21
décembre
2023
Publicité et boissons alcooliques : carton rouge pour le producteur de la bière Budweiser
Author:
TAoMA
L’Association Nationale de Prévention en Alcoologie et Addictologie est une association, reconnue d’utilité publique, engagée dans la prévention contre l’alcoolisme et les addictions, s’inscrivant dans la politique globale de santé publique de l’État. Pendant la coupe du monde de football 2022, cette association a assigné la société AB Inbev France, commercialisant les bières de la marque Budweiser en France, devant le juge des référés du Tribunal Judiciaire de Paris le 8 décembre 2022. Elle estime en effet que certaines publicités de Budweiser portaient atteinte aux dispositions de la loi Évin !
L’association reprochait à AB Inbev France un trouble manifestement illicite lié à l’utilisation de la marque « Buuuuud » dans ses publicités, ainsi qu’à l’utilisation publicitaire de la marque « King of Beers », notamment déployée sur une banderole publicitaire à la gare du Nord.
Le juge des référés avait répondu favorablement aux demandes de l’association, par une ordonnance enjoignant à la société AB Inbev France de cesser ces publicités illicites1. La société AB Inbev France a interjeté appel de cette décision.
La Cour d’appel va rendre sa décision2 en se fondant sur l’article L. 3323-4 du code de la santé publique encadrant la publicité pour les boissons alcooliques.
Un lien évident entre la marque « Buuuuud » et la Coupe du monde de Football 2022
Malgré l’affirmation de la société AB Inbev France, précisant que l’usage publicitaire de la marque « Buuuuud » n’était aucunement lié à la Coupe du Monde de Football 2022 (bien qu’elle fût partenaire officiel de cet événement), la Cour d’appel a confirmé l’ordonnance du juge des référés.
Elle a souligné que la proximité de la date de dépôt de la marque avec le début de la compétition, ainsi que la référence à la locution « Buuuuut » fréquemment utilisée par les commentateurs sportifs démontrait la proximité de l’utilisation de la marque avec le football et plus particulièrement avec la Coupe du monde de football.
Si la société AB Inbev France tente de se défendre en mentionnant qu’il s’agit d’une marque enregistrée mais le juge des référés, tout comme la Cour d’appel, considèrent que ce moyen est inopérant !
En effet, les juges d’appel rappellent que « l’enregistrement d’une marque n’autorise pas par lui-même son utilisation publicitaire, laquelle doit se faire dans le respect des dispositions du code de la santé publique ».
« King of Beers », une manifestation d’autosatisfaction incitant à une consommation excessive d’alcool
Sur l’utilisation de la marque « King of Beers », la décision de la Cour d’appel est semblable.
En dépit de l’argumentation avancée par la société AB Inbev France, justifiant l’utilisation d’une telle marque par le fait que la bière Bud est la plus consommée au monde, la Cour d’appel a néanmoins confirmé l’ordonnance rendue en référé. En effet, la Cour d’appel souligne que la mention « King » s’apparente à une « manifestation d’autosatisfaction », ne se rattachant donc pas aux éléments autorisés par l’article L. 3323-4 du code de la santé publique.
Ainsi, la Cour d’appel maintient la position du juge des référés estimant que cette marque engendrait un trouble manifestement illicite en associant la boisson alcoolique à la monarchie, sous-entendant le pouvoir, et suggérant une incitation à la consommation d’alcool.
Ainsi, la Cour d’appel, sans grande surprise, confirme l’interdiction de ces publicités. Cette décision s’inscrit dans les rares rendues au regard de la loi Evin, mais conserve cette même mouvance dure à l’encontre de la publicité qui serait trop attrayante pour de l’alcool.
Boire ou faire du foot, il faut choisir ! Nous connaissons déjà le choix de la Cour d’appel.
Juliette Danjean
Stagiaire – Pôle Avocat
Jean-Charles Nicollet
Conseil en Propriété Industrielle – Associé
Note de référence
(1) Tribunal judiciaire de Paris, 8 décembre 2022, N° 22/20719;22/58585
(2) Cour d’appel de Paris, Pôle 1 chambre 3, 24 octobre 2023, n° 22/20719
31
octobre
2023
Condamnation exemplaire pour un cas de parasitisme par la Cour d’appel dans le secteur de la parfumerie de luxe
Impossible d’échapper depuis 2009 à la communication publicitaire massive sur tous supports du parfum LA PETITE ROBE NOIRE, parfum créé par la société GUERLAIN en 2009 et de son iconique flacon « Coque d’or » créé par la maison BACCARAT en 1937.
Ayant constaté en 2015 la commercialisation par une société belge sur son site internet et sur d’autres sites de vente en ligne d’une collection de parfums à bas prix dénommée « LA PETITE FLEUR » et ses déclinaisons dont « LA PETITE FLEUR NOIRE », la société GUERLAIN, après avoir vainement tenté une approche amiable, a assigné la société belge devant le tribunal de commerce de Paris sur le fondement du parasitisme.
Le tribunal ayant suivi GUERLAIN sur toutes ses demandes, un appel est interjeté par la société belge. Peine perdue, le jugement est confirmé en tous ses points par la Cour d’appel de Paris qui retient sans ambigüité le parasitisme et confirme les lourdes condamnations prononcées en première instance.
La Cour retient les agissements de parasitisme en raison :
• De l’examen des parfums litigieux qui montre une inspiration à la fois du nom, de l’identité visuelle, de la forme en nœud papillon du flacon de la PETITE ROBE NOIRE de sorte que les éléments de ressemblance pris dans leur globalité traduisent la volonté de la société belge de se placer dans le sillage de GUERLAIN ;
• Du choix du nom de la gamme des parfums litigieux « LA PETITE FLEUR » construit de manière similaire au nom « LA PETITE ROBE NOIRE » ;
• De la reprise d’une silhouette féminine dessinée sans visage et portant une petite robe, choix effectué par GUERLAIN qui rompait avec les codes du secteur. Choix qui ne s’imposait pas en revanche pour la collection des parfums litigieux « LA PETITE FLEUR » qui aurait pu être associée à beaucoup d’autres visuels notamment floraux et donc autres qu’une silhouette féminine ;
• De la reprise de l’univers de Paris et de la Tour Eiffel ainsi que les couleurs rosés/violets présents dans toute la communication autour du parfum GUERLAIN ;
• De la reprise enfin du flacon « Coque d’Or » dans ses caractéristiques essentielles (même démarcation centrale, quatre pans inclinés vers le bas du flacon, chaque côté reprenant un pan plus haut que l’autre et un nœud papillon sur le dessus avec une légère courbe).
La Cour retient que ces similitudes ne sont pas fortuites et caractérisent le caractère intentionnel des captations.
Dès lors, la Cour retient que la société belge a réalisé des économies en profitant des lourds investissements engagés par GUERLAIN tant d’un point de vue créatif que commercial, ce qui a permis à la société belge de limiter ses propres frais de conception et de commercialisation et ainsi de proposer ses produits à des prix bien inférieurs à ceux de la société GUERLAIN ayant de surcroît un effet de dilution de l’image de GUERLAIN.
Concernant la réparation des agissements parasitaires, la Cour confirme les sévères sanctions prononcées par le tribunal en première instance :
• 594.000 euros au titre de la réparation du préjudice matériel correspondant à 1% des dépenses publicitaires engagées par GUERLAIN en France pour le seul parfum « LA PETITE ROBE NOIRE » ;
• 100.000 euros au titre du préjudice moral retenu au titre de la dilution de la notoriété de ses parfums et de l’atteinte à sa réputation et à son image de marque.
La Cour confirme également la publication judiciaire de la décision sur les deux sites de la société belge.
A retenir enfin dans cette affaire, la compétence territoriale du tribunal de commerce de Paris qui avait été contestée par la société belge en raison de sa nationalité.
La Cour d’appel de Paris rappelle en effet que le constat d’huissier du site internet de la société belge, dressé à la demande de la société GUERLAIN, faisait apparaître des produits accessibles en France et pouvant être commandés et livrés en France « de sorte que le fait dommageable et la matérialisation du dommage, à savoir la mise en vente de parfums litigieux, se produit notamment à Paris ».
****
La décision du Tribunal de commerce de Paris, confirmée ici par la Cour d’appel de Paris, rappelle que l’absence de droits privatifs n’empêche pas pour autant les victimes d’obtenir une réparation de leur préjudice.
Toutefois il ne doit pas être négligé de rapporter la preuve des agissements parasitaires. Dans le cas où ceux-ci sont commis par une société étrangère, le constat d’achat internet devra attester sans ambigüité que l’achat et la livraison sont possibles depuis et vers la France afin que les actes puissent être poursuivis sur notre territoire. A ne pas néglier non plus, la preuve du préjudice tant matériel que moral, une attestation du directeur financier et de la responsable marketing de l’entreprise victime étant parfaitement recevable.
Voici donc une fois encore posée le principe selon lequel l’absence de droits de propriété intellectuelle ne confère pas pour autant une liberté d’inspiration sans limite.
Juliette Biegala
Juriste
Malaurie Pantalacci
Conseil en Propriété Industrielle associée
29
avril
2021
Nouvelle loi sur les enfants influenceurs : la protection de l’intimité passe avant la viralité
Author:
teamtaomanews
Une loi promulguée le 19 octobre 2020 encadre l’exploitation commerciale de l’image des mineurs sur les réseaux sociaux. Le député qui en est à son origine, Bruno Studer, a répondu aux questions de TAoMA Partners.
TAoMA Partners : À quel besoin cette loi a-t-elle répondu ? Est-ce que des articulations avec d’autres lois telle que celle sur les enfants comédiens ont été prises en compte ?
Bruno STUDER : Effectivement, les enfants artistes, les enfants du spectacle et les mannequins sont protégés en France depuis plusieurs années par un régime très protecteur qui encadre leur durée maximum de travail, s’assure que des autorisations ont été accordées par la préfecture, que les enfants sont consentants, qu’ils sont bien instruits, pas forcément scolarisés mais en tout cas instruits. La loi s’assure aussi que leurs intérêts financiers sont protégés dans la mesure où 90% des sommes générées par leur activité est placée sur un compte en banque géré par la Caisse des Dépôts et Consignations – montant auquel ils ont accès une fois qu’ils sont émancipés, c’est-à-dire à l’âge de la majorité mais parfois avant s’il y a une décision dans ce sens.
Or je me suis aperçu, alerté par des associations et par des journalistes, que les enfants dits « influenceurs » ou « youtubeurs » ne bénéficiaient pas de cette protection. Cette loi vient donc combler ce qu’on appelle un vide juridique, en étendant le régime dit « des enfants du spectacle » aux enfants influenceurs.
Concrètement, en quoi et comment cette loi protège-t-elle les enfants ?
Il y a différentes dispositions dans la loi qui protègent ces enfants et font peser des responsabilités sur les parents qui sont en première ligne dans l’activité de leurs enfants. La loi fait aussi peser des responsabilités sur les entreprises qui font appel à ces enfants pour faire de la publicité, ce qu’on appelle du placement de produit. Et la loi crée aussi des responsabilités sur les plateformes, dans la mesure du possible car on est dans un régime juridique assez contraignant en la matière. Les plateformes profitent, en effet, de l’activité de ces enfants pour générer des revenus qu’elles partagent après avec les enfants et leurs parents.
Il y a deux grands cas : le premier où le juge pourra établir assez facilement qu’il existe une relation de travail parce que la personne qui filme donne des consignes à des enfants qui les exécutent. Beaucoup de ces vidéos sont scénarisées : les enfants ont répété, plusieurs prises ont visiblement été faites pour arriver à un bon résultat. Dans ces cas-là, qui représentent la très grande majorité des cas qu’on a pu observer sur les réseaux sociaux, on aura le même régime que pour les enfants du spectacle. C’est-à-dire que si aucune autorisation n’a été demandée par les parents, ils pourront être accusés et éventuellement condamnés pour travail dissimulé concernant un mineur, ce qui les expose à des peines très graves.
Dans le second cas, la preuve de l’existence de consignes n’est pas forcément facile à établir. Je prends un exemple : un enfant qui joue bien au foot et qui se fait filmer n’obéit pas à la consigne de la personne qui tient la caméra, il obéit à celle de son entraineur ; mais quoi qu’il arrive, on le filme, on monte la vidéo, et puis elle a du succès, elle est partagée, elle est vue, il y a des gens qui s’abonnent à la chaine de partage de vidéos en ligne sur la plateforme qui l’héberge. Ensuite, une entreprise demande à pouvoir recourir à cet enfant influenceur et dit souhaiter que, dans une prochaine vidéo, l’enfant porte des chaussures ou un t-shirt de telle ou telle marque. Dans ce cas-là, il n’y a pas de relation de travail, parce qu’il n’y a pas de consignes, et pour autant on n’est plus dans du loisir dès lors que des revenus sont générés et que des gens en tirent profit. Dans ce cas-là, au-delà d’un certain seuil (à fixer par décret), le dépôt d’une déclaration sera demandé aux parents pour faire progressivement s’installer une relation protectrice envers l’enfant et en relation avec ses intérêts, qu’ils soient financiers, scolaires ou de santé.
Au-delà de ces deux cas principaux, la loi protège aussi les enfants en renforçant le droit à l’oubli. L’enfant pourra demander, avant même d’atteindre la majorité, le retrait de vidéos où il figure. C’est une chose à laquelle je tenais beaucoup parce qu’il peut très bien y avoir des enfants, par exemple des collégiens, qui ne souhaitent pas que des vidéos où on les voit tout petits restent en ligne.
Les entreprises qui feront appel à ces enfants pour faire du placement de produits devront, hors cas de relation de travail, s’assurer que les parents ont bien fait cette déclaration auprès de la préfecture. Dans le cas contraire, elles pourraient être condamnées à des amendes. Il s’agit de les responsabiliser progressivement.
Enfin, les plateformes devront retirer les vidéos dans lesquelles apparaissent des enfants, si on les informe que les demandes d’autorisation n’ont pas été formulées dans le cadre d’une relation de travail.
Les plateformes n’ont donc pas d’obligation a priori ?
Non, parce que de toute façon on n’est pas en mesure de la leur imposer. On aurait pu l’imposer à quelques-unes mais pas aux plus petites d’entre elles ni aux entreprises de droit américain, par exemple, en raison du principe juridique de territorialité. Le contrôle a priori est celui des parents qui restent les premiers responsables, ainsi que celui des entreprises qui devront vérifier que les déclarations ont bien été faites. Pour les plateformes, il s’agit effectivement d’une responsabilité a posteriori.
Les seuils rendant obligatoire la déclaration à la préfecture seront-ils des seuils relatifs aux revenus générés ? Ou au nombre de vidéos ?
C’était toute la question car on peut très bien imaginer que des parents y verraient un filon et multiplieraient les vidéos sans forcément avoir de succès, tout en sollicitant beaucoup leur enfant. Il fallait donc trouver différentes catégories de seuils et ce sont ceux-là qui doivent être maintenant fixés par décret.
La difficulté par rapport au champ d’application de l’article 3 de la loi, c’est de savoir comment protéger quelqu’un qui n’entre pas dans le champ d’une relation de travail, alors que le principe, en France, c’est que les parents sont les détenteurs et les protecteurs de l’image de leur enfant et des droits afférents. Désormais, des responsabilités pèsent sur les parents même dans le cas où l’on n’est pas dans une relation de travail.
Faut-il nécessairement passer par l’intermédiaire d’une agence ? Parfois, la relation n’existe qu’entre les parents et les enfants, sans tiers.
C’est toute la difficulté. Même dans le cas de la relation de travail, en fait, la difficulté c’est qu’il n’y a pas de tiers. Dans le cas d’un enfant du spectacle ou d’un enfant mannequin, le parent est là comme intermédiaire, il joue le rôle du tiers entre l’enfant et le producteur, ou entre l’enfant et l’entreprise. Dans le cas des enfants influenceurs, c’est complètement remis à plat car le parent est à la fois producteur, scénariste et éditeur de la vidéo. Effectivement, les parents vont donc devoir faire les démarches et pouvoir bénéficier d’une relation directe avec une entreprise qui voudrait faire appel à leur enfant, mais tout en étant déclarés en tant qu’entreprise soit de mannequinat, soit de production. Mais on ne peut pas imposer un tiers entre le parent et l’enfant. C’est une vraie difficulté que l’on a clarifiée puisque, quoi qu’il arrive, le parent sera considéré comme étant l’employeur de l’enfant qui se trouve dans une relation de travail et le parent devra obéir à toutes les règles qui régissent les activités d’entreprises de mannequinat ou autre.
Est-ce que cela change quelque chose pour les annonceurs ?
Les annonceurs pourront toujours continuer à passer par des agences si les parents décident eux aussi passer par les agences, et si les parents sont eux-mêmes constitués en agence ils pourront s’adresser directement aux parents.
Dans le cas où l’on n’est pas dans une relation de travail, où il n’y a pas de contrat signé entre l’enfant et les parents, il faudra que les annonceurs aient quand même vérifié que les parents ont fait cette déclaration auprès de la préfecture. Dans le cas où l’on étend le régime des enfants du spectacle aux enfants « youtubeurs », l’annonceur devra faire les vérifications nécessaires sous peine d’être considéré comme étant complice de travail dissimulé de mineur.
Quel rôle est réservé aux plateformes ?
Dans la proposition de loi initiale, je faisais peser sur les plateformes l’obligation d’aller vérifier a priori que l’enfant était couvert, soit par le régime de l’autorisation, soit par celui de la déclaration. Je regrette que cela n’ait pas été conservé mais c’est le jeu de la proposition de loi : on propose, puis il y a un dialogue interne au Parlement et ensuite avec le gouvernement.
Dans les faits, on ne peut pas contraindre les plateformes parce que ce sont souvent des entreprises de droit étranger et qu’elles s’abritent derrière le cadre juridique existant. J’aurais pu imposer cela à Dailymotion mais pas à YouTube, alors que c’est essentiellement sur cette dernière que se produit le phénomène des enfants influenceurs. Les plateformes sont bien conscientes d’être protégées mais on évolue à leur égard, que ce soit pour les questions liées aux enfants influenceurs, sur la haine en ligne ou sur toute forme de responsabilité dans le cadre de la directive e-commerce de droit européen de 2000 qui fixe un statut très clair sur les plateformes qui sont de simples hébergeurs et pas des éditeurs.
En revanche, j’ai eu un dialogue très nourri avec ces plateformes en ce qui concerne les enfants influenceurs. La loi établit un devoir de coopération placé sous l’égide du CSA – dont on ne cesse de renforcer les pouvoirs de contrôle, ces dernières années. Le CSA produira chaque année un bilan de ce qu’auront fait, ou pas, les plateformes au sujet des enfants influenceurs. Les plateformes se verront imposer un devoir d’information envers leurs usagers, en particulier auprès des enfants et des parents en ce qui concerne les règles auxquelles ils doivent obéir.
Le régime de responsabilité des plateformes est donc relativement restreint mais on espère que cette collaboration, qui est la seule qu’on peut leur imposer, donnera des résultats. Au fond, il y a un enjeu de réputation : YouTube n’a certainement pas envie d’être taxé de complicité d’exploitation de mineurs. C’est là-dessus qu’on a essayé de jouer.
Existe-t-il des lois équivalentes dans d’autres pays ?
Nous sommes les premiers à encadrer la protection des enfants « youtubeurs » dans le cadre du droit du travail. C’est aussi cela qui fait qu’on est la France : on montre la voie, on montre l’exemple.
La proposition de loi avait été l’occasion de publications de presse partout dans le monde : il y a eu un véritable intérêt pour le sujet. Mais il faut bien avoir conscience du régime très protecteur du droit français par rapport aux enfants. Il faut rappeler que le travail d’enfants est interdit sauf dérogation, en France.
Y a-t-il une prochaine étape prévue pour renforcer les dispositions de cette loi ?
Nous verrons comment évolue le cadre juridique européen avec les deux directives DSA (Digital Services Act) et DMA (Digital Market Act) qui sont actuellement à l’étude et ce qu’elles pourront imposer ou pas aux plateformes.
La véritable question qui se pose aujourd’hui, au-delà des enfants influenceurs, c’est la question du droit à l’image de l’enfant. Encore une fois, l’image de l’enfant appartient aux parents qui sont censés en être les protecteurs mais on voit bien les tentations actuelles d’exposer l’intimité de l’enfant, ce qui revient presque à la violer – et j’utilise volontairement ce terme fort car lorsqu’on montre son enfant dans tous les moments de sa vie privée, on ne respecte plus son intimité. Il faut inventer un nouveau droit à l’image alors que l’image est maintenant partout, tout le temps. Je fais souvent référence à cette directive e-commerce qui a été adoptée à un moment où les smartphones n’existaient pas, où les plateformes de partage de vidéos et de photos n’existaient pas. Il y a un changement encore plus profond à mener autour du droit à l’image de l’enfant, un sujet qui est porté par des associations de protection de l’enfance, notamment celles qui œuvrent sur Internet qui sont alarmées par la surexposition des enfants.
J’ai toujours affirmé, pendant la discussion parlementaire, qu’à la tentation de la viralité il fallait privilégier l’impératif de l’intimité. Je pense que c’est maintenant que l’on doit être très attentifs. Mais le débat n’est pas que législatif, il est aussi sociétal. Ce n’est pas parce qu’il existe des lois qu’elles sont respectées, ce n’est pas parce que la loi sur les enfants influenceurs entre en vigueur au moment de cet entretien qu’elle sera respectée et qu’il n’y aura plus d’abus. Ce n’est pas parce qu’il y a des limitations de vitesse sur les routes que tout le monde respecte les limitations de vitesse. En revanche, la loi crée des outils pour les cas d’abus – et ils existent, ils ne sont pas forcément aussi nombreux et aussi fréquents que certains peuvent avoir envie de croire. On reporte vite sur Internet beaucoup de responsabilités dans les déviances de notre société alors qu’il y a des très bonnes choses qui se passent sur Internet. Il y a des enfants influenceurs dont l’activité est très saine et qui font profiter d’autres enfants de leur passion, de leur savoir-faire. Il faut juste vérifier qu’ils le font dans le respect de leur intérêt supérieur : c’est un impératif constitutionnel français, c’est aussi un impératif conventionnel, prévu par des textes internationaux.
Donc pour vous répondre, la première étape désormais, je pense, est de convaincre d’autres pays de suivre l’exemple de la France.
Les usages évoluent, notamment parce que de nouvelles plateformes apparaissent avec un fonctionnement spécifique. Les associations ont-elles un rôle de lanceur d’alerte ?
Ce sont les associations qui, les premières, ont essayé de faire condamner des parents pour exploitation, travail dissimulé ou autres motifs invoqués en justice à l’époque. Mais elles avaient été déboutées parce que l’on considérait que c’était une activité de loisir et pas du travail. Grâce à cette loi, ces associations auront accès plus facilement à des informations que les plateformes devront leur communiquer.
Leur activité se poursuivra également sur d’autres sujets : il y a, par exemple, une action en justice en cours sur l’accès à la pornographie par les mineurs. Six sites ont été signalés au CSA qui devrait bientôt les mettre en demeure de sécuriser le cheminement d’accès à leurs contenus. Ces associations ont aussi un rôle essentiel de sensibilisation ; elles ont parfois des partenariats avec des plateformes elles-mêmes, visitées par les enfants, pour faire passer des spots de sensibilisation. On compte beaucoup sur ces associations.
Y a-t-il dans la loi des dispositions protégeant les enfants qui sont de l’autre côté de l’écran ?
C’est vrai que cela fait partie des sujets qui sont encore devant nous. D’ailleurs, on parle plus souvent des enfants qui sont devant les écrans que de ceux qui sont derrière. Cette loi met surtout l’éclairage sur ceux qui sont derrière.
Il est nécessaire de mettre en place de nouvelles règles sur les enfants qui sont devant ces écrans, ce qui est plus difficile en ligne qu’ailleurs. Il y a des choses que vous pouvez voir sur les chaines de ces enfants influenceurs que vous ne pourrirez plus voir à la télévision en raison des règles applicables à l’audiovisuel et des chartes d’autorégulation qui sont très contraignantes. Mais la publicité sur Internet est beaucoup plus difficile à réguler, en tous les cas à l’échelle d’un pays. Un enfant montré en train de manger des bonbons ou des chips devant la télévision, en train de jouer devant son ordinateur et de manger de la junk food : c’est quelque chose que vous ne voyez plus à la télévision, au cinéma ou dans les publicités mais qui reste présent sur les chaînes de vidéos en ligne. La régulation à inventer ne pourra se faire qu’à l’échelle de plusieurs pays, de l’Union européenne dans un premier temps et peut être de l’OCDE ensuite. En effet, c’est très facile de faire héberger sa chaine ailleurs qu’en France.
Les entreprises l’ont bien compris avec l’enjeu réputationnel qui s’impose à elles. Au moment où la loi a été discutée à l’Assemblée nationale, la Fédération française des industries du Jouet et de la Puériculture a publié une charte relative, justement, aux enfants influenceurs. La loi a donc eu ses premiers effets avant sa promulgation.
Enfin, il faut appeler à la responsabilité collective. J’aime à dire que la loi ne peut pas tout ; il y a des dérives auxquelles on va devoir s’atteler dans les prochains temps, notamment en termes de messages publicitaires. Mais la France a besoin, pour cela, de partenariats européens et j’espère que les directives DSA et DMA iront dans le bon sens.
Interview réalisée à Strasbourg le 20 avril 2021 (jour de l’entrée en vigueur de la loi)
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18
mars
2021
Campagne télévisée de ventes promotionnelles : Lidl dans le viseur des enseignes Intermarché et Carrefour
Author:
teamtaomanews
La guerre dans le secteur de la grande distribution fait rage et les deux arrêts rendus par la Cour de Cassation le 16 décembre 2020 [1] en sont le parfait exemple.
Les enseignes Intermarché et Carrefour reprochaient à l’enseigne Lidl d’avoir fait, au cours des années 2015 et 2016, la promotion télévisée de ventes promotionnelles, pratique pourtant interdite par les dispositions du décret relatif à la prohibition des publicités télévisuelles pour des ventes promotionnelles du secteur de la distribution (Article 8 du décret n°92-280 du 27 mars 1992) [2].
La Cour d’Appel de Paris avait, par deux arrêts datés de 2019, reconnu que les actes de la société Lidl étaient contraires aux textes précités et l’avait ainsi condamnée pour pratiques commerciales déloyales.
Or, c’était sans compter sur la ténacité du discounter qui se pourvu alors en cassation. Outre le quantum de la condamnation, la société Lidl remettait également en cause la conformité du décret n°92-280 à la Directive 2005/29/CE du 11 mai 2005 sur les pratiques commerciales déloyales, ainsi que la qualification de ventes promotionnelles.
La Cour de Cassation, par ces deux arrêts en date du 16 décembre 2020, rejette les moyens de la société Lidl au soutien de ces pourvois.
D’une part, la Cour de Cassation retient que l’objectif de l’interdiction édictée par le décret n°92-280 n’est pas de protéger le consommateur mais de préserver l’attractivité des différents médias par rapport à la télévision, afin que la publicité de la grande distribution, qui constitue une source importante de revenus, ne se concentre pas sur les régies publicitaires de chaines de télévision.
Aussi, le décret n°92-280 n’entrant pas dans le champ d’application de la Directive 2005/29/CE du 11 mai 2005 sur les pratiques commerciales déloyales, il n’y avait pas lieu d’examiner sa conformité à ladite Directive et, par voie de conséquence, son applicabilité.
D’autre part, et sur la qualification de vente promotionnelle, la Cour de Cassation relève que les cinq produits mis en avant dans les spots télévisés diffusés par Lidl en avril, mai et juin 2016 n’étaient plus offerts à la vente dans aucun des quatre magasins Lidl visités par les huissiers de justice le 19 juillet 2016.
De même, dans les vingt-deux magasins visités par les huissiers de justice le 8 décembre 2015, la très grande majorité des produits mis en avant dans les spots diffusés de septembre à novembre 2015, étaient absents des rayons des magasins visités.
Or, selon la doctrine de l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité, doivent être qualifiées de promotions, les opérations caractérisées par une exposition à la vente en magasin inférieures à quinze semaines.
D’autres éléments factuels ont, par ailleurs, convergé vers une qualification de ventes promotionnelles et, notamment, le fait que :
l’essentiel des ventes étaient intervenues dans les deux à quatre premières semaines de commercialisation ;
le niveau de stock était quasiment atteint à l’issue de la quatrième semaine de vente ;
aucun réassort n’avait été effectué à l’issue de la quatrième semaine de commercialisation.
La Cour de cassation confirme donc l’analyse des juges du fond qui ont retenu que les opérations commerciales litigieuses en question étaient des opérations de promotion dont la publicité par voie de télévision était interdite par l’Article 8 du décret n°92-280 du 27 mars 1992.
La société Lidl est ainsi condamnée à réparer le préjudice résultant de ces pratiques commerciales déloyales à hauteur de 9,7 millions d’euros.
Cette nouvelle condamnation s’ajoute à une longue liste d’affaires impliquant le discounter d’origine allemande, dont une décision récente des tribunaux espagnols qui l’a condamné pour contrefaçon du brevet Thermomix de la société allemande Vorweck pour son robot CUISINE CONNECT. Une procédure identique est actuellement pendante devant les tribunaux français et nous ne manquerons pas de vous faire part de son issue dans le cadre d’une prochaine TAoMA News.
Dorian Souquet
Juriste Stagiaire
Baptiste Kuentzmann
Juriste
[1] Cour de Cassation, Chambre commerciale, 16 décembre 2020, 19-16.760 – Cour de Cassation, Chambre commerciale, 16 décembre 2020, 19-12.820.
Décision non publiée, communiquée sur demande à contact-cpi@taoma-partners.fr
[2] Article 8 du décret n°92-280 du 27 mars 1992 : « Est interdite la publicité concernant, d’une part, les produits dont la publicité télévisée fait l’objet d’une interdiction législative et, d’autre part, les produits et secteurs économiques suivants : (…) – distribution pour les opérations commerciales de promotion se déroulant entièrement ou principalement sur le territoire national, sauf dans les départements d’outre-mer et les territoires de la Polynésie française, des îles Wallis et Futuna, dans la collectivité départementale de Mayotte et en Nouvelle-Calédonie. Au sens du présent décret, on entend par opération commerciale de promotion toute offre de produits ou de prestations de services faite aux consommateurs ou toute organisation d’événement qui présente un caractère occasionnel ou saisonnier, résultant notamment de la durée de l’offre, des prix et des conditions de vente annoncés, de l’importance du stock mis en vente, de la nature, de l’origine ou des qualités particulières des produits ou services ou des produits ou prestations accessoires offerts »
27
janvier
2021
Opérations promotionnelles et boissons alcoolisées, une navigation en eaux troubles…
Author:
teamtaomanews
Il y a bientôt dix ans, la Cour de cassation faisait sensation en décidant, dans une célèbre décision « Ricard », que le partage, par des abonnés Facebook, de messages générés par une application pouvait constituer de la publicité en faveur de boissons alcooliques.
Plus récemment, la cour d’appel de Paris est venue apporter des précisions sur ce qui doit être considéré comme entrant dans la définition de ces publicités, par ailleurs strictement encadrées par le Code de la santé publique.
Une société exploitant des casinos a confié à une agence de publicité le soin de réaliser son programme de fidélité et des actions de création de trafic et d’animation de ses établissements de jeu. Pour ce faire, une campagne promotionnelle a été lancée, comportant :
Une loterie commerciale intitulée « Champagne à vie » dont le lot principal était une bouteille par mois à vie de champagne de la marque Pommery,
Une opération promotionnelle concomitante intitulée « 2 coupes de champagne + 10 euros de jetons pour 10 euros seulement ».
La publicité de ces opérations était effectuée sur :
Le site champagneavie.com, créé pour l’occasion,
Les pages Facebook des casinos concernés,
Le journal Directmatin, notamment disponible en ligne (édité par la société Bolloré Digital Média).
L’Association nationale de prévention en alcoologie et en addictologie (ANPAA) a assigné l’ensemble des parties prenantes (les sociétés du groupe Pommery fournissant le champagne, la société exploitant les casinos, l’agence de communication ayant conçu la campagne et la société Bolloré Digital Média l’ayant relayée), faisant valoir que ces publications constituaient de la publicité illicite en faveur de la boisson alcoolique Champagne Pommery ainsi qu’un parrainage illicite de jeu.
Après de nombreux débats en première instance sur le partage de responsabilité des parties ainsi que sur la valeur du constat d’huissier, l’ANPAA a porté l’affaire devant la cour d’appel de Paris, auprès de laquelle elle conteste :
1- La licéité du visuel faisant la promotion de l’opération, qui contiendrait des mentions qui ne sont pas expressément autorisées le Code de la santé publique, à savoir :
La présence de jetons de casino,
Les mentions « 10 euros de jetons et pour 10 euros seulement » et « champagne à vie » et le nom du casino,
L’illustration de verres en train de trinquer.
Elle critique en outre ce qu’elle qualifie d’invitation à la pratique du jeu sous l’emprise de l’alcool, de nature à susciter une perte de contrôle, prétendant notamment que la jurisprudence sanctionnerait l’association d’éléments liés aux jeu de hasard aux boissons alcooliques et dénonce le fait que les deux coupes de champagne seraient en réalité offertes.
2- La licéité du jeu concours « Champagne à vie » qui constituerait a minima une publicité indirecte pour de l’alcool ne respectant pas les dispositions relatives à ce type de communication et dont le lot lui-même contribuerait à banaliser une consommation déraisonnée et excessive de l’alcool.
3- La présence sur le site Internet champagneavie.com du visuel contesté accompagné du slogan« tout pétille encore plus dans les casinos D. »
4- La présence sur les pages Facebook des casinos concernés de publications constituant des publicités illicites pour des boissons alcooliques en raison de l’utilisation de la marque Pommery et de l’évocation de la boisson vendue sous cette marque, à savoir du champagne.
La cour commence son raisonnement en rappelant les règles strictes issues du Code de la santé publique encadrant la publicité, directe ou indirecte, pour les boissons alcooliques, à savoir, en substance :
Les supports autorisés (presse écrite hors jeunesse, offre d’objets strictement réservés à la consommation d’alcool marqués au nom des fabricants, services de communication en ligne hors jeunesse et associations sportives, etc.) ;
L’interdiction des opérations de parrainage ;
Les mentions autorisées (degré volumique d’alcool, origine, dénomination, modalités de vente et de consommation du produit, référence aux terroirs, etc.) ;
L’obligation d’accompagner la publicité d’un message sanitaire précisant que l’abus d’alcool est dangereux pour la santé.
Appliquant ces règles :
1- Elle estime que le visuel litigieux constitue une publicité illicite.
En effet, la campagne promotionnelle a pour finalité de promouvoir les établissements de jeux concernés et de créer un courant de clientèle par le biais d’offres attractives inhérentes à la démarche publicitaire. Bien qu’elle ne soit donc pas assimilable à une offre de consommation d’alcool gratuite, elle s’apparente bien à de la publicité incitant à la consommation d’une boisson alcoolique, ce que les défenderesses ne pouvaient pas nier puisqu’elles avaient intégré l’avertissement sanitaire imposé par le Code de la santé publique.
Ainsi, ses composants doivent être analysés à la lumière des dispositions dudit Code :
La présentation flatteuse du produit par la mise en valeur de sa couleur et de sa pétillance (sic), la référence à son mode de consommation par l’inclinaison des coupes qui miment le geste de trinquerrenvoient aux caractéristiques objectives du produit et un mode de consommation coutumier et ne peuvent donc pas être critiquées ;
Par contre, la présence des jetons de jeu excède les prévisions du Code qui limitent la communication au produit et son environnement.
2- En revanche, concernant l’opération elle-même, la cour souligne que seule la communication autour de l’opération est soumise au régime légal des publicités en faveur des boissons alcooliques, le jeu lui-même étant soumis aux dispositions du Code de la consommation, qui n’interdit nullement l’offre de champagne en tant que lot.
3- Concernant la présence des visuels litigieux sur le site disponible à l’adresse champagneavie.com, la cour relève qu’il s’ouvre sur un visuel quasi-identique à celui déjà reconnu illicite, caractère accentué par le fait que le slogan « tout pétille encore plus dans les casinos D. » prête à l’établissement une des qualités du vin vendu – son pétillement. Ainsi, ces images sont également illicites.
4- Enfin, à propos des publications sur les pages Facebook des casinos concernés, la cour raisonne en plusieurs temps :
L’annonce de l’opération « champagne à vie » (« Préparez-vous à pétiller. Rendez-vous dans votre casino D pour tenter de remporter du champagne offert chaque mois à vie. Pour en savoir plus et trouver votre casino, cliquez ici : […] Votre bouteille de champagne offerte chaque mois à vie », le tout sans la moindre référence à une marque de commerce d’une boisson alcoolisée) ne constitue qu’une invitation à participer à la loterie, ce qui est licite.
De même, l’annonce d’une « offre découverte » comportant la mention « – 20% sur la 2e place pour le même spectacle + 5 euros de jetons + 2 coupes de champagne », le tout encadré à gauche du dessin de jeton et à droite de deux verres de champagne (qui trinquent), sans la moindre mention de marque de commerce de boissons alcooliques a pour finalité d’inciter les internautes à acquérir une place de spectacle et ne constitue nullement une publicité pour le vin de champagne. Elle n’avait donc pas à être accompagnée d’une mention sanitaire.
Enfin, s’agissant de l’annonce des gagnants de la loterie, une distinction est faite entre :
Le texte de l’annonce « félicitation aux heureux gagnants de notre grand jeu concours Champagne à vie, merci à toutes et à tous pour votre participation. A très bientôt, dimanche, ne ratez pas le tirage au sort de notre jeu champagne à vie. Gagnez en exclusivité ce Jéroboam Silver Pop produit en édition limitée, plus que 3 jours pour tenter de remporter du champagne offert à vie. Rendez-vous dimanche dans votre Casino D pour découvrir si vous avez gagné […] » => dès lors que la loterie ne constitue pas en elle-même un support interdit, l’emploi de ces termes n’était pas interdit.
Les photographies représentant des bouteilles de champagne de marque Pommery sur un présentoir à étage / quatre gagnants posant à côté d’une bouteille et d’un carton, lesquels portent ladite marque / et un jéroboam de champagne Pop de marque Pommery entouré de deux bouteilles de ce même produit d’une contenance moindre => chacune de ces images, sur lesquelles figure le conditionnement de boissons alcooliques, constitue une publicité pour celle-ci et devait, dès lors, comporter un message sanitaire.
Que retenir ? S’il n’est pas exclu que cette décision fasse l’objet d’un pourvoi en cassation, elle permet d’illustrer l’extrême granularité dont font preuve les juridictions dans l’appréciation de l’illicéité des opérations promotionnelles impliquant de l’alcool, faisant notamment une distinction entre l’objet de la campagne (qui peut être une boisson alcoolisée) et le support de cette campagne (qui doit répondre aux exigences strictes du Code de la santé).
Une grande prudence doit donc être de mise !
Anita Delaage
Avocate
Référence et date : Cour d’appel de Paris, Pôle 2 – chambre 2, 3 décembre 2020, n° 18/15699
Décision non publiée, communiquée sur demande à contact-avocat@taoma-partners.fr
09
juillet
2019
L’adultère, fidèle à la déontologie publicitaire
Author:
teamtaomanews
« En amour l’infidélité est un grand crime, mais le public et la nature l’excusent », écrivait Chicaneau de Neuville dans son Dictionnaire philosophique (à ne pas confondre avec celui de Voltaire!) ; en est-il de même pour la déontologie publicitaire ?
Ainsi se présente la question posée récemment à la Cour d’Appel de Paris dans une affaire opposant la Confédération Nationale des Associations de Familles Catholiques à la société américaine Blackdivine, gérante du site de rencontre Gleeden.com, et à laquelle elle a répondu dans un arrêt délivré le 17 mai 2019.
Ce site de rencontre, qui compte un million d’adhérents en France, a en effet choisi de se démarquer de ses concurrents en axant sa communication sur la discrétion de ses services, et en vantant les mérites des relations extraconjugales (voir les exemples d’affiches ci-dessous).
Une approche radicale qui ne fut pas du goût de certaines associations qui, regroupées en confédération, ont donc assigné la société Blackdivine en 2015 afin de faire juger nuls les contrats qu’elle passe avec ses utilisateurs, au motif de cause illicite, et de l’astreindre à retirer ses publicités faisant référence à l’infidélité. Le tribunal de grande instance ayant rejeté leurs demandes, les demandeurs ont interjeté appel.
Il est notamment demandé à la Cour d’ « ordonner à BlackDivine de cesser de faire référence, de quelque manière que ce soit, directe ou indirecte, à l’infidélité ou au caractère extra-conjugal de son activité dans le cadre de ses publicités », au motif qu’un tel comportement est constitutif, au visa de l’article 212 du Code Civil, de la faute civile d’adultère. L’appelante rappelle également à cet effet la tendance jurisprudentielle récente, qui veut que la fréquentation régulière d’un site de rencontres par un des époux suffise à caractériser une telle faute [1].
Elle argue en outre de l’illicéité de ces publicités pour justifier leur interdiction, rappelant les dispositions du code ICC sur la publicité et les communications commerciales, selon lesquelles ces dernières ne doivent pas encourager les comportements violents, illicites ou antisociaux. Elle voit également dans ces publications une violation du décret du 27 mars 1992, qui interdit aux publicités télevisées de choquer les convictions religieuses des spectateurs.
La Cour d’Appel, dans son arrêt du 17 mai dernier, réfute en bloc ces demandes. D’abord, elle juge que l’interprétation de l’article 212 du code Civil ne permet pas de déduire de la faute d’adultère une obligation de fidélité relevant d’un ordre public de direction ; cette faute ne peut être soulevée que par l’un des époux lors d’une procédure de divorce, et souffre des exceptions : « consentement mutuel des époux, excusée par l’infidélité de l’autre époux etc… ». Elle confirme donc le jugement du tribunal, selon lequel la CNAFC ne saurait se prévaloir d’une telle faute pour exiger la suppression des publicités.
Concernant le prétendu caractère illicite des publicités en elles-mêmes, le juge se rend aux arguments du site, et rappelle que non seulement l’association ne démontre pas l’existence d’une incitation à un quelconque comportement illicite, mais que cette campagne publicitaire a déjà fait l’objet d’un examen par le jury de déontologie publicitaire, qui n’y a décelé aucun contenu choquant ou indécent, notamment grâce à l’usage des « évocations, des jeux de mots ou des phrases à double sens ». Le moyen basé sur la protection des convictions religieuses dans les publicités télévisuelles est également rejeté, au nom de la liberté d’expression à laquelle le spot concerné ne porte pas atteinte.
Par cet arrêt, la Cour d’Appel confirme sa volonté de ne pas censurer une campagne publicitaire au simple motif qu’elle serait provoquante et pourrait choquer une certaine population. La protection de la liberté d’expression demeure donc un pilier de la jurisprudence française, comme il l’était déjà en 2006 quand la Cour de Cassation refusait de censurer une parodie de la Cène de Léonard de Vinci remplaçant les apôtres et le Christ par des femmes [2].
Anita Delaage
Avocat à la Cour
Et
Corentin Pousset-Bougère
Stagiaire Avocat
Réf. Décision complète : Cour d’appel, Paris, Pôle 5, chambre 11, 17 Mai 2019 – n° 17/04642
[1] Notamment, Cour d’appel de Lyon 2ème chambre 7 février 2011, N° de RG : 09/06238 ; Cour d’appel de Paris, 19 décembre 2007, N° de RG : 07/03365
[2] Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 14 novembre 2006, 05-15.822 05-16.001, Publié au bulletin