21
décembre
2023
Publicité et boissons alcooliques : carton rouge pour le producteur de la bière Budweiser
Author:
TAoMA
L’Association Nationale de Prévention en Alcoologie et Addictologie est une association, reconnue d’utilité publique, engagée dans la prévention contre l’alcoolisme et les addictions, s’inscrivant dans la politique globale de santé publique de l’État. Pendant la coupe du monde de football 2022, cette association a assigné la société AB Inbev France, commercialisant les bières de la marque Budweiser en France, devant le juge des référés du Tribunal Judiciaire de Paris le 8 décembre 2022. Elle estime en effet que certaines publicités de Budweiser portaient atteinte aux dispositions de la loi Évin !
L’association reprochait à AB Inbev France un trouble manifestement illicite lié à l’utilisation de la marque « Buuuuud » dans ses publicités, ainsi qu’à l’utilisation publicitaire de la marque « King of Beers », notamment déployée sur une banderole publicitaire à la gare du Nord.
Le juge des référés avait répondu favorablement aux demandes de l’association, par une ordonnance enjoignant à la société AB Inbev France de cesser ces publicités illicites1. La société AB Inbev France a interjeté appel de cette décision.
La Cour d’appel va rendre sa décision2 en se fondant sur l’article L. 3323-4 du code de la santé publique encadrant la publicité pour les boissons alcooliques.
Un lien évident entre la marque « Buuuuud » et la Coupe du monde de Football 2022
Malgré l’affirmation de la société AB Inbev France, précisant que l’usage publicitaire de la marque « Buuuuud » n’était aucunement lié à la Coupe du Monde de Football 2022 (bien qu’elle fût partenaire officiel de cet événement), la Cour d’appel a confirmé l’ordonnance du juge des référés.
Elle a souligné que la proximité de la date de dépôt de la marque avec le début de la compétition, ainsi que la référence à la locution « Buuuuut » fréquemment utilisée par les commentateurs sportifs démontrait la proximité de l’utilisation de la marque avec le football et plus particulièrement avec la Coupe du monde de football.
Si la société AB Inbev France tente de se défendre en mentionnant qu’il s’agit d’une marque enregistrée mais le juge des référés, tout comme la Cour d’appel, considèrent que ce moyen est inopérant !
En effet, les juges d’appel rappellent que « l’enregistrement d’une marque n’autorise pas par lui-même son utilisation publicitaire, laquelle doit se faire dans le respect des dispositions du code de la santé publique ».
« King of Beers », une manifestation d’autosatisfaction incitant à une consommation excessive d’alcool
Sur l’utilisation de la marque « King of Beers », la décision de la Cour d’appel est semblable.
En dépit de l’argumentation avancée par la société AB Inbev France, justifiant l’utilisation d’une telle marque par le fait que la bière Bud est la plus consommée au monde, la Cour d’appel a néanmoins confirmé l’ordonnance rendue en référé. En effet, la Cour d’appel souligne que la mention « King » s’apparente à une « manifestation d’autosatisfaction », ne se rattachant donc pas aux éléments autorisés par l’article L. 3323-4 du code de la santé publique.
Ainsi, la Cour d’appel maintient la position du juge des référés estimant que cette marque engendrait un trouble manifestement illicite en associant la boisson alcoolique à la monarchie, sous-entendant le pouvoir, et suggérant une incitation à la consommation d’alcool.
Ainsi, la Cour d’appel, sans grande surprise, confirme l’interdiction de ces publicités. Cette décision s’inscrit dans les rares rendues au regard de la loi Evin, mais conserve cette même mouvance dure à l’encontre de la publicité qui serait trop attrayante pour de l’alcool.
Boire ou faire du foot, il faut choisir ! Nous connaissons déjà le choix de la Cour d’appel.
Juliette Danjean
Stagiaire – Pôle Avocat
Jean-Charles Nicollet
Conseil en Propriété Industrielle – Associé
Note de référence
(1) Tribunal judiciaire de Paris, 8 décembre 2022, N° 22/20719;22/58585
(2) Cour d’appel de Paris, Pôle 1 chambre 3, 24 octobre 2023, n° 22/20719
11
juillet
2022
Coup de pression pour la société kronenbourg
Author:
TAoMA
La règlementation applicable à la publicité en faveur de boissons alcoolisées donne lieu à une jurisprudence très abondante. Dans un arrêt du 21 avril 2022, la Cour de cassation vient rappeler un principe important : les opérations de parrainage concernant des boissons alcoolisées ne sont pas de facto illicites. Ainsi, la seule mention d’une marque d’alcools sur du matériel publicitaire n’est pas présumée comme illicite, il revient au demandeur agissant sur ce fondement de démontrer en quoi l’opération a pour effet la propagande ou la publicité directe ou indirect des boissons alcoolisées.
Comme chaque année depuis sa création en 2003, le Festival Rock en Seine a été organisé en août 2014 par l’association Plus de sons dans le domaine national de Saint-Cloud. Le partenaire désigné par le Festival pour cette édition 2014 fut la société Kronenbourg, également fournisseur exclusif de bières de cette manifestation. Dans le cadre de ce partenariat, le Festival s’est doté d’une scène supplémentaire baptisée Pression live destinée à accueillir des concerts, appellation de la marque déposée par la société Kronenbourg.
Considérant que par ce partenariat, la société Kronenbourg se livrait à des actes de publicité illicite du fait de l’affichage de sa marque sur le festival, et à des actes de parrainage illicite par le biais de la scène Pression Live, l’Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie (ANPAA) a assigné le brasseur afin de voir ordonner le retrait de toute référence à la société Kronenbourg et à sa marque Pression Live sur le site internet du festival, et afin de le voir condamné à des dommages et intérêts.
Rappelons ici que la publicité en faveur des boissons alcooliques est strictement encadrée par la loi du 10 janvier 1991 dite loi EVIN. Outre les dispositions définissant les modalités de publicité de boissons alcoolisées, cette loi interdit également toute opération de parrainage « lorsqu’elle a pour objet ou pour effet la propagande ou la publicité, directe ou indirecte, en faveur des boissons alcoolisées »1
Dans ce cadre, la Cour d’appel de Paris2 dans une décision du 3 décembre 2020 est venue réformer l’ordonnance de première instance et a condamné la société Kronenbourg à payer à l’ANPAA la somme de 15 000 € au titre des dommages et intérêts en raison de la violation des dispositions de la loi Evin sur le fondement de la publicité illicite. En revanche, la Cour d’appel a débouté l’association sur le fondement du parrainage illicite. Un pourvoi est alors formé par l’association, amenant la Cour de cassation à se prononcer sur la caractérisation du parrainage illicite en matière de boissons alcoolisées dans le cadre d’un évènement culturel.
La Cour de cassation, dans son arrêt du 21 avril 2022, donne raison aux juges du fond, considérant que le parrainage ne peut être considéré comme illicite qu’à la condition que l’association, supportant la charge de la preuve, établisse que ledit parrainage avait pour effet ou pour objet la propagande ou la publicité, directe ou indirecte, en faveur des boissons alcooliques.
Elle en conclut ainsi que, conformément à son pouvoir d’appréciation des éléments de fait et de preuve, la Cour d’appel a justement estimé que la présence du logo institutionnel de la société ou de sa dénomination sur le programme et le plan du festival, sur un bandeau de couverture ne pouvait pas constituer une publicité directe ou indirecte en faveur des produits alcooliques. De plus, l’ANPAA n’alléguait pas d’un financement du matériel publicitaire de la scène Pression Live par la société. Enfin, si, en quatrième de couverture du même programme, figurait une publicité en faveur d’une boisson alcoolique du brasseur en cause et si celui-ci avait bénéficié d’une publicité indirecte par ses enseignes Kronenbourg et Pression Live, l’ANPAA n’établissait pas que cet encart et cette publicité seraient la contrepartie du parrainage.
Dans ces conditions, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par l’association de lutte contre les addictions.
Plus de mousse que de mal pour la société Kronenbourg !
Nathan Audinet
Stagiaire – Pôle Avocat
Anne Laporte
Avocat à la cour
1 Article L 3323-2 du Code de la santé publique.
2 Cour d’appel de Paris Pôle 2, Chambre 2, 3 décembre 2020, n°17/14366
18
mars
2021
Campagne télévisée de ventes promotionnelles : Lidl dans le viseur des enseignes Intermarché et Carrefour
Author:
teamtaomanews
La guerre dans le secteur de la grande distribution fait rage et les deux arrêts rendus par la Cour de Cassation le 16 décembre 2020 [1] en sont le parfait exemple.
Les enseignes Intermarché et Carrefour reprochaient à l’enseigne Lidl d’avoir fait, au cours des années 2015 et 2016, la promotion télévisée de ventes promotionnelles, pratique pourtant interdite par les dispositions du décret relatif à la prohibition des publicités télévisuelles pour des ventes promotionnelles du secteur de la distribution (Article 8 du décret n°92-280 du 27 mars 1992) [2].
La Cour d’Appel de Paris avait, par deux arrêts datés de 2019, reconnu que les actes de la société Lidl étaient contraires aux textes précités et l’avait ainsi condamnée pour pratiques commerciales déloyales.
Or, c’était sans compter sur la ténacité du discounter qui se pourvu alors en cassation. Outre le quantum de la condamnation, la société Lidl remettait également en cause la conformité du décret n°92-280 à la Directive 2005/29/CE du 11 mai 2005 sur les pratiques commerciales déloyales, ainsi que la qualification de ventes promotionnelles.
La Cour de Cassation, par ces deux arrêts en date du 16 décembre 2020, rejette les moyens de la société Lidl au soutien de ces pourvois.
D’une part, la Cour de Cassation retient que l’objectif de l’interdiction édictée par le décret n°92-280 n’est pas de protéger le consommateur mais de préserver l’attractivité des différents médias par rapport à la télévision, afin que la publicité de la grande distribution, qui constitue une source importante de revenus, ne se concentre pas sur les régies publicitaires de chaines de télévision.
Aussi, le décret n°92-280 n’entrant pas dans le champ d’application de la Directive 2005/29/CE du 11 mai 2005 sur les pratiques commerciales déloyales, il n’y avait pas lieu d’examiner sa conformité à ladite Directive et, par voie de conséquence, son applicabilité.
D’autre part, et sur la qualification de vente promotionnelle, la Cour de Cassation relève que les cinq produits mis en avant dans les spots télévisés diffusés par Lidl en avril, mai et juin 2016 n’étaient plus offerts à la vente dans aucun des quatre magasins Lidl visités par les huissiers de justice le 19 juillet 2016.
De même, dans les vingt-deux magasins visités par les huissiers de justice le 8 décembre 2015, la très grande majorité des produits mis en avant dans les spots diffusés de septembre à novembre 2015, étaient absents des rayons des magasins visités.
Or, selon la doctrine de l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité, doivent être qualifiées de promotions, les opérations caractérisées par une exposition à la vente en magasin inférieures à quinze semaines.
D’autres éléments factuels ont, par ailleurs, convergé vers une qualification de ventes promotionnelles et, notamment, le fait que :
l’essentiel des ventes étaient intervenues dans les deux à quatre premières semaines de commercialisation ;
le niveau de stock était quasiment atteint à l’issue de la quatrième semaine de vente ;
aucun réassort n’avait été effectué à l’issue de la quatrième semaine de commercialisation.
La Cour de cassation confirme donc l’analyse des juges du fond qui ont retenu que les opérations commerciales litigieuses en question étaient des opérations de promotion dont la publicité par voie de télévision était interdite par l’Article 8 du décret n°92-280 du 27 mars 1992.
La société Lidl est ainsi condamnée à réparer le préjudice résultant de ces pratiques commerciales déloyales à hauteur de 9,7 millions d’euros.
Cette nouvelle condamnation s’ajoute à une longue liste d’affaires impliquant le discounter d’origine allemande, dont une décision récente des tribunaux espagnols qui l’a condamné pour contrefaçon du brevet Thermomix de la société allemande Vorweck pour son robot CUISINE CONNECT. Une procédure identique est actuellement pendante devant les tribunaux français et nous ne manquerons pas de vous faire part de son issue dans le cadre d’une prochaine TAoMA News.
Dorian Souquet
Juriste Stagiaire
Baptiste Kuentzmann
Juriste
[1] Cour de Cassation, Chambre commerciale, 16 décembre 2020, 19-16.760 – Cour de Cassation, Chambre commerciale, 16 décembre 2020, 19-12.820.
Décision non publiée, communiquée sur demande à contact-cpi@taoma-partners.fr
[2] Article 8 du décret n°92-280 du 27 mars 1992 : « Est interdite la publicité concernant, d’une part, les produits dont la publicité télévisée fait l’objet d’une interdiction législative et, d’autre part, les produits et secteurs économiques suivants : (…) – distribution pour les opérations commerciales de promotion se déroulant entièrement ou principalement sur le territoire national, sauf dans les départements d’outre-mer et les territoires de la Polynésie française, des îles Wallis et Futuna, dans la collectivité départementale de Mayotte et en Nouvelle-Calédonie. Au sens du présent décret, on entend par opération commerciale de promotion toute offre de produits ou de prestations de services faite aux consommateurs ou toute organisation d’événement qui présente un caractère occasionnel ou saisonnier, résultant notamment de la durée de l’offre, des prix et des conditions de vente annoncés, de l’importance du stock mis en vente, de la nature, de l’origine ou des qualités particulières des produits ou services ou des produits ou prestations accessoires offerts »
18
février
2021
Gleeden : la Cour de cassation et la cour d’appel matchent
Author:
teamtaomanews
L’affaire n’était pas passée inaperçue… Nous vous en avions parlé (cf. TAoMA news du 9 juillet 2019), et la Cour de Cassation vient de le confirmer : Gleeden, application de rencontres extra-conjugales, peut librement faire l’apologie de ses services (voire de l’infidélité…).
Pour rappel, l’affaire opposait la Confédération Nationale des Associations de Familles Catholiques à la société américaine Blackdivine, éditrice du site de rencontre Gleeden.com.
Blackdivine avait fait réaliser une importante campagne publicitaire comportant des affiches sur lesquelles figuraient une pomme croquée accompagnée de slogans vantant notamment l’« amanturière », « la femme mariée s’accordant le droit de vivre sa vie avec passion » ou se terminant par le message « Gleeden, la rencontre extra-conjugale pensée par des femmes».
L’association religieuse, estimant cette opération marketing illicite, a fait assigner la société américaine afin notamment que soit ordonnée la cessation de toute référence à l’infidélité ou au caractère extra-conjugal de son activité dans le cadre des campagnes publicitaires.
Elle se fondait notamment sur l’article 212 du Code civil (faisant de la fidélité un des devoirs des époux), sur les dispositions du Code consolidé de la Chambre de commerce internationale sur les pratiques de publicité et de communication commerciale – ou Code ICC – sanctionnant les publicités illicites et antisociales ainsi que sur les dispositions de l’article 10 de la Convention européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme, qui prévoit bien des cas dans lesquels la liberté d’expression peut être restreinte.
Sans grande surprise, la Cour de Cassation rejette le pourvoi formé contre l’arrêt d’appel qui avait débouté l’association de ses demandes.
Après avoir noté que les principes éthiques d’autodiscipline professionnelle édictés par le Code ICC n’ont pas de valeur juridique contraignante et éludé la question de la caractérisation du devoir de fidélité entre les époux (ordre public de protection ou de direction), elle retient que « l’absence de sanction civile de l’adultère en dehors de la sphère des relations entre époux, partant, l’absence d’interdiction légale de la promotion à des fins commerciales des rencontres extra-conjugales, et, en tout état de cause, le caractère disproportionné de l’ingérence dans l’exercice du droit à la liberté d’expression que constituerait l’interdiction de la campagne publicitaire litigieuse », justifient que la cour d’appel n’ait pas fait interdire la campagne litigieuse.
Ainsi, Gleeden peut faire la promotion de son service de rencontres spécialisé, à côté des sites et applications permettant les rencontres uniquement entre personnes « belles », entre personnes de même confession, entre personnes « intelligentes », ou encore entre « goths ».
Référence et date : Cour de cassation – Première chambre civile, 16 décembre 2020, n° 19-19.387
Lire la décision sur le site de la Cour de cassation
Mathilde GENESTE
Stagiaire Élève-Avocate
Anita DELAAGE
Avocate à la Cour
27
janvier
2021
Opérations promotionnelles et boissons alcoolisées, une navigation en eaux troubles…
Author:
teamtaomanews
Il y a bientôt dix ans, la Cour de cassation faisait sensation en décidant, dans une célèbre décision « Ricard », que le partage, par des abonnés Facebook, de messages générés par une application pouvait constituer de la publicité en faveur de boissons alcooliques.
Plus récemment, la cour d’appel de Paris est venue apporter des précisions sur ce qui doit être considéré comme entrant dans la définition de ces publicités, par ailleurs strictement encadrées par le Code de la santé publique.
Une société exploitant des casinos a confié à une agence de publicité le soin de réaliser son programme de fidélité et des actions de création de trafic et d’animation de ses établissements de jeu. Pour ce faire, une campagne promotionnelle a été lancée, comportant :
Une loterie commerciale intitulée « Champagne à vie » dont le lot principal était une bouteille par mois à vie de champagne de la marque Pommery,
Une opération promotionnelle concomitante intitulée « 2 coupes de champagne + 10 euros de jetons pour 10 euros seulement ».
La publicité de ces opérations était effectuée sur :
Le site champagneavie.com, créé pour l’occasion,
Les pages Facebook des casinos concernés,
Le journal Directmatin, notamment disponible en ligne (édité par la société Bolloré Digital Média).
L’Association nationale de prévention en alcoologie et en addictologie (ANPAA) a assigné l’ensemble des parties prenantes (les sociétés du groupe Pommery fournissant le champagne, la société exploitant les casinos, l’agence de communication ayant conçu la campagne et la société Bolloré Digital Média l’ayant relayée), faisant valoir que ces publications constituaient de la publicité illicite en faveur de la boisson alcoolique Champagne Pommery ainsi qu’un parrainage illicite de jeu.
Après de nombreux débats en première instance sur le partage de responsabilité des parties ainsi que sur la valeur du constat d’huissier, l’ANPAA a porté l’affaire devant la cour d’appel de Paris, auprès de laquelle elle conteste :
1- La licéité du visuel faisant la promotion de l’opération, qui contiendrait des mentions qui ne sont pas expressément autorisées le Code de la santé publique, à savoir :
La présence de jetons de casino,
Les mentions « 10 euros de jetons et pour 10 euros seulement » et « champagne à vie » et le nom du casino,
L’illustration de verres en train de trinquer.
Elle critique en outre ce qu’elle qualifie d’invitation à la pratique du jeu sous l’emprise de l’alcool, de nature à susciter une perte de contrôle, prétendant notamment que la jurisprudence sanctionnerait l’association d’éléments liés aux jeu de hasard aux boissons alcooliques et dénonce le fait que les deux coupes de champagne seraient en réalité offertes.
2- La licéité du jeu concours « Champagne à vie » qui constituerait a minima une publicité indirecte pour de l’alcool ne respectant pas les dispositions relatives à ce type de communication et dont le lot lui-même contribuerait à banaliser une consommation déraisonnée et excessive de l’alcool.
3- La présence sur le site Internet champagneavie.com du visuel contesté accompagné du slogan« tout pétille encore plus dans les casinos D. »
4- La présence sur les pages Facebook des casinos concernés de publications constituant des publicités illicites pour des boissons alcooliques en raison de l’utilisation de la marque Pommery et de l’évocation de la boisson vendue sous cette marque, à savoir du champagne.
La cour commence son raisonnement en rappelant les règles strictes issues du Code de la santé publique encadrant la publicité, directe ou indirecte, pour les boissons alcooliques, à savoir, en substance :
Les supports autorisés (presse écrite hors jeunesse, offre d’objets strictement réservés à la consommation d’alcool marqués au nom des fabricants, services de communication en ligne hors jeunesse et associations sportives, etc.) ;
L’interdiction des opérations de parrainage ;
Les mentions autorisées (degré volumique d’alcool, origine, dénomination, modalités de vente et de consommation du produit, référence aux terroirs, etc.) ;
L’obligation d’accompagner la publicité d’un message sanitaire précisant que l’abus d’alcool est dangereux pour la santé.
Appliquant ces règles :
1- Elle estime que le visuel litigieux constitue une publicité illicite.
En effet, la campagne promotionnelle a pour finalité de promouvoir les établissements de jeux concernés et de créer un courant de clientèle par le biais d’offres attractives inhérentes à la démarche publicitaire. Bien qu’elle ne soit donc pas assimilable à une offre de consommation d’alcool gratuite, elle s’apparente bien à de la publicité incitant à la consommation d’une boisson alcoolique, ce que les défenderesses ne pouvaient pas nier puisqu’elles avaient intégré l’avertissement sanitaire imposé par le Code de la santé publique.
Ainsi, ses composants doivent être analysés à la lumière des dispositions dudit Code :
La présentation flatteuse du produit par la mise en valeur de sa couleur et de sa pétillance (sic), la référence à son mode de consommation par l’inclinaison des coupes qui miment le geste de trinquerrenvoient aux caractéristiques objectives du produit et un mode de consommation coutumier et ne peuvent donc pas être critiquées ;
Par contre, la présence des jetons de jeu excède les prévisions du Code qui limitent la communication au produit et son environnement.
2- En revanche, concernant l’opération elle-même, la cour souligne que seule la communication autour de l’opération est soumise au régime légal des publicités en faveur des boissons alcooliques, le jeu lui-même étant soumis aux dispositions du Code de la consommation, qui n’interdit nullement l’offre de champagne en tant que lot.
3- Concernant la présence des visuels litigieux sur le site disponible à l’adresse champagneavie.com, la cour relève qu’il s’ouvre sur un visuel quasi-identique à celui déjà reconnu illicite, caractère accentué par le fait que le slogan « tout pétille encore plus dans les casinos D. » prête à l’établissement une des qualités du vin vendu – son pétillement. Ainsi, ces images sont également illicites.
4- Enfin, à propos des publications sur les pages Facebook des casinos concernés, la cour raisonne en plusieurs temps :
L’annonce de l’opération « champagne à vie » (« Préparez-vous à pétiller. Rendez-vous dans votre casino D pour tenter de remporter du champagne offert chaque mois à vie. Pour en savoir plus et trouver votre casino, cliquez ici : […] Votre bouteille de champagne offerte chaque mois à vie », le tout sans la moindre référence à une marque de commerce d’une boisson alcoolisée) ne constitue qu’une invitation à participer à la loterie, ce qui est licite.
De même, l’annonce d’une « offre découverte » comportant la mention « – 20% sur la 2e place pour le même spectacle + 5 euros de jetons + 2 coupes de champagne », le tout encadré à gauche du dessin de jeton et à droite de deux verres de champagne (qui trinquent), sans la moindre mention de marque de commerce de boissons alcooliques a pour finalité d’inciter les internautes à acquérir une place de spectacle et ne constitue nullement une publicité pour le vin de champagne. Elle n’avait donc pas à être accompagnée d’une mention sanitaire.
Enfin, s’agissant de l’annonce des gagnants de la loterie, une distinction est faite entre :
Le texte de l’annonce « félicitation aux heureux gagnants de notre grand jeu concours Champagne à vie, merci à toutes et à tous pour votre participation. A très bientôt, dimanche, ne ratez pas le tirage au sort de notre jeu champagne à vie. Gagnez en exclusivité ce Jéroboam Silver Pop produit en édition limitée, plus que 3 jours pour tenter de remporter du champagne offert à vie. Rendez-vous dimanche dans votre Casino D pour découvrir si vous avez gagné […] » => dès lors que la loterie ne constitue pas en elle-même un support interdit, l’emploi de ces termes n’était pas interdit.
Les photographies représentant des bouteilles de champagne de marque Pommery sur un présentoir à étage / quatre gagnants posant à côté d’une bouteille et d’un carton, lesquels portent ladite marque / et un jéroboam de champagne Pop de marque Pommery entouré de deux bouteilles de ce même produit d’une contenance moindre => chacune de ces images, sur lesquelles figure le conditionnement de boissons alcooliques, constitue une publicité pour celle-ci et devait, dès lors, comporter un message sanitaire.
Que retenir ? S’il n’est pas exclu que cette décision fasse l’objet d’un pourvoi en cassation, elle permet d’illustrer l’extrême granularité dont font preuve les juridictions dans l’appréciation de l’illicéité des opérations promotionnelles impliquant de l’alcool, faisant notamment une distinction entre l’objet de la campagne (qui peut être une boisson alcoolisée) et le support de cette campagne (qui doit répondre aux exigences strictes du Code de la santé).
Une grande prudence doit donc être de mise !
Anita Delaage
Avocate
Référence et date : Cour d’appel de Paris, Pôle 2 – chambre 2, 3 décembre 2020, n° 18/15699
Décision non publiée, communiquée sur demande à contact-avocat@taoma-partners.fr
25
juin
2020
Affaire Grimbergen : la Cour de cassation n’est pas sensible à « l’imagination des concepteurs » en matière de publicité pour les boissons alcooliques…
Author:
teamtaomanews
Ce 20 mai, la Cour de cassation s’est une nouvelle fois prononcée sur l’épineuse question de la publicité pour les boissons alcooliques.
La société Kronenbourg a diffusé, pour la promotion de ses bières Grimbergen, les films « La légende du Phoenix », « Les territoires d’une légende », mais également un « Jeu des territoires » et diverses publicités comportant le slogan « L’intensité est une légende ».
L’Association de prévention en alcoologie et en addictologie (ANPAA), reconnue d’utilité publique, a assigné Kronenbourg afin que soit déclarée illicite, au regard de l’article L. 3323-4 du code de la santé publique, la diffusion des éléments précités, que soit ordonné leur retrait du site français grimbergen.fr, et de se voir allouer des dommages-intérêts. Pour rappel, aux termes de l’article susvisé, « la publicité autorisée pour les boissons alcooliques est limitée à l’indication du degré volumique d’alcool, de l’origine, de la dénomination, de la composition du produit, du nom et de l’adresse du fabricant, des agents et des dépositaires ainsi que du mode d’élaboration, des modalités de vente et du mode de consommation du produit.
Cette publicité peut comporter des références relatives aux terroirs de production, aux distinctions obtenues, aux appellations d’origine [ou aux indications géographiques]. Elle peut également comporter des références objectives relatives à la couleur et aux caractéristiques olfactives et gustatives du produit ».
La question se posait de savoir si le caractère objectif ne concernait que la couleur et les caractéristiques olfactives et gustatives du produit, les autres éléments étant laissés à l’imagination des concepteurs, ou si, au contraire, ce principe d’objectivité devait infuser l’entièreté de la publicité.
Condamnée en première instance, la société Kronenbourg avait relevé appel du jugement, la cour d’appel de Paris lui donnant raison en indiquant que les mentions des publicités de boissons alcooliques devaient être purement objectives uniquement lorsqu’elles étaient relatives à la couleur et aux caractéristiques olfactives et gustatives du produit et en précisant que la communication sur les origines et la composition du produit pouvait être hyperbolique.
L’ANPAA s’est pourvue en cassation contre cette décision, soutenant que toutes les indications figurant sur les publicités pour boissons alcooliques doivent être informatives et objectives pour être licites, et la Cour de cassation a suivi son raisonnement en interprétant sévèrement l’article L. 3323-4 du Code de la santé publique. Elle a retenu que « la publicité pour les boissons alcooliques […] demeure limitée aux seules indications et références spécifiées [par ledit article], et présente un caractère objectif et informatif […], lequel ne concerne donc pas seulement les références relatives à la couleur et aux caractéristiques olfactives et gustatives du produit ».
La Haute juridiction a donc étendu le critère d’objectivité et d’information à toutes les indications et références susceptibles d’apparaître sur une publicité pour boissons alcooliques. Ce faisant, elle marque un tournant suite à un arrêt de 2015 qui laissait au contraire envisager un certain assouplissement dans l’interprétation des dispositions issues de la « loi Evin »[1].
Références et date : Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 20 mai 2020, n°19-12.278
Lire la décision sur Légifrance
Quelles implications concrètes pour les publicitaires/annonceurs ? Rappel des grands principes pour qu’une publicité pour des boissons alcooliques soit licite :
Supports autorisés :
Presse écrite hors publications jeunesse ;
Radio, dans des tranches horaires prédéfinies ;
Affichage dans les lieux de vente spécialisés ;
Circulaires commerciales ;
Véhicules de livraison ;
Fêtes traditionnelles consacrées à des boissons alcooliques locales et à l’intérieur de celles-ci ;
Présentations de dégustations traditionnelles (musées, stages d’œnologie, etc.) ;
Objets réservés à la consommation de boissons alcooliques ;
Services de communication en ligne, hors ceux destinés à la jeunesse et ceux édités par des associations, sociétés et fédérations sportives et ligues professionnelles.
Mention obligatoire : Message à caractère sanitaire précisant que l’abus d’alcool est dangereux pour la santé
Mentions autorisées, à condition d’être objectives et non imaginaires ou hyperboliques => il faut présenter le produit sans donner une image valorisante de l’alcool :
Degré volumique d’alcool ;
Origine ;
Dénomination ;
Composition du produit ;
Nom et adresse du fabricant ;
Agents et dépositaires ;
Mode d’élaboration ;
Modalités de vente ;
Mode de consommation ;
Références aux terroirs de production ;
Références aux distinction obtenues ;
Références aux appellations d’origines ou aux indications géographiques ;
Références à la couleur du produit ;
Référence aux caractéristiques olfactives et gustatives du produit ;
Conditionnement, s’il est conforme aux principes ci-dessus.
Eugénie LEBELLE
Élève-avocate
Anita DELAAGE
Avocate
[1] https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000030841220&fastReqId=536820049&fastPos=1
06
décembre
2019
Vers la fin du Black Friday ?
Author:
teamtaomanews
Les députés ont adopté un amendement visant à interdire les campagnes de promotions du « Black Friday » au sein du projet de loi relatif à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire, qui porte sur quatre grandes orientations : gaspillage, mobilisation des industriels, information du citoyen et collecte des déchets.
Pour rappel, le « Black Friday » est une vaste opération d’origine américaine qui se déroule le lendemain de Thanksgiving (quatrième jeudi de novembre) et durant laquelle les commerçants proposent des remises importantes lançant la période des achats de Noël.
Importé en France il y a quelques années, le « Black Friday » a rapidement connu un succès conséquent.
Cette opération commerciale utilise le flou encadrant les promotions afin de contourner la législation encadrant les soldes. En effet, alors que les soldes sont strictement encadrés (durées délimitées par arrêté ministériel, obligation de détenir le stock depuis plus d’un mois, etc.), les commerçants sont libres de proposer des réductions ou promotions à leur gré, tant que ces offres commerciales ne constituent pas des pratiques commerciales déloyales et restent marginales par rapport aux périodes de vente normales.
Cependant, cette année, de nombreuses critiques se sont élevées, aussi bien sur l’impact écologique de la manifestation que sur le caractère souvent trompeur des publicités qui en font la promotion.
L’amendement proposé par Delphine Batho et adopté par les députés vise à lutter contre les pratiques abusives entourant le « Black Friday » en insérant un alinéa à l’article L. 121-7 du code de la consommation, qui régit les pratiques commerciales agressives. Ainsi, il serait interdit, « dans une publicité, de donner l’impression, par des opérations de promotion coordonnées à l’échelle nationale, que le consommateur bénéficie d’une réduction de prix comparable à celle des soldes […] en dehors de leur période légale ».
Si cet amendement n’interdirait pas le Black Friday lui-même, il pourrait fortement en limiter la portée en le privant de publicité.
Lire l’amendement adopté sur le site de l’Assemblée nationale
Salomé Silliaume
Élève-avocate
Anita Delaage
Avocate
09
juillet
2019
L’adultère, fidèle à la déontologie publicitaire
Author:
teamtaomanews
« En amour l’infidélité est un grand crime, mais le public et la nature l’excusent », écrivait Chicaneau de Neuville dans son Dictionnaire philosophique (à ne pas confondre avec celui de Voltaire!) ; en est-il de même pour la déontologie publicitaire ?
Ainsi se présente la question posée récemment à la Cour d’Appel de Paris dans une affaire opposant la Confédération Nationale des Associations de Familles Catholiques à la société américaine Blackdivine, gérante du site de rencontre Gleeden.com, et à laquelle elle a répondu dans un arrêt délivré le 17 mai 2019.
Ce site de rencontre, qui compte un million d’adhérents en France, a en effet choisi de se démarquer de ses concurrents en axant sa communication sur la discrétion de ses services, et en vantant les mérites des relations extraconjugales (voir les exemples d’affiches ci-dessous).
Une approche radicale qui ne fut pas du goût de certaines associations qui, regroupées en confédération, ont donc assigné la société Blackdivine en 2015 afin de faire juger nuls les contrats qu’elle passe avec ses utilisateurs, au motif de cause illicite, et de l’astreindre à retirer ses publicités faisant référence à l’infidélité. Le tribunal de grande instance ayant rejeté leurs demandes, les demandeurs ont interjeté appel.
Il est notamment demandé à la Cour d’ « ordonner à BlackDivine de cesser de faire référence, de quelque manière que ce soit, directe ou indirecte, à l’infidélité ou au caractère extra-conjugal de son activité dans le cadre de ses publicités », au motif qu’un tel comportement est constitutif, au visa de l’article 212 du Code Civil, de la faute civile d’adultère. L’appelante rappelle également à cet effet la tendance jurisprudentielle récente, qui veut que la fréquentation régulière d’un site de rencontres par un des époux suffise à caractériser une telle faute [1].
Elle argue en outre de l’illicéité de ces publicités pour justifier leur interdiction, rappelant les dispositions du code ICC sur la publicité et les communications commerciales, selon lesquelles ces dernières ne doivent pas encourager les comportements violents, illicites ou antisociaux. Elle voit également dans ces publications une violation du décret du 27 mars 1992, qui interdit aux publicités télevisées de choquer les convictions religieuses des spectateurs.
La Cour d’Appel, dans son arrêt du 17 mai dernier, réfute en bloc ces demandes. D’abord, elle juge que l’interprétation de l’article 212 du code Civil ne permet pas de déduire de la faute d’adultère une obligation de fidélité relevant d’un ordre public de direction ; cette faute ne peut être soulevée que par l’un des époux lors d’une procédure de divorce, et souffre des exceptions : « consentement mutuel des époux, excusée par l’infidélité de l’autre époux etc… ». Elle confirme donc le jugement du tribunal, selon lequel la CNAFC ne saurait se prévaloir d’une telle faute pour exiger la suppression des publicités.
Concernant le prétendu caractère illicite des publicités en elles-mêmes, le juge se rend aux arguments du site, et rappelle que non seulement l’association ne démontre pas l’existence d’une incitation à un quelconque comportement illicite, mais que cette campagne publicitaire a déjà fait l’objet d’un examen par le jury de déontologie publicitaire, qui n’y a décelé aucun contenu choquant ou indécent, notamment grâce à l’usage des « évocations, des jeux de mots ou des phrases à double sens ». Le moyen basé sur la protection des convictions religieuses dans les publicités télévisuelles est également rejeté, au nom de la liberté d’expression à laquelle le spot concerné ne porte pas atteinte.
Par cet arrêt, la Cour d’Appel confirme sa volonté de ne pas censurer une campagne publicitaire au simple motif qu’elle serait provoquante et pourrait choquer une certaine population. La protection de la liberté d’expression demeure donc un pilier de la jurisprudence française, comme il l’était déjà en 2006 quand la Cour de Cassation refusait de censurer une parodie de la Cène de Léonard de Vinci remplaçant les apôtres et le Christ par des femmes [2].
Anita Delaage
Avocat à la Cour
Et
Corentin Pousset-Bougère
Stagiaire Avocat
Réf. Décision complète : Cour d’appel, Paris, Pôle 5, chambre 11, 17 Mai 2019 – n° 17/04642
[1] Notamment, Cour d’appel de Lyon 2ème chambre 7 février 2011, N° de RG : 09/06238 ; Cour d’appel de Paris, 19 décembre 2007, N° de RG : 07/03365
[2] Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 14 novembre 2006, 05-15.822 05-16.001, Publié au bulletin
10
décembre
2018
Droit à l’image du mannequin : un « flou » pas qu’artistique
Author:
teamtaomanews
La jurisprudence relative aux contrats de mannequinat se dessine par petites touches et confirme régulièrement que, comme en matière de droit d’auteur, les droits cédés ne le sont que dans la limite de ce qui est expressément prévu.
Le Juge des référés du tribunal de grande instance de Paris vient de rendre une ordonnance qui confirme ce principe, tout en apportant un élément intéressant relatif au « floutage » du visage du mannequin, réalisé par l’utilisateur de son image afin d’atténuer le préjudice allégué.
Une entreprise offrant des solutions technologiques pour améliorer la santé de ses clients (Umanlife) avait fait réaliser une vidéo promotionnelle où un couple interagissait avec leur nouveau-né, leurs amis et leurs outils high-tech. La durée d’exploitation de l’image des deux personnages principaux avait été fixée à deux ans sans que le point de départ de cette période ait été précisé. Un des deux mannequins avait considéré que la période était échue et, constatant que la vidéo était toujours en ligne, avait mis en demeure Umanlife de cesser cette utilisation.
L’entreprise a alors appliqué un filtre flou sur le visage du demandeur chaque fois qu’il apparaissait sur la vidéo. Estimant que cette mesure n’était pas suffisante, celui-ci a assigné Umanlife en référé, réclamant l’interdiction de la diffusion du spot publicitaire ainsi que la réparation de son préjudice.
Sur la caractérisation de l’atteinte
Le Juge des référés s’est considéré compétent car le trouble manifestement illicite découlait de la « seule violation » résultant du simple fait que le « corps, attribut du droit à l’image, [apparaissait dans la vidéo] ». Le demandeur avançait en effet que, dans le cadre de son métier, il utilisait autant son corps, et notamment ses mains, très exploitées dans la vidéo, que son visage. Ainsi, le TGI reconnaît que le corps du mannequin est protégeable au titre du droit à l’image, au même titre que son visage.
Sur ce point, il est est intéressant de comparer ce jugement à des décisions rendues en matière de protection de la vie privée qui ont conclu, au contraire, que la victime d’un paparazzi pouvait obtenir réparation du préjudice subi à condition que le floutage des images n’empêche pas son identification (notamment Cour d’Appel de Versailles, 6 novembre 2008, RG n°07/08158). La différence de solution semble être justifiée par le fait que le corps du mannequin est bien son instrument de travail et que la nature de l’atteinte est différente.
Le juge a ensuite réglé la question du point de départ de la période de cession du droit à l’image, absent du contrat. Il a interprété le contrat « à la lumière de la volonté des parties » en adoptant comme date d’entrée en vigueur de l’accord celle qui avait été retenue pour établir les redevances régularisées auprès de la deuxième mannequin (qui avait apparemment signé un protocole avec la société à compter du 24 septembre 2015, ce qui impliquait que le contrat initial avait pris fin à cette date), donnant ainsi raison au demandeur.
Il a dès lors constaté que l’image du mannequin avait été exploitée après la période contractuelle et en a déduit une violation du droit à l’image.
Cette ordonnance vient compléter une jurisprudence antérieure qui avait considéré que l’absence de durée précise ne valait pas durée illimitée (TGI Créteil, 1e chambre civile, 15 novembre 2016, Nathalie L. c/ Éditions Concorde).
Sur l’impact du « floutage » opéré par la défenderesse sur la détermination des mesures de réparation
Si le juge a donné raison au demandeur sur le principe, il n’a pas accordé les mesures demandées. En effet, il a estimé que la provision octroyée (4.000€) suffisait, à ce stade, à réparer le préjudice subi et que le retrait de la vidéo serait disproportionné. La justification avancée est que la défenderesse est une simple start-up qui a d’ores et déjà rémunéré la deuxième mannequin pour deux années supplémentaires et flouté le visage du demandeur.
La solution peut paraitre étrange car, si la violation est caractérisée, « peu import[ant] que le visage du demandeur soit ‘flouté’ », elle devrait être sanctionnée par la cessation de l’atteinte. On peut donc voir dans cette ordonnance une application du principe de proportionnalité, qui trouve un terrain d’élection particulier en matière de référé lorsque le juge doit concilier certains droits avec la liberté d’expression, mais également une répercussion de la patrimonialisation de l’image (puisqu’il ne s’agissait pas d’une violation de la vie privée du mannequin, mais d’une atteinte à son outil de travail, une réparation pécuniaire peut être satisfaisante).
Référence et date : Tribunal de grande instance de Paris, Ordonnance de référé du 16 novembre 2018
Lire L’ordonnance sur Legalis