17
août
2023
La Cour d’appel ne Rhônonce pas à la protection des AOP viticoles !
Author:
TAoMA
Il s’agit d’une nouvelle victoire pour les indications géographiques viticoles, et plus particulièrement pour l’appellation Côtes du Rhône.
A l’instar des dernières décisions rendues en matière d’appellations d’origine protégées (AOP) et d’indications géographiques protégées (IGP) viticoles ou même fromagères, cette fois-ci c’est la protection du terme « Rhône » qui vient d’être entérinée par la Cour d’appel de Paris.
A l’origine de ce litige, une action judiciaire introduite par le Syndicat général des vignerons réunis des Côtes du Rhône et l’Institut National de l’Origine et de la Qualité (INAO) devant le Tribunal Judiciaire de Paris contre le négoce de vins NewRhône Millésimes pour le dépôt et l’usage des marques françaises NEWRHONE No. 4425084 et No. 4425088, enregistrées en 2018 pour des « Vins bénéficiant des appellations d’origines protégées « Côtes du Rhône » et « Côtes du Rhône Villages » y compris les Crus des Côtes du Rhône, et des autres appellations d’origines protégées de la Vallée du Rhône ».
Déboutées en première instance aux motifs que « le terme « Rhône » renvoie au fleuve et non pas aux appellations », les demanderesses ont fait appel de cette décision le 12 mai 2021 devant la Cour d’appel de Paris.
Le 26 mai dernier [1], la troisième chambre de la Cour d’appel de Paris a prononcé la nullité des marques susvisées pour l’intégralité des produits désignés, et interdit l’exploitant NewRhône Millésimes « dans un délai de 45 jours à compter de la signification du présent arrêt (…) de faire usage du signe « Newrhône » pour désigner des vins, le commerce des vins ou leur promotion ».
A la lumière de l’arrêt Champanillo rendue par la CJUE en décembre 2021, la Cour d’appel de Paris rappelle l’importance de la notion d’« évocation », et plus précisément le fait que « le critère déterminant est celui de savoir si le consommateur, en présence d’une dénomination litigieuse, est amené à avoir directement à l’esprit, comme image de référence, la marchandise couverte par l’AOP (…) ».
La Cour considère ainsi que « ces signes incorporent en partie les appellations protégées « Côtes du Rhône » et « Côtes du Rhône Villages », en l’occurrence le terme ‘Rhône’, qui en constitue l’élément dominant, les termes ‘Côtes’ et «’Villages’» constituant des termes communs et secondaires, contrairement au terme ‘ Rhône’ qui sera identifié par le consommateur européen moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé comme se rapportant à des vins d’appellation protégée, répondant à des critères définis par un cahier des charges ».
Elle poursuit par ailleurs – avec ce qui pourrait être considéré comme l’attendu fondamental de cette décision – en précisant qu’« un vin conforme à un cahier des charges et bénéficiant d’une appellation d’origine ne peut faire usage de celle-ci que sous sa forme enregistrée, tout autre usage n’étant pas autorisé, qu’il s’agisse d’une imitation ou d’une évocation et que cette imitation ou évocation porte sur l’un ou l’ensemble des composants d’une appellation ».
A l’instar des dernières décisions judiciaires ou administratives rendues en matière d’atteintes portées à des AOP et à des IGP, cette décision de justice vient de nouveau préciser les contours de leur protection, et renforcer la réglementation de leur utilisation.
Gaëlle Bermejo
Conseil en Propriété Industrielle
[1] Cour d’appel de Paris, 26 mai 2023 – RG n° 21/09232, Pôle 5 Chambre 2
12
novembre
2021
Marque de champagne : l’abus procédural peut nuire à la santé
Author:
teamtaomanews
Le Tribunal judiciaire de Paris a récemment rendu une décision en matière de contrefaçon et, subsidiairement, de concurrence déloyale et de parasitisme, qui sonne comme un avertissement contre l’instrumentalisation de la justice à des fins d’éviction de concurrents. La décision est devenue définitive.
Cette affaire opposait deux sociétés productrices de vins de Champagne situées dans le même village : la société CHAMPAGNE ANDRE CLOUET, demanderesse, qui commercialise du champagne sous cette même appellation et la société CALX qui en commercialise sous le nom « LUCIEN COLLARD ».
Titulaire de deux marques semi-figuratives, une française de 2013 et une européenne de 2016, la demanderesse reprochait à CALX de commercialiser des vins de Champagne avec des étiquettes qui « présentent une physionomie extrêmement proche de ses marques ». Il faut préciser que les étiquettes litigieuses reproduisent la marque verbale française « LUCIEN COLLARD », du nom de son titulaire, le président de CALX :
Marque européenne de la demanderesse et exemple d’étiquette de la défenderesse
Dans une dispute qu’on devine être une querelle de clocher entre producteurs voisins, la société demanderesse a donc tenté d’agir sur le terrain de la contrefaçon en reprochant à la défenderesse, à l’occasion de son entrée sur un marché scandinave où elle était établie de longue date, l’utilisation non autorisée de sa marque antérieure.
On notera tout d’abord une intéressante requalification par le tribunal d’une fin de non-recevoir en demande reconventionnelle en nullité, dont elle déboute la défenderesse : celle-ci avait tenté de faire déclarer la demanderesse irrecevable à agir sur le fondement de sa marque européenne de 2016, postérieure au droit d’auteur invoqué sur l’étiquette de la défenderesse. Les éléments verbaux des signes en présence étant totalement différents, la demande reconventionnelle est rejetée.
Sur la demande principale en contrefaçon, le tribunal procède à une analyse du risque de confusion et en exclut la possibilité, de façon peu surprenante au vu des données de fait. Il considère que, si les produits désignés sont « pour une très large part identiques », l’élément dominant de la marque antérieur est son élément verbal et qu’il est très différent de celui utilisé par la défenderesse (« André Clouet » vs « Lucien Collard »).
Le caractère onéreux du produit concerné confère au public pertinent « un niveau d’attention un peu plus élevé que pour d’autres boissons alcoolisées ». Cette attention élevée a pour effet de neutraliser les éléments figuratifs différents dans les deux étiquettes, objets de la demande de contrefaçon qui est donc rejetée.
Les demandes relatives à la concurrence déloyale et au parasitisme subissent le même sort.
Le Tribunal reprend une analyse similaire pour comparer les étiquettes en présence et ajoute que les ornements utilisés relèvent d’un « procédé connu, qui a été couramment utilisé par de nombreux exploitants de Champagne » et qui est donc banal.
Le tribunal n’a pas reconnu non plus le parasitisme car la défenderesse a apporté la preuve qu’elle a effectué des investissements pour la conception et le packaging de ses bouteilles à travers une société spécialisée dans l’habillage des vins.
Le caractère radicalement infondé des demandes formulées, ajouté à certains éléments de contexte, a amené le Tribunal à entrer en voie de condamnation pour procédure abusive.
En effet, les parties coexistaient déjà sur le marché depuis quatre ans et la demanderesse n’a allégué un risque de confusion qu’après avoir constaté que sa concurrente avait remporté un appel d’offres sur le marché scandinave, notamment norvégien, où elle était elle-même présente. De plus, la proximité géographique des parties, situées dans une même commune de moins de 1.000 habitants, et leur appartenance à un même secteur d’activité permettent de conclure que la demanderesse avait nécessairement connaissance des étiquettes utilisées par la défenderesse bien avant l’invocation d’une confusion par lettre de mise en demeure en juin 2019.
Le tribunal conclut alors que l’action en contrefaçon et en concurrence déloyale et parasitisme intentée par la demanderesse « n’a été motivée que par sa volonté délibérée d’entraver la société CALX dans le développement de son activité », reconnaissant ainsi le caractère abusif de la procédure et condamnant la demanderesse à 5.000 euros de dommages-intérêts et 15.000 euros d’article 700.
La décision illustre le risque que peuvent prendre les justiciables à tenter d’évincer un concurrent en instrumentalisant des outils légaux et l’institution judiciaire.
Référence et date : Tribunal judiciaire de Paris, 3e chambre, 1e section, 29 juillet 2021, RG n° 19/13569
Décision non publiée, communiquée sur demande à contact-avocat@taoma-partners.fr
Salomé Hafiani Lamotte
Stagiaire – Pôle Avocats
Jérémie Leroy-Ringuet
Avocat à la cour
12
octobre
2021
Il y a des bulles dans l’air pour les exploitants du terme « Champanillo »
Author:
teamtaomanews
Dans le cadre d’un arrêt décisif rendu le 9 septembre dernier, la Cour de Justice de l’Union Européenne rappelle et renforce les garanties dont bénéficient les Appellations d’origine protégée (AOP), plus particulièrement l’appellation CHAMPAGNE.
A l’origine de ce litige, une action menée devant les juridictions espagnoles par le Comité Interprofessionnel du Vin de Champagne (CIVC) contre la société GB qui utilise le signe champanillo (signifiant petit champagne en espagnol) accompagné d’un support graphique représentant deux coupes remplies d’une boisson mousseuse, pour désigner et promouvoir ses bars à tapas en Espagne.
Lors d’un renvoi préjudiciel initié par les instances espagnoles, la CJUE précise les conditions de protection dont bénéficient les produits couverts par une AOP.
D’une part, le règlement portant organisation commune des marchés des produits agricoles[1] protège les AOP à l’égard d’agissements se rapportant tant à des produits qu’à des services. Ainsi, les AOP bénéficient d’une protection très large qui s’étend à toute utilisation visant à profiter de la réputation associée aux produits visés par l’une de ces indications.
D’autre part, la notion d’ »évocation », condition sine qua non pour caractériser une atteinte à une AOP, n’est pas subordonnée à l’exigence d’une identité ou similarité entre les produits de l’AOP et les produits ou services exploités par le signe litigieux. Les produits ou services peuvent être différents, l’atteinte sera quand même reconnue dès lors que le consommateur sera en mesure d’établir un lien direct et univoque entre la dénomination litigieuse et l’AOP.
Cette décision, amplement saluée par le CIVC, s’inscrit dans le prolongement de la décision CHAMPAGNOLA rendue par la Chambre de recours de l’EUIPO, qui confirmait également que l’atteinte à l’AOP était caractérisée dès lors qu’il y avait une évocation audit signe et une utilisation permettant de profiter de sa réputation même en présence de produits/services non similaires.
Il semblerait qu’en précisant et renforçant les conditions de protection dont bénéficient les produits couverts par une AOP, la CJUE ait fermement décidé de rappeler que les bulles estampillées « CHAMPAGNE », ça se mérite !
Gaëlle Bermejo
Juriste
[1] Règlement (UE) n ° 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles et abrogeant les règlements (CEE) n ° 922/72, (CEE) n ° 234/79, (CE) n ° 1037/2001 et (CE) n ° 1234/2007 du Conseil. OJ L 347, 20.12.2013, p. 671–854.
12
août
2021
Moscou sabre l’AOC « Champagne » en russe et la relègue au rang de simple « vin à bulles » pour les exportateurs français
Author:
teamtaomanews
Le 2 juillet 2021, Vladimir Poutine a validé l’amendement de la loi sur la réglementation des boissons alcoolisées réservant l’appellation « Shampanskoye » (« Champagne » en russe) aux seuls producteurs de vin russes.
Non seulement cette nouvelle norme dégrade la protection offerte par l’AOC (appellation d’origine contrôlée) « Champagne », mais elle interdit de surcroit aux producteurs étrangers – et notamment français – d’avoir recours à cette dénomination traduite en russe. Les champagnes français importés devront donc désormais être qualifiés de « sparkling wines » (vins à bulles) en lieu et place de « Shampanskoye ». Pire encore, en cas de non-respect de la nouvelle réglementation, les vins français seront assimilés à de la contrefaçon.
Il est cependant important de noter que la dénomination « Champagne » reste l’apanage de nos grands vins en Russie.
Les conséquences économiques ne sont pas négligeables sachant que les exportations françaises de champagne vers la Russie représentent 13% des 50 millions des litres de mousseux importés. Nos producteurs français devront donc apporter des modifications textuelles sur leurs étiquettes avant d’exporter leurs nectars vers la Russie.
Pour comprendre la gravité de l’atteinte porté au droit français par Moscou il faut rappeler ce que représente le régime des AOC.
Une appellation d’origine contrôlée (AOC), ou appellation d’origine protégée (AOP) au niveau européen, permet d’identifier un produit présentant des caractéristiques indissociables de l’espace géographique dans lequel il est produit. Obtenir une AOP prend plusieurs années et nécessite des études techniques poussées pour démontrer que les caractéristiques du produit sont dues à la situation géographique de l’aire de production et au savoir-faire local.
L’objectif poursuivi est double : il s’agit d’une part d’offrir au consommateur une identification claire du produit et de ses qualités, et d’autre part de protéger les producteurs régionaux contre des concurrents désireux de s’accaparer indûment la réputation de leur terroir.
Le domaine viticole est inséparable des AOC puisque c’est de ce milieu qu’elles sont issues. C’est en 1935 sous l’impulsion de vignerons renommés qu’un décret-loi vient fixer les premières AOC. Figurent dans cette liste des grands crus à l’instar des vins de Châteauneuf-du-Pape, de Tavel ou encore de Montbazillac. Le Champagne les a bien vite rejoints en 1936. Le domaine viticole est aujourd’hui toujours fécond en appellations d’origine, puisqu’on en dénombrait 363 en France en 2017.
De l’autre côté de l’Oural, la conception de la préservation des productions locales est bien différente. En effet, en 1930 Staline a entrepris de créer un « champagne soviétique ». Bas de gamme et produit en masse, il présentait l’intérêt d’être accessible à tous.
Face à la Russie, le respect des AOC au-delà des frontières de l’hexagone reste difficile même si l’Union européenne tente d’inclure leur protection lors de la signature d’accords commerciaux avec d’autres états.
Anne-Cécile Pasquet
Auditrice de justice
Jean-Charles Nicollet
Conseil en Propriété Industrielle
Responsable du Pôle juridique CPI
05
juillet
2021
Pour l’office européen de la propriété intellectuelle (EUIPO), ne s’improvise pas fabriquant de Prosecco qui veut !
Author:
teamtaomanews
Avec ses fines bulles et son prix abordable, le Prosecco a depuis une vingtaine d’années conquit les faveurs des vacanciers estivaux. Ingrédient indispensable au Spritz, cocktail lui-même indispensable à tout apéritif réussi, ce vin blanc pétillant est typique de l’Italie. Plus particulièrement de sa région nord-est, dans laquelle s’élèvent les collines du Prosecco.
Ce détail a son importance puisque le Prosecco, à l’instar de son cousin français le Champagne, est protégé par une AOP : une appellation d’origine protégée. L’AOP permet d’empêcher les tiers de profiter indûment de l’aura du nom d’un produit souvent renommé.
L’AOP Prosecco a été enregistrée dans la catégorie « vin » le 1er août 2009, et c’est pour en assurer la défense que le Consortium pour la protection de l’Appellation d’Origine Contrôlée Prosecco – ou dans la langue de Dante « Consorzio di tutela della Denominazione di Origine Controllata Prosecco » – a formé opposition le 17 juin 2020 contre l’ensemble des produits désignés par la demande de marque déposée le 22 décembre 2019 par la société Hempdrinks GmbH, en classes 32 et 33 pour des boissons non alcooliques et diverses boissons alcooliques.
Cultivé bien loin de collines transalpines, le « Hamp-Secco » est un alcool fabriqué à base de chanvre au Weinviertel, une région viticole autrichienne.
Pour solliciter le rejet de la demande de marque l’opposant se fonde sur l’article 8§6 du Règlement sur la marque de l’Union européenne (RMUE) permettant de s’opposer à une demande de marque sur la base d’une AOP ou indication géographique protégée par le règlement UE n°1308/2013, consacré aux produits viticoles. Selon ce dernier règlement, les indications géographiques et plus particulièrement les AOP sont protégées contre :
– tout usage direct ou indirect du nom protégé pour des produits comparables qui ne respecteraient pas le cahier des charges de l’indication géographique ou dans le cas où cette utilisation exploiterait la renommée de l’AOP ou de l’indication géographique
– toute utilisation abusive, imitation ou évocation, même si la vraie origine des produits est indiquée ou si le nom protégé est traduit ou accompagné d’une expression du type « style », « méthode », « imitation », etc.
– toute autre indication fausse ou trompeuse sur la provenance, l’origine, la nature ou les qualités essentielles du produit, à l’intérieur ou à l’extérieur du packaging, des supports publicitaires, etc.
– toute autre pratique susceptible d’induire en erreur le consommateur sur la véritable origine du produit.
Il s’agit donc d’une protection large et la jurisprudence est en la matière relativement sévère puisqu’il suffit que le signe litigieux provoque chez le consommateur raisonnablement bien informé et observateur une confusion avec l’AOP pour que ces textes trouvent à s’appliquer.
Comme dans le cadre d’une opposition basée sur une marque antérieure, lorsque le droit invoqué est une AOP, l’EUIPO prend en considération les ressemblances phonétiques et visuelles entre les signes ainsi que le degré de similarité entre les produits concernés.
Dans le cas présent, l’EUIPO a jugé que la demande de marque était susceptible de créer dans l’esprit du consommateur une association avec l’AOP Prosecco, aussi bien pour les boissons alcoolisées que non alcoolisées. En effet, l’élément verbal HEMP-SECCO est placé en position prédominante au sein de la marque contestée. Les autres éléments composant la demande sont des éléments figuratifs et décoratifs ou des éléments verbaux de plus petite taille. Il s’agit donc d’éléments secondaires par rapport à la dénomination HEMP-SECCO. Par ailleurs, cette dernière sera utilisée oralement par le public pour se référer aux produits et sera donc l’élément retenu par le consommateur.
L’EUIPO relève que les signes HEMP-SECCO et PROSECCO partagent 5 lettres formant la séquence « secco » mais également la lettre P au sein de leurs préfixes. Enfin, ces éléments verbaux ont la même structure et le même nombre de syllabes. Au regard de ces différents développements, l’EUIPO considère que la marque constitue une évocation de l’AOP Prosecco. La marque est par conséquent rejetée.
Ainsi si les bulles du Prosecco ont vocation à pétiller sur les terrasses du monde entier, le nom du vin lui, ne dépassera pas les frontières de ses collines.
Anne-Cécile Pasquet
Auditrice de justice
Jean-Charles Nicollet
Conseil en Propriété Industrielle
Responsable du Pôle juridique CPI
27
janvier
2021
Opérations promotionnelles et boissons alcoolisées, une navigation en eaux troubles…
Author:
teamtaomanews
Il y a bientôt dix ans, la Cour de cassation faisait sensation en décidant, dans une célèbre décision « Ricard », que le partage, par des abonnés Facebook, de messages générés par une application pouvait constituer de la publicité en faveur de boissons alcooliques.
Plus récemment, la cour d’appel de Paris est venue apporter des précisions sur ce qui doit être considéré comme entrant dans la définition de ces publicités, par ailleurs strictement encadrées par le Code de la santé publique.
Une société exploitant des casinos a confié à une agence de publicité le soin de réaliser son programme de fidélité et des actions de création de trafic et d’animation de ses établissements de jeu. Pour ce faire, une campagne promotionnelle a été lancée, comportant :
Une loterie commerciale intitulée « Champagne à vie » dont le lot principal était une bouteille par mois à vie de champagne de la marque Pommery,
Une opération promotionnelle concomitante intitulée « 2 coupes de champagne + 10 euros de jetons pour 10 euros seulement ».
La publicité de ces opérations était effectuée sur :
Le site champagneavie.com, créé pour l’occasion,
Les pages Facebook des casinos concernés,
Le journal Directmatin, notamment disponible en ligne (édité par la société Bolloré Digital Média).
L’Association nationale de prévention en alcoologie et en addictologie (ANPAA) a assigné l’ensemble des parties prenantes (les sociétés du groupe Pommery fournissant le champagne, la société exploitant les casinos, l’agence de communication ayant conçu la campagne et la société Bolloré Digital Média l’ayant relayée), faisant valoir que ces publications constituaient de la publicité illicite en faveur de la boisson alcoolique Champagne Pommery ainsi qu’un parrainage illicite de jeu.
Après de nombreux débats en première instance sur le partage de responsabilité des parties ainsi que sur la valeur du constat d’huissier, l’ANPAA a porté l’affaire devant la cour d’appel de Paris, auprès de laquelle elle conteste :
1- La licéité du visuel faisant la promotion de l’opération, qui contiendrait des mentions qui ne sont pas expressément autorisées le Code de la santé publique, à savoir :
La présence de jetons de casino,
Les mentions « 10 euros de jetons et pour 10 euros seulement » et « champagne à vie » et le nom du casino,
L’illustration de verres en train de trinquer.
Elle critique en outre ce qu’elle qualifie d’invitation à la pratique du jeu sous l’emprise de l’alcool, de nature à susciter une perte de contrôle, prétendant notamment que la jurisprudence sanctionnerait l’association d’éléments liés aux jeu de hasard aux boissons alcooliques et dénonce le fait que les deux coupes de champagne seraient en réalité offertes.
2- La licéité du jeu concours « Champagne à vie » qui constituerait a minima une publicité indirecte pour de l’alcool ne respectant pas les dispositions relatives à ce type de communication et dont le lot lui-même contribuerait à banaliser une consommation déraisonnée et excessive de l’alcool.
3- La présence sur le site Internet champagneavie.com du visuel contesté accompagné du slogan« tout pétille encore plus dans les casinos D. »
4- La présence sur les pages Facebook des casinos concernés de publications constituant des publicités illicites pour des boissons alcooliques en raison de l’utilisation de la marque Pommery et de l’évocation de la boisson vendue sous cette marque, à savoir du champagne.
La cour commence son raisonnement en rappelant les règles strictes issues du Code de la santé publique encadrant la publicité, directe ou indirecte, pour les boissons alcooliques, à savoir, en substance :
Les supports autorisés (presse écrite hors jeunesse, offre d’objets strictement réservés à la consommation d’alcool marqués au nom des fabricants, services de communication en ligne hors jeunesse et associations sportives, etc.) ;
L’interdiction des opérations de parrainage ;
Les mentions autorisées (degré volumique d’alcool, origine, dénomination, modalités de vente et de consommation du produit, référence aux terroirs, etc.) ;
L’obligation d’accompagner la publicité d’un message sanitaire précisant que l’abus d’alcool est dangereux pour la santé.
Appliquant ces règles :
1- Elle estime que le visuel litigieux constitue une publicité illicite.
En effet, la campagne promotionnelle a pour finalité de promouvoir les établissements de jeux concernés et de créer un courant de clientèle par le biais d’offres attractives inhérentes à la démarche publicitaire. Bien qu’elle ne soit donc pas assimilable à une offre de consommation d’alcool gratuite, elle s’apparente bien à de la publicité incitant à la consommation d’une boisson alcoolique, ce que les défenderesses ne pouvaient pas nier puisqu’elles avaient intégré l’avertissement sanitaire imposé par le Code de la santé publique.
Ainsi, ses composants doivent être analysés à la lumière des dispositions dudit Code :
La présentation flatteuse du produit par la mise en valeur de sa couleur et de sa pétillance (sic), la référence à son mode de consommation par l’inclinaison des coupes qui miment le geste de trinquerrenvoient aux caractéristiques objectives du produit et un mode de consommation coutumier et ne peuvent donc pas être critiquées ;
Par contre, la présence des jetons de jeu excède les prévisions du Code qui limitent la communication au produit et son environnement.
2- En revanche, concernant l’opération elle-même, la cour souligne que seule la communication autour de l’opération est soumise au régime légal des publicités en faveur des boissons alcooliques, le jeu lui-même étant soumis aux dispositions du Code de la consommation, qui n’interdit nullement l’offre de champagne en tant que lot.
3- Concernant la présence des visuels litigieux sur le site disponible à l’adresse champagneavie.com, la cour relève qu’il s’ouvre sur un visuel quasi-identique à celui déjà reconnu illicite, caractère accentué par le fait que le slogan « tout pétille encore plus dans les casinos D. » prête à l’établissement une des qualités du vin vendu – son pétillement. Ainsi, ces images sont également illicites.
4- Enfin, à propos des publications sur les pages Facebook des casinos concernés, la cour raisonne en plusieurs temps :
L’annonce de l’opération « champagne à vie » (« Préparez-vous à pétiller. Rendez-vous dans votre casino D pour tenter de remporter du champagne offert chaque mois à vie. Pour en savoir plus et trouver votre casino, cliquez ici : […] Votre bouteille de champagne offerte chaque mois à vie », le tout sans la moindre référence à une marque de commerce d’une boisson alcoolisée) ne constitue qu’une invitation à participer à la loterie, ce qui est licite.
De même, l’annonce d’une « offre découverte » comportant la mention « – 20% sur la 2e place pour le même spectacle + 5 euros de jetons + 2 coupes de champagne », le tout encadré à gauche du dessin de jeton et à droite de deux verres de champagne (qui trinquent), sans la moindre mention de marque de commerce de boissons alcooliques a pour finalité d’inciter les internautes à acquérir une place de spectacle et ne constitue nullement une publicité pour le vin de champagne. Elle n’avait donc pas à être accompagnée d’une mention sanitaire.
Enfin, s’agissant de l’annonce des gagnants de la loterie, une distinction est faite entre :
Le texte de l’annonce « félicitation aux heureux gagnants de notre grand jeu concours Champagne à vie, merci à toutes et à tous pour votre participation. A très bientôt, dimanche, ne ratez pas le tirage au sort de notre jeu champagne à vie. Gagnez en exclusivité ce Jéroboam Silver Pop produit en édition limitée, plus que 3 jours pour tenter de remporter du champagne offert à vie. Rendez-vous dimanche dans votre Casino D pour découvrir si vous avez gagné […] » => dès lors que la loterie ne constitue pas en elle-même un support interdit, l’emploi de ces termes n’était pas interdit.
Les photographies représentant des bouteilles de champagne de marque Pommery sur un présentoir à étage / quatre gagnants posant à côté d’une bouteille et d’un carton, lesquels portent ladite marque / et un jéroboam de champagne Pop de marque Pommery entouré de deux bouteilles de ce même produit d’une contenance moindre => chacune de ces images, sur lesquelles figure le conditionnement de boissons alcooliques, constitue une publicité pour celle-ci et devait, dès lors, comporter un message sanitaire.
Que retenir ? S’il n’est pas exclu que cette décision fasse l’objet d’un pourvoi en cassation, elle permet d’illustrer l’extrême granularité dont font preuve les juridictions dans l’appréciation de l’illicéité des opérations promotionnelles impliquant de l’alcool, faisant notamment une distinction entre l’objet de la campagne (qui peut être une boisson alcoolisée) et le support de cette campagne (qui doit répondre aux exigences strictes du Code de la santé).
Une grande prudence doit donc être de mise !
Anita Delaage
Avocate
Référence et date : Cour d’appel de Paris, Pôle 2 – chambre 2, 3 décembre 2020, n° 18/15699
Décision non publiée, communiquée sur demande à contact-avocat@taoma-partners.fr
25
janvier
2021
Cidre de Perche: 22 ans pour obtenir l’AOC!
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teamtaomanews
Les producteurs de cidre de Perche peuvent se réjouir d’avoir obtenu la consécration pour leurs produits : le sceau de l’Appellation d’Origine Contrôlée, de son petit nom AOC.
Nous pourrions être mauvaises langues et nous dire qu’il s’agit d’une AOC de plus, mais il s’agirait d’un commentaire réducteur. La procédure pour obtenir une AOC est longue et compliquée. Dans le cadre du cidre de Perche, il aura fallu près de 22 ans aux producteurs pour obtenir le graal !
En effet, l’AOC signifie que le produit bénéficie de caractéristiques, notamment gustatives, qui résultent aussi bien de la qualité du terroir et des produits locaux que du savoir-faire des producteurs de la région. Toutes les étapes de production doivent être réalisées dans l’aire géographique que l’AOC couvrira.
Il revient donc aux producteurs, qui souhaitent obtenir une AOC, d’apporter la preuve que les caractéristiques de leurs produits ne peuvent être obtenues que dans leur aire géographique. Seul moyen, faire conduire de nombreuses études par des experts sur la topographie, les qualités particulières de la terre locale par rapport à d’autres zones, les méthodes de production, etc.
Toutes ces études prennent du temps et surtout, représentent un investissement financier important. La quête du sceau sacré implique ainsi une démarche réfléchie des producteurs qui croient en leurs produits.
Car le chemin ne s’arrête pas une fois l’AOC obtenue. Le dossier est ensuite transmis à la Commission européenne. Cette dernière en fera une étude minutieuse, pourra demander des compléments d’expertises, etc. Enfin, elle décidera soit de valider l’AOC, qui cèdera alors sa place à l’AOP (Appellation d’Origine Protégée) et sera inscrite au registre européen, soit de refuser l’AOC, entrainant sa disparition.
Dans le cadre de l’AOC cidre de Perche, la Commission européenne pourrait rendre sa décision d’ici la fin de l’année 2021. Les producteurs ne sont donc pas encore au bout de leurs peines, une AOC, ça se mérite !
Jean-Charles Nicollet
Conseil en Propriété Industrielle
Responsable du Pôle juridique CPI
25
juin
2020
Affaire Grimbergen : la Cour de cassation n’est pas sensible à « l’imagination des concepteurs » en matière de publicité pour les boissons alcooliques…
Author:
teamtaomanews
Ce 20 mai, la Cour de cassation s’est une nouvelle fois prononcée sur l’épineuse question de la publicité pour les boissons alcooliques.
La société Kronenbourg a diffusé, pour la promotion de ses bières Grimbergen, les films « La légende du Phoenix », « Les territoires d’une légende », mais également un « Jeu des territoires » et diverses publicités comportant le slogan « L’intensité est une légende ».
L’Association de prévention en alcoologie et en addictologie (ANPAA), reconnue d’utilité publique, a assigné Kronenbourg afin que soit déclarée illicite, au regard de l’article L. 3323-4 du code de la santé publique, la diffusion des éléments précités, que soit ordonné leur retrait du site français grimbergen.fr, et de se voir allouer des dommages-intérêts. Pour rappel, aux termes de l’article susvisé, « la publicité autorisée pour les boissons alcooliques est limitée à l’indication du degré volumique d’alcool, de l’origine, de la dénomination, de la composition du produit, du nom et de l’adresse du fabricant, des agents et des dépositaires ainsi que du mode d’élaboration, des modalités de vente et du mode de consommation du produit.
Cette publicité peut comporter des références relatives aux terroirs de production, aux distinctions obtenues, aux appellations d’origine [ou aux indications géographiques]. Elle peut également comporter des références objectives relatives à la couleur et aux caractéristiques olfactives et gustatives du produit ».
La question se posait de savoir si le caractère objectif ne concernait que la couleur et les caractéristiques olfactives et gustatives du produit, les autres éléments étant laissés à l’imagination des concepteurs, ou si, au contraire, ce principe d’objectivité devait infuser l’entièreté de la publicité.
Condamnée en première instance, la société Kronenbourg avait relevé appel du jugement, la cour d’appel de Paris lui donnant raison en indiquant que les mentions des publicités de boissons alcooliques devaient être purement objectives uniquement lorsqu’elles étaient relatives à la couleur et aux caractéristiques olfactives et gustatives du produit et en précisant que la communication sur les origines et la composition du produit pouvait être hyperbolique.
L’ANPAA s’est pourvue en cassation contre cette décision, soutenant que toutes les indications figurant sur les publicités pour boissons alcooliques doivent être informatives et objectives pour être licites, et la Cour de cassation a suivi son raisonnement en interprétant sévèrement l’article L. 3323-4 du Code de la santé publique. Elle a retenu que « la publicité pour les boissons alcooliques […] demeure limitée aux seules indications et références spécifiées [par ledit article], et présente un caractère objectif et informatif […], lequel ne concerne donc pas seulement les références relatives à la couleur et aux caractéristiques olfactives et gustatives du produit ».
La Haute juridiction a donc étendu le critère d’objectivité et d’information à toutes les indications et références susceptibles d’apparaître sur une publicité pour boissons alcooliques. Ce faisant, elle marque un tournant suite à un arrêt de 2015 qui laissait au contraire envisager un certain assouplissement dans l’interprétation des dispositions issues de la « loi Evin »[1].
Références et date : Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 20 mai 2020, n°19-12.278
Lire la décision sur Légifrance
Quelles implications concrètes pour les publicitaires/annonceurs ? Rappel des grands principes pour qu’une publicité pour des boissons alcooliques soit licite :
Supports autorisés :
Presse écrite hors publications jeunesse ;
Radio, dans des tranches horaires prédéfinies ;
Affichage dans les lieux de vente spécialisés ;
Circulaires commerciales ;
Véhicules de livraison ;
Fêtes traditionnelles consacrées à des boissons alcooliques locales et à l’intérieur de celles-ci ;
Présentations de dégustations traditionnelles (musées, stages d’œnologie, etc.) ;
Objets réservés à la consommation de boissons alcooliques ;
Services de communication en ligne, hors ceux destinés à la jeunesse et ceux édités par des associations, sociétés et fédérations sportives et ligues professionnelles.
Mention obligatoire : Message à caractère sanitaire précisant que l’abus d’alcool est dangereux pour la santé
Mentions autorisées, à condition d’être objectives et non imaginaires ou hyperboliques => il faut présenter le produit sans donner une image valorisante de l’alcool :
Degré volumique d’alcool ;
Origine ;
Dénomination ;
Composition du produit ;
Nom et adresse du fabricant ;
Agents et dépositaires ;
Mode d’élaboration ;
Modalités de vente ;
Mode de consommation ;
Références aux terroirs de production ;
Références aux distinction obtenues ;
Références aux appellations d’origines ou aux indications géographiques ;
Références à la couleur du produit ;
Référence aux caractéristiques olfactives et gustatives du produit ;
Conditionnement, s’il est conforme aux principes ci-dessus.
Eugénie LEBELLE
Élève-avocate
Anita DELAAGE
Avocate
[1] https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000030841220&fastReqId=536820049&fastPos=1