13
février
2024
Le dépôt frauduleux de marques n’est pas le plus sympa des trolls !
Depuis quelques années, le monde des affaires est confronté à des pratiques malhonnêtes de la part de certains acteurs économiques, visant à s’arroger des monopoles sur des signes (trademark troll) ou des inventions (patent troll) sans avoir l’intention de les utiliser pour leur fonction essentielle.
Le Trademark Troll est donc le fait pour une personne ou une entité d’enregistrer une marque dans l’unique but d’empêcher les autres d’utiliser des signes similaires et de les contraindre à monnayer une contrepartie financière. Ce comportement est considéré comme étant malhonnête et peut conduire à l’annulation de la marque.
Le 17 janvier dernier, le Tribunal de l’Union européenne a eu l’occasion de réaffirmer sa position concernant ces stratagèmes1 : les Trolls ne sont pas les bienvenus en Europe !
Comment se construit la stratégie des Trademark Trolls ?
En l’espèce, les juges sont confrontés à Monsieur Auer, « expert en trolling ». Il ressort des faits que Monsieur Auer a fondé de nombreuses sociétés dont l’unique objectif est de développer un portefeuille de marques pour pouvoir les opposer à de potentiels contrefacteurs, et ce dans le but de leur demander une indemnisation ou de conclure des contrats de licence. Cette décision fait suite à des précédents lors desquels Monsieur Auer s’est déjà retrouvé devant les juges européens pour une stratégie de Trademark Trolling s’agissant de la marque « Monsoon »2. Le Tribunal de l’Union européenne avait conclu à la nullité de la marque de Monsieur Auer en raison de sa mauvaise foi au moment du dépôt puisqu’il avait été prouvé qu’il n’avait jamais eu l’intention de l’utiliser à titre de marque.
Qu’à cela ne tienne, cela ne l’a pas empêché de recommencer avec une autre de ses sociétés, la société Copernicus EOOD. Cette dernière a déposé en 2010 une demande d’enregistrement d’une marque de l’Union européenne portant sur le signe « ATHLET » en classe 3, 9 et 12 visant notamment les véhicules. Cette demande est le résultat d’une stratégie bien menée pour acquérir une priorité. En effet, M. Auer, ou par le biais d’une société liée à lui, avait, depuis 2007, déposé tous les 6 mois, des demandes successives d’enregistrement de marques nationales autrichiennes, dans le but de prolonger de manière artificielle la période de priorité durant laquelle il est possible de revendiquer la priorité sur une marque de l’UE. Le Tribunal de l’Union européenne rappelle d’ailleurs à cet égard, qu’une « telle stratégie […] n’est pas sans rappeler la figure de l’abus de droit ».
Courant 2011, la société Heuver Banden Groothandel BV (ci-après « Heuver Banden »), qui n’est pas liée à Monsieur Auer, demande l’enregistrement d’une marque internationale portant sur le signe « ATHLETE » pour des jantes de voitures en classe 12, au titre d’une priorité fondée sur une marque Benelux.
C’est donc à ce moment-là que le troll fait son entrée.
Après plusieurs transferts successifs de la marque entre différentes sociétés de Monsieur Auer, la licenciée exclusive de l’époque a enjoint Heuver Banden de fournir des informations sur l’utilisation de la marque ATHLETE et de présenter une déclaration d’abstention d’utilisation de cette-ci avec reconnaissance d’une obligation d’indemnisation. Afin de noyer encore plus le poisson, la marque antérieure ATHLET est finalement transférée à une autre société de Monsieur Auer, la société Athlet Ltd.
Face à tout ce stratagème, la société Heuver ne se laisse pas faire et intente une action en nullité de la marque « ATHLET » auprès de la division d’annulation de l’EUIPO, à l’encontre de la société Athlet Ltd, fondée sur la mauvaise foi du déposant au moment du dépôt, cause de nullité absolue en droit des marques.
Le Trademark Trolling est l’illustration parfaite de la mauvaise foi en matière de marques.
Le tribunal de l’Union européenne devait donc se prononcer sur les critères d’appréciation de la mauvaise foi du déposant dans le cadre de la réglementation européenne. Rappelons en premier lieu, que l’article 59 RMUE prévoit qu’une marque de l’UE peut être déclarée nulle lorsque le demandeur était de mauvaise foi lors de son dépôt. Or, il n’existe aucune définition de la mauvaise foi dans les textes européens. C’est donc au titre d’une analyse factuelle que la jurisprudence du Tribunal s’est construite.
Dans la présente affaire, les juges rappellent que dans le langage courant, la notion de mauvaise foi suppose la présence d’un état d’esprit ou d’une intention malhonnête. Dans le contexte du droit des marques, à savoir la vie des affaires, cette intention malhonnête peut se traduire par la volonté du déposant de porter atteinte aux intérêts de tiers et/ou d’obtenir un droit exclusif à des fins autres que celle de permettre au consommateur de distinguer ses produits ou services d’une autre entreprise. Partant, l’enchaînement successif de demandes d’enregistrement de marques nationales pour le même signe, constitue une stratégie malhonnête visant à obtenir une position de blocage en tentant d’obtenir un monopole d’utilisation du signe concerné.
En outre, il est rappelé que la mauvaise foi suppose de prouver que le déposant n’avait pas, au moment du dépôt, la réelle intention d’utiliser le signe comme marque. Pour déterminer cette intention, il convient de prendre en considération tous les facteurs pertinents du cas d’espèce.
Ainsi, l’analyse factuelle de la situation a permis de démontrer l’absence d’activité économique réelle avec les tiers s’agissant de la marque déposée, à savoir avec des sociétés qui n’étaient pas liées à M. Auer. En effet, la seule activité économique exercée par le déposant, consistait à transférer la propriété de la marque entre des sociétés « dormantes » toutes liées à Monsieur Auer.
Par conséquent, le tribunal de l’Union européenne a conclu que, par le biais de toutes ses sociétés, Monsieur Auer n’a jamais eu l’intention de participer de manière loyale au jeu de la concurrence. Au contraire, il a développé une stratégie malhonnête visant à obtenir un monopole sur un signe qu’il n’a jamais eu l’intention d’utiliser à titre de marque, puisqu’il n’était motivé que par la volonté de demander une indemnisation aux acteurs économiques qui auraient voulu utiliser le signe déposé.
Bien essayé… mais les juges ont vu arriver le Troll de loin avec ses gros sabots !
Juliette Descamps
Stagiaire élève-avocat
Mélissa Cassanet
Conseil en Propriété Industrielle Associée
1) TUE, 17 janvier 2024, aff. T-650/22, Athlet Ltd c/ EUIPO
2) TUE, 7 sept. 2022, aff. T-627/21, Segimerus Ltd c/ EUIPO
25
janvier
2024
« RACIN PIGEON OLIMPIAD » hors du podium : la médaille d’or revient au Comité Olympique et à sa marque de renommée
Si les emblèmes olympiques font l’objet d’une protection et défense accrue (voir notre article sur les anneaux olympiques), les termes eux-mêmes ne sont pas en reste, comme l’illustre la présente affaire opposant la marque OLYMPIC à la marque RACING PIGEON OLIMPIAD.
Dans cette affaire, une société roumaine avait obtenu l’enregistrement de la marque de l’Union européenne figurative RACING PIGEON OLIMPIAD. Le Comité international olympique a alors déposé une demande en nullité, arguant une atteinte à la renommée de ses marques antérieures, notamment la marque OLYMPIC.
L’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), après avoir vérifié la recevabilité des marques invoquées, va se pencher sur les trois éléments clés pour évaluer l’atteinte : la renommée de la marque antérieure, la similitude des signes et le préjudice qui découle de l’usage de la marque contestée.
Sans grande surprise, l’EUIPO conclut à la renommée de la marque OLYMPIC !
La requérante, au moyen de nombreuses preuves a fait valoir que sa marque antérieure OLYMPIC était « l’une des marques plus connues dans le monde du sport et du divertissement » jouissant « d’un prestige exceptionnel et d’une renommée exceptionnelle ».
L’EUIPO considère que les arguments et pièces apportés au débat démontrent la renommée de la marque : selon la Division, la marque OLYMPIC occupe une place majeure au sein de l’Union Européenne depuis une période suffisante et fait l’objet d’une couverture médiatique importante.
Si la similarité entre les signes reste faible, le lien mental persiste, causant un préjudice au Comité international olympique.
La Division d’annulation procède à une évaluation de la similitude entre la marque antérieure OLYMPIC et la marque contestée RACING PIGEON OLIMPIAD.
Elle analyse en détail les éléments verbaux et figuratifs des deux marques. La Division rappelle que l’élément verbal a généralement un impact plus fort sur le consommateur que l’élément figuratif, et insiste sur le fait que le seul terme de la marque antérieure OLYMPIC est similaire à l’élément le plus distinctif et dominant de la marque contestée, OLIMPIAD. Il découle de ces constatations de faibles similitudes d’ensemble entre les marques en cause.
Finalement, la (faible) similitude entre les marques est renforcée par la démonstration d’un lien mental entre les signes, entraînant un risque de préjudice pour le Comité olympique international.
En effet, l’EUIPO explique qu’il existe un risque de transfert d’image associé à la marque du demandeur, vers les produits et services contestés, laissant entrevoir une exploitation indue de la renommée et de l’excellence de la marque antérieure.
Cette affaire met en lumière les défis juridiques entourant les marques liées aux Jeux Olympiques : les jeux ne sont pas toujours Olympistes !
Juliette Danjean
Stagiaire – Pôle CPI
Baptiste Kuentzmann
Conseil en Propriété Industrielle
25
janvier
2024
Imitation des anneaux olympiques, le cœur de l’EUIPO ne balance pas
Paris se prépare à accueillir les Jeux Olympiques en 2024, l’occasion pour TAoMA Partners de revenir sur la protection et la défense des anneaux olympiques.
I) Les emblèmes olympiques : une protection encadrée…
Conçu par le baron Pierre de Coubertin en 1913, le symbole olympique est composé de cinq anneaux entrelacés de dimensions égales, employés seuls, en une ou cinq couleurs. Lorsque la version en cinq couleurs est utilisée, les couleurs sont, de gauche à droite, le bleu, le jaune, le noir, le vert et le rouge. Le symbole olympique représente l’union des cinq continents et la rencontre des athlètes du monde entier.
La protection des emblèmes olympiques a une longue histoire, marquée notamment par le Traité de Nairobi adopté le 26 septembre 1981. Ce traité, supervisé par l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI), vise à protéger les anneaux olympiques contre toute utilisation commerciale sans autorisation du Comité international olympique.
Par ailleurs, à l’échelle de l’Union Européenne, l’article 7, paragraphe 1, sous i, du RMUE dispose que : « sont refusé [e]s à l’enregistrement : […] les marques qui comportent des badges, emblèmes ou écussons autres que ceux visés par l’article 6ter de la Convention de Paris et présentant un intérêt public particulier, à moins que leur enregistrement ait été autorisé par l’autorité compétente ». Les emblèmes olympiques font donc l’objet d’une protection particulière sur le territoire de l’Union Européenne puisqu’ils intègrent la catégorie des emblèmes qui présentent « un intérêt public particulier ».
L’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), ainsi que les Offices Nationaux, doivent donc exercer un examen minutieux des signes pouvant porter atteinte aux emblèmes olympiques et, le cas échéant, les refuser à l’enregistrement.
Le Comité international olympique, ainsi que les comités nationaux, gardent toutefois la possibilité de s’opposer à l’enregistrement d’une marque qui serait susceptible de reproduire ou d’imiter les emblèmes olympiques, comme les anneaux olympiques.
En effet, le Comité international olympique est titulaire de plusieurs marques enregistrées pour divers produits et services, notamment au niveau de l’Union Européenne, dont la marque No. 002970366. A l’échelle nationale, le comité d’organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques Paris 2024 est titulaire des marques propres à l’évènement à venir, dont la marque française No. 4693482.
Si les emblèmes olympiques font l’objet d’une solide protection à l’échelle nationale comme internationale, l’affaire qui suit illustre néanmoins certaines limites notamment au regard des signes en cause.
II) … ou presque
Le 26 octobre 2021, le Comité international olympique a formé une opposition contre une marque semi-figurative européenne déposée par la société chinoise Shanghai Qinke Electronic Commerce Co. Ltd. Il revendiquait l’antériorité de ses trois marques, et la renommée de ces dernières. L’EUIPO, dans cette affaire, devait donc évaluer s’il existait un risque de confusion entre les signes en cause.
La division d’opposition a d’abord précisé que les éléments verbaux de la marque antérieure étaient distinctifs car la combinaison « Link heats by love » peut-être comprise, au moins par la partie anglophone du public, comme « une relation chauffée par l’amour ». Même si tous les mots composant le slogan sont compris par la partie anglophone du public, la combinaison en tant que telle n’a pas de sens clair ou de sens intelligible. Il n’est pas exclu que cette combinaison soit perçue comme une orthographe erronée de « link hearts by love » (lier les cœurs par amour) en raison de l’élément figuratif reproduisant cinq cœurs. En tout état de cause, en l’absence de lien direct avec les produits et services concernés, la combinaison en tant que telle est distinctive.
De plus, la combinaison de cœurs n’a pas de lien direct avec les produits et services pertinents (9, 14, 18, 25, 35) et est donc distinctive.
Sur l’analyse des signes, et plus précisément sur le plan visuel, les marques antérieures, composées de cercles colorés ou noirs, sont distinctes de la marque contestée, qui utilise des formes de cœur en nuances de gris/noir.
La division d’opposition affirme que les signes ne coïncident que dans la mesure où ils représentent tous deux une combinaison de cinq éléments figuratifs placés dans la même position.
Les cœurs du signe contesté seront immédiatement perçus comme des cœurs et non comme des formes arrondies. De plus, les couleurs/nuances des signes sont différentes.
En outre, la marque contestée contient des éléments verbaux supplémentaires qui ne sont pas présents dans les marques antérieures.
Phonétiquement et conceptuellement, les marques sont également jugées différentes. Les marques antérieures seront liées au concept de cinq cercles et le signe contesté renvoie au concept des cinq cœurs. Les consommateurs ne percevront pas l’entrelacement de cinq formes dans l’abstrait comme un concept à part entière.
Aussi, l’EUIPO juge que les signes en cause sont différents et, partant, ne peuvent donner lieu à un risque de confusion.
Par ailleurs, l’EUIPO rejette le fondement de la marque renommée, estimant que les conditions cumulatives pour bénéficier de cette protection ne sont pas remplies, en l’espèce, il n’y avait pas de similarité entre les signes.
En conclusion, cercle ou pas cercle, ne tournons plus en rond : Il s’agit d’un cœur !
Emeline JET
Juriste
Delphine Monfront
Avocate à la Cour
Baptiste Kuentzmann
Conseil en Propriété Industrielle
16
janvier
2024
elLle hôtels n’est pas ELLE magazine : au Japon, entre dormir et lire, pas besoin de choisir !
Est-il encore nécessaire de présenter le magazine ELLE édité par la société HACHETTE FILIPACCHI PRESSE ? Avec des éditions dans la plupart des grands pays du monde, le magazine ELLE fait figure de concurrent direct de VOGUE.
Au fil des année la marque a vu son aura s’étendre à d’autres domaines d’activité que les magazines par le biais de produits dérivés, principalement dans la mode, mais également dans les services avec l’ouverture de cafés, restaurants et même d’hôtels (le premier à Paris, Maison ELLE).
C’est dans ce contexte que HACHETTE FILIPACCHI PRESSE s’est opposée devant l’office japonais au dépôt de la marque en mai 20231.
Le dépôt de cette marque fait suite à de premiers échanges entre la société HACHETTE FILIPACCHI PRESSE et le déposant. Ce dernier avait, en effet, procédé au préalable au dépôt de la marque ELLE HOTELS qu’il avait retiré suite à une mise en demeure.
Fondements invoqués par HACHETTE FILIPACCHI PRESSE
Au soutien de son opposition, la société HACHETTE FILIPACCHI PRESSE fait valoir que la marque litigieuse ne peut être enregistrée car elle est identique ou similaire à sa marque antérieure.
Par ailleurs, elle s’appuie sur une autre disposition de la loi japonaise qui prévoit qu’une marque ne peut pas être enregistrée lorsqu’elle est susceptible de créer une confusion avec les produits ou services notoires d’autres entités commerciales.
HACHETTE FILIPACCHI PRESSE explique que la marque ELLE bénéficie d’une réputation remarquable sur le marché et qu’elle est utilisée à travers le monde pour différents produits et services dont des cafés et des hôtels.
De même, notamment en raison des échanges précédents qu’elle a eus avec le déposant, HACHETTE FILIPACCHI PRESSE invoque le fondement du dépôt avec une intention déloyale, c’est-à-dire l’intention de réaliser un profit déloyal, de causer un préjudice au propriétaire de la marque notoire ou toute autre intention déloyale.
Il est évident pour elle qu’il existe une ressemblance importante entre la marque et ses marques antérieures ELLE et que ce nouveau dépôt est fait avec une intention déloyale.
Pour l’office, elLle n’est pas ELLE
L’office japonais reconnais que la marque ELLE jouit d’une certaine renommée pour les magazines mais également pour les articles de mode.
A l’inverse, sur les services d’hôtellerie, l’office note que si un hôtel a été ouvert à Paris, ce n’est pas le cas au Japon. Par ailleurs, il considère que l’opposant ne démontre pas l’ampleur de la publicité ou des revenus découlant des activités d’hôtellerie. Ainsi, il n’est pas démontré que ELLE bénéficie d’une certaine notoriété pour ces services.
Concernant la similarité entre les marques, l’office n’est pas des plus complaisants. L’office reconnait que l’élément elLle est le principal de la demande contestée, HOTEL étant descriptif.
Néanmoins, l’élément elLle doit être analysé dans son ensemble. Il est composé de manière équilibrée entre une attaque « el », une finalité « le » et un élément central « L » dessiné de plusieurs couleurs qui peut aisément être vu comme la lettre européenne « L ».
L’élément elLle n’est pas un mot du dictionnaire et n’a pas de sens spécifique. Rien n’indique qu’il sera vu comme le mot « elle ». L’office considère qu’il est raisonnable de supposer que elLle sera reconnu et compris comme un mot inventé qui n’a pas de signification spécifique.
En conséquence, il n’existe pas de risque de confusion avec les marques antérieures ELLE.
Enfin, concernant un éventuel dépôt avec une intention déloyale, l’office ne fait pas droit aux demandes de HACHETTE FILIPACCHI PRESSE. Les échanges précédant l’affaire, entre les parties, ne sont pas des faits concrets suffisants pour conclure que le déposant a protégé sa marque dans un but illicite.
La marque contestée n’est donc pas utilisée dans le but d’entraver les activités de la société HACHETTE FILIPACCHI PRESSE ou de caractériser une atteinte à la réputation de ELLE.
Une décision surprenante
Cette décision n’est pas sans étonner ! Il peut, en effet, être entendu que la marque ELLE ne bénéficie pas d’une notoriété particulière pour des hôtels. Nombreux sont ceux qui n’ont pas connaissance de l’hôtel parisien Maison ELLE. Cela est probablement d’autant plus vrai pour le public japonais où, au jour du dépôt de la marque contestée, aucun hôtel ELLE n’était ouvert dans le pays.
La comparaison entre ELLE et elLle peut également s’entendre d’une certaine manière en raison des différences de langue, de prononciation ou encore de perception des marques pour le public japonais.
A l’inverse, il est étonnant que l’office ne retienne pas que ce dépôt de marque soit fait dans une intention déloyale. Le déposant était parfaitement au courant des marques ELLE protégées et utilisées pour des hôtels. Les faits démontraient une volonté du déposant de contourner les marques antérieures ELLE.
Néanmoins, même si l’intention déloyale avait été retenue, la décision finale aurait probablement été identique. Si les marques ne peuvent être confondues par le public japonais, un dépôt déloyal de la marque n’aurait pas d’incidence sur une absence de risque de confusion entre les signes…
Il est donc possible de dormir sur ses deux oreilles à l’hôtel sans crainte d’une mauvaise presse dans le magazine ELLE.
Jean-Charles Nicollet
Conseil en Propriété Industrielle – Associé
(1) Opposition No. 2023-900123
09
janvier
2024
LEGO contre LELE BROTHER : la bataille des briques dans le monde des marques !
Par une décision du 26 septembre 20231, l’EUIPO a fait droit à une opposition formée par la société Lego titulaire de la célèbre marque contre la demande d’enregistrement de marque No. 018571181.
La société Lego Juris s’oppose à cette demande en invoquant notamment l’article 8 paragraphe 5 du Règlement sur la marque de l’Union européenne, qui protège les marques de renommée de l’Union européenne tout comme les marques nationales jouissant d’une renommée au sein d’un État membre, et ce même en l’absence d’identité ou de similarité entre les produits et services désignés par les signes. Cette renommée permet au titulaire de la marque antérieure renommée de s’opposer à une demande de marque identique ou similaire dont « l’usage sans juste motif tirerait indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure ou leur porterait préjudice ».
La marque LEGO possède une renommée exceptionnelle au sein de l’Union européenne pour certains des produits désignés
Afin d’étayer sa renommée, la société Lego Juris produit différents éléments de preuves (articles de presse, rapports annuels, chiffres de ventes, décisions administratives ou judiciaires, etc.) auprès de la Division d’opposition de l’EUIPO pour attester de la renommée de sa marque à l’égard des produits suivants « jeux, jouets ; articles de gymnastique et de sport (compris dans la classe 28) ; décorations pour arbres de Noël », sur lesquels se fonde l’opposition.
Pour la Division d’opposition de l’EUIPO, les éléments apportés par la société Lego Juris démontrent que la marque LEGO « a fait l’objet d’un usage intensif et de longue durée et qu’elle est notoirement connue sur le marché pertinent, où elle jouit d’une position consolidée parmi les marques leaders […] » et que les éléments fournis possèdent une valeur probante en plus d’être fiables quant à leur date.
L’ensemble de ces preuves permettent à la Division d’opposition de conclure que la marque Lego « jouit d’une renommée exceptionnelle dans l’Union européenne », mais seulement pour les « Jeux, jouets à savoir jouets de construction », les « jouets de constructions » constituant une sous-catégorie autonome de la catégorie des jeux et jouets. S’agissant toutefois des « articles de gymnastique et de sport (compris dans la classe 28) ; décorations pour arbres de Noël », la Division d’opposition ne reconnait par la renommée de la marque en cause, faute de preuves suffisantes.
Un risque de confusion préjudiciable
Après avoir retenu l’exceptionnelle renommée de la marque antérieure, la Division d’opposition procède à l’analyse des signes en se conformant à la méthode globale d’appréciation du risque de confusion2.
Il est retenu, d’un point de vue visuel, que les signes présentent des ressemblances en raison de leur séquence d’attaque commune « LE- » et de leur reproduction dans des tons gris, encadrés par un carré, avec une stylisation et un agencement semblable des éléments verbaux. Malgré certaines différences entre les deux syllabes finales ou encore la longueur du signe contesté du fait de la présence du mot « BROTHER », la Division d’opposition considère que les signes « présentent un degré de similitude inférieur à la moyenne » sur le plan visuel.
La Division d’opposition retient ensuite que les signes présentent également certaines ressemblances d’un point de vue phonétique. Les éléments verbaux commencent tous deux par la séquence « LE- » en plus de partager les mêmes voyelles « E » et « O ».
Ils diffèrent néanmoins dans la prononciation de leur deuxième syllabe « GO » au sein de la marque antérieure et « LE » dans la demande contestée, et dans la prononciation de l’élément verbal supplémentaire « BROTHER » au sein de la demande contestée.
Ainsi, la Division d’opposition considère que les signes sont « faiblement similaires sur le plan phonétique ».
À cela s’ajoute une différence conceptuelle entre les deux marques, le consommateur moyen de l’Union européenne associant directement le terme « Lego » à la marque de jeu de construction ou à la société. S’agissant de la marque Lele Brother, le premier terme ne possède pas de signification particulière, tandis que le second élément verbal renvoie à la notion de « frère », le tout pouvant être perçu comme pouvant faire référence au « frère d’une personne nommée Lele ».
La Division d’opposition examine ensuite si le public sera en mesure d’établir un lien entre les marques en cause. Ce lien n’étant pas explicitement mentionné par l’article 8 paragraphe 5 du Règlement, il n’en demeure pas moins nécessaire de l’établir pour « déterminer si l’association que le public pourrait établir entre les signes est telle qu’il est vraisemblable que l’usage de la marque demandée tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure ou qu’il lui porte préjudice, après avoir apprécié tous les facteurs pertinents dans le cas d’espèce ».
Tenant compte du degré de similitude, de la renommée de la marque Lego pour certains produits, des similarités entre les produits respectivement désignés, et du fait qu’ils ciblent le même public, la Division d’opposition en conclut que les consommateurs concernés seront susceptibles d’associer la demande de marque contestée à la marque antérieure LEGO, c’est-à-dire d’établir un « a mental link » entre les signes.
Enfin, la Division d’opposition reconnait que la demande de marque Lele Brother risque de tirer indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque LEGO puisque « the ‘LEGO’ brand has a particularly high image and is regarded for its commitment to current social-political topics such as sustainability, child education and diversity. These positive qualities could be transferred and attached to the contested sign and this image transfer would make it easier to sell all the contested goods ». En d’autres termes, la société déposante pourrait injustement profiter de cette renommée sans payer de compensation à la société Lego Juris et sans investir pour créer un marché pour ses produits dans l’Union européenne.
Ainsi, se fondant sur l’ensemble des éléments précités, la Division d’opposition reconnait l’opposition formée par la société Legos Juris totalement justifiée et rejette donc la demande de marque contestée pour l’ensemble des produits couverts.
La demande de marque Lele Brother a fini par se prendre un ‘NON’ aussi solide que les briques LEGO. Il semble que dans ce match, LEGO ait construit une victoire indiscutable !
Arthur Burger
Stagiaire juriste
Gaëlle Bermejo
Conseil en Propriété Industrielle
Note de référence :
(1) EUIPO, Division d’opposition, 26/09/2023, n° B 3 159 692
(2) CJUE 11/11/1997, n° C-251/95, affaire Sabel / Puma
05
décembre
2023
LA MAISON DU CHOCOLAT JUGÉE NON-DISTINCTIVE POUR DÉSIGNER DES PRODUITS ET SERVICES VIRTUELS EN LIEN AVEC LE CHOCOLAT
Le 5 octobre 2023, la chambre des recours de l’EUIPO a confirmé la décision de refus partiel de la demande de marque de l’Union européenne LA MAISON DU CHOCOLAT n°18719890, d’avoir considéré que le signe était descriptif et dépourvu de caractère distinctif notamment pour des produits et services virtuels en lien avec du chocolat1.
La société La Maison du chocolat, spécialisée dans la fabrication de confiseries et la transformation de cacao, a déposé la demande de marque de l’Union européenne LA MAISON DU CHOCOLAT n°18719890 le 21 juin 2022 pour désigner des produits et services en classes 9, 35 et 41 auprès de l’EUIPO.
Par une décision du 23 février 2023, l’examinateur a partiellement refusé cette demande de marque au motif que le signe LA MAISON DU CHOCOLAT serait (i) descriptif de l’espèce et (ii) dépourvu de caractère distinctif.
En effet, il estime que le consommateur français (public retenu comme pertinent) est susceptible de percevoir le signe comme « un magasin sous forme de boutique maison qui vend et/ou produit du chocolat », qui viendrait, de ce fait, décrire l’espèce des produits désignés.
L’Office a notamment refusé les produits et services suivants à l’enregistrement :
– Classe 9 : « Produits virtuels téléchargeables à savoir programmes informatiques en relation avec le cacao et préparations à base de cacao, cacao en poudre, pâtes à tartiner au cacao (…) »
– Classe 35 : « Services de magasin de vente au détail en ligne proposant des biens virtuels à savoir du cacao, du cacao en poudre, des pâtes à tartiner au cacao (…) » ;
– Classe 41 : « Services de divertissement, à savoir offre en ligne de biens virtuels, à savoir du cacao et des préparations à base de cacao, du cacao en poudre, des pâtes à tartiner au cacao (…) ; »
Toutefois, ladite demande a été accueillie pour des produits et services virtuels en lien avec la pâtisserie.
La société demanderesse a formé un recours contre cette décision devant la Chambre des recours de l’EUIPO qui a, par une décision du 5 octobre 2023, confirmé la décision de l’examinateur en rappelant et appliquant les dispositions de l’article 7 §1 b et c et §2 du Règlement sur la Marque de l’Union européenne (RMUE).
En effet, une marque doit être refusée dès lors qu’elle est :
– composée exclusivement de signes ou d’indications pouvant servir dans le commerce pour désigner l’espèce, la qualité etc … En l’espèce l’association des termes « LA MAISON DU » (qui forme à l’évidence une expression désignant une entreprise commerciale), au terme « CHOCOLAT » informe clairement les consommateurs sur l’espèce des produits et services en cause. Le consommateur percevra le signe comme un centre ou bâtiment qui fabrique/ produit/ vend du chocolat ou y trouver une expérience qui est liée au chocolat même, que cela soit dans le monde réel comme dans le monde virtuel.
– dépourvue de caractère distinctif, ne serait-ce que dans une partie de l’Union européenne. En l’espèce, la marque demandée sera considérée pas le public pertinent comme indiquant seulement que les produits et services proviennent d’une entreprise commerciale spécialisée dans le chocolat ce qui constitue un message laudatif vantant la spécialisation et le caractère unique de l’entreprise commerciale.
Dès lors, elle confirme que la demande de marque en cause est descriptive des produits et services objectés, quand bien même ces derniers soient virtuels et rejette le recours de la demanderesse. LA MAISON DU CHOCOLAT est donc enregistrée pour les produits et services restants et notamment ceux en lien avec la pâtisserie.
Ce n’est pas la première fois que la demanderesse se voit refuser l’une de ses demandes de marque à l’enregistrement pour défaut de caractère distinctif par l’Office. En effet, elle avait déjà cherché à déposer le signe LA MAISON DU CHOCOLAT en 2003 pour des produits et services en classes 30 (cacao, pâtisserie et confiserie, sauces (condiments)) et 43 (services de restauration (alimentation)) sans succès. La tentative pour des produits et services du monde virtuel se heurte finalement aux mêmes refus de l’Office.
L’Office adopte ainsi la même appréciation de la distinctivité pour les marques désignant des produits virtuels que pour les marques désignant des produits matériels. En effet, d’après la Chambre des recours, le caractère virtuel de ces produits ou services ne modifie pas la perception du signe, tant qu’ils ont un lien avec le chocolat ou le cacao.
Cette décision témoigne donc de la volonté de l’EUIPO d’adapter le droit des marques aux nouveaux enjeux du virtuel.
Margaux Maarek
Juriste
Mélissa Cassanet
Conseil en Propriété Industrielle Associée
(1) EUIPO, Chambre des recours, 5 octobre 2023, R 836/2023-2
21
novembre
2023
Un dépôt décoiffant et controversé : une marque représentant le visage d’une femme pour des services de mannequinat est-elle distinctive ?
Le 26 octobre 2017, la société Roos Abels Holding B.V. a déposé une demande de marque figurative représentant le visage d’une femme pour couvrir les « services de mannequins et de modèles photographiques pour la publicité ou la promotion des ventes » en classe 35 et les « services de modèles et de mannequins à des fins récréatives ou de loisirs » en classe 41.
Nous rappelons qu’aux termes de l’article 7, 1° b) et c) du Règlement sur la marque de l’Union européenne du 20 décembre 1993, sont refusées à l’enregistrement « les marques qui sont dépourvues de caractère distinctif » et « les marques qui sont composées exclusivement de signes ou d’indications pouvant servir, dans le commerce, pour désigner l’espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, la provenance géographique ou l’époque de la production du produit ou de la prestation du service, ou d’autres caractéristiques de ceux-ci ».
Un refus de l’EUIPO fondé sur l’absence de caractère distinctif : cette demande de marque ne présente aucune caractéristique particulière
En l’espèce, considérant que le signe était dépourvu de caractère distinctif à l’égard des services couverts, l’EUIPO a entièrement rejeté le 17 avril dernier cette demande de marque.
Cette décision était notamment fondée sur les constations suivantes :
– « L’image en cause ne consiste qu’en une représentation naturelle de la tête/du visage d’une (jeune) femme. Compte tenu de l’attention du public concerné, la marque demandée ne permet pas à ce public de distinguer immédiatement et infailliblement les services démandés d’apparences similaires d’une origine commerciale différente ».
– « Des images ou des photos de personnes apparaissent et sont utilisées dans le cadre de services de toutes sortes, principalement ceux liés à l’habillement et à la mode. Bien que ces images puissent représenter certaines personnes ou individus concrets, elles n’impliquent rien de plus qu’une représentation banale des personnes en général, de sorte que ces images sont comprises comme étant communes aux services en question (…) ».
– « La présente marque figurative ne présente aucune caractéristique particulière susceptible d’influencer la mémoire des consommateurs au point de distinguer les services demandés des autres. La forme de présentation n’est pas substantiellement différente d’autres représentations fidèles de la tête/du visage d’une (jeune) femme (…) ».
En désaccord avec cette appréciation, la société déposante a formé un recours contre cette décision le 16 juin 2023, faisant notamment valoir que :
– « La particularité et l’originalité sont des critères de distinction. Le visage d’un adulte est précisément l’élément du corps humain qui permet de distinguer une personne d’une autre (…). Les chambres de recours ont déjà décidé, à plusieurs reprises, que le public perçoit une image photographique d’une personne comme identifiant l’origine des produits et des services (…) ».
– « Le fait que les images de personnes soient généralement plus utilisées dans la vente ou la fourniture de produits et de services n’enlève rien au caractère distinctif de la présente demande. Tant que l’image faisant l’objet de la marque demandée est en elle-même reconnaissable et unique, elle peut servir de signe d’origine ».
– Outre le fait que le visage humain d’une personne adulte est une marque de distinction, la femme représentée est une personne connue dans le monde du mannequinat (…). Son visage est sa marque et avec son succès, elle a acquis une popularité et une renommée rachetables qui constituent un motif suffisant pour l’enregistrement de son portrait en tant que marque ».
La chambre de recours de l’EUIPO reconnait l’existence d’un caractère distinctif : ce signe est apte à remplir la fonction essentielle d’une marque
À la lumière de ces éléments, la chambre de recours a annulé la décision contestée et autorisé la publication de la demande de marque de l’UE No. 017393125 pour l’ensemble des services couverts, dans une décision rendue le 30 octobre 20231.
En premier lieu, la chambre de recours rappelle qu’il n’est pas nécessairement plus difficile d’établir le caractère distinctif de la marque figurative en cause simplement parce qu’il s’agit d’une représentation naturelle.
Elle considère en effet que « les caractéristiques particulières ou originales ne sont pas des critères du caractère distintif d’une marque, la marque en question doit permettre au public de distinguer les produits et services en cause de ceux d’autres entreprises ou personnes ».
En l’espèce, même s’il s’agit d’une représentation fidèle d’un visage de femme, cette image peut être interprétée comme une marque d’autant qu’elle n’évoque aucunement les services en cause. Ainsi, la chambre de recours considère que le public concerné percevra le signe comme identifiant l’origine des services couverts, à savoir qu’ils proviennent de la personne représentée.
En outre, la chambre de recours conteste le raisonnement de l’examinateur selon lequel, « en ce qui concerne les services demandés dans les classes 35 et 41 de mannequins et de modèles photographiques, l’image ne représenterait que la personne fournissant ces services ». Au contraire, selon elle, cette image permettra de distinguer l’origine commerciale de ces services.
Enfin, la chambre de recours déclare que le fait que la personne soit connue du public concerné n’a pas d’incidence sur son caractère distinctif intrinsèque.
A la lumière de cette décision, la chambre de recours de l’EUIPO considérerait-elle qu’un visage permet aussi facilement qu’un nom patronymique d’identifier des produits et services ?
Le cas échéant, les demandes de marques ne manqueront pas d’affluer chez les avares de célébrité… !
Gaëlle Bermejo
Conseil en Propriété Industrielle
(1) Décision de la quatrième chambre de recours du 30 octobre 2023
07
novembre
2023
Bien choisir la catégorie de votre marque : l’erreur peut coûter cher !
Dans cette décision1 rendue par la Cour d’appel de Paris le 9 juin 2023, les juges rappellent l’importance du choix de la catégorie dans laquelle le signe est déposé, étant un choix délimitant l’étendue de la protection !
La Société Handiréseau, spécialisée dans l’accompagnement d’entreprises mettant en place des politiques d’accueil de personnes handicapées, est titulaire de la marque tridimensionnelle No. 3764270. La gérante de la société Handiréseau est elle-même titulaire, de la marque verbale handiréseaux No. 3685730 et de la marque semi-figurative No. 4074584.
La société Handiréseau et sa gérante, après avoir pris connaissance de l’existence d’une association dénommée Handiréseaux 38 a mis en demeure cette dernière de cesser l’utilisation de l’expression « handiréseaux 38 » qui porte atteinte, selon elles, à leurs droits de marque.
A défaut de résolution amiable du litige, la société Handiréseau et sa gérante ont assigné l’association Handiréseaux 38 notamment en contrefaçon de marques devant le tribunal judiciaire de Paris.
En première instance, le tribunal judiciaire de Paris a, entre autres, déclaré nulle pour défaut de clarté la marque tridimensionnelle No. 3764270.
Déboutées de leurs demandes en première instance, la société Handiréseau et sa gérante ont interjeté appel de cette décision devant la Cour d’appel de Paris.
La qualification du signe « handiréseau » à un impact sur la portée de la protection
Dans cette décision, la Cour d’appel va s’appuyer sur un arrêt de la Cour de Justice de l’Union Européenne2, lequel expose d’une part que « L’article 2 de la directive 2008/95 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, à l’enregistrement d’un signe en tant que marque du fait de l’existence d’une contradiction dans la demande d’enregistrement, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier ». Et rappelle, d’autre part, que « la qualification donnée à un signe lors de son enregistrement par le déposant, en tant que « marque de couleur » ou « marque figurative », constitue un élément pertinent parmi d’autres pour déterminer si ce signe est susceptible de constituer une marque ».
En l’espèce, dans le dépôt puis dans l’enregistrement, la marque « handiréseau » est qualifiée de « marque tridimensionnelle » et le signe est décrit comme disposant « d’un logo (rouge et prune) trois ronds réunis entre eux avec un trait et un rond de couleur différente finalisant un carré ».
La catégorie de « marque tridimensionnelle » apparaît donc incohérente avec
le signe tel que déposé qui est un signe semi-figuratif.
En outre, la Cour d’appel déclare que la qualification du signe « handiréseau » enregistré en tant que marque tridimensionnelle a une incidence sur l’étendue et l’objet de la protection, dans la mesure où elle permet de spécifier si la troisième dimension fait partie de l’objet de la demande d’enregistrement.
A la lumière de cette incohérence, la Cour conclut que « la contradiction qui existe entre le signe « Handiréseau » déposé sous la forme d’une marque semi-figurative, et la qualification qui est donnée à ce signe par son déposant de marque tridimensionnelle, rend impossible la détermination exacte de l’objet et de l’étendue de la protection sollicitée au titre du droit des marques ».
Le défaut de clarté de la marque est une cause de nullité
Dans ces conditions, la Cour confirme la décision du tribunal judiciaire de Paris en considérant que le défaut de clarté et de précision suffisait pour justifier la nullité d’une marque.
Cet arrêt de la Cour d’appel de Paris rappelle la nécessité de définir avec précision et cohérence le type de marque (verbale, semi-figurative, tridimensionnelle, etc.) au moment du dépôt. Une erreur sur la qualification pouvant avoir de lourdes conséquences juridiques.
En conclusion, déposer une marque n’est pas si simple…. !
Juliette Danjean
Stagiaire – Pôle Avocat
Gaëlle Bermejo
Conseil en Propriété Industrielle
(1) CA Paris, pôle 5 ch. 2, 9 juin 2023, n° 21/09755
(2) CJUE, 27 mars 2019 C-578/17, Oy Hartwall A
21
septembre
2023
Droit des marques : un duo explosif entre ROSALÍA et ROZALIYA
De LA FAMA, à DESPECHÁ, la chanteuse espagnole Rosalía ne cesse d’enchaîner les tubes. Toutefois, sur le terrain du droit des marques, le succès se fait attendre.
En effet, à l’instar d’autres chanteuses, Rosalía a cherché à protéger son nom de scène, notamment au niveau de l’Union Européenne. Trois marques ROSALÍA ont été déposées dans différentes classes de produits et services, afin de désigner son activité de chanteuse, mais également pour désigner des produits dérivés, comme des cosmétiques, vêtements…
Une de ces marques est contestée par la société bulgare Raphael Europe Ltd, titulaire de la marque ROZALIYA jewerly for enlightenment, protégée en classes 14 et 18. La société Raphael Europe Ltd invoque l’existence d’un risque de confusion et entre les marques ROSALÍA et ROZALIYA jewerly for enlightenment.
Si l’activité principale de la chanteuse espagnole n’est pas impactée (classes 9 et 41), des produits des classes 14 (bijoux) et 18 (sacs) sont contestés, ce qui crée un risque pour la commercialisation de produits dérivés.
Toutefois, la chanteuse espagnole bénéficie dans ce dossier d’une arme défensive redoutable, la marque antérieure invoquée par la société Raphael Europe Ltd est en effet soumise à obligation d’usage. Elle a ainsi attaqué la marque ROZALIYA jewerly for enlightenment en déchéance totale, dans le but d’éliminer cette antériorité.
La Chambre de l’Annulation n’a que partiellement accueilli son action en déchéance, aussi la chanteuse a formé un recours contre cette décision. La procédure est actuellement en cours.
La chanteuse espagnole dispose de plusieurs arguments susceptibles de jouer en sa faveur, comme la renommée de son nom de scène d’un point de vue conceptuel.
TAoMA Partners suit de près cette affaire dont la note finale devrait être jouée dans les mois à venir 🎶.
Nous pourrons ainsi nous replonger dans les problèmes d’homonymies que peuvent rencontrer certaines célébrités qui cherchent à protéger leur nom de scènes à titre de marque, à l’instar de la chanteuse Katy Perry, également présente dans notre focus spécial musique.
Baptiste Kuentzmann
Conseil en Propriété Industrielle
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