21
décembre
2023
Publicité et boissons alcooliques : carton rouge pour le producteur de la bière Budweiser
Author:
TAoMA
L’Association Nationale de Prévention en Alcoologie et Addictologie est une association, reconnue d’utilité publique, engagée dans la prévention contre l’alcoolisme et les addictions, s’inscrivant dans la politique globale de santé publique de l’État. Pendant la coupe du monde de football 2022, cette association a assigné la société AB Inbev France, commercialisant les bières de la marque Budweiser en France, devant le juge des référés du Tribunal Judiciaire de Paris le 8 décembre 2022. Elle estime en effet que certaines publicités de Budweiser portaient atteinte aux dispositions de la loi Évin !
L’association reprochait à AB Inbev France un trouble manifestement illicite lié à l’utilisation de la marque « Buuuuud » dans ses publicités, ainsi qu’à l’utilisation publicitaire de la marque « King of Beers », notamment déployée sur une banderole publicitaire à la gare du Nord.
Le juge des référés avait répondu favorablement aux demandes de l’association, par une ordonnance enjoignant à la société AB Inbev France de cesser ces publicités illicites1. La société AB Inbev France a interjeté appel de cette décision.
La Cour d’appel va rendre sa décision2 en se fondant sur l’article L. 3323-4 du code de la santé publique encadrant la publicité pour les boissons alcooliques.
Un lien évident entre la marque « Buuuuud » et la Coupe du monde de Football 2022
Malgré l’affirmation de la société AB Inbev France, précisant que l’usage publicitaire de la marque « Buuuuud » n’était aucunement lié à la Coupe du Monde de Football 2022 (bien qu’elle fût partenaire officiel de cet événement), la Cour d’appel a confirmé l’ordonnance du juge des référés.
Elle a souligné que la proximité de la date de dépôt de la marque avec le début de la compétition, ainsi que la référence à la locution « Buuuuut » fréquemment utilisée par les commentateurs sportifs démontrait la proximité de l’utilisation de la marque avec le football et plus particulièrement avec la Coupe du monde de football.
Si la société AB Inbev France tente de se défendre en mentionnant qu’il s’agit d’une marque enregistrée mais le juge des référés, tout comme la Cour d’appel, considèrent que ce moyen est inopérant !
En effet, les juges d’appel rappellent que « l’enregistrement d’une marque n’autorise pas par lui-même son utilisation publicitaire, laquelle doit se faire dans le respect des dispositions du code de la santé publique ».
« King of Beers », une manifestation d’autosatisfaction incitant à une consommation excessive d’alcool
Sur l’utilisation de la marque « King of Beers », la décision de la Cour d’appel est semblable.
En dépit de l’argumentation avancée par la société AB Inbev France, justifiant l’utilisation d’une telle marque par le fait que la bière Bud est la plus consommée au monde, la Cour d’appel a néanmoins confirmé l’ordonnance rendue en référé. En effet, la Cour d’appel souligne que la mention « King » s’apparente à une « manifestation d’autosatisfaction », ne se rattachant donc pas aux éléments autorisés par l’article L. 3323-4 du code de la santé publique.
Ainsi, la Cour d’appel maintient la position du juge des référés estimant que cette marque engendrait un trouble manifestement illicite en associant la boisson alcoolique à la monarchie, sous-entendant le pouvoir, et suggérant une incitation à la consommation d’alcool.
Ainsi, la Cour d’appel, sans grande surprise, confirme l’interdiction de ces publicités. Cette décision s’inscrit dans les rares rendues au regard de la loi Evin, mais conserve cette même mouvance dure à l’encontre de la publicité qui serait trop attrayante pour de l’alcool.
Boire ou faire du foot, il faut choisir ! Nous connaissons déjà le choix de la Cour d’appel.
Juliette Danjean
Stagiaire – Pôle Avocat
Jean-Charles Nicollet
Conseil en Propriété Industrielle – Associé
Note de référence
(1) Tribunal judiciaire de Paris, 8 décembre 2022, N° 22/20719;22/58585
(2) Cour d’appel de Paris, Pôle 1 chambre 3, 24 octobre 2023, n° 22/20719
12
décembre
2023
Délai de prescription de l’action en contrefaçon : la Cour de cassation ne lâche pas la bride
Author:
TAoMA
Dans un arrêt du 15 novembre 2023, la Cour de cassation se prononce sur la question du point de départ du délai de prescription de l’action en contrefaçon en présence d’un délit continu.
En 1985, l’artiste Frédéric Jager avait conçu pour le Musée du cheval vivant aux Grandes écuries de Chantilly, une sculpture monumentale de trois mètres de hauteur représentant trois chevaux dans une demi-vasque circulaire intitulée « Fontaine aux chevaux » ou « La Prueva ».
Après avoir eu connaissance de l’existence de reproductions illicites de son œuvre, l’artiste a lancé une procédure afin de déterminer leur origine et localisation.
C’est ainsi qu’a été découverte une reproduction exposée dans le Potager des Princes à Chantilly. Son caractère contrefaisant a été définitivement reconnu par arrêt de la Cour d’appel de Paris du 17 décembre 2008.
En 2021, à la suite d’une tentative de règlement amiable infructueuse, l’artiste a finalement assigné la société le Potager des Princes et son gérant, en référé, afin de faire cesser le trouble manifestement illicite résultant de l’atteinte à ses droits de propriété intellectuelle.
Le juge des référés du tribunal judiciaire de Lille ayant fait droit à ses demandes, la société Le Potager des Princes a interjeté appel devant la Cour d’appel de Douai. La Cour a infirmé l’ordonnance du juge des référés et rejeté l’ensemble des demandes de l’artiste au motif que son action était prescrite.
C’est dans ce contexte que Frédéric Jager a formé un pourvoi devant la Cour de cassation.
Pour démontrer que l’action n’était pas prescrite, il a soutenu qu’en présence d’un délit continu (en l’occurrence constitué par la détention et l’exposition de l’exemplaire contrefait), le point de départ du délai de prescription se situait au jour de la cessation des actes contrefaisants.
La société Le Potager des Princes soutient quant à elle que le délai de prescription commençait à courir au jour où l’artiste a eu connaissance de la contrefaçon : au plus tard, le 15 octobre 2008. L’action était donc prescrite depuis le 16 octobre 2013.
En réponse, la Cour de cassation rappelle d’abord l’article 2224 du Code civil selon lequel « les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. »
La Cour reconnait que la présence de la statue litigieuse dans le Potager des Princes a été connue de l’artiste dès le dépôt du rapport d’expertise du 3 septembre 2004 et que son caractère contrefaisant a définitivement été reconnu par arrêt de la Cour d’appel de Paris du 17 décembre 2008.
Ainsi, elle fixe le point de départ du délai au 17 décembre 2008 ; son expiration est donc intervenue le 17 décembre 2013.
L’auteur est désormais impuissant pour faire cesser l’exposition de cette statue contrefaisante dans le Potager des Princes.
Une interrogation demeure : pourquoi la Cour a-t-elle privilégié comme point de départ du délai la date à laquelle le caractère contrefaisant de l’œuvre a été définitivement reconnu, et non la date à laquelle l’artiste a eu connaissance de son existence ?
En tous les cas, cette décision clarifie les règles relatives à la prescription en matière de contrefaçon en présence d’un délit continu et oblige les demandeurs à engager au plus vite leurs actions contentieuses.
Alain Hazan
Avocat associé
Delphine Monfront
Avocat à la Cour
05
décembre
2023
LA MAISON DU CHOCOLAT JUGÉE NON-DISTINCTIVE POUR DÉSIGNER DES PRODUITS ET SERVICES VIRTUELS EN LIEN AVEC LE CHOCOLAT
Le 5 octobre 2023, la chambre des recours de l’EUIPO a confirmé la décision de refus partiel de la demande de marque de l’Union européenne LA MAISON DU CHOCOLAT n°18719890, d’avoir considéré que le signe était descriptif et dépourvu de caractère distinctif notamment pour des produits et services virtuels en lien avec du chocolat1.
La société La Maison du chocolat, spécialisée dans la fabrication de confiseries et la transformation de cacao, a déposé la demande de marque de l’Union européenne LA MAISON DU CHOCOLAT n°18719890 le 21 juin 2022 pour désigner des produits et services en classes 9, 35 et 41 auprès de l’EUIPO.
Par une décision du 23 février 2023, l’examinateur a partiellement refusé cette demande de marque au motif que le signe LA MAISON DU CHOCOLAT serait (i) descriptif de l’espèce et (ii) dépourvu de caractère distinctif.
En effet, il estime que le consommateur français (public retenu comme pertinent) est susceptible de percevoir le signe comme « un magasin sous forme de boutique maison qui vend et/ou produit du chocolat », qui viendrait, de ce fait, décrire l’espèce des produits désignés.
L’Office a notamment refusé les produits et services suivants à l’enregistrement :
– Classe 9 : « Produits virtuels téléchargeables à savoir programmes informatiques en relation avec le cacao et préparations à base de cacao, cacao en poudre, pâtes à tartiner au cacao (…) »
– Classe 35 : « Services de magasin de vente au détail en ligne proposant des biens virtuels à savoir du cacao, du cacao en poudre, des pâtes à tartiner au cacao (…) » ;
– Classe 41 : « Services de divertissement, à savoir offre en ligne de biens virtuels, à savoir du cacao et des préparations à base de cacao, du cacao en poudre, des pâtes à tartiner au cacao (…) ; »
Toutefois, ladite demande a été accueillie pour des produits et services virtuels en lien avec la pâtisserie.
La société demanderesse a formé un recours contre cette décision devant la Chambre des recours de l’EUIPO qui a, par une décision du 5 octobre 2023, confirmé la décision de l’examinateur en rappelant et appliquant les dispositions de l’article 7 §1 b et c et §2 du Règlement sur la Marque de l’Union européenne (RMUE).
En effet, une marque doit être refusée dès lors qu’elle est :
– composée exclusivement de signes ou d’indications pouvant servir dans le commerce pour désigner l’espèce, la qualité etc … En l’espèce l’association des termes « LA MAISON DU » (qui forme à l’évidence une expression désignant une entreprise commerciale), au terme « CHOCOLAT » informe clairement les consommateurs sur l’espèce des produits et services en cause. Le consommateur percevra le signe comme un centre ou bâtiment qui fabrique/ produit/ vend du chocolat ou y trouver une expérience qui est liée au chocolat même, que cela soit dans le monde réel comme dans le monde virtuel.
– dépourvue de caractère distinctif, ne serait-ce que dans une partie de l’Union européenne. En l’espèce, la marque demandée sera considérée pas le public pertinent comme indiquant seulement que les produits et services proviennent d’une entreprise commerciale spécialisée dans le chocolat ce qui constitue un message laudatif vantant la spécialisation et le caractère unique de l’entreprise commerciale.
Dès lors, elle confirme que la demande de marque en cause est descriptive des produits et services objectés, quand bien même ces derniers soient virtuels et rejette le recours de la demanderesse. LA MAISON DU CHOCOLAT est donc enregistrée pour les produits et services restants et notamment ceux en lien avec la pâtisserie.
Ce n’est pas la première fois que la demanderesse se voit refuser l’une de ses demandes de marque à l’enregistrement pour défaut de caractère distinctif par l’Office. En effet, elle avait déjà cherché à déposer le signe LA MAISON DU CHOCOLAT en 2003 pour des produits et services en classes 30 (cacao, pâtisserie et confiserie, sauces (condiments)) et 43 (services de restauration (alimentation)) sans succès. La tentative pour des produits et services du monde virtuel se heurte finalement aux mêmes refus de l’Office.
L’Office adopte ainsi la même appréciation de la distinctivité pour les marques désignant des produits virtuels que pour les marques désignant des produits matériels. En effet, d’après la Chambre des recours, le caractère virtuel de ces produits ou services ne modifie pas la perception du signe, tant qu’ils ont un lien avec le chocolat ou le cacao.
Cette décision témoigne donc de la volonté de l’EUIPO d’adapter le droit des marques aux nouveaux enjeux du virtuel.
Margaux Maarek
Juriste
Mélissa Cassanet
Conseil en Propriété Industrielle Associée
(1) EUIPO, Chambre des recours, 5 octobre 2023, R 836/2023-2