2021.
L’EUIPO se plaint en effet de « dysfonctionnement répétés » lors des transmissions effectuées par cet outil.
Il précise par ailleurs de nombreuses règles pratiques sur la communication électronique.
Ainsi condamné à rejoindre le Minitel au titre d’objet archéologique, le fax n’a pas encore annoncé s’il ferait appel.
20
janvier
2021
La PI en chiffres : le tout dernier rapport de l’OMPI
L’Office mondial pour la Propriété intellectuelle (OMPI), a publié son rapport 2020 sur l’activité en propriété intellectuelle au niveau mondial (chiffres de 2019).
On y apprend, entre autres, que le dépôt de brevets est en baisse côté chinois et en hausse côté américain, même si l’Empire du Milieu conserve son leadership.
En ce qui concerne les marques, on y découvre que ce sont les secteurs de la recherche et de la technologie, ainsi que celui de la santé et celui de l’habillement qui réunissent le plus de dépôts (près de 50% des dépôts à eux trois) ; ou encore qu’en-dehors de l’EUIPO et de l’INPI, c’est auprès des offices chinois, américains et britanniques que les français déposent le plus de marques, alors que, parmi les étrangers, ce sont les chinois et les suisses qui déposent le plus de marques françaises auprès de l’INPI.
Tous les chiffres sont disponibles ici (le rapport est en anglais).
18
janvier
2021
Taittinger : la fin d’une saga pétillante
Author:
teamtaomanews
Ce début d’année, certes peu festif, nous amène à revenir sur une affaire qui nous rappelle une nouvelle fois les enjeux essentiels attachés aux marques patronymiques des maisons de luxe, que ce soit dans le monde de la mode (affaires Ines de la Fressange ou Christian Lacroix) ou, comme c’est le cas en l’espèce, du champagne.
Pour rappel, Virginie Taittinger, actionnaire de la société TAITTINGER, produisant et commercialisant du champagne sous une marque éponyme, avait donné mandat à son père de la représenter dans la vente de ses parts sociales dans le cadre d’une cession de contrôle de l’entreprise.
Cet acte de cession prévoyait notamment que les membres de la famille Taittinger ne pourraient plus faire usage de leur nom pour désigner des champagnes.
Or, Madame Taittinger a repris une activité de production de champagne sous la marque « VIRGINIE T » et par le biais notamment de plusieurs noms de domaines contenant le terme « taittinger ». Dans sa communication, elle mentionnait également de manière régulière le champagne Taittinger et son expérience au sein de l’entreprise familiale.
La société ayant acquis l’entreprise et la marque TAITTINGER l’a alors assignée en violation de la convention de cession, atteinte à la marque renommée Taittinger et parasitisme.
Après plusieurs épisodes, la Cour de cassation a cassé l’arrêt de la cour d’appel de Paris dans une décision que nous avions commentée.
C’est donc sans surprise que, statuant à nouveau, en formation de renvoi, la même cour d’appel de Paris a repris le raisonnement de la Cour de cassation et définitivement validé les modalités de commercialisation du champagne VIRGINIE T.
Sur la violation de la clause d’interdiction du nom Taittinger
La cour d’appel rappelle qu’un mandat conclu en termes généraux, comme celui donné par Madame Taittinger à son père (qui ne mentionnait que la possibilité, en plus de la vente des titres, de souscrire « à tout engagement ou garantie, et, plus généralement faire le nécessaire selon ce qu’il jugera utile ou approprié »), ne peut porter que sur des actes d’administration, tout acte de propriété, tel qu’une restriction d’usage d’un nom patronymique, nécessitant un mandat exprès.
Après avoir souligné que les enjeux juridiques et financiers de l’opération imposaient à l’acheteur une vérification de l’étendue des pouvoirs des vendeurs et que la disposition litigieuse était tellement défavorable à Madame Taittinger (dont l’expérience professionnelle est étroitement liée à la société Taittinger) qu’il était exclu qu’elle ait accepté, prévu ou même envisagé que son père consentirait à la stipulation d’une telle clause, la cour décide qu’elle ne peut lui être opposée.
Sur l’atteinte à la marque renommée « TAITTINGER »
Il est reproché à Madame Taittinger de faire la communication de son nouveau produit par le biais de nombreuses références à son nom, donc à celui des champagnes TAITTINGER.
La Cour de cassation avait censuré le raisonnement de la cour d’appel, lui reprochant de réaliser un amalgame entre l’analyse de l’atteinte à la marque et l’existence de justes motifs.
Les juges y remédient donc dans ce nouvel arrêt, sans pour autant que l’issue diffère.
Ils retiennent, en substance, qu’elle a bien retiré un avantage de l’association entre son champagne et le champagne Taittinger.
Pour autant, cette dernière, au regard de ses compétences professionnelles, exclusivement développées au sein de l’entreprise familiale, ne peut se voir reprocher d’avoir assuré sa reconversion dans le domaine du champagne. Or, pour ce faire, il est légitime qu’elle fasse état de son nom, de son origine familiale et de son parcours professionnel, la conduisant à évoquer le champagne TAITTINGER. De plus, ils notent qu’elle utilise toujours son nom, dans la promotion de sa nouvelle activité, en l’associant à son prénom.
La demande de ce chef est donc rejetée, ces circonstances constituant un juste motif.
Sur le parasitisme
Une nouvelle fois, la Cour de cassation avait retoqué le premier arrêt d’appel qui ne tenait pas compte, dans son analyse de la valeur économique prétendument parasitée, du prestige et de la notoriété attachés au nom Taittinger.
Dans sa nouvelle décision, la cour d’appel n’a pour autant pas de difficultés à rejeter la demande. En effet, elle indique à nouveau que les mentions par Madame Taittinger du nom commercial de la société adverse étaient justifiées « par la légitime évocation par l’intimée de ses origines familiales et de ses activités passées durant plus de vingt ans au service du champagne TAITTINGER et ne revêtent donc aucun caractère fautif, nonobstant le prestige et la notoriété incontestés acquis par ce nom commercial et cette dénomination sociale ».
Madame Taittinger est désormais libre d’utiliser son nom dans sa communication commerciale.
Fiora FELICIAGGI
Stagiaire Pôle Avocat
Anita DELAAGE
Avocate
Référence et date : Cour d’appel de Paris, Pôle 5 – chambre 1, 3 mars 2020, n° 18/28501
Décision non publiée, communiquée sur demande à contact-avocat@taoma-partners.fr
12
janvier
2021
La preuve par constat d’huissier, oui ! Mais quand le faire réaliser ?
Author:
teamtaomanews
Si l’utilité des constats d’huissier n’est plus à démontrer en raison de leur force probante reconnue par les tribunaux, la Cour d’appel de Dijon vient de souligner l’importance de la date choisie pour les établir.
En effet, dans un arrêt du 10 décembre 2020, la deuxième chambre civile de la Cour d’appel de Dijon a jugé que des constats d’huissier formellement valides mais établis à des moments non pertinents n’avaient pas de force probante.
En l’espèce, un client, fournisseur en gros d’ingrédients et de matériels pour les pâtissiers et les chocolatiers, avait commandé la réalisation d’un site Internet à son prestataire. Les relations entre les parties s’étaient détériorées et le client avait saisi le Tribunal de commerce de Dijon pour demander réparation d’un manquement aux obligations contractuelles du prestataire, du fait de la livraison d’un site Internet non finalisé et présentant des dysfonctionnements.
Au soutien de sa demande, il avait fourni aux juges cinq constats d’huissiers.
Tout d’abord, la Cour d’appel rejette la demande du défendeur d’écarter des débats un des constats qui contenait des appréciations subjectives de la part de l’huissier. Selon la Cour, de telles considérations n’avaient pas pour conséquence de jeter le doute sur les constatations opérées. Si la Cour considère donc les constats comme formellement recevables, elle estime néanmoins qu’ils sont privés de force probante.
Les quatre premiers avaient été établis avant que le prestataire n’informe le client que les correctifs nécessaires avaient été apportés et que le site pouvait être mis en ligne ; ils ne rendaient donc compte que de versions intermédiaires du site Internet.
Le cinquième avait été réalisé quatorze mois après l’annonce par le défendeur que le site était prêt pour la mise en ligne et alors qu’une société tierce était intervenue entretemps, à la demande du client. Cela empêche, selon la Cour, d’établir un lien direct entre les dysfonctionnements constatés et l’intervention du défendeur, prestataire initial.
La Cour d’appel confirme ainsi la décision des juges de première instance qui avaient refusé de reconnaître la valeur légale de ces constats d’huissiers.
La tendance est donc à une grande sévérité des juges en matière de constats d’huissier, comme en avait précédemment témoigné une décision très contestée de la Cour de cassation rendue le 25 janvier 2017 (pourvoi n° 15-25.210) et dans laquelle les juges avaient refusé de reconnaître la force probante d’un procès-verbal de constat d’huissier, après avoir considéré que le tiers acheteur devait être indépendant du requérant, et que tel n’était pas le cas du stagiaire avocat.
Les juges de la Cour d’appel de Dijon estiment ainsi que ces constats à contre-temps sont dénués de force probante et reconnaissent que le caractère fonctionnel de la prestation, contesté par le demandeur, doit être apprécié uniquement au regard de la version finale du site Internet délivrée par le prestataire.
Cette position permet d’assurer la sécurité juridique des maîtres d’œuvre, leurs prestations ne pouvant être contestées par les clients qu’une fois exécutées et non au stade de versions en cours de développement.
Cette affaire témoigne une nouvelle fois de la nécessité de faire preuve de vigilance dans l’établissement des preuves : un constat d’huissier ? Oui ! Mais ni trop tôt, ni trop tard…
Lire la décision sur Legalis
Mathilde GENESTE
Élève-avocate
Jérémie LEROY-RINGUET
Avocat à la Cour