19
mars
2024
Packaging alimentaire et droit d’auteur : le Tribunal n’est pas emballé
Author:
TAoMA
Le 8 février 2024, le Tribunal judiciaire de Paris a rejeté l’action intentée par la société Aphinitea Corporation, sur les fondements de la contrefaçon de droit d’auteur et de la concurrence déloyale, contre la société First FFC en raison de la reproduction d’un modèle d’emballage alimentaire baptisé « Magnolia ».1
Un emballage alimentaire peut constituer une œuvre protégée par le droit d’auteur, sous réserve d’en démontrer l’originalité.
Tout d’abord, le tribunal rappelle à juste titre que la protection conférée par le droit d’auteur peut s’appliquer aux œuvres des arts appliqués à l’industrie, ce qui peut inclure des emballages alimentaires.
Cette reconnaissance de principe n’est pas nouvelle et a notamment été réitérée par la Cour d’appel de Rennes, le 5 décembre 2023. A cette occasion, la cour a confirmé la protection par le droit d’auteur d’un emballage de sel sous forme de pot transparent en prenant en considération l’ensemble des éléments constituant son identité visuelle, et notamment sa charte graphique spécifique composée d’une association de couleurs et d’éléments visuels.2
Dans le cadre de l’affaire « Magnolia », la société demanderesse a listé une série de caractéristiques prouvant, selon elle, l’originalité de l’emballage argué de contrefaçon, tout en se référant à une décision rendue par le même tribunal le 13 août 2021 ayant reconnu cette originalité.
La partie défenderesse a pour sa part exposé l’existence sur le marché de nombreux modèles similaires à l’emballage « Magnolia », lesquels s’inscrivent dans la continuité de l’art de l’origami et plus particulièrement du « tato » japonais (petite enveloppe en papier confectionnée en origami).
Tout en rappelant que l’antériorité n’est pas un critère retenu pour apprécier l’originalité d’une œuvre, le tribunal a toutefois considéré qu’en l’espèce, cette antériorité rendait impossible la démonstration de l’empreinte de la personnalité de l’auteur de l’emballage « Magnolia », lequel est donc dépourvu d’originalité.
En motivant sa décision de la sorte, le tribunal semble faire référence à la notion de « fonds commun de l’art », non protégé par le droit d’auteur, et considérer que l’emballage « Magnolia » n’est qu’une simple illustration de l’art ancestral de l’origami sans originalité propre.
Cette solution aurait pu être différente si l’emballage argué de contrefaçon avait présenté, comme dans l’affaire jugée par la Cour d’appel de Rennes, des éléments graphiques spécifiques en plus de sa seule forme.
Pour rejeter les demandes de la société Aphinitea Corporation fondées sur la concurrence déloyale et le parasitisme économique, le tribunal s’appuie également sur l’existence d’un nombre important d’antériorités semblables appartenant au fonds commun des origamis et permettant d’écarter tout risque de confusion entre les sociétés concurrentes, mais également tout savoir-faire ou effort déterminé de la part de la société Aphinitea Corporation.
Ce jugement nous rappelle également que la reconnaissance, dans une décision antérieure, de l’originalité d’une œuvre ne suffit pas à ce que celle-ci soit automatiquement retenue dans le cadre d’une nouvelle procédure portant sur des faits distincts.
En l’espèce, le Tribunal judiciaire de Paris était d’autant plus légitime à reconsidérer l’originalité de l’emballage « Magnolia » dans la mesure où, dans la procédure de 2021 invoquée par la société Aphinitea Corporation, la partie défenderesse n’avait pas comparu et n’avait donc pas contesté les droits qui lui étaient opposés.
Toutefois, le principe selon lequel chaque juridiction est « tenue de se déterminer d’après les circonstances particulières du procès et non par une motivation générale faisant référence à des causes déjà jugées » constitue une règle générale reconnue par la Cour de cassation et doit donc s’appliquer quelles que soient les circonstances dans lesquelles les décisions antérieures ont été rendues.3
Quels sont les autres modes de protection envisageables pour un emballage alimentaire ?
Cette décision du Tribunal judiciaire de Paris met en lumière la difficulté de démontrer l’originalité d’une œuvre d’art appliqué lorsque celle-ci n’est constituée que d’une forme, en particulier lorsqu’elle emprunte à une pratique artistique ancestrale telle que l’origami.
Aussi, pour assurer la protection de ce type de création, les ayants-droits peuvent opter pour d’autres modes de protection.
Le fondement de la concurrence déloyale et/ou parasitaire est, comme nous avons pu l’observer dans cette décision, lui aussi incertain et nécessite la démonstration d’un risque de confusion et/ou d’un savoir-faire, d’efforts ou d’investissements particuliers qui auraient été indûment accaparés par un concurrent.
De tels critères semblent très difficiles à réunir lorsqu’il peut être opposé à celui qui les invoque l’existence de nombreuses antériorités présentes sur le marché.
L’exploitant peut également être tenté d’opter pour le dépôt d’un modèle, mais il faudra alors veiller à respecter les critères de protection que sont :
– la nécessité que les caractéristiques du modèle ne soient pas imposées exclusivement par la fonction technique du produit ;
– la nouveauté, c’est-à-dire le fait que le modèle n’ait pas été divulgué avant son dépôt ;
– le caractère propre, c’est-à-dire le fait que le modèle provoque chez l’observateur averti une impression visuelle d’ensemble différente de celle produite par tout modèle divulgué antérieurement au dépôt.
C’est ainsi qu’en 2006, la Cour d’appel de Paris a pu confirmer la validité du modèle d’emballage de jambon de la marque Herta, sans pour autant retenir les actes de contrefaçon allégués par la société exploitant cette marque.4
Dans notre cas d’espèce, faute de nouveauté et de caractère propre, l’emballage « Magnolia » ne pourrait faire l’objet d’un dépôt à titre de modèle.
Enfin, le recours à une marque tridimensionnelle pour protéger une œuvre d’art appliqué pourrait être envisagé.
La jurisprudence a tendance à rappeler qu’en matière de distinctivité « les critères d’appréciation du caractère distinctif d’un signe constitué par l’apparence du produit lui-même sont en principe les mêmes que pour toutes les autres formes de marques ».5
Pour autant offices et juridictions imposent des conditions supplémentaires afin d’apprécier le caractère distinctif de ce type de marques.
L’enregistrement d’une marque tridimensionnelle sera tout d’abord refusé si celle-ci est constituée uniquement de « la forme d’un produit présentant une ou plusieurs caractéristiques d’utilisation essentielles et inhérentes à la fonction ou aux fonctions génériques de ce produit ».6
De même, une demande de marque tridimensionnelle sera rejetée si la forme déposée est nécessaire à l’obtention d’un résultat technique, comme ce fut le cas pour le Rubik’s Cube.7
Voir nos articles à ce sujet ici et ici.
Enfin, si la forme concernée confère au produit qu’elle désigne sa valeur substantielle, c’est-à-dire qu’elle joue un rôle déterminant dans le choix du consommateur d’acquérir ledit produit, alors elle ne pourra être déposée au titre d’une marque tridimensionnelle.8
En l’espèce, on pourrait s’interroger sur la recevabilité du dépôt de l’emballage « Magnolia » sous forme de marque tridimensionnelle, étant entendu que le motif de refus qui pourrait être opposé résiderait probablement dans le fait que sa forme est nécessaire à l’obtention d’un résultat technique, bien que d’autres formes permettraient d’aboutir au même résultat.
Conclusion
Au regard de la jurisprudence actuelle, la protection d’une simple forme qui, nonobstant une possible recherche esthétique, répond avant tout à une finalité technique semble délicate.
Les droits d’auteurs, des marques et des dessins et modèles nécessitent en effet soit une originalité esthétique marquée soit, à minima, un caractère distinctif permettant au public de percevoir une forme comme une indication d’origine, et non comme la représentation habituelle des produits pour lesquels elle est déposée.
Lorsque la forme est exclusivement ou, à tout le moins, majoritairement dictée par des considérations techniques, le dépôt d’un brevet ou d’un certificat d’invention peut sembler adéquat, mais encore faut-il répondre à une exigence d’innovation technique, ce qui n’est généralement pas le cas lorsqu’une forme constitue la reprise ou la modernisation d’un savoir-faire préexistant.
Quant au parasitisme économique, celui-ci nécessite la démonstration d’efforts, d’une renommée ou d’investissements dont tirerait parti l’entité parasitaire, supposant que l’agent économique concerné devra démontrer plus qu’une simple reprise à son compte d’un savoir-faire existant pour invoquer un tel moyen en défense de ses intérêts.
Une telle réticence des offices et des juridictions à accorder une protection aux formes fonctionnelles, dénuées d’éléments graphiques venant les habiller et ne représentant pas une innovation technique particulière, se comprend aisément au regard du principe de liberté du commerce et de l’industrie, lequel s’oppose à une privatisation des outils de production et de commerce les plus basiques afin de préserver une concurrence la plus libre possible.
Robin Antoniotti
Avocat
(1) Tribunal Judiciaire de Paris, 3e chambre 1re section, 8 février 2024, n° 22/02992
(2) Cour d’appel de Rennes, 1ère Chambre, 5 décembre 2023, n° 21/01537
(3) Cour de cassation, Chambre commerciale, 8 juillet 2014, n°13-16.714
(4) Cour d’appel de Paris, 4e chambre section b, 7 avril 2006
(5) Cour de Justice de l’Union Européenne, 16/06/2015, T-654/13, § 20
(6) Cour de Justice de l’Union Européenne, 18 septembre 2014, aff. C-205/13, Hauck
(7) Tribunal de l’Union Européenne, 24 octobre 2019, T‑601/17
(8) Cour de Justice de l’Union Européenne, 23 avril 2020, C-237/19, Gömböc Kutató
12
décembre
2023
Délai de prescription de l’action en contrefaçon : la Cour de cassation ne lâche pas la bride
Author:
TAoMA
Dans un arrêt du 15 novembre 2023, la Cour de cassation se prononce sur la question du point de départ du délai de prescription de l’action en contrefaçon en présence d’un délit continu.
En 1985, l’artiste Frédéric Jager avait conçu pour le Musée du cheval vivant aux Grandes écuries de Chantilly, une sculpture monumentale de trois mètres de hauteur représentant trois chevaux dans une demi-vasque circulaire intitulée « Fontaine aux chevaux » ou « La Prueva ».
Après avoir eu connaissance de l’existence de reproductions illicites de son œuvre, l’artiste a lancé une procédure afin de déterminer leur origine et localisation.
C’est ainsi qu’a été découverte une reproduction exposée dans le Potager des Princes à Chantilly. Son caractère contrefaisant a été définitivement reconnu par arrêt de la Cour d’appel de Paris du 17 décembre 2008.
En 2021, à la suite d’une tentative de règlement amiable infructueuse, l’artiste a finalement assigné la société le Potager des Princes et son gérant, en référé, afin de faire cesser le trouble manifestement illicite résultant de l’atteinte à ses droits de propriété intellectuelle.
Le juge des référés du tribunal judiciaire de Lille ayant fait droit à ses demandes, la société Le Potager des Princes a interjeté appel devant la Cour d’appel de Douai. La Cour a infirmé l’ordonnance du juge des référés et rejeté l’ensemble des demandes de l’artiste au motif que son action était prescrite.
C’est dans ce contexte que Frédéric Jager a formé un pourvoi devant la Cour de cassation.
Pour démontrer que l’action n’était pas prescrite, il a soutenu qu’en présence d’un délit continu (en l’occurrence constitué par la détention et l’exposition de l’exemplaire contrefait), le point de départ du délai de prescription se situait au jour de la cessation des actes contrefaisants.
La société Le Potager des Princes soutient quant à elle que le délai de prescription commençait à courir au jour où l’artiste a eu connaissance de la contrefaçon : au plus tard, le 15 octobre 2008. L’action était donc prescrite depuis le 16 octobre 2013.
En réponse, la Cour de cassation rappelle d’abord l’article 2224 du Code civil selon lequel « les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. »
La Cour reconnait que la présence de la statue litigieuse dans le Potager des Princes a été connue de l’artiste dès le dépôt du rapport d’expertise du 3 septembre 2004 et que son caractère contrefaisant a définitivement été reconnu par arrêt de la Cour d’appel de Paris du 17 décembre 2008.
Ainsi, elle fixe le point de départ du délai au 17 décembre 2008 ; son expiration est donc intervenue le 17 décembre 2013.
L’auteur est désormais impuissant pour faire cesser l’exposition de cette statue contrefaisante dans le Potager des Princes.
Une interrogation demeure : pourquoi la Cour a-t-elle privilégié comme point de départ du délai la date à laquelle le caractère contrefaisant de l’œuvre a été définitivement reconnu, et non la date à laquelle l’artiste a eu connaissance de son existence ?
En tous les cas, cette décision clarifie les règles relatives à la prescription en matière de contrefaçon en présence d’un délit continu et oblige les demandeurs à engager au plus vite leurs actions contentieuses.
Alain Hazan
Avocat associé
Delphine Monfront
Avocat à la Cour
18
juillet
2023
Nestlé & AMPC : 0% de contrefaçon mais 100% de cacao !
La société AMCP commercialise le chocolat qu’elle fabrique sous forme de tablettes de dégustation sous la marque « Encuentro », l’emballage de ces produits s’appelle « Encuentro 70% Haïti », représentant une cabosse de couleur orange à reflets jaune apposée sur un fond uni couvrant la quasi-totalité de l’emballage.
Elle reproche à la société Nestlé la contrefaçon de droit d’auteur sur ses emballages et la concurrence déloyale, pour avoir reproduit les caractéristiques essentielles de son packaging dans sa tablette de chocolat « Incoa ».
Tout en retenant l’originalité du packaging, le Tribunal judiciaire de Paris rejette pourtant ses demandes le 13 avril 2023[1]
Le tribunal retient l’originalité du packaging « Encuentro 70% Haïti »
Même si certains éléments sont dictés par la fonction technique de l’emballage, et d’autres banals, ces éléments, pris dans leur ensemble, attestent d’une opposition entre une étiquette à la typographie d’imprimerie traditionnelle et une représentation stylisée, sous forme d’aquarelle, d’une cabosse de cacao accentuant ses couleurs naturelles orangée ou violette.
Les emballages sont présentés de façon lisse, avec des couleurs vives et des effets de dégradés et de reflets.
Le tribunal retient que cette présentation véhicule une atmosphère artisanale et sobre d’authenticité et de qualité, combinée de façon originale, avec une représentation graphique colorée pouvant évoquer un élément passionnel et la gourmandise associée au produit.
Le tribunal rejette le fondement de la contrefaçon
Le tribunal est ferme et indique que les éléments l’ayant mené à reconnaître l’originalité du packaging du demandeur n’existent pas pour la tablette Incoa de la société Nestlé, dont la version de la cabosse de cacao est épurée, simple, droite et sans reflets.
Par ailleurs, le tribunal rejette le fondement de la concurrence déloyale car le consommateur du chocolat Encuentro d’attention élevée ne pourra pas confondre des produits qui se distinguent par leurs marques, leurs prix et leurs qualités, la faute n’est donc pas démontrée.
En effet, le public pertinent, au cas d’espèce acheteur du chocolat Encuentro, est considéré comme recherchant un produit de qualité gustative et par sa composition, il dépensera donc un prix élevé pour acheter du chocolat, la tablette Encuentro étant vendue au prix de 7 à 8 euros. Le chocolat Encuentro est un chocolat haut de gamme, ciblant un public d’amateurs ou de connaisseurs et distribué dans un réseau de commerce au détail et spécialisé.
Le consommateur est donc considéré comme disposant d’un niveau d’attention élevée.
Au contraire, la tablette Incoa est un chocolat industriel ciblant un large public et commercialisée dans un réseau étendu de magasins de grande surface.
Il est donc peu probable que le public pertinent soit en situation de confondre les deux produits.
Cette position est assez surprenante dans la mesure où les tablettes de chocolat sont un produit ordinaire dans la consommation quotidienne et à destination du grand public, le degré d’attention du consommateur devrait être qualifié de moyen, comme cela a été jugé à propos de boissons rafraichissantes[2] par exemple.
L’attention plus élevée du consommateur est généralement retenue lorsque les produits sont spécifiques et onéreux comme les vins de Champagne[3].
Ici, c’est sans doute la qualité certaine du chocolat qui en fait un produit cher conduisant donc à considérer le consommateur qui va l’acheter comme ayant un niveau d’attention élevée.
Enfin, les fondements de parasitisme et pratiques commerciales trompeuses sont également écartés.
Nestlé et son chocolat ont encore de beaux jours devant eux…
Des questions sur vos droits d’auteur et leur protection ? Les équipes de TAoMA sont à votre disposition pour en discuter !
Emeline JET
Elève-avocate
Jean-Charles Nicollet
Associé – Conseil en Propriété Industrielle
[1] TJ Paris, du 13 avril 2023 n°21/09930
[2] TUE, 23 février 2022 Ancor Group GmbH c/ EUIPO
[3] Tribunal judiciaire de Paris, 3e chambre, 1e section, 29 juillet 2021, RG n° 19/13569
20
janvier
2023
Replay de l’évènement « Marketing d’influence, métaverse, NFT : nouveaux vecteurs de la contrefaçon ? »
Pour celles et ceux qui n’ont pas pu être là, un replay est à retrouver ci-dessous et sur la chaîne YouTube TAoMA Event ✨ 👇
L’occasion de remercier à nouveau nos brillantes intervenantes :
🎤 Delphine Sarfati – Directrice Générale de l’UNIFAB – Union des Fabricants
🎤 Constance Laennec-Cuny – Responsable Propriété Intellectuelle
🎤 Anne Messas – Avocate et Médiatrice, Associée et co-fondatrice de TAoMA Partners
🎤 Anne LAPORTE – Avocate chez TAoMA Partners et membre de TAoMA Influence , une offre de services spécifique créée et proposée par TAoMA Partners
Le prochain évènement TAoMA aura lieu en mars, on vous en dévoile plus bientôt ! Stay tuned ! 🤓
11
juillet
2022
Quand la comédie familiale tourne au drame pour les coauteurs d’une pièce de théâtre objet de multiples versions
Author:
TAoMA
La transformation des œuvres de l’esprit est source d’un contentieux judiciaire inépuisable. La Cour d’appel de Paris a récemment rappelé que les coauteurs d’une pièce de théâtre adaptée d’une œuvre composite, issue d’une œuvre préexistante, sont tenus de recueillir l’autorisation préalable de son auteur, peu importe que l’auteur de l’œuvre préexistante ait contribué à la création de la dernière version.
Un imbroglio juridique démêlé à la faveur de l’auteur de l’œuvre composite « Ma Belle-Mère, Mon Ex et Moi » !
– ACTE I –
La pièce « Ma Belle-Mère, Mon Ex et Moi » (V1) écrite en 2011 a fait l’objet en 2014 d’une seconde version, portant le même titre (V2). L’auteur de l’œuvre préexistante n’a pas participé à l’écriture de cette version mais indique « avoir consenti, une fois mis devant le fait accompli, au dépôt de celle-ci à la SACD (…) et à son exploitation ». En 2016, une troisième version voit le jour, intitulée « Ma Belle-Mère et Moi, 9 mois après » (V3), créée par trois coauteurs, dont l’auteur de l’œuvre initiale.
– ACTE II –
S’estimant lésé, l’auteur de la V2 qui n’a pas donné son autorisation préalable pour la création de la V3 a introduit une action en contrefaçon à l’encontre des coauteurs de cette dernière version. Les juges du fond ayant, en partie, accueilli cette demande (TGI de Paris, 11 octobre 2019, n°17/09967), la société de production et deux des trois coauteurs de la V3 ont interjeté appel de la décision.
– ACTE III –
Bien que la situation ne manque pas d’ironie, l’auteur de l’œuvre initiale ayant participé à la création de l’œuvre dans sa dernière version, la Cour d’appel de Paris est purement et simplement venue appliquer les principes du Code de la propriété intellectuelle protégeant les œuvres transformatrices et rappeler que le créateur d’une œuvre de l’esprit, fut-elle composite, jouit pleinement de ses droits d’auteur, comme tout auteur.
• Scène 1 : la V2 est une œuvre composite, dérivée de la V1
En application de l’article L. 113-2 du CPI aux termes duquel « est dite composite l’œuvre nouvelle à laquelle est incorporée une œuvre préexistante sans la collaboration de l’auteur de cette dernière » :
La Cour considère que l’auteur de la V2 démontre être à l’origine de choix arbitraires et d’apports originaux (portant sur 66% du texte global de la V1) révélant l’empreinte de sa personnalité notamment concernant : la trame de l’histoire relative à la grossesse des deux actrices, l’héritage conditionné à la naissance d’un enfant et plus généralement le caractère des personnages.
La Cour estime que la V2 « Ma Belle-Mère, Mon Ex et Moi » est donc une œuvre composite créée sans contribution de la part de l’auteur de l’œuvre préexistante, mais avec son autorisation, bénéficiant ainsi d’une protection au titre du droit d’auteur.
• Scène 2 : la V3 est une œuvre dérivée de la V2 et non de la V1
En application de l’article L. 113-4 du CPI aux termes duquel « l’œuvre composite est la propriété de l’auteur qui l’a réalisée, sous réserve des droits de l’auteur de l’œuvre préexistante » :
La Cour estime, à l’issue d’une analyse in concreto de la situation et d’un travail de comparaison, que la V3 se présente comme la suite logique et chronologique de la V2 et que les coauteurs de la V3 se sont manifestement inspirés des éléments clés de l’intrigue de la V2 et non de la version 1.
La Cour confirme que les coauteurs de la V3 auraient donc dû solliciter l’accord préalable de l’auteur de la V2 (ce qu’ils ont au demeurant tenté de faire, sans succès…).
– ACTE IV –
Les deux coauteurs de la V3 et la société de production, ont donc été condamné pour contrefaçon de droits d’auteur au paiement de la somme de 5.000 euros pour atteinte au droit moral de l’auteur de la V2 et de 20.000 euros en réparation de son préjudice matériel.
On notera que l’auteur de l’œuvre préexistante, mis devant le fait accompli pour autoriser l’œuvre dans sa version intermédiaire, n’est pas condamné pour son rôle mineur dans la création de la V3 : maigre consolation qui vient rappeler la force de la protection accordée par le droit d’auteur aux œuvres transformatrices.
– ACTE V –
Une affaire atypique en raison de la participation de l’auteur de l’œuvre préexistante à l’œuvre qualifiée de contrefaisante. Les droits de l’œuvre initiale ne l’emportent pas sur ceux de l’œuvre composite. La prudence est donc toujours de mise pour les créateurs qui entendent s’inspirer d’œuvres préexistantes.
Une affaire d’ex et de belles-mères qui n’a pas fini de faire parler…
Ludovic de Carne
Avocat à la Cour
11
juillet
2022
Pas de fausse note pour Ed Sheeran innocenté de plagiat devant la haute cour de justice britannique
Author:
TAoMA
« Shape of You », le hit d’Ed Sheeran à plus de 3 milliards de Stream sur Spotify, près de 6 milliards de vues sur YouTube depuis sa sortie en janvier 2017, est-il un plagiat de « Oh Why » ? C’est la question à laquelle a répondu la Haute Cour de Justice britannique dans un arrêt attendu du 6 avril 2022.
Samy Chokri et Ross O’Donoghue sont les auteurs d’une chanson intitulée « Oh Why » sortie en juin 2015. Estimant qu’une partie du refrain de « Shape of You », d’Ed Sheeran était un plagiat de leurs chansons, Samy Chokri et Ross O’Donoghue ont demandé à être crédités comme auteurs. En réponse, Ed Sheeran intente une action à leur encontre afin d’obtenir une déclaration de non-contrefaçon. Pour se défendre, Samy Chokri et Ross O’Donoghue forment une demande reconventionnelle en plagiat.
Aux termes d’une analyse argumentée, la Haute Cour de Justice conclut que la star britannique n’a pas copié la chanson « Oh Why ».
En effet, elle considère qu’il existe de très nombreuses différences entre les œuvres en cause, et qu’il n’est pas prouvé qu’Ed Sheeran ait eu accès à l’œuvre prétendument plagiée compte tenu de son « succès limité ». Dans ces conditions, elle en déduit que le chanteur pop n’a pas copié « délibérément » ni « inconsciemment » la chanson « Oh Why » et condamne les auteurs-compositeurs qui l’accusaient de plagiat à verser à Ed Sheeran plus d’un million d’euros d’indemnisation.
En souhaitant que le chanteur britannique connaisse la même issue dans la procédure en cours Outre-Atlantique aux termes de laquelle sa ballade « Thinking out Loud » est accusée de beaucoup trop s’inspirer de la chanson « Let’s Get it On » de Marvin Gaye.
Nathan Audinet
Stagiaire – Pôle avocats
Anne Laporte
Avocate à la cour
11
juillet
2022
Un blouson noir dans la tourmente : un designer attaque lego devant le tribunal de district du connecticut après la reproduction d’un blouson en cuir noir conçu par ses soins
Author:
TAoMA
Dans le cadre d’une collaboration, Netflix a récemment octroyé une licence au groupe Lego pour la création d’un set inspiré de la série de téléréalité Queer Eye, diffusée sur la plateforme de streaming.
Lego s’est toutefois vu attaquer en contrefaçon de droit d’auteur par le designer James Concannon en décembre dernier après la reproduction d’une de ses vestes sur l’une des figurines de ce set. La veste en question avait été offerte par le designer à Antoni Porowski, membre du casting de Queer Eye, et avait été portée par ce dernier lors du tournage de la série.
Revendication d’une violation du droit d’auteur portant sur le blouson
Selon le designer, aucune licence n’a été concédée à Netflix pour l’utilisation de sa veste dans son émission. Effet boule de neige, aucune autorisation n’a dès lors pu être donnée à Lego de reproduire son œuvre au sein du set en question et ainsi l’exploiter commercialement, qui plus est à titre gratuit. Concannon entend ainsi obtenir réparation pour la violation de son droit d’auteur.
Contrefaçon or not contrefaçon ? Concannon pourrait toutefois se prendre une veste, ses chances de succès étant plus qu’incertaines. En effet, quand bien même l’originalité de la veste serait démontrée, il appartiendra ensuite au designer de prouver que la version Lego de son œuvre est suffisamment similaire à la veste originale.
Existence d’une licence implicite ?
Par ailleurs, Lego affirme qu’en offrant la veste à Porowski, en sachant pertinemment qu’il la porterait sur le tournage, le designer aurait concédé une licence implicite à Netflix d’utiliser son œuvre dans son émission.
Qui de la brique ou du blouson aura le dernier mot, affaire à suivre…
Juliette Parisot
Stagiaire – Pôle CPI
Blandine Lemoine
Conseil en Propriété Industrielle
19
mai
2022
Quelle indépendance pour le tiers acheteur d’un procès-verbal de constat d’achat ?
Author:
TAoMA
Par un arrêt rendu le 6 avril 2022 [1], la cour d’appel de Paris a retenu la validité d’un procès-verbal de constat d’achat consigné par un huissier de justice alors même que l’achat avait été effectué par le stagiaire d’un cabinet d’avocats mandaté par la société ayant requis ledit constat.
Cette décision s’inscrit en rupture avec la jurisprudence actuelle de la Cour de cassation qui, au nom du principe d’indépendance du tiers acheteur fondé sur le droit à un procès équitable, avait jugé dans une décision du 25 janvier 2017 rendue par la première chambre civile [2] qu’un avocat stagiaire du cabinet conseil de la société qui requiert le constat d’achat n’était pas un tiers acheteur indépendant. Malgré les critiques de la doctrine, cette interprétation a d’ailleurs été reprise par la cour d’appel de Douai dans un arrêt du 16 décembre 2021 [3], commenté dans une précédente news.
Dans son arrêt du 6 avril 2022, la cour d’appel de Paris fait prévaloir le droit à la preuve de la matérialité des actes contrefaisants sur le principe de loyauté dans l’administration de la preuve, au terme d’un contrôle de proportionnalité motivé et détaillé.
En l’espèce, la société Rimowa avait fait établir par procès-verbal consigné par un huissier de justice un constat d’achat d’une valise qu’elle jugeait contrefaisante. Elle a ensuite assigné la société commercialisant cette valise en contrefaçon de droits d’auteur et concurrence déloyale et parasitaire.
En première instance, le débat s’est noué autour de la validité de ce constat d’achat dans la mesure où l’achat avait été réalisé par un stagiaire du cabinet d’avocats mandaté par la société Rimowa. La société défenderesse demandait le prononcé de la nullité de ce constat d’achat en arguant que ses conditions de réalisation portaient atteinte à son droit à un procès équitable pour défaut d’indépendance du tiers acheteur. Par un jugement rendu le 7 mars 2019, le tribunal judiciaire de Paris a fait droit à cette demande en déclarant nul le procès-verbal de constat d’achat et en déboutant la société Rimowa de l’intégralité de ses demandes.
Sur appel de la société Rimowa, la cour d’appel de Paris a infirmé ce jugement et déclaré valable le procès-verbal de constat d’achat.
Pour ce faire, elle invoque successivement trois fondements.
D’une part, la cour d’appel de Paris invoque la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme qui retient que l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme ne fait pas obstacle à la production d’une preuve déloyale dès lors que le procès présente dans l’ensemble un caractère équitable [4]. Une telle garantie peut notamment résulter de la possibilité pour les parties de contester ladite preuve devant un tribunal [5].
D’autre part, la cour d’appel de Paris mentionne la directive (CE) n°2004/48 du 29 avril 2004 relative au respect des droits de la propriété intellectuelle [6].
Enfin, la cour d’appel se réfère au principe de proportionnalité qui exige du juge qu’il s’assure du juste équilibre entre « le principe de loyauté des preuves » et le « droit de propriété des titulaires de droits de propriété intellectuelle qui doit leur permettre de réunir des preuves, dans des conditions qui ne soient pas inutilement complexes ou coûteuses » [7]. Il ne s’agit là, ni plus, ni moins, de concilier le principe de loyauté dans l’administration de la preuve avec le droit à la preuve à l’aune du droit au procès équitable.
La cour d’appel de Paris détaille ensuite les motifs l’ayant conduite à retenir la validité du constat d’achat. Elle retient d’abord que « la société défenderesse n’a démontré aucun stratagème qui aurait été mis en place par la société Rimowa et/ou par l’huissier instrumentaire et/ou par M.P, le tiers acheteur » [8]. Elle note d’ailleurs que l’identité et la qualité du tiers acheteur, stagiaire au sein du cabinet d’avocats agissant en qualité de conseil de la société Rimowa, étaient clairement mentionnées sur le procès-verbal.
Elle ajoute que la circonstance que le tiers acheteur soit stagiaire auprès du cabinet d’avocats mandaté par la société Rimowa n’a pas affecté le caractère objectif des constatations mentionnées au procès-verbal et n’a pas porté, en soi, atteinte au droit à un procès équitable de la société défenderesse dans la mesure où celle-ci avait la possibilité de contester ledit procès-verbal.
La cour d’appel de Paris en déduit qu’annuler le procès-verbal de constat pour défaut d’indépendance du tiers acheteur « reviendrait à priver inutilement la société Rimowa de la possibilité d’obtenir simplement des éléments susceptibles de constituer la preuve de la matérialité des agissements qu’elle invoque, alors que […] la preuve de la contrefaçon en droit français est libre et peut être rapportée par tout moyen, notamment par la réalisation d’un procès-verbal de constat d’achat » [9].
Par cet arrêt, la cour d’appel introduit d’avantage de souplesse dans l’établissement de la preuve d’agissement contrefaisants et partant, adopte une position raisonnablement plus réaliste que celle de la Cour de cassation [10].
Dans l’attente d’une nouvelle décision de la Cour de cassation en la matière, la prudence reste néanmoins de mise lors du choix du tiers-acheteur lors de l’établissement d’un procès-verbal de constat d’achat.
Baptiste Kuentzmann
Juriste
[1] Cour d’appel de Paris, pôle 5, ch. 1, 6 avril 2022, RG 20/17307, Rimowa GmbH c/ Intersod (lire la décision ici)
[2] Civ. 1re, 25 janvier 2017, n° 15-25.210, publié au Bulletin
[3] Cour d’appel de Douai, ch. 2, sec. 1, 16 décembre 2021, Cartospé-Packaging c/ Cartonnage Vaillant & Astra Inks
[4] CEDH, 12 juillet 1988, n° 10862/84, Schenck c/ Suisse
[5] CEDH, 18 mars 1997, no 21497/93, Mantovanelli c/ France
[6] Directive (CE) n°2004/48 du 29 avril 2004, considérant 20 « étant donné que la preuve est un élément capital pour l’établissement de l’atteinte aux droits de propriété intellectuelle, il convient de veiller à ce que des moyens de présenter, d’obtenir et de conserver les éléments de preuve existent effectivement » et article 3 « 1. Les États membres prévoient les mesures, procédures et réparations nécessaires pour assurer le respect des droits de propriété intellectuelle visés par la présente directive. Ces mesures, procédures et réparations doivent être loyales et équitables, ne doivent pas être inutilement complexes ou coûteuses et ne doivent pas comporter de délais déraisonnables ni entraîner de retards injustifiés. 2. Les mesures, procédures et réparations doivent également être effectives, proportionnées et dissuasives et être appliquées de manière à éviter la création d’obstacles au commerce légitime et à offrir des sauvegardes contre leur usage abusif »
[7] Cour d’appel de Paris, op. cit., p.8.
[8] Ibid
[9] Ibid., p. 9
[10] En référence à la formule de Philippe Téry dans son commentaire de la décision Civ 1re, 25 janvier 2017 « Apparence : 1 – vérité : 0 – observations sur la loyauté dans la recherche des preuves » in RTD civ., 2017, p. 719 : « Lorsque dans une situation donnée, la vérité peut raisonnablement être approchée, il faut lui donner la préférence sur les apparences appréciées de manière abstraite ».
21
janvier
2022
L’AC Milan perd son match (et sa marque) devant le TUE
Author:
teamtaomanews
Les Allemands ont remporté un match judiciaire en droit des marques contre les Italiens (3-0) dans une affaire opposant l’Associazione Calcio Milan SpA (AC Milan), célèbre club de football, à la société de droit allemand InterES Handels- und Dienstleistungs Gesellschaft mbH & Co. KG.
La première mi-temps a débuté le 6 avril 2017 avec une opposition formée devant l’Office européen des marques (EUIPO) par cette société allemande, sur la base de sa marque verbale allemande MILAN, enregistrée notamment en classe 16, à l’encontre d’une demande de marque du club de football Italien.
Ce dernier, par une demande de marque internationale désignant l’Union européenne n°1329545, souhaitait protéger sa marque semi-figurative (ACM 1899 AC MILAN) dans les vingt-sept États de l’Union pour des produits en classe 16 de la Classification de Nice, à savoir : « Papier ; carton ; couvertures de livres ; colle pour la papeterie ou le ménage ; articles de papeterie ; papier à copier [articles de papeterie] ; papier à lettres ; [articles de papeterie] ; marqueurs ; agrafes de bureau ; fournitures pour le dessin ; fournitures pour l’écriture ; fournitures scolaires ; gommes à effacer ; encres ; correcteurs liquides ; gabarits [articles de papeterie] ; crayons ; crayons fusains ; crayons d’ardoise ; mines de crayon ; stylos [articles de bureau] ; plumes d’acier ; porte-crayons ; porte-mines ; porte-plume ; billes pour stylos à bille ; instruments d’écriture ; instruments de dessin ; carnets ; tampons encreurs ; taille-crayons ; tire-lignes ».
La société allemande obtient une première fois gain de cause par une décision rendue le 30 novembre 2018, dans laquelle l’EUIPO a reconnu l’opposition justifiée dans son intégralité.
Mécontent de cette décision, le club de football italien, dans le cadre d’une seconde mi-temps, a formé un recours. Mais la deuxième chambre de recours de l’EUIPO le rejette et confirme la décision de la division d’opposition dans son intégralité.
Le Milan AC tente alors une dernière attaque devant le Tribunal de l’Union européenne (TUE) en contestant l’appréciation des preuves d’usage de la marque antérieure réalisée par la chambre de recours, y compris celle de l’altération du caractère distinctif de la marque antérieure telle qu’enregistrée.
Il ajoute que la chambre de recours n’a pas pris en compte la renommée de la demande de marque contestée aux fins de l’appréciation du risque de confusion, notamment en ce qui concerne les similitudes conceptuelles entre les signes.
Le TUE, par une décision en date du 10 novembre 2021, marque un coup d’arrêt au match et confirme la victoire de la société allemande. En effet, il juge que l’usage sérieux de la marque antérieure, ainsi que le risque de confusion entre les marques en cause, a été dûment démontré et justifié.
Sur l’usage sérieux de la marque antérieure invoquée
D’une part, le TUE confirme que les preuves d’usage produites par la société allemande sont suffisantes pour établir l’usage sérieux de la marque antérieure en Allemagne.
Les pièces fournies par la société allemande (factures, catalogues…), prises dans leur ensemble, permettent de démontrer qu’elle s’est efforcée de maintenir ou acquérir une position commerciale sur le marché en cause, étant précisé, par ailleurs, que le TUE confirme la jurisprudence constante selon laquelle des pièces datées en dehors de la période pertinente peuvent être prises en compte pour apporter la preuve d’une exploitation commerciale réelle et sérieuse de la marque.
D’autre part, le TUE suit le raisonnement de la chambre de recours de l’EUIPO selon lequel l’usage qui est fait de la marque antérieure sur le marché n’altère pas le caractère distinctif de la marque telle qu’enregistrée, à savoir sous une forme verbale.
En effet, l’ajout d’un élément figuratif représentant la tête d’un oiseau, bien que non négligeable, demeure secondaire dans l’impression d’ensemble dès lors que, pour une partie du public pertinent, il vient renforcer la signification du mot « MILAN » et, en tout état de cause, il est constant que les éléments figuratifs ont une importance moindre du point de vue du consommateur.
Sur l’appréciation du risque de confusion
Tout en contestant les ressemblances visuelles et phonétiques entre les marques, l’AC Milan a tenté une attaque assez intéressante sur le terrain de l’appréciation conceptuelle.
En effet, l’AC Milan faisait notamment valoir que le public pertinent associera la marque demandée au célèbre club de football italien, entraînant ainsi des différences conceptuelles entre les signes susceptibles de neutraliser les ressemblances visuelles et phonétiques.
Une telle approche n’est pas nouvelle dans le domaine footballistique puisque, dans le cadre de l’Affaire MESSI, opposant les marques MESSI et MASSI, l’argument avait été retenu par le TUE, dans une décision confirmée par la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) [1].
Néanmoins, dans le cas présent, le TUE semble poser une limite à cette jurisprudence, confirmée par la suite dans le cadre d’une affaire impliquant la marque patronymique de la célèbre chanteuse MILEY CYRUS [2]. Le TUE répond que « seule la renommée de la marque antérieure, et non celle de la marque demandée, doit être prise en compte pour apprécier si la similitude des produits désignés par deux marques est suffisante pour donner lieu à un risque de confusion ».
Si l’argument semble favorable aux noms patronymiques célèbres, tel ne semble donc pas le cas pour certains organismes, comme ce célèbre club de football.
Le match juridique Italie-Allemagne finit ainsi par trois buts au bénéfice des Allemands et la demande de marque semi-figurative ACM 1899 AC MILAN n° 1329545 est donc rejetée à l’enregistrement pour les produits qu’elle désigne en classe 16.
Leila Zorkot
Stagiaire juriste
Baptiste Kuentzmann
Juriste
[1] CJUE, 17 septembre 2020, Affaires jointes C-449/18 P et C-474/18 P
[2] TUE, 16 juin 2021, Affaire T-368/20
Lire la décision sur le site Curia
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