23
avril
2020
La lutte contre la contrefaçon aux temps du Coronavirus
Author:
teamtaomanews
ou : Comment défendre vos droits de propriété intellectuelle en période de confinement ?
Du fait de la crise sanitaire, les tribunaux sont fermés depuis mi-mars 2020, les actions judiciaires les plus courantes – y compris les actions en contrefaçon – ne peuvent pas être engagées et les actions en cours sont suspendues.
Ainsi, les outils judiciaires dont disposent les titulaires de droits de propriété intellectuelle (marques, dessins et modèles, brevets, droits d’auteur, etc.) pour lutter contre la contrefaçon sont devenus indisponibles et risquent de l’être encore pendant un certain temps à l’issue du confinement car l’activité des tribunaux ne redémarrera que progressivement.
Parallèlement, nous assistons à une multiplication des arnaques COVID et des contrefaçons en ligne.
Titulaires de droits, ne restez pas inactifs.
Il est possible d’agir sans attendre le déconfinement et la reprise de l’activité judiciaire. Il existe un ensemble d’outils alternatifs permettant de faire respecter vos droits et de tenter d’obtenir rapidement la cessation des actes de contrefaçon.
TAoMA a identifié quatre étapes préalables, allant de l’utile à l’indispensable :
La surveillance en ligne, pour repérer les actes contrefaisants
La surveillance douanière, pour faire surveiller les allées et venues des produits contrefaisants
L’utilisation de la technologie blockchain, pour authentifier les produits et prouver la contrefaçon repérée
Le constat d’huissier sur Internet, pour prouver la contrefaçon repérée
Ainsi que cinq actions disponibles :
La récupération de noms de domaine contrefaisants
Le signalement d’actes de contrefaçon à l’office européen de la propriété intellectuelle
Le signalement de contenu illicite sur les réseaux sociaux
La lettre de mise en demeure
La notification LCEN
LES ÉTAPES PRÉALABLES
La surveillance en ligne
Un titulaire de droits identifie souvent des actes de contrefaçon en surveillant lui-même l’activité de ses concurrents ou en jetant un œil aux principales plates-formes marchandes, voire en en découvrant de façon inopinée.
Il est toutefois indispensable d’adopter une stratégie systématique de surveillance active afin d’éviter de se retrouver prescrit ou forclos à agir en contrefaçon ou sur un autre fondement.
En ce qui concerne la contrefaçon en ligne, il existe des sociétés spécialisées, comme Safebrands et IP Twin, qui ont rendu certains de leurs services de surveillance provisoirement gratuits.
Ces sociétés proposent notamment les services suivants, pour le monde entier :
Surveillance des nouvelles occurrences de mots-clés dans les liens, pages de sites, metatags, etc.
Surveillance des réseaux sociaux
Surveillance des plates-formes de vente en ligne (Amazon, eBay, Rakuten…)
Surveillance des « adwords »
Surveillance de l’utilisation des logos
Ces sociétés remettent des rapports à intervalles plus ou moins fréquents, comprenant les données brutes collectées. L’analyse du caractère contrefaisant doit être réalisée par un avocat pour être fiable.
TAoMA Partners a également développé ses propres techniques de surveillance et d’identification et les utilise régulièrement au service de ses clients.
La surveillance douanière
La surveillance en ligne peut être utilement doublée par une surveillance « physique » par les douanes. Il est possible de mettre en place une surveillance douanière en en faisant la demande auprès des services des douanes au moyen d’un formulaire identifiant les droits des titulaires, incluant des photographies de produits authentiques et des conseils pour repérer les contrefaçons.
Cette surveillance est toujours disponible en ce moment, les douanes requérant que les demandes de surveillances soient pour l’instant envoyées exclusivement par e-mail.
Sans rentrer dans les détails, la saisie de marchandises contrefaisantes par les douanes donne lieu à une notification au titulaire des droits qui informe les douanes de son souhait, le cas échéant, de faire procéder à une destruction simplifiée des produits ou les informe que les produits ne sont pas contrefaisants.
L’utilisation de la technologie blockchain
Cette technologie réputée infalsifiable, utilisée par la cryptomonnaie Bitcoin, peut être adoptée par les titulaires de droits de propriété intellectuelle pour se protéger contre la contrefaçon.
Cette technologie intéresse tout particulièrement les acteurs du secteur du luxe mais pas exclusivement : elle pourrait s’appliquer aux produits culturels, technologiques ou autres.
Lors de l’achat d’un objet original, un QR code est émis et permet de produire un certificat d’authenticité numérique inscrit dans la blockchain. Il est ainsi possible à tout moment de vérifier si et de prouver que l’objet est authentique. Il peut également contenir l’historique des réparations autorisées et des reventes à d’autres propriétaires de l’objet et de son certificat. Les titulaires des marques peuvent également suivre, de façon anonymisée quant à leurs propriétaires, la vie de l’objet.
La blockchain peut également être utilisée, à la place des enveloppes Soleau, pour prouver une date de création et protéger un actif de propriété intellectuelle non enregistré, comme une œuvre d’art ou une œuvre littéraire, y compris aux différentes étapes de sa création, ce qui intéressera en particulier les producteurs audiovisuels. La date certaine enregistrée par l’inscription dans la blockchain peut en outre être réalisée par huissier, ce qui peut à terme renforcer le caractère probant vis-à-vis de juges pas nécessairement sensibilisés au fonctionnement de la blockchain.
Parmi les autres utilisations possibles, la victime d’actes de contrefaçon peut inscrire dans la blockchain des captures d’écran des actes contrefaisants et le code source des pages concernées. Néanmoins, pour les juges français, à ce stade, le constat d’huissier sur Internet semble le mode de preuve à privilégier.
Le constat d’huissier sur Internet
En matière de contrefaçon, la preuve est libre, ce qui veut dire que les titulaires de droits de propriété intellectuelle peuvent, par exemple, tenter de prouver la contrefaçon en produisant des captures d’écran du site contrefaisant.
Rappelons en outre que les tribunaux accordent de plus en plus de valeur aux pages archivées sur le site web.archive.org et que la date figurant sur ces pages archivées est considérée comme plus probante qu’une datation résultant d’un archivage personnel. Voir notre TAoMA news du 8 novembre 2019.
Mais ce type de document est bien sûr moins probant que des preuves établies par constat d’huissier.
Les huissiers de justice peuvent réaliser, depuis leur domicile ou leur étude, des constats sur Internet, en donnant ainsi une date certaine à la présence en ligne d’actes contrefaisants et en adoptant des techniques permettant d’écarter les doutes qui affectent l’enregistrement « artisanal » de pages web qu’effectuerait un titulaire de droit de propriété intellectuelle.
Le rôle de TAoMA est de travailler de concert avec l’huissier, afin que le constat réalisé réunisse l’ensemble des informations nécessaires pour apporter la preuve de la contrefaçon de manière efficace et exploitable.
Ces constats pourront, bien sûr, être utilisés dans un contentieux judiciaire futur ; mais ils sont également utiles pour mettre en œuvre certaines des actions disponibles en-dehors de toute procédure judiciaire.
LES ACTIONS DISPONIBLES
La récupération de noms de domaine contrefaisants
Les titulaires de marques constatent souvent qu’un tiers a inclus une de leurs marques au sein même d’un nom de domaine, de façon identique ou similaire (par exemple « channel-parfums.com »). Ce type d’atteinte aux droits de marque, appelé « cybersquatting », se multiplie en ce moment.
Plutôt que de requérir d’un juge qu’il ordonner le blocage du site, le titulaire peut choisir de demander la récupération du nom de domaine. Des demandes de récupération peuvent être adressées notamment :
Auprès de l’office mondial de la propriété intellectuelle (OMPI) pour les domaines en .com, .net et .org :
C’est la procédure « UDRP » (Uniform Domain-name Dispute-Resolution Policy)
Et auprès de l’Association française pour le nommage Internet en coopération (Afnic) :
C’est la procédure « Syreli »
En cas de succès, le nom de domaine litigieux pourra être supprimé ou transféré au requérant.
Le centre d’arbitrage de l’OMPI a annoncé être en état de traiter les demandes de récupération, même si l’on peut anticiper des délais accrus, la procédure habituelle prenant trois mois. L’Afnic a également informé qu’elle poursuivait son activité avec un délai de procédure inchangé de deux mois.
L’avantage majeur de ces procédures est que leur coût est très limité et qu’elles se déroulent en ligne. En cette période de confinement, les deux organismes ont en plus décidé d’autoriser l’envoi de notifications par les parties par voie électronique alors que la voie postale est exigée, en temps normal.
Dans certains cas, en fonction des faits, une alternative à ces procédures de récupération peut être trouvée dans la notification LCEN (voir plus bas).
Le signalement à l’EUIPO
L’Office de l’Union européenne pour la Propriété intellectuelle (EUIPO) a mis en place un outil destiné en particulier à signaler la contrefaçon touchant les objets essentiels de lutte contre le coronavirus (masques, médicaments, matériel médical…). Certains de ces produits médicaux reproduisent sans autorisation des marques appartenant à des titulaires n’ayant parfois rien à voir avec le secteur de la santé. Ainsi, un contrefacteur a utilisé une marque de Disney (« Frozen II ») et violé son droit d’auteur en proposant à la vente des masques de protection pour enfants « Reine des Neiges » qui ne respectent évidemment pas les normes de sécurité et mettent en danger les populations, en plus de nuire aux titulaires de droits.
L’outil lancé par l’EUIPO s’appelle IP Enforcement Portal (Portail de mise en œuvre des droits de propriété intellectuelle). Les titulaires de droits peuvent y échanger des informations sur l’étendue de leurs droits et sur les distributeurs autorisés, téléverser des photographies de produits authentiques et signaler les produits contrefaisants. La plateforme est gratuite et rend possible la mise en relation les titulaires de droits avec les autorités de poursuite dans chacun des pays de l’Union, ce qui permet, par exemple, à un titulaire français de signaler une contrefaçon à un magistrat bulgare ou suédois lorsque la contrefaçon en ligne ne s’adresse qu’aux internautes de ces pays.
Dans ce type de situation comportant un péril sanitaire, il n’est pas douteux que les autorités publiques mettent sans tarder en œuvre des mesures de protection des populations et donc, indirectement, de protection des droits des titulaires.
Mais même en-dehors de ces cas, il reste possible d’agir sans attendre. Deux mesures rapides et efficaces sont disponibles pour les titulaires de droit : la lettre de mise en demeure et la notification LCEN. Ces mesures visent à obtenir rapidement le retrait des pages contenant l’offre à la vente de produits ou de services contrefaisants. Un tel retrait n’empêche aucunement de réclamer des dommages-intérêts par la suite, une fois l’activité judiciaire rétablie.
Le signalement sur les réseaux sociaux
Les réseaux sociaux, mais aussi les grandes plates-formes de vente en ligne (Facebook, Amazon, Instagram, Twitter, LinkedIn, YouTube, etc.) prévoient en général leurs propres procédures de signalement de contenus litigieux (contrefaisants, diffamant, ou illégaux d’une manière générale).
Une infraction particulière aux réseaux sociaux est celle du « username squatting » ou des « faux comptes », soit l’utilisation d’une marque comme pseudo, par un tiers (par exemple, l’existence d’une page Facebook au nom d’une marque mais détenue par un fan ou par une personne moins bien intentionnée).
Pour résoudre ce problème, ou tout autre difficulté liée à la présence d’un contenu illicite, le titulaire est invité à fournir des informations dans des formulaires en ligne et de joindre des pièces justificatives qui dépendent à chaque fois du type d’atteinte repérée.
Par exemple, il est possible de signaler une atteinte à un droit de propriété intellectuelle sur YouTube sur cette page, une atteinte à un droit d’auteur sur LinkedIn sur celle-ci ou encore une usurpation d’identité sur Facebook à cette adresse. LinkedIn et Facebook permettent également, ainsi que d’autres réseaux, d’accéder à un formulaire de signalement via des boutons de commandes accompagnant chaque post.
L’avantage considérable de ces procédures internes est qu’elles sont rapides, gratuites et qu’elles peuvent permettre d’obtenir facilement des retraits de contenus au niveau mondial. Mais l’inconvénient est que l’appréciation de la légitimité de la notification est laissée entièrement à l’appréciation des réseaux sociaux, voire de robots aux raisonnements automatisés et parfois peu pertinents, comme par exemple Content ID, un robot qui repère les vidéos contrefaisants sur YouTube et dont le fonctionnement est décrié.
En cas d’échec, il reste toutefois possible d’utiliser les étapes de la lettre de mise en demeure et de la notification LCEN.
La lettre de mise en demeure
Il est d’usage, lorsqu’un titulaire de droits constate qu’un tiers fait usage de sa marque sans autorisation, plagie ses droits d’auteur ou imite le modèle d’un produit qu’il commercialise, d’envoyer avant toute procédure contentieuse une lettre d’avocat ayant pour objet de le mettre en demeure de cesser les actes contrefaisants, de retirer les produits de la vente, de modifier sa marque, etc. Au-delà de la rédaction de la lettre, le regard de l’avocat est essentiel, notamment pour deux raisons : pour évaluer la réalité de la contrefaçon et pour vérifier si la prescription n’est pas acquise (ce qui n’empêcherait pas d’envoyer la lettre mais diminuerait la position de force du titulaire de droits).
La lettre de mise en demeure peut tout à fait être envoyée en période de confinement. Tout d’abord, elle peut toujours être envoyée en recommandé avec accusé de réception dans la mesure où les services postaux fonctionnent toujours. De plus, La Poste propose un service d’envoi de lettres recommandées en ligne qui permet d’éviter à l’expéditeur de se déplacer au bureau de poste pour l’affranchir et l’envoyer. En pratique, l’expéditeur paye en ligne après avoir saisi les informations d’expédition et téléversé le courrier au format PDF. L’inconvénient est donc que le courrier n’est pas remis sous pli fermé à La Poste, mais cette dernière et ses employés sont tenus au secret des correspondances électroniques prévu par la loi. Le recours à un tel service n’est exclu ou fortement déconseillé que si le contenu de la lettre est particulièrement confidentiel ou bien si le courrier lui-même est confidentiel par application de la loi (comme un courrier couvert par le secret médical ou par le secret des avocats – ce qui n’est pas le cas pour une lettre envoyée par un avocat à la partie adverse).
Ensuite, en pratique, la lettre recommandée est doublée d’un envoi en lettre simple et par e-mail quand l’adresse e-mail est connue. Cela permet de s’assurer que le destinataire puisse prendre connaissance rapidement du document sans avoir à aller le retirer à La Poste.
Enfin, cette lettre, qui suffit parfois à obtenir le retrait des contrefaçons ou à voir satisfaites les autres demandes formulées, peut, en cas d’échec, être réutilisée dans le cadre d’une notification LCEN. Cette notification est aussi utile quand l’on ne dispose d’aucune information pour contacter le contrefacteur.
La notification LCEN
La notification LCEN tire son nom de la Loi pour la Confiance dans l’Economie Numérique du 21 juin 2004. Cette loi prévoit les formes dans lesquelles une personne qui estime que ses droits sont enfreints sur un site Internet peut obtenir la suppression du contenu illicite par l’hébergeur et non seulement par l’auteur du contenu.
Ce contenu peut être de diverses natures plus ou moins graves : divulgation de données personnelles, pédopornographie, apologie de crime contre l’humanité, propos injurieux ou diffamants, photographies volées (revenge porn), contrefaçon (texte, photographie, musique, film, marque, dessins et modèles, etc.). Il doit être manifestement illicite : la contrefaçon doit être flagrante et indiscutable. Ce caractère manifestement illicite est apprécié par l’avocat et l’envoi d’une notification LCEN alors que le caractère illicite est discutable ou improbable peut engager la responsabilité de l’auteur de la notification.
En pratique, le titulaire ou son avocat doit envoyer un premier courrier au contrefacteur (la lettre de mise en demeure peut ainsi être réutilisée, mais un simple e-mail suffit).
Cette notification est un courrier envoyé dans les mêmes conditions qu’une lettre de mise en demeure classique : c’est un courrier en recommandé avec accusé de réception doublé par une lettre simple et, quand c’est possible, par un e-mail.
Si l’étape de la lettre de mise en demeure a échoué, parce qu’il a été impossible de contacter directement l’auteur de la contrefaçon en l’absence d’informations ou parce que l’auteur de la contrefaçon n’a pas donné suite au courrier, il convient alors d’envoyer la notification LCEN à l’hébergeur du site, quand il s’agit d’une personne distincte de celle du contrefacteur. Son contact est censé figurer dans les mentions légales.
En l’absence, fautive, de ces mentions, certains sites permettent de rechercher qui est l’hébergeur d’un site Internet.
Voici quelques exemples pour y voir plus clair :
Le contenu d’une notification LCEN est encadré par la loi. Il conviendra, entre autres, d’y mentionner ou d’y adjoindre les éléments suivants :
Une copie de la pièce d’identité du titulaire des droits (un extrait K-Bis dans le cas d’une personne morale)
Un extrait K-Bis de l’hébergeur
La preuve que l’auteur de la notification (ou le client de l’avocat auteur de la notification) est bien titulaire des droits : par exemple, le certificat d’enregistrement de la marque ou une version numérique du livre dont est tiré un passage reproduit sans autorisation
Le fondement juridique qui permet au titulaire des droits de demander le retrait des pages web contrefaisantes : il s’agira des textes du code de la propriété intellectuelle et/ou de règlements européens conférant des droits aux auteurs et aux déposants de titres de propriété industrielle, ainsi que de l’article 6 de la LCEN
L’identification de la matérialité de la contrefaçon incluant l’adresse URL : le constat d’huissier sur Internet est la preuve la plus recommandée
La copie du courrier envoyé au contrefacteur ou la justification de l’impossibilité de le contacter
Etc.
=> Pourquoi une notification LCEN est-elle souvent efficace ?
Parce que l’absence de réaction rapide de la part de l’hébergeur engage sa responsabilité (y compris pénale, la contrefaçon étant un délit) et que les hébergeurs peuvent donc être assignés en justice ou faire l’objet de plaintes pénales même sans que le titulaire de droits n’ait à se préoccuper du contrefacteur lui-même. La totalité des condamnations pourrait donc être supportée par l’hébergeur.
Cet effet dissuasif est recherché par la loi en raison même du fait qu’il est facile, sur Internet, de dissimuler son identité et d’échapper aux poursuites. La LCEN a donc pour mission essentielle d’éviter qu’Internet soit une zone de non-droit, et ce même en période de confinement.
=> Quid quand le site est situé à l’étranger ?
Tout d’abord, un site « situé » à l’étranger, par exemple un site en .br ou en .cn, peut être soumis à la loi française et donc à la LCEN lorsqu’il s’adresse au public français. Cela peut être le cas, par exemple, s’il offre la livraison vers la France, s’il propose une version française de son interface ou encore si ses prix sont libellés en euros.
Dans ce cas, l’obtention de la suppression des produits ou des offres de services contrefaisants sera bien sûr plus difficile à obtenir mais n’est pas impossible. Ainsi, la notification LCEN adressée à l’hébergeur étranger peut préciser que le juge français pourrait ordonner la coupure de l’accès au site depuis la France, par l’intermédiaire des fournisseurs d’accès (FAI). Mais bien sûr, cette solution ne peut passer que par une décision de justice définitive et on doit se contenter de souhaiter que cette menace sera dissuasive, au stade de la notification LCEN.
De plus, si une marque est reprise dans un nom de domaine situé à l’étranger, la procédure de récupération UDRP est tout indiquée.
Enfin, une solution de pis-aller consister à effectuer un signalement aux moteurs de recherche référençant la page web contrefaisante. La loi américaine (le « DMCA ») oblige Google à supprimer de ses résultats de recherche des pages violant les règles de protection du copyright. Il est donc possible d’agir même lorsque la loi française n’est pas applicable.
Anne MESSAS
Avocate à la cour, Associée
Jérémie LEROY-RINGUET
Avocat à la Cour
07
avril
2020
Impact de la déchéance pour non-usage sur une action en contrefaçon de la marque déchue
Author:
teamtaomanews
La marque semi-figurative SAINT GERMAIN a été enregistrée en France le 12 mai 2006 par la société AR pour désigner des boissons alcooliques, des cidres, des digestifs, des vins et des spiritueux. De son côté, la société la Cooper International Spirits distribuait, sous la dénomination « St-Germain », une liqueur fabriquée par la société St Dalfour et par les Etablissements Gabriel Boudier.
Le 8 juin 2012, la société AR a assigné ces trois sociétés en contrefaçon de marque devant le Tribunal de grande instance de Paris. Toutefois, dans une instance parallèle, le TGI de Nanterre a prononcé la déchéance de la marque semi-figurative SAINT GERMAIN de la société AR pour défaut d’usage, avec prise d’effet au 13 mai 2011, premier jour suivant la période de grâce. La titulaire déchue a néanmoins maintenu son action en contrefaçon pour les actes situés lors de la période antérieure à la déchéance, soit entre le 8 juin 2009 et le 13 mai 2011, période au cours de laquelle la marque n’était pas encore soumise à obligation d’usage.
L’ensemble de ses demandes a été rejeté par le Tribunal de grande instance de Paris en 2015 ; le jugement a été confirmé par la Cour d’appel de Paris le 13 septembre 2016. Cette dernière a en effet estimé que la société AR ne pouvait se prévaloir d’une atteinte portée à la marque SAINT GERMAIN, par un signe identique concurrent, alors même qu’elle ne présentait pas d’éléments probants permettant de témoigner d’une exploitation effective de ladite marque. Les juges du fond semblent donc avoir subordonné la potentielle condamnation pour contrefaçon à la preuve, ici manquante, que son titulaire l’exploitait, quand bien même la période quinquennale pour commencer l’usage de la marque courait encore.
Saisie d’un pourvoi, la Cour de cassation a décidé de surseoir à statuer et d’interroger à titre préjudiciel la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). En substance, la question préjudicielle posée était de savoir si le titulaire d’une marque entretemps déchue en raison du défaut d’usage sérieux de celle-ci conserve toutefois le droit de réclamer l’indemnisation du préjudice subi en raison de l’usage par un tiers – antérieurement à la date d’effet de la déchéance – d’un signe similaire créant une confusion avec sa marque.
L’indemnisation possible des préjudices antérieurs à la date d’effet de la déchéance pour non-usage
La Cour rappelle tout d’abord que, selon sa propre jurisprudence, le titulaire d’une marque non encore soumise à usage sérieux – donc avant la fin de la période quinquennale suivant son enregistrement – peut très bien agir en contrefaçon sur la base des produits et services désignés, sans avoir à prouver qu’il fait usage de sa marque (CJUE, 21 décembre 2016, Länsförsäkringar, C-654/15).
Or la situation est différente en l’espèce. La difficulté se situe précisément sur la portée des droits du titulaire sur la marque à l’expiration du délai de grâce, alors même que la déchéance a déjà été prononcée. En somme, une telle déchéance peut-elle avoir des incidences sur la possibilité du titulaire de se prévaloir, après l’expiration du délai de grâce, des atteintes portées à sa marque au cours de cette période ?
La CJUE répond par la positive, jugeant que les Etats membres ont « la faculté de permettre que le titulaire d’une marque déchu de ses droits à l’expiration du délai de cinq ans à compter de son enregistrement pour ne pas avoir fait de cette marque un usage sérieux dans l’État membre concerné pour les produits ou les services pour lesquels elle avait été enregistrée conserve le droit de réclamer l’indemnisation du préjudice subi en raison de l’usage, par un tiers, antérieurement à la date d’effet de la déchéance, d’un signe similaire pour des produits ou des services identiques ou similaires prêtant à confusion avec sa marque ».
En effet, elle rappelle que la directive 2008/95 avait laissé aux Etats membres la faculté de déterminer l’étendue des effets de la déchéance d’une marque et que le législateur français avait fait le choix de faire produire ces effets à compter de l’expiration du délai de grâce et non antérieurement à ce délai. La France n’a donc pas fait le choix de permettre au contrefacteur allégué de soulever l’exception de l’absence d’usage au cours de la période de grâce pour s’exonérer des actes de contrefaçon.
Aussi, le titulaire d’une marque déchu de ses droits pour défaut d’usage sérieux conserve le droit de réclamer l’indemnisation du préjudice subi en raison de l’usage, par un tiers, antérieurement à la date d’effet de la déchéance, d’un signe similaire créant un risque de confusion avec sa marque.
La prise en compte du défaut d’usage en période de grâce dans le calcul de l’indemnisation
La CJUE précise ensuite la portée de sa propre décision, en spécifiant que le défaut d’usage au cours de la période de grâce est tout de même un « élément important à prendre en compte pour déterminer l’existence et, le cas échéant, l’étendue du préjudice subi par le titulaire et, partant, le montant des dommages et intérêts que celui-ci peut éventuellement réclamer ».
Ainsi, le préjudice subi par le titulaire d’une marque qui ne l’utilise pas se résume à l’atteinte au droit de propriété et exclut l’indemnisation de gains manqués et de profits réalisés indûment. Le préjudice moral est tout aussi relatif.
Une telle prise en compte de l’absence d’usage prive le titulaire déchu de ses dernières munitions. Si le droit français lui permet de faire valoir sa marque pour les faits antérieurs à la date d’effet de la déchéance, il serait en effet malvenu que cela lui permette de réclamer d’importants dommages-intérêts. Cela reviendrait en effet à légitimer la pratique des « trademark trolls », ces titulaires de marques qui n’exploitent pas leurs portefeuilles et les utilisent uniquement pour soutirer de l’argent à des tiers souhaitant les utiliser, via des contrats de licence ou des actions en contrefaçon.
La précision de la CJUE est donc un tempérament important destiné à sanctionner de telles pratiques et à limiter l’effet de l’interprétation du droit de l’Union qu’elle a été invitée à faire : le titulaire d’une marque déchue peut demander réparation d’actes contrefaisant sa marque avant la date de prise d’effet de la déchéance mais, s’il ne l’exploitait pas, son indemnisation s’en trouvera limitée.
Synthia TIENTCHEU TCHEUKO
Élève-avocate
Jérémie LEROY-RINGUET
Avocat à la Cour
Référence et date : Cour de justice de l’Union européenne, 26 mars 2020, affaire C‑622/18
Lire la décision sur Curia
06
novembre
2019
Revente de jeux vidéo dématérialisés sur Steam : une question loin d’être épuisée
Author:
teamtaomanews
Steam est la plus grande plateforme de distribution en ligne de contenus numériques, et notamment de jeux vidéo. Le 17 septembre 2019, le TGI de Paris a notamment considéré que la société américaine Valve, propriétaire de cette plateforme, n’avait pas respecté la loi en interdisant à ses utilisateurs de pouvoir revendre leurs jeux téléchargés, comme ils peuvent le faire au format physique.
L’association de consommateurs UFC-Que Choisir incriminait notamment la clause 1.C de l’accord de souscription Steam, selon laquelle aucun des utilisateurs de Steam « n’est autorisé à vendre ou facturer le droit d’utiliser des Souscriptions », c’est-à-dire du contenu hébergé sur la plateforme.
La décision du TGI de Paris est motivée par le principe de l’épuisement du droit de distribution consacré en droit de l’Union par la directive 2001/29/CE (sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information) et la directive 2009/24/CE (sur la protection juridique des programmes d’ordinateur), et en droit national par les articles L. 122-3-1 et L. 122-6, 3° du Code de la propriété intellectuelle (CPI).
Selon Valve, la règle de l’épuisement n’a pas vocation à s’appliquer aux œuvres dématérialisées mais aux seuls objets tangibles supports de l’œuvre mis en circulation par le titulaire de droit ou avec son accord, faisant valoir que l’article 4(2) de la directive 2001/29/CE renvoie au seul support physique de l’œuvre.
Cependant, pour le Tribunal, il ressort des textes précités et de la jurisprudence de la CJUE (arrêt du 3 juillet 2012, C-128/11, UsedSoft GmbH c/ Oracle International Corp.) qu’il importe peu que l’œuvre soit ou non incorporée dans un support matériel, qu’elle ait été transférée par une vente ou une autre modalité que la vente : l’épuisement du droit de distribution s’applique quel que soit le mode de distribution du jeu vidéo, comme celle consistant en la mise sur le marché par téléchargement.
En conséquence, le titulaire du droit en cause ne peut plus s’opposer à la revente de cette copie ou exemplaire même si l’achat initial est réalisé par voie de téléchargement. Et l’éditeur du logiciel ou ses ayants-droit ne peuvent plus s’opposer à la revente de cette copie ou exemplaire même si l’achat initial est réalisé par voie de téléchargement, nonobstant l’existence de dispositions contractuelles interdisant une cession ultérieure.
D’où il suit que le principe de l’épuisement, invoqué par l’UFC-Que Choisir à l’appui de sa demande au regard desdits textes, s’applique à la fourniture de contenus numériques dématérialisés telle que la fourniture de jeux vidéo en ligne, lesquels sont accessibles à distance via Internet et téléchargés sur l’ordinateur de celui qui l’utilise.
Sur son site, l’UFC-Que Choisir a déclaré qu’elle comptait faire respecter cette décision et l’élargir à d’autres plateformes. De son côté, Valve a annoncé faire appel de ce jugement. Avec un marché français des jeux dématérialisés estimé à plus d’1,8 milliard d’euros en 2018, l’enjeu est de taille : Round 2… Fight !
Alexis Valot
Juriste
Anne Messas
Avocate à la cour, associée
Lien vers la décision
25
juillet
2019
Braquage réussi de La Casa de Papel devant l’Inpi !
Author:
teamtaomanews
La série La Casa de Papel de Netflix qui raconte le braquage de la fabrique nationale de la monnaie et du timbre espagnole a connu un succès mondial, à tel point qu’elle est devenue la fiction non anglophone la plus regardée de l’histoire de Netflix.
Toutefois, Netflix n’avait pas encore déposé le nom de la série quand un tiers a déposé la marque française LA CASA DE PAPEL, en classes 16, 18 et 25.
Netflix Studios LLC a immédiatement mis en œuvre un plan d’action : une opposition à l’encontre de la demande de marque LA CASA DE PAPEL en invoquant l’article 6 bis de la Convention de Paris, qui protège les marques notoires non déposées, tel que, selon Netflix, le signe LA CASA DE PAPEL pour les produits et services « enregistrements vidéos, comprenant des oeuvres fictionnelles, téléchargeables ou disponibles sur des supports numériques ; des émissions télévisées téléchargeables ou disponibles sur des supports numériques ; services de divertissement sous forme de séries télévisées ».
A l’occasion de la sortie de la saison 3 de la série, l’équipe TAoMA News vous parle de la décision d’opposition rendue par l’INPI le 22 janvier dernier.
Dans les cas les plus fréquents, une procédure d’opposition permet au titulaire d’une marque déposée ou enregistrée de s’opposer à l’enregistrement d’une demande de marque qui pourrait lui porter atteinte. Mais une telle procédure peut être également formée sur la base d’autres droits tels qu’une indication géographique protégeant des produits industriels et artisanaux, le nom, l’image ou la renommée d’une collectivité territoriale, une AOC, une AOP ou une indication géographique régie par le code rural et de la pêche et une marque notoire non déposée.
C’est sur ce dernier fondement que Netflix Studios LLC a déposé une opposition à l’encontre de la demande de marque LA CASA DE PAPEL, en s’appuyant sur un solide dossier de presse qualifiant la série de « succès retentissant », « phénomène mondial », « pépite » ou encore série « culte », pour invoquer avec succès l’existence, la notoriété et la titularité de sa marque non déposée LA CASA DE PAPEL.
La partie adverse a tenté de se défendre en se basant sur le nombre « négligeable » de personnes qui ont un abonnement Netflix en France et en indiquant que la série est trop récente pour pouvoir démontrer une notoriété.
Mais l’INPI rejette ces arguments reconnaissant ainsi que Tokyo, Nairobi, Rio et le Professeur ont bel et bien conquis le cœur du public (et de l’INPI?), malgré un récent lancement en France en 2017.
A cette occasion, l’INPI nous fait également part d’une comparaison des produits intéressante.
En effet, sans renier le principe de spécialité, selon lequel une marque n’est protégée que pour les produits et services qu’elle désigne, et bien que la notoriété de la marque LA CASA DE PAPEL n’a été démontrée par Netflix que pour des « enregistrements vidéos, comprenant des œuvres fictionnelles, téléchargeables ou disponibles sur des supports numériques ; des émissions télévisées téléchargeables ou disponibles sur des supports numériques ; services de divertissement sous forme de séries télévisées », l’INPI reconnait une pratique courante des sociétés de production de divertissement consistant à commercialiser des produits dérivés ou conclure des partenariats officiels pour les produits :
« articles de papeterie ; affiches ; vêtements, chaussures ; fourrures (vêtements) ; chaussures de ski ; sous-vêtements ; photographies ; adhésifs (matières collantes) pour la papeterie ou le ménage ; matériels pour artistes ; pinceaux ; articles de bureaux (à l’exception des meubles) ; matériel d ’instruction ou d ’enseignement (à l ’exception des appareils) ; papier ; carton ; boites en papier ou en carton ; cartes ; livres ; journaux ; calendriers ; instruments d’écriture ; objets d’art gravés ; objets d’art lithographiés ; instruments de dessins ; mouchoirs de poche en papier ; serviettes de toilette en papier ; linge de table en papier ; sacs (enveloppes, pochettes) en papier ou en matière plastique pour l’emballage ; sacs à ordures en papier ou en matières plastiques ; malles et valises ; parapluies et parasols ; fouets ; sellerie ; portefeuilles ; porte-monnaie ; porte-cartes de crédit [portefeuilles) ; coffrets destinés à contenir des articles de toilette dits « vanity cases » ; colliers pour animaux ; habits pour animaux… »
De ce fait, ces produits désignés par la demande de marque contestée peuvent se voir attribuer la même origine que les produits et services de la marque notoire LA CASA DE PAPEL de Netflix.
L’INPI rejette donc partiellement la demande de marque contestée LA CASA DE PAPEL, ne laissant que pour seul butin à la partie adverse les produits suivants: « articles pour reliures ; caractères d’imprimerie ; prospectus ; brochures ; patrons pour la couture ; dessins ; papier hygiénique ; cuir ; peaux d’animaux ; cannes ».
Cette décision favorable dans le cadre d’une opposition sur la base d’une marque notoire non enregistrée est rare et nous montre que ce fondement peut être utilisé, sous réserve de déposer des preuves solides.
Entre-temps, plusieurs marques européennes LA CASA DE PAPEL ont été déposées et enregistrées au nom de Netflix Studios LLC.
Les contrefacteurs n’ont qu’à bien se tenir, Netflix résiste !
22
octobre
2018
Nouveau conflit entre un créateur de mode et la société titulaire de la marque reprenant son nom : la Cour de cassation se penche, entre autres, sur la validité de la cession consentie, sans terme, sur un nom patronymique
Cette affaire n’est pas la première à illustrer le véritable business engendré par les noms de designers de mode (on se souvient notamment de la « saga Ines de la Fressange », à l’issue de laquelle l’ancienne mannequin avait perdu ses droits sur sa marque éponyme).
Dans un long arrêt, la Cour de cassation vient à nouveau de statuer sur cette problématique, ce qui lui donne l’occasion de traiter de sujets classiques en droit des marques, mais également de se pencher sur cette pratique spécifique au milieu de la mode, qui consiste à céder son nom à une société chargée d’en assurer l’exploitation.
En 2011, Christian Lacroix signe pour une maison de décoration une collection de meubles et luminaires, commercialisée sous la dénomination « Designed by Mr Christian Lacroix ». La société CHRISTIAN LACROIX (avec laquelle le couturier ne collabore plus depuis 2009, mais avec laquelle il avait signé en 1987 un contrat l’autorisant à utiliser son nom), titulaire d’une marque française et d’une marque européenne éponymes pour désigner notamment des tissus et revêtements pour la maison, adresse à la maison de décoration une mise en demeure de cesser toute communication sous cette expression.
Face au refus de cette dernière, elle entreprend de déposer une nouvelle marque européenne « Christian Lacroix » pour désigner plus spécifiquement des lampes (classe 11), des meubles (classe 20), et des bougies (classe 4) et l’assigne en contrefaçon de ses marques et atteinte à leur renommée. La maison de décoration et Monsieur Lacroix soulèvent en défense la nullité des marques européennes, la plus ancienne du fait de la nullité de l’accord portant sur l’utilisation du nom de Monsieur Christian Lacroix et la plus récente pour dépôt frauduleux, ainsi que l’absence de contrefaçon de la marque française pour dissemblance entre les produits vendus sous cette dernière et ceux commercialisés dans la collection « Designed by Mr Christian Lacroix », arguments accueillis favorablement par la Cour d’appel de Paris. La société CHRISTIAN LACROIX se pourvoit alors en cassation.
Sur le dépôt frauduleux
Concernant le dépôt frauduleux de la marque européenne de 2011, la société CHRISTIAN LACROIX estime que les facteurs pertinents au cas d’espèce sont censés démontrer sa bonne foi : elle considère notamment que ce dépôt avait pour objet de protéger un de ses licenciés, à qui elle avait concédé en 2009 le droit d’utiliser le signe « Christian Lacroix » pour des produits d’ameublement. Mais la Cour ne suit pas ce raisonnement et juge que la production de ce contrat de licence, qui ne concerne d’ailleurs que des papiers muraux, coussins et couvertures, ne suffit pas à démontrer sa bonne foi, ni à expliquer sa carence depuis 2009 à obtenir un titre protégeant les produits réalisés par son licencié. C’est pourquoi elle estime que le dépôt en classe 20 de la marque a bien été effectué, non pas pour distinguer les produits en identifiant leur origine, mais pour permettre à la société de l’opposer dans le cadre de l’action en contrefaçon introduite contre la maison de décoration. En revanche, la Cour décide que la cour d’appel n’a pas précisé en quoi le dépôt a été fait de mauvaise foi concernant les classes 4 et 11.
Sur la contrefaçon
Concernant l’absence de contrefaçon de la marque française déposée en 1987, la Cour valide, sans grande surprise, l’interprétation de la cour d’appel qui avait analysé les produits protégés (tissus et tissus pour la maison) comme étant différents des lampes et meubles vendus par la maison de couture. Quant à la renommée de ladite marque, la Cour relève qu’elle doit s’apprécier à la date d’exploitation du signe litigieux, à savoir 2011, soit 2 ans après la cessation des activités de haute couture de la société CHRISTIAN LACROIX, qui n’avait pas conservé aux yeux du public une renommée lui permettant de bénéficier de la protection élargie de telles marques.
Sur la nullité
Enfin, la première marque européenne (déposée en 2008 par la société) avait été annulée au motif que le contrat de 1987, en ce qu’il ne comportait aucun terme et se heurtait en conséquence à la prohibition des engagements perpétuels, était nul, ce qui rendait Monsieur Lacroix légitime à faire grief à la société CHRISTIAN LACROIX d’avoir déposé la marque litigieuse sans son consentement. Néanmoins, la Cour de cassation estime qu’il ne s’agissait pas d’un engagement perpétuel, mais d’un engagement à exécution successive, qui n’était donc pas nul, mais simplement résiliable unilatéralement.
En conséquence, la cour d’appel de Paris, qui devra à nouveau statuer sur le litige au fond, devra cette fois-ci prendre en compte la marque européenne déposée en 2008 par la société CHRISTIAN LACROIX (pour protéger des produits en cuir, vêtements et divers revêtements pour la maison –tapis, papiers peints, etc.) et, à moins qu’elle ne justifie en quoi ce dépôt aurait également été frauduleux, la marque déposée en 2011 (pour protéger des bougies et des lampes). Cela permettra lui permettra-t-elle de conclure à la contrefaçon par le couturier et son partenaire commercial ? Affaire à suivre…
Référence et date : Cour de cassation, chambre commerciale, 8 février 2017, n°14-28.232 (société CHRISTIAN LACROIX c. SICIS)
Lire l’arrêt sur Legifrance