Spoiler Alert ! L’immatriculation d’une société ne présume pas l’exploitation commerciale de sa dénomination sociale

Le jugement du tribunal judiciaire de Paris du 27 mars 20241 vient préciser les contours de l’usage dans la vie des affaires d’une dénomination sociale. La simple immatriculation d’une société est-elle, en soi, constitutive d’un usage dans la vie des affaires de sa dénomination sociale ?

L’usage dans la vie des affaires : une notion centrale en droit des marques

Lorsque le titulaire d’une marque n’a pas autorisé l’usage par un tiers, dans la vie des affaires, d’un signe identique ou similaire à celle-ci, et pour des produits ou services identiques ou similaires, alors il s’agit d’une contrefaçon2.

Une société ne peut donc pas faire usage d’une dénomination sociale identique ou similaire à une marque antérieure, si les produits ou services relatifs à son activité sont identiques ou similaires à celle-ci (sauf à prouver la renommée de cette marque, bien sûr). Or, en l’espèce, la marque antérieure portait sur le signe « Mix Beauty » et la dénomination sociale immatriculée postérieurement à son enregistrement portait sur un signe strictement identique.

Cependant, pour porter atteinte à la marque antérieure, l’usage de la dénomination sociale doit être réalisé « dans la vie des affaires ». Le tribunal judiciaire de Paris rappelle donc trois décisions fondamentales du Tribunal et de la Cour de justice de l’Union européenne précisant ces notions :

• « Faire usage » d’un signe signifie que son utilisation est faite dans le but de distinguer des produits ou des services. Ainsi, l’utilisation de la dénomination sociale doit porter atteinte, ou être susceptible de porter atteinte aux fonctions essentielles de la marque antérieure3.

• Les termes « usage dans la vie des affaires » ne sauraient être interprétés en ce sens qu’ils visent uniquement des relations immédiates entre un commerçant et un consommateur. Ainsi, il y a usage dans la vie des affaires lorsque l’opérateur économique concerné utilise cette dénomination sociale dans le cadre de sa propre communication commerciale4, ou lorsque cet usage se situe dans le contexte d’une activité commerciale visant un avantage économique5.

Le titulaire de la marque antérieure doit donc démontrer que l’usage de la dénomination sociale litigieuse est réalisé dans le contexte de la vie des affaires, et qu’en cela, il porte atteinte aux fonctions essentielles de la marque.

La simple immatriculation d’une société sous une certaine dénomination n’est pas une présomption d’usage dans la vie des affaires

En l’espèce, les demandeurs n’avaient produit qu’une seule pièce aux débats, à savoir l’extrait Kbis de la société Mix Beauty. Ce document ne fait qu’établir l’enregistrement de cette société sous la dénomination « Mix beauty » auprès du registre du commerce et des sociétés de Paris.

Or, pour le tribunal, ce seul document n’est pas suffisant pour prouver un usage dans la vie des affaires de la dénomination « Mix Beauty ». En effet, il considère que le seul fait d’immatriculer une société sous une certaine dénomination n’est pas, en lui-même, un usage de cette dénomination dans le but de distinguer des produits ou services. Par conséquent, cette seule immatriculation n’est pas susceptible de porter atteinte aux fonctions de la marque.

Le tribunal conclut en ces termes « il s’agit d’un acte dont l’effet est strictement juridique, qui ne caractérise pas en soi l’existence d’une activité, et il ne peut être présumé que, du seul fait qu’une société existe sous une dénomination, elle est exploitée sous cette même dénomination ». Les demandeurs avaient pourtant produit des attestations établissant des confusions entre les adresses, notamment par des candidats dans le cadre de campagnes de recrutement. Mais ce n’est pas suffisant pour les juges pour qui l’atteinte à la marque « Mix Beauty » n’est pas établie.

Ce jugement est l’occasion de rappeler un principe fondamental en matière de procédure civile ; le juge ne peut suppléer la carence des parties dans l’administration de la preuve des faits qu’elles allèguent. Il est donc opportun de produire un maximum de documents établissant un usage de la dénomination sociale dans la vie des affaires, tels que des documents commerciaux par exemple. Ou de mettre la société sous surveillance et d’attendre les premiers actes d’usage et les faire constater.

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Anne Messas
Avocate associée

Juliette Descamps
Élève-avocate

(1) TJ Paris, 3e ch., 3e. sect., 27 mars 2024, n°23/13398
(2) Article L 713-2 du code de la propriété intellectuelle
(3) CJUE, 25 juillet 2018, Mitsubishi, C-129/17, point 34
(4) CJUE, 16 juillet 2015, TOP Logistics e.a., C-379/14, points 40 et 41
(5) TUE, 3 mars 2016, Ugly Inc. c/ OHMI et Group Lottus Corp., T-778/14, point 28