23
avril
2024
Si l’artiste fait de l’art, la marque parasite
Le tribunal judiciaire de Paris, dans son jugement du 27 mars 20241 a condamné la maison Givenchy au paiement de la somme de 30 000 Euros à l’artiste ZEVS pour avoir commis des actes de concurrence déloyale et parasitisme.
Quelques éléments de contexte
Monsieur Schwarz, connu sous le pseudonyme de ZEVS (se prononce Zeus), est un artiste français urbain de renom dans le milieu du Street Art. Il doit sa notoriété en partie grâce à la réalisation d’une grande série d’œuvres créées à partir de la technique du dripping (ou coulure).
Il détourne ainsi de leur fonction d’origine des symboles de la société de consommation, et notamment des logos de grandes marques, pour donner l’impression qu’ils se liquéfient complètement. Pour ZEVS, les logos sont la pierre angulaire de l’identité des grandes marques donc s’ils se liquéfient, elles disparaissent, en quelque sorte.
En l’espèce, l’œuvre qui est au cœur de l’affaire qui nous occupe appartient justement à cette série de tableaux. En 2010, il réalise « Liquidated Google », ci-après reproduit :
Or, il découvre le 27 août 2020 que la société Givenchy proposait à la vente sur son site internet un t-shirt qui reprendrait, selon lui, les caractéristiques originales de l’œuvre précitée.
ZEVS assigne Givenchy en contrefaçon de ses droits d’auteur et subsidiairement, en concurrence déloyale et parasitisme.
Les juges reconnaissent l’originalité de l’œuvre Liquidated Google
ZEVS précise bien dans ses écritures qu’il ne revendique aucun droit d’auteur sur la technique de la coulure ou du dripping largement rependue dans l’art contemporain, mais bien sur le traitement visuel qu’il en a réalisé dans son œuvre « Liquidated Google ».
Les juges accueillent ce raisonnement en ce qu’ils reconnaissent que l’originalité du tableau réside bien dans la concrétisation du message de ZEVS au sein de l’œuvre matérielle. Il créé l’illusion que le signe est en train de fondre, de saigner, « comme pour le vider de son sens ou de son pouvoir ». Les choix esthétiques opérés par l’artiste pour concrétiser cette illusion traduisent l’empreinte de sa personnalité.
Précisons que l’appropriation du logo de la marque Google n’est pas discutée par le tribunal. Le travail de ZEVS se place directement dans le courant artistique de l’appropriation, consistant à reprendre des œuvres préexistantes, ou des signes distinctifs, pour se les approprier au sein d’une œuvre nouvelle. Il existe cependant une limite entre la liberté artistique qui découle directement de la liberté d’expression, et la contrefaçon. Jeff Koons en a justement fait les frais pour ses œuvres « Fait d’hiver »2 et « Naked »3 jugées contrefaisantes par les tribunaux français. En effet, pour les juges du fond, ces œuvres étaient en réalité des œuvres composites pour la réalisation desquelles, l’accord de l’auteur des premières œuvres était nécessaire.
Alors, Liquidated Google, œuvre composite ou œuvre à part entière dont la reprise d’un signe distinctif ne relève que de la liberté artistique ?
L’on regrette que ce ne soit pas le sujet en l’espèce, mais remarquons cependant le raisonnement des juges concernant la contrefaçon et le parasitisme allégués par ZEVS.
Givenchy n’a pas contrefait l’œuvre de ZEVS mais l’a parasitée
S’agissant du t-shirt commercialisé par Givenchy, les juges réfutent toute contrefaçon de l’œuvre Liquidated Google. En effet, le terme utilisé sur le t-shirt est « GIVENCHY » et non « GOOGLE », les coulures sont des broderies et non de la peinture, et elles sont différentes. Cela est suffisant pour les juges qui considèrent que les caractéristiques originales invoquées par l’artiste ne sont pas reprises (à savoir des coulures irrégulières de longueur différentes, qui dégoulinent de la partie supérieure de chaque lettre).
En revanche, le tribunal retient que les t-shirts commercialisés par GIVENCHY s’inspirent indéniablement des œuvres de l’artiste et notamment de « Liquidated Google ». Les juges considèrent qu’ils sont donc « de nature à créer, pour le consommateur de produits de marque de luxe, une confusion avec celles-ci et ce d’autant plus que les marques de luxe s’associent régulièrement pour leurs créations à divers artistes ».
Il en résulte que Givenchy s’est placée dans le sillage de ZEVS et a tiré indûment profit de sa notoriété. Le tribunal conclut également à des actes de concurrence déloyale puisque le succès d’une telle action n’est pas subordonné à l’existence d’un rapport de concurrence entre les partiesi. Les juges considèrent en effet que « par l’association de sa marque en capitales de couleurs vives sur fond noir, avec des broderies de même couleur que chaque lettre destinées à créer un effet de coulures de peinture, la société Givenchy s’est directement inspirée des créations de M.4 et de sa démarche artistique consistant à donner l’illusion d’une liquéfaction du logo d’une marque de luxe, même si le détail des caractéristiques originales de l’œuvre « Liquidated Google » n’est pas exactement reproduit. »
GIVENCHY est donc condamnée à verser à l’artiste 30.000 Euros de dommages et intérêts pour concurrence déloyale et parasitisme. Alors que ZEVS s’approprie des signes distinctifs en toute légalité, les marques qui s’inspireraient de son travail risquent quant à elles, de se rendre coupables de parasitisme…
Il est indéniable que la concurrence déloyale et le parasitisme sont des fondements juridiques qui peuvent être souvent efficaces pour protéger ses créations lorsque la contrefaçon n’est pas retenue.
L’équipe de TAoMA est à vos côtés pour vous accompagner et vous conseiller au mieux dans la protection de vos créations mais également dans leur défense. N’hésitez pas à nous contacter.
Juliette Descamps
Stagiaire élève-avocat
Jean-Charles Nicollet
Conseil en Propriété Industrielle Associé
(1) Tribunal Judiciaire de Paris, 3e chambre 3e section, 27 mars 2024, n° 21/04132
(2) Tribunal de grande instance de Paris, 8 novembre 2018, n° 15/02536
(3) CA Paris, pôle 5 – ch. 1, 17 déc. 2019, n° 17/09695
(4) Cour de cassation, 3 mai 2016 n°14-24.905
26
mars
2024
Saga CASTELBAJAC : la cession de marque patronymique n’excluerait donc pas le « contrôle » de son usage a posteriori ?
Author:
TAoMA
Une nouvelle décision a été rendue le 28 février 2024 par les juges de la Cour de Cassation1.
En question notamment, la recevabilité d’une action en déchéance contre une marque patronymique cédée, initiée par le cédant, qui n’est autre que l’artiste de renom Monsieur Jean Charles de Castelbajac.
Des éléments de contexte s’imposent.
Monsieur Jean Charles de Castelbajac s’est démuni de ses marques patronymiques (et notamment de ses marques françaises JC DE CASTELBAJAC et JEAN-CHARLES DE CASTELBAJAC) à l’occasion d’un acte de cession au profit de la société PMJC en 2012. Cette cession intervenait à la suite d’une offre de reprise de la totalité des actifs corporels et incorporels de la société du cédant, à la barre du tribunal.
En parallèle, un protocole de prestation de services a été conclu entre les protagonistes par lequel Monsieur JC de Castelbajac assurait des missions de directeur artistique au profit de la société PMJC, et dans lequel il était question de la « nécessaire adéquation entre l’image des marques et des articles commercialisés avec l’image » de l’artiste.
Au terme dudit protocole, en décembre 2015, les relations se sont toutefois dégradées.
La société PMJC reprochait à Monsieur de Castelbajac des faits de concurrence déloyale et d’atteinte à ses marques. Pour cause, l’artiste était à l’origine d’une nouvelle société de création, de conseil et de direction artistique, reprenant son nom. Il fera donc l’objet d’action en contrefaçon des marques de la société PMJC, portant (pourtant) son nom.
A titre de riposte, Monsieur de Castelbajac accuse la société PMJC d’imitation de son univers et de ses œuvres et d’adaptation non autorisée de ces dernières. Il tente alors de faire tomber les marques adverses pour déceptivité en raison des usages, selon lui, trompeurs que leur nouveau titulaire en a faits.
En 2016, le conflit judiciaire s’installe.
Le cédant peut il agir contre le cessionnaire des marques portant son nom ?
L’une des questions principales de ce conflit est celle de la recevabilité d’une action en déchéance pour déceptivité contre une marque patronymique, introduite par le cédant éponyme contre le cessionnaire, nouveau titulaire exploitant.
En effet, une telle action a été reconnue recevable, de manière inédite par l’arrêt de la Cour d’Appel de Paris du 12 octobre 20222. A cette occasion, les juges avaient également annulé les marques françaises attaquées JC DE CASTELBAJAC et JEAN-CHARLES DE CASTELBAJAC pour déceptivité.
La société PMJC a ensuite introduit un pourvoi en Cassation en soutenant que Jean Charles de Castelbajac n’était pas recevable à agir en ce qu’il ne pouvait engager d’action ayant pour finalité de l’évincer en tant qu’acquéreur des marques.
Jusqu’alors, les défenseurs de ce type d’action invoquait la garantie d’éviction, principe classique du droit des contrats.
Cette garantie d’éviction est l’assurance de l’acquéreur de posséder la marque acquise une fois la cession effective. Ainsi, en application de cette garantie, le cédant de la marque ne peut troubler la jouissance du cessionnaire. Il ne peut notamment agir en justice pour demander l’annulation de la marque qu’il a cédé.
Rappelons ici deux arrêts de référence en matière de marque patronymique au visa desquelles les juridictions françaises statuaient jusqu’alors dans ce type d’affaire.
La Cour de Cassation a rendu le 31 janvier 20063 au sujet des marques Ines de la Fressange, un arrêt sans équivoque : « Mme de La Fressange, cédante, n’était pas recevable en une action tendant à l’éviction de l’acquéreur ». En considérant l’action irrecevable, la Cour de cassation n’avait donc pas eu à statuer sur le caractère déchéable des marques patronymiques en cause.
Faisant suite à une question préjudicielle qui lui était posée, la CJCE a quant à elle considéré, dans un arrêt « Elizabeth Florence Emanuel » en date du 30 mars 20064, :
– d’une part, que la seule présence du nom de famille d’un créateur et premier fabriquant des produits, au sein d’une marque était insuffisante pour caractériser une tromperie, et donc pour justifier la déchéance, même si ladite personne n’avait plus de lien avec la société titulaire de la marque ;
– d’autre part, le fait que la société puisse faire croire que le créateur était toujours actif au sein de la société était certes constitutif d’une manœuvre dolosive, mais pas d’une tromperie de nature à justifier une déchéance.
La Cour de Cassation change de cap.
Aussi, dans sa dernière décision en date du 28 février 2024, la Cour de Cassation crée une rupture avec la position européenne.
La Cour rappelle d’abord que la garantie d’éviction dont bénéficie le cessionnaire empêche tout cédant d’agir contre le premier si cette action a pour finalité de l’évincer de la chose vendue. Elle nuance toutefois son propos en se ralliant à l’interprétation contestée de la Cour d’appel de Paris et retient que « la garantie au profit de cessionnaire cesse lorsque l’éviction est due à sa faute ».
En d’autres termes, l’action en déchéance du cédant reste ouverte en cas de faute du cessionnaire, lorsqu’il est à l’origine même de sa propre éviction.
La Cour rappelle ensuite que le maintien des droits sur une marque suppose que son usage ne soit pas « de nature à tromper effectivement le public ou à créer un risque grave de tromperie », pour conclure que désormais, l’exception à la garantie d’éviction contre une action en déchéance d’une marque patronymique est constituée quand cette action est fondée sur la « survenance de faits fautifs postérieurs à la cession et imputables au cessionnaire ».
L’appréciation de la déchéance pour usage deceptif renvoyée vers les instances européennes
Au sujet même de la constitution de la déchance, la Cour de Cassation va maintenir le suspense en posant la question préjudicielle suivante à la CJUE :
« Les articles 12, paragraphe 2, sous b), de la directive 2008/95/CE du 22 octobre 2008 rapprochant les législations des États membres sur les marques et 20, sous b), de la directive (UE) 2015/2436 du 16 décembre 2015 rapprochant les législations des États membres sur les marques, doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent au prononcé de la déchéance d’une marque constituée du nom de famille d’un créateur en raison de son exploitation postérieure à la cession dans des conditions de nature à faire croire de manière effective au public que ce créateur participe toujours à la création des produits marqués alors que tel n’est plus le cas ? »
En d’autres termes, les juridictions doivent-elles rejeter la déchéance d’une marque patronymique cédée si les conditions de son usage postérieur à la vente sont de nature à faire croire que le cédant créateur éponyme participe toujours à la création des produits marqués, alors qu’il en est étranger ?
Toute l’attention est désormais concentrée vers la réponse qu’apporteront les juges européens à la question préjudicielle formulée pendant dans cette affaire. Il y a fort à espérer que la CJUE apporte quelques éclairages necessaires sur les sujets et questions complexes que pose cette saga qui semble interminable.
Mazélie PILLET
Conseil en Propriété Industrielle
1) Cour de cassation, Chambre commerciale financiere et economique, 28 février 2024, n° 22-23.833
2) Cour d’appel de Paris, 12 octobre 2022, N° 20/11628
3) Cour de Cassation, Chambre commerciale, du 31 janvier 2006, n° 05-10.116, Publié au bulletin
4) CJCE, n° C-259/04, Arrêt de la Cour, Elizabeth Florence Emanuel contre Continental Shelf 128 Ltd, 30 mars 2006
19
mars
2024
Packaging alimentaire et droit d’auteur : le Tribunal n’est pas emballé
Author:
TAoMA
Le 8 février 2024, le Tribunal judiciaire de Paris a rejeté l’action intentée par la société Aphinitea Corporation, sur les fondements de la contrefaçon de droit d’auteur et de la concurrence déloyale, contre la société First FFC en raison de la reproduction d’un modèle d’emballage alimentaire baptisé « Magnolia ».1
Un emballage alimentaire peut constituer une œuvre protégée par le droit d’auteur, sous réserve d’en démontrer l’originalité.
Tout d’abord, le tribunal rappelle à juste titre que la protection conférée par le droit d’auteur peut s’appliquer aux œuvres des arts appliqués à l’industrie, ce qui peut inclure des emballages alimentaires.
Cette reconnaissance de principe n’est pas nouvelle et a notamment été réitérée par la Cour d’appel de Rennes, le 5 décembre 2023. A cette occasion, la cour a confirmé la protection par le droit d’auteur d’un emballage de sel sous forme de pot transparent en prenant en considération l’ensemble des éléments constituant son identité visuelle, et notamment sa charte graphique spécifique composée d’une association de couleurs et d’éléments visuels.2
Dans le cadre de l’affaire « Magnolia », la société demanderesse a listé une série de caractéristiques prouvant, selon elle, l’originalité de l’emballage argué de contrefaçon, tout en se référant à une décision rendue par le même tribunal le 13 août 2021 ayant reconnu cette originalité.
La partie défenderesse a pour sa part exposé l’existence sur le marché de nombreux modèles similaires à l’emballage « Magnolia », lesquels s’inscrivent dans la continuité de l’art de l’origami et plus particulièrement du « tato » japonais (petite enveloppe en papier confectionnée en origami).
Tout en rappelant que l’antériorité n’est pas un critère retenu pour apprécier l’originalité d’une œuvre, le tribunal a toutefois considéré qu’en l’espèce, cette antériorité rendait impossible la démonstration de l’empreinte de la personnalité de l’auteur de l’emballage « Magnolia », lequel est donc dépourvu d’originalité.
En motivant sa décision de la sorte, le tribunal semble faire référence à la notion de « fonds commun de l’art », non protégé par le droit d’auteur, et considérer que l’emballage « Magnolia » n’est qu’une simple illustration de l’art ancestral de l’origami sans originalité propre.
Cette solution aurait pu être différente si l’emballage argué de contrefaçon avait présenté, comme dans l’affaire jugée par la Cour d’appel de Rennes, des éléments graphiques spécifiques en plus de sa seule forme.
Pour rejeter les demandes de la société Aphinitea Corporation fondées sur la concurrence déloyale et le parasitisme économique, le tribunal s’appuie également sur l’existence d’un nombre important d’antériorités semblables appartenant au fonds commun des origamis et permettant d’écarter tout risque de confusion entre les sociétés concurrentes, mais également tout savoir-faire ou effort déterminé de la part de la société Aphinitea Corporation.
Ce jugement nous rappelle également que la reconnaissance, dans une décision antérieure, de l’originalité d’une œuvre ne suffit pas à ce que celle-ci soit automatiquement retenue dans le cadre d’une nouvelle procédure portant sur des faits distincts.
En l’espèce, le Tribunal judiciaire de Paris était d’autant plus légitime à reconsidérer l’originalité de l’emballage « Magnolia » dans la mesure où, dans la procédure de 2021 invoquée par la société Aphinitea Corporation, la partie défenderesse n’avait pas comparu et n’avait donc pas contesté les droits qui lui étaient opposés.
Toutefois, le principe selon lequel chaque juridiction est « tenue de se déterminer d’après les circonstances particulières du procès et non par une motivation générale faisant référence à des causes déjà jugées » constitue une règle générale reconnue par la Cour de cassation et doit donc s’appliquer quelles que soient les circonstances dans lesquelles les décisions antérieures ont été rendues.3
Quels sont les autres modes de protection envisageables pour un emballage alimentaire ?
Cette décision du Tribunal judiciaire de Paris met en lumière la difficulté de démontrer l’originalité d’une œuvre d’art appliqué lorsque celle-ci n’est constituée que d’une forme, en particulier lorsqu’elle emprunte à une pratique artistique ancestrale telle que l’origami.
Aussi, pour assurer la protection de ce type de création, les ayants-droits peuvent opter pour d’autres modes de protection.
Le fondement de la concurrence déloyale et/ou parasitaire est, comme nous avons pu l’observer dans cette décision, lui aussi incertain et nécessite la démonstration d’un risque de confusion et/ou d’un savoir-faire, d’efforts ou d’investissements particuliers qui auraient été indûment accaparés par un concurrent.
De tels critères semblent très difficiles à réunir lorsqu’il peut être opposé à celui qui les invoque l’existence de nombreuses antériorités présentes sur le marché.
L’exploitant peut également être tenté d’opter pour le dépôt d’un modèle, mais il faudra alors veiller à respecter les critères de protection que sont :
– la nécessité que les caractéristiques du modèle ne soient pas imposées exclusivement par la fonction technique du produit ;
– la nouveauté, c’est-à-dire le fait que le modèle n’ait pas été divulgué avant son dépôt ;
– le caractère propre, c’est-à-dire le fait que le modèle provoque chez l’observateur averti une impression visuelle d’ensemble différente de celle produite par tout modèle divulgué antérieurement au dépôt.
C’est ainsi qu’en 2006, la Cour d’appel de Paris a pu confirmer la validité du modèle d’emballage de jambon de la marque Herta, sans pour autant retenir les actes de contrefaçon allégués par la société exploitant cette marque.4
Dans notre cas d’espèce, faute de nouveauté et de caractère propre, l’emballage « Magnolia » ne pourrait faire l’objet d’un dépôt à titre de modèle.
Enfin, le recours à une marque tridimensionnelle pour protéger une œuvre d’art appliqué pourrait être envisagé.
La jurisprudence a tendance à rappeler qu’en matière de distinctivité « les critères d’appréciation du caractère distinctif d’un signe constitué par l’apparence du produit lui-même sont en principe les mêmes que pour toutes les autres formes de marques ».5
Pour autant offices et juridictions imposent des conditions supplémentaires afin d’apprécier le caractère distinctif de ce type de marques.
L’enregistrement d’une marque tridimensionnelle sera tout d’abord refusé si celle-ci est constituée uniquement de « la forme d’un produit présentant une ou plusieurs caractéristiques d’utilisation essentielles et inhérentes à la fonction ou aux fonctions génériques de ce produit ».6
De même, une demande de marque tridimensionnelle sera rejetée si la forme déposée est nécessaire à l’obtention d’un résultat technique, comme ce fut le cas pour le Rubik’s Cube.7
Voir nos articles à ce sujet ici et ici.
Enfin, si la forme concernée confère au produit qu’elle désigne sa valeur substantielle, c’est-à-dire qu’elle joue un rôle déterminant dans le choix du consommateur d’acquérir ledit produit, alors elle ne pourra être déposée au titre d’une marque tridimensionnelle.8
En l’espèce, on pourrait s’interroger sur la recevabilité du dépôt de l’emballage « Magnolia » sous forme de marque tridimensionnelle, étant entendu que le motif de refus qui pourrait être opposé résiderait probablement dans le fait que sa forme est nécessaire à l’obtention d’un résultat technique, bien que d’autres formes permettraient d’aboutir au même résultat.
Conclusion
Au regard de la jurisprudence actuelle, la protection d’une simple forme qui, nonobstant une possible recherche esthétique, répond avant tout à une finalité technique semble délicate.
Les droits d’auteurs, des marques et des dessins et modèles nécessitent en effet soit une originalité esthétique marquée soit, à minima, un caractère distinctif permettant au public de percevoir une forme comme une indication d’origine, et non comme la représentation habituelle des produits pour lesquels elle est déposée.
Lorsque la forme est exclusivement ou, à tout le moins, majoritairement dictée par des considérations techniques, le dépôt d’un brevet ou d’un certificat d’invention peut sembler adéquat, mais encore faut-il répondre à une exigence d’innovation technique, ce qui n’est généralement pas le cas lorsqu’une forme constitue la reprise ou la modernisation d’un savoir-faire préexistant.
Quant au parasitisme économique, celui-ci nécessite la démonstration d’efforts, d’une renommée ou d’investissements dont tirerait parti l’entité parasitaire, supposant que l’agent économique concerné devra démontrer plus qu’une simple reprise à son compte d’un savoir-faire existant pour invoquer un tel moyen en défense de ses intérêts.
Une telle réticence des offices et des juridictions à accorder une protection aux formes fonctionnelles, dénuées d’éléments graphiques venant les habiller et ne représentant pas une innovation technique particulière, se comprend aisément au regard du principe de liberté du commerce et de l’industrie, lequel s’oppose à une privatisation des outils de production et de commerce les plus basiques afin de préserver une concurrence la plus libre possible.
Robin Antoniotti
Avocat
(1) Tribunal Judiciaire de Paris, 3e chambre 1re section, 8 février 2024, n° 22/02992
(2) Cour d’appel de Rennes, 1ère Chambre, 5 décembre 2023, n° 21/01537
(3) Cour de cassation, Chambre commerciale, 8 juillet 2014, n°13-16.714
(4) Cour d’appel de Paris, 4e chambre section b, 7 avril 2006
(5) Cour de Justice de l’Union Européenne, 16/06/2015, T-654/13, § 20
(6) Cour de Justice de l’Union Européenne, 18 septembre 2014, aff. C-205/13, Hauck
(7) Tribunal de l’Union Européenne, 24 octobre 2019, T‑601/17
(8) Cour de Justice de l’Union Européenne, 23 avril 2020, C-237/19, Gömböc Kutató
13
février
2024
Le dépôt frauduleux de marques n’est pas le plus sympa des trolls !
Depuis quelques années, le monde des affaires est confronté à des pratiques malhonnêtes de la part de certains acteurs économiques, visant à s’arroger des monopoles sur des signes (trademark troll) ou des inventions (patent troll) sans avoir l’intention de les utiliser pour leur fonction essentielle.
Le Trademark Troll est donc le fait pour une personne ou une entité d’enregistrer une marque dans l’unique but d’empêcher les autres d’utiliser des signes similaires et de les contraindre à monnayer une contrepartie financière. Ce comportement est considéré comme étant malhonnête et peut conduire à l’annulation de la marque.
Le 17 janvier dernier, le Tribunal de l’Union européenne a eu l’occasion de réaffirmer sa position concernant ces stratagèmes1 : les Trolls ne sont pas les bienvenus en Europe !
Comment se construit la stratégie des Trademark Trolls ?
En l’espèce, les juges sont confrontés à Monsieur Auer, « expert en trolling ». Il ressort des faits que Monsieur Auer a fondé de nombreuses sociétés dont l’unique objectif est de développer un portefeuille de marques pour pouvoir les opposer à de potentiels contrefacteurs, et ce dans le but de leur demander une indemnisation ou de conclure des contrats de licence. Cette décision fait suite à des précédents lors desquels Monsieur Auer s’est déjà retrouvé devant les juges européens pour une stratégie de Trademark Trolling s’agissant de la marque « Monsoon »2. Le Tribunal de l’Union européenne avait conclu à la nullité de la marque de Monsieur Auer en raison de sa mauvaise foi au moment du dépôt puisqu’il avait été prouvé qu’il n’avait jamais eu l’intention de l’utiliser à titre de marque.
Qu’à cela ne tienne, cela ne l’a pas empêché de recommencer avec une autre de ses sociétés, la société Copernicus EOOD. Cette dernière a déposé en 2010 une demande d’enregistrement d’une marque de l’Union européenne portant sur le signe « ATHLET » en classe 3, 9 et 12 visant notamment les véhicules. Cette demande est le résultat d’une stratégie bien menée pour acquérir une priorité. En effet, M. Auer, ou par le biais d’une société liée à lui, avait, depuis 2007, déposé tous les 6 mois, des demandes successives d’enregistrement de marques nationales autrichiennes, dans le but de prolonger de manière artificielle la période de priorité durant laquelle il est possible de revendiquer la priorité sur une marque de l’UE. Le Tribunal de l’Union européenne rappelle d’ailleurs à cet égard, qu’une « telle stratégie […] n’est pas sans rappeler la figure de l’abus de droit ».
Courant 2011, la société Heuver Banden Groothandel BV (ci-après « Heuver Banden »), qui n’est pas liée à Monsieur Auer, demande l’enregistrement d’une marque internationale portant sur le signe « ATHLETE » pour des jantes de voitures en classe 12, au titre d’une priorité fondée sur une marque Benelux.
C’est donc à ce moment-là que le troll fait son entrée.
Après plusieurs transferts successifs de la marque entre différentes sociétés de Monsieur Auer, la licenciée exclusive de l’époque a enjoint Heuver Banden de fournir des informations sur l’utilisation de la marque ATHLETE et de présenter une déclaration d’abstention d’utilisation de cette-ci avec reconnaissance d’une obligation d’indemnisation. Afin de noyer encore plus le poisson, la marque antérieure ATHLET est finalement transférée à une autre société de Monsieur Auer, la société Athlet Ltd.
Face à tout ce stratagème, la société Heuver ne se laisse pas faire et intente une action en nullité de la marque « ATHLET » auprès de la division d’annulation de l’EUIPO, à l’encontre de la société Athlet Ltd, fondée sur la mauvaise foi du déposant au moment du dépôt, cause de nullité absolue en droit des marques.
Le Trademark Trolling est l’illustration parfaite de la mauvaise foi en matière de marques.
Le tribunal de l’Union européenne devait donc se prononcer sur les critères d’appréciation de la mauvaise foi du déposant dans le cadre de la réglementation européenne. Rappelons en premier lieu, que l’article 59 RMUE prévoit qu’une marque de l’UE peut être déclarée nulle lorsque le demandeur était de mauvaise foi lors de son dépôt. Or, il n’existe aucune définition de la mauvaise foi dans les textes européens. C’est donc au titre d’une analyse factuelle que la jurisprudence du Tribunal s’est construite.
Dans la présente affaire, les juges rappellent que dans le langage courant, la notion de mauvaise foi suppose la présence d’un état d’esprit ou d’une intention malhonnête. Dans le contexte du droit des marques, à savoir la vie des affaires, cette intention malhonnête peut se traduire par la volonté du déposant de porter atteinte aux intérêts de tiers et/ou d’obtenir un droit exclusif à des fins autres que celle de permettre au consommateur de distinguer ses produits ou services d’une autre entreprise. Partant, l’enchaînement successif de demandes d’enregistrement de marques nationales pour le même signe, constitue une stratégie malhonnête visant à obtenir une position de blocage en tentant d’obtenir un monopole d’utilisation du signe concerné.
En outre, il est rappelé que la mauvaise foi suppose de prouver que le déposant n’avait pas, au moment du dépôt, la réelle intention d’utiliser le signe comme marque. Pour déterminer cette intention, il convient de prendre en considération tous les facteurs pertinents du cas d’espèce.
Ainsi, l’analyse factuelle de la situation a permis de démontrer l’absence d’activité économique réelle avec les tiers s’agissant de la marque déposée, à savoir avec des sociétés qui n’étaient pas liées à M. Auer. En effet, la seule activité économique exercée par le déposant, consistait à transférer la propriété de la marque entre des sociétés « dormantes » toutes liées à Monsieur Auer.
Par conséquent, le tribunal de l’Union européenne a conclu que, par le biais de toutes ses sociétés, Monsieur Auer n’a jamais eu l’intention de participer de manière loyale au jeu de la concurrence. Au contraire, il a développé une stratégie malhonnête visant à obtenir un monopole sur un signe qu’il n’a jamais eu l’intention d’utiliser à titre de marque, puisqu’il n’était motivé que par la volonté de demander une indemnisation aux acteurs économiques qui auraient voulu utiliser le signe déposé.
Bien essayé… mais les juges ont vu arriver le Troll de loin avec ses gros sabots !
Juliette Descamps
Stagiaire élève-avocat
Mélissa Cassanet
Conseil en Propriété Industrielle Associée
1) TUE, 17 janvier 2024, aff. T-650/22, Athlet Ltd c/ EUIPO
2) TUE, 7 sept. 2022, aff. T-627/21, Segimerus Ltd c/ EUIPO
25
janvier
2024
« RACIN PIGEON OLIMPIAD » hors du podium : la médaille d’or revient au Comité Olympique et à sa marque de renommée
Si les emblèmes olympiques font l’objet d’une protection et défense accrue (voir notre article sur les anneaux olympiques), les termes eux-mêmes ne sont pas en reste, comme l’illustre la présente affaire opposant la marque OLYMPIC à la marque RACING PIGEON OLIMPIAD.
Dans cette affaire, une société roumaine avait obtenu l’enregistrement de la marque de l’Union européenne figurative RACING PIGEON OLIMPIAD. Le Comité international olympique a alors déposé une demande en nullité, arguant une atteinte à la renommée de ses marques antérieures, notamment la marque OLYMPIC.
L’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), après avoir vérifié la recevabilité des marques invoquées, va se pencher sur les trois éléments clés pour évaluer l’atteinte : la renommée de la marque antérieure, la similitude des signes et le préjudice qui découle de l’usage de la marque contestée.
Sans grande surprise, l’EUIPO conclut à la renommée de la marque OLYMPIC !
La requérante, au moyen de nombreuses preuves a fait valoir que sa marque antérieure OLYMPIC était « l’une des marques plus connues dans le monde du sport et du divertissement » jouissant « d’un prestige exceptionnel et d’une renommée exceptionnelle ».
L’EUIPO considère que les arguments et pièces apportés au débat démontrent la renommée de la marque : selon la Division, la marque OLYMPIC occupe une place majeure au sein de l’Union Européenne depuis une période suffisante et fait l’objet d’une couverture médiatique importante.
Si la similarité entre les signes reste faible, le lien mental persiste, causant un préjudice au Comité international olympique.
La Division d’annulation procède à une évaluation de la similitude entre la marque antérieure OLYMPIC et la marque contestée RACING PIGEON OLIMPIAD.
Elle analyse en détail les éléments verbaux et figuratifs des deux marques. La Division rappelle que l’élément verbal a généralement un impact plus fort sur le consommateur que l’élément figuratif, et insiste sur le fait que le seul terme de la marque antérieure OLYMPIC est similaire à l’élément le plus distinctif et dominant de la marque contestée, OLIMPIAD. Il découle de ces constatations de faibles similitudes d’ensemble entre les marques en cause.
Finalement, la (faible) similitude entre les marques est renforcée par la démonstration d’un lien mental entre les signes, entraînant un risque de préjudice pour le Comité olympique international.
En effet, l’EUIPO explique qu’il existe un risque de transfert d’image associé à la marque du demandeur, vers les produits et services contestés, laissant entrevoir une exploitation indue de la renommée et de l’excellence de la marque antérieure.
Cette affaire met en lumière les défis juridiques entourant les marques liées aux Jeux Olympiques : les jeux ne sont pas toujours Olympistes !
Juliette Danjean
Stagiaire – Pôle CPI
Baptiste Kuentzmann
Conseil en Propriété Industrielle
25
janvier
2024
Imitation des anneaux olympiques, le cœur de l’EUIPO ne balance pas
Paris se prépare à accueillir les Jeux Olympiques en 2024, l’occasion pour TAoMA Partners de revenir sur la protection et la défense des anneaux olympiques.
I) Les emblèmes olympiques : une protection encadrée…
Conçu par le baron Pierre de Coubertin en 1913, le symbole olympique est composé de cinq anneaux entrelacés de dimensions égales, employés seuls, en une ou cinq couleurs. Lorsque la version en cinq couleurs est utilisée, les couleurs sont, de gauche à droite, le bleu, le jaune, le noir, le vert et le rouge. Le symbole olympique représente l’union des cinq continents et la rencontre des athlètes du monde entier.
La protection des emblèmes olympiques a une longue histoire, marquée notamment par le Traité de Nairobi adopté le 26 septembre 1981. Ce traité, supervisé par l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI), vise à protéger les anneaux olympiques contre toute utilisation commerciale sans autorisation du Comité international olympique.
Par ailleurs, à l’échelle de l’Union Européenne, l’article 7, paragraphe 1, sous i, du RMUE dispose que : « sont refusé [e]s à l’enregistrement : […] les marques qui comportent des badges, emblèmes ou écussons autres que ceux visés par l’article 6ter de la Convention de Paris et présentant un intérêt public particulier, à moins que leur enregistrement ait été autorisé par l’autorité compétente ». Les emblèmes olympiques font donc l’objet d’une protection particulière sur le territoire de l’Union Européenne puisqu’ils intègrent la catégorie des emblèmes qui présentent « un intérêt public particulier ».
L’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), ainsi que les Offices Nationaux, doivent donc exercer un examen minutieux des signes pouvant porter atteinte aux emblèmes olympiques et, le cas échéant, les refuser à l’enregistrement.
Le Comité international olympique, ainsi que les comités nationaux, gardent toutefois la possibilité de s’opposer à l’enregistrement d’une marque qui serait susceptible de reproduire ou d’imiter les emblèmes olympiques, comme les anneaux olympiques.
En effet, le Comité international olympique est titulaire de plusieurs marques enregistrées pour divers produits et services, notamment au niveau de l’Union Européenne, dont la marque No. 002970366. A l’échelle nationale, le comité d’organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques Paris 2024 est titulaire des marques propres à l’évènement à venir, dont la marque française No. 4693482.
Si les emblèmes olympiques font l’objet d’une solide protection à l’échelle nationale comme internationale, l’affaire qui suit illustre néanmoins certaines limites notamment au regard des signes en cause.
II) … ou presque
Le 26 octobre 2021, le Comité international olympique a formé une opposition contre une marque semi-figurative européenne déposée par la société chinoise Shanghai Qinke Electronic Commerce Co. Ltd. Il revendiquait l’antériorité de ses trois marques, et la renommée de ces dernières. L’EUIPO, dans cette affaire, devait donc évaluer s’il existait un risque de confusion entre les signes en cause.
La division d’opposition a d’abord précisé que les éléments verbaux de la marque antérieure étaient distinctifs car la combinaison « Link heats by love » peut-être comprise, au moins par la partie anglophone du public, comme « une relation chauffée par l’amour ». Même si tous les mots composant le slogan sont compris par la partie anglophone du public, la combinaison en tant que telle n’a pas de sens clair ou de sens intelligible. Il n’est pas exclu que cette combinaison soit perçue comme une orthographe erronée de « link hearts by love » (lier les cœurs par amour) en raison de l’élément figuratif reproduisant cinq cœurs. En tout état de cause, en l’absence de lien direct avec les produits et services concernés, la combinaison en tant que telle est distinctive.
De plus, la combinaison de cœurs n’a pas de lien direct avec les produits et services pertinents (9, 14, 18, 25, 35) et est donc distinctive.
Sur l’analyse des signes, et plus précisément sur le plan visuel, les marques antérieures, composées de cercles colorés ou noirs, sont distinctes de la marque contestée, qui utilise des formes de cœur en nuances de gris/noir.
La division d’opposition affirme que les signes ne coïncident que dans la mesure où ils représentent tous deux une combinaison de cinq éléments figuratifs placés dans la même position.
Les cœurs du signe contesté seront immédiatement perçus comme des cœurs et non comme des formes arrondies. De plus, les couleurs/nuances des signes sont différentes.
En outre, la marque contestée contient des éléments verbaux supplémentaires qui ne sont pas présents dans les marques antérieures.
Phonétiquement et conceptuellement, les marques sont également jugées différentes. Les marques antérieures seront liées au concept de cinq cercles et le signe contesté renvoie au concept des cinq cœurs. Les consommateurs ne percevront pas l’entrelacement de cinq formes dans l’abstrait comme un concept à part entière.
Aussi, l’EUIPO juge que les signes en cause sont différents et, partant, ne peuvent donner lieu à un risque de confusion.
Par ailleurs, l’EUIPO rejette le fondement de la marque renommée, estimant que les conditions cumulatives pour bénéficier de cette protection ne sont pas remplies, en l’espèce, il n’y avait pas de similarité entre les signes.
En conclusion, cercle ou pas cercle, ne tournons plus en rond : Il s’agit d’un cœur !
Emeline JET
Juriste
Delphine Monfront
Avocate à la Cour
Baptiste Kuentzmann
Conseil en Propriété Industrielle
16
janvier
2024
elLle hôtels n’est pas ELLE magazine : au Japon, entre dormir et lire, pas besoin de choisir !
Est-il encore nécessaire de présenter le magazine ELLE édité par la société HACHETTE FILIPACCHI PRESSE ? Avec des éditions dans la plupart des grands pays du monde, le magazine ELLE fait figure de concurrent direct de VOGUE.
Au fil des année la marque a vu son aura s’étendre à d’autres domaines d’activité que les magazines par le biais de produits dérivés, principalement dans la mode, mais également dans les services avec l’ouverture de cafés, restaurants et même d’hôtels (le premier à Paris, Maison ELLE).
C’est dans ce contexte que HACHETTE FILIPACCHI PRESSE s’est opposée devant l’office japonais au dépôt de la marque en mai 20231.
Le dépôt de cette marque fait suite à de premiers échanges entre la société HACHETTE FILIPACCHI PRESSE et le déposant. Ce dernier avait, en effet, procédé au préalable au dépôt de la marque ELLE HOTELS qu’il avait retiré suite à une mise en demeure.
Fondements invoqués par HACHETTE FILIPACCHI PRESSE
Au soutien de son opposition, la société HACHETTE FILIPACCHI PRESSE fait valoir que la marque litigieuse ne peut être enregistrée car elle est identique ou similaire à sa marque antérieure.
Par ailleurs, elle s’appuie sur une autre disposition de la loi japonaise qui prévoit qu’une marque ne peut pas être enregistrée lorsqu’elle est susceptible de créer une confusion avec les produits ou services notoires d’autres entités commerciales.
HACHETTE FILIPACCHI PRESSE explique que la marque ELLE bénéficie d’une réputation remarquable sur le marché et qu’elle est utilisée à travers le monde pour différents produits et services dont des cafés et des hôtels.
De même, notamment en raison des échanges précédents qu’elle a eus avec le déposant, HACHETTE FILIPACCHI PRESSE invoque le fondement du dépôt avec une intention déloyale, c’est-à-dire l’intention de réaliser un profit déloyal, de causer un préjudice au propriétaire de la marque notoire ou toute autre intention déloyale.
Il est évident pour elle qu’il existe une ressemblance importante entre la marque et ses marques antérieures ELLE et que ce nouveau dépôt est fait avec une intention déloyale.
Pour l’office, elLle n’est pas ELLE
L’office japonais reconnais que la marque ELLE jouit d’une certaine renommée pour les magazines mais également pour les articles de mode.
A l’inverse, sur les services d’hôtellerie, l’office note que si un hôtel a été ouvert à Paris, ce n’est pas le cas au Japon. Par ailleurs, il considère que l’opposant ne démontre pas l’ampleur de la publicité ou des revenus découlant des activités d’hôtellerie. Ainsi, il n’est pas démontré que ELLE bénéficie d’une certaine notoriété pour ces services.
Concernant la similarité entre les marques, l’office n’est pas des plus complaisants. L’office reconnait que l’élément elLle est le principal de la demande contestée, HOTEL étant descriptif.
Néanmoins, l’élément elLle doit être analysé dans son ensemble. Il est composé de manière équilibrée entre une attaque « el », une finalité « le » et un élément central « L » dessiné de plusieurs couleurs qui peut aisément être vu comme la lettre européenne « L ».
L’élément elLle n’est pas un mot du dictionnaire et n’a pas de sens spécifique. Rien n’indique qu’il sera vu comme le mot « elle ». L’office considère qu’il est raisonnable de supposer que elLle sera reconnu et compris comme un mot inventé qui n’a pas de signification spécifique.
En conséquence, il n’existe pas de risque de confusion avec les marques antérieures ELLE.
Enfin, concernant un éventuel dépôt avec une intention déloyale, l’office ne fait pas droit aux demandes de HACHETTE FILIPACCHI PRESSE. Les échanges précédant l’affaire, entre les parties, ne sont pas des faits concrets suffisants pour conclure que le déposant a protégé sa marque dans un but illicite.
La marque contestée n’est donc pas utilisée dans le but d’entraver les activités de la société HACHETTE FILIPACCHI PRESSE ou de caractériser une atteinte à la réputation de ELLE.
Une décision surprenante
Cette décision n’est pas sans étonner ! Il peut, en effet, être entendu que la marque ELLE ne bénéficie pas d’une notoriété particulière pour des hôtels. Nombreux sont ceux qui n’ont pas connaissance de l’hôtel parisien Maison ELLE. Cela est probablement d’autant plus vrai pour le public japonais où, au jour du dépôt de la marque contestée, aucun hôtel ELLE n’était ouvert dans le pays.
La comparaison entre ELLE et elLle peut également s’entendre d’une certaine manière en raison des différences de langue, de prononciation ou encore de perception des marques pour le public japonais.
A l’inverse, il est étonnant que l’office ne retienne pas que ce dépôt de marque soit fait dans une intention déloyale. Le déposant était parfaitement au courant des marques ELLE protégées et utilisées pour des hôtels. Les faits démontraient une volonté du déposant de contourner les marques antérieures ELLE.
Néanmoins, même si l’intention déloyale avait été retenue, la décision finale aurait probablement été identique. Si les marques ne peuvent être confondues par le public japonais, un dépôt déloyal de la marque n’aurait pas d’incidence sur une absence de risque de confusion entre les signes…
Il est donc possible de dormir sur ses deux oreilles à l’hôtel sans crainte d’une mauvaise presse dans le magazine ELLE.
Jean-Charles Nicollet
Conseil en Propriété Industrielle – Associé
(1) Opposition No. 2023-900123
09
janvier
2024
LEGO contre LELE BROTHER : la bataille des briques dans le monde des marques !
Par une décision du 26 septembre 20231, l’EUIPO a fait droit à une opposition formée par la société Lego titulaire de la célèbre marque contre la demande d’enregistrement de marque No. 018571181.
La société Lego Juris s’oppose à cette demande en invoquant notamment l’article 8 paragraphe 5 du Règlement sur la marque de l’Union européenne, qui protège les marques de renommée de l’Union européenne tout comme les marques nationales jouissant d’une renommée au sein d’un État membre, et ce même en l’absence d’identité ou de similarité entre les produits et services désignés par les signes. Cette renommée permet au titulaire de la marque antérieure renommée de s’opposer à une demande de marque identique ou similaire dont « l’usage sans juste motif tirerait indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure ou leur porterait préjudice ».
La marque LEGO possède une renommée exceptionnelle au sein de l’Union européenne pour certains des produits désignés
Afin d’étayer sa renommée, la société Lego Juris produit différents éléments de preuves (articles de presse, rapports annuels, chiffres de ventes, décisions administratives ou judiciaires, etc.) auprès de la Division d’opposition de l’EUIPO pour attester de la renommée de sa marque à l’égard des produits suivants « jeux, jouets ; articles de gymnastique et de sport (compris dans la classe 28) ; décorations pour arbres de Noël », sur lesquels se fonde l’opposition.
Pour la Division d’opposition de l’EUIPO, les éléments apportés par la société Lego Juris démontrent que la marque LEGO « a fait l’objet d’un usage intensif et de longue durée et qu’elle est notoirement connue sur le marché pertinent, où elle jouit d’une position consolidée parmi les marques leaders […] » et que les éléments fournis possèdent une valeur probante en plus d’être fiables quant à leur date.
L’ensemble de ces preuves permettent à la Division d’opposition de conclure que la marque Lego « jouit d’une renommée exceptionnelle dans l’Union européenne », mais seulement pour les « Jeux, jouets à savoir jouets de construction », les « jouets de constructions » constituant une sous-catégorie autonome de la catégorie des jeux et jouets. S’agissant toutefois des « articles de gymnastique et de sport (compris dans la classe 28) ; décorations pour arbres de Noël », la Division d’opposition ne reconnait par la renommée de la marque en cause, faute de preuves suffisantes.
Un risque de confusion préjudiciable
Après avoir retenu l’exceptionnelle renommée de la marque antérieure, la Division d’opposition procède à l’analyse des signes en se conformant à la méthode globale d’appréciation du risque de confusion2.
Il est retenu, d’un point de vue visuel, que les signes présentent des ressemblances en raison de leur séquence d’attaque commune « LE- » et de leur reproduction dans des tons gris, encadrés par un carré, avec une stylisation et un agencement semblable des éléments verbaux. Malgré certaines différences entre les deux syllabes finales ou encore la longueur du signe contesté du fait de la présence du mot « BROTHER », la Division d’opposition considère que les signes « présentent un degré de similitude inférieur à la moyenne » sur le plan visuel.
La Division d’opposition retient ensuite que les signes présentent également certaines ressemblances d’un point de vue phonétique. Les éléments verbaux commencent tous deux par la séquence « LE- » en plus de partager les mêmes voyelles « E » et « O ».
Ils diffèrent néanmoins dans la prononciation de leur deuxième syllabe « GO » au sein de la marque antérieure et « LE » dans la demande contestée, et dans la prononciation de l’élément verbal supplémentaire « BROTHER » au sein de la demande contestée.
Ainsi, la Division d’opposition considère que les signes sont « faiblement similaires sur le plan phonétique ».
À cela s’ajoute une différence conceptuelle entre les deux marques, le consommateur moyen de l’Union européenne associant directement le terme « Lego » à la marque de jeu de construction ou à la société. S’agissant de la marque Lele Brother, le premier terme ne possède pas de signification particulière, tandis que le second élément verbal renvoie à la notion de « frère », le tout pouvant être perçu comme pouvant faire référence au « frère d’une personne nommée Lele ».
La Division d’opposition examine ensuite si le public sera en mesure d’établir un lien entre les marques en cause. Ce lien n’étant pas explicitement mentionné par l’article 8 paragraphe 5 du Règlement, il n’en demeure pas moins nécessaire de l’établir pour « déterminer si l’association que le public pourrait établir entre les signes est telle qu’il est vraisemblable que l’usage de la marque demandée tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure ou qu’il lui porte préjudice, après avoir apprécié tous les facteurs pertinents dans le cas d’espèce ».
Tenant compte du degré de similitude, de la renommée de la marque Lego pour certains produits, des similarités entre les produits respectivement désignés, et du fait qu’ils ciblent le même public, la Division d’opposition en conclut que les consommateurs concernés seront susceptibles d’associer la demande de marque contestée à la marque antérieure LEGO, c’est-à-dire d’établir un « a mental link » entre les signes.
Enfin, la Division d’opposition reconnait que la demande de marque Lele Brother risque de tirer indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque LEGO puisque « the ‘LEGO’ brand has a particularly high image and is regarded for its commitment to current social-political topics such as sustainability, child education and diversity. These positive qualities could be transferred and attached to the contested sign and this image transfer would make it easier to sell all the contested goods ». En d’autres termes, la société déposante pourrait injustement profiter de cette renommée sans payer de compensation à la société Lego Juris et sans investir pour créer un marché pour ses produits dans l’Union européenne.
Ainsi, se fondant sur l’ensemble des éléments précités, la Division d’opposition reconnait l’opposition formée par la société Legos Juris totalement justifiée et rejette donc la demande de marque contestée pour l’ensemble des produits couverts.
La demande de marque Lele Brother a fini par se prendre un ‘NON’ aussi solide que les briques LEGO. Il semble que dans ce match, LEGO ait construit une victoire indiscutable !
Arthur Burger
Stagiaire juriste
Gaëlle Bermejo
Conseil en Propriété Industrielle
Note de référence :
(1) EUIPO, Division d’opposition, 26/09/2023, n° B 3 159 692
(2) CJUE 11/11/1997, n° C-251/95, affaire Sabel / Puma
05
décembre
2023
LA MAISON DU CHOCOLAT JUGÉE NON-DISTINCTIVE POUR DÉSIGNER DES PRODUITS ET SERVICES VIRTUELS EN LIEN AVEC LE CHOCOLAT
Le 5 octobre 2023, la chambre des recours de l’EUIPO a confirmé la décision de refus partiel de la demande de marque de l’Union européenne LA MAISON DU CHOCOLAT n°18719890, d’avoir considéré que le signe était descriptif et dépourvu de caractère distinctif notamment pour des produits et services virtuels en lien avec du chocolat1.
La société La Maison du chocolat, spécialisée dans la fabrication de confiseries et la transformation de cacao, a déposé la demande de marque de l’Union européenne LA MAISON DU CHOCOLAT n°18719890 le 21 juin 2022 pour désigner des produits et services en classes 9, 35 et 41 auprès de l’EUIPO.
Par une décision du 23 février 2023, l’examinateur a partiellement refusé cette demande de marque au motif que le signe LA MAISON DU CHOCOLAT serait (i) descriptif de l’espèce et (ii) dépourvu de caractère distinctif.
En effet, il estime que le consommateur français (public retenu comme pertinent) est susceptible de percevoir le signe comme « un magasin sous forme de boutique maison qui vend et/ou produit du chocolat », qui viendrait, de ce fait, décrire l’espèce des produits désignés.
L’Office a notamment refusé les produits et services suivants à l’enregistrement :
– Classe 9 : « Produits virtuels téléchargeables à savoir programmes informatiques en relation avec le cacao et préparations à base de cacao, cacao en poudre, pâtes à tartiner au cacao (…) »
– Classe 35 : « Services de magasin de vente au détail en ligne proposant des biens virtuels à savoir du cacao, du cacao en poudre, des pâtes à tartiner au cacao (…) » ;
– Classe 41 : « Services de divertissement, à savoir offre en ligne de biens virtuels, à savoir du cacao et des préparations à base de cacao, du cacao en poudre, des pâtes à tartiner au cacao (…) ; »
Toutefois, ladite demande a été accueillie pour des produits et services virtuels en lien avec la pâtisserie.
La société demanderesse a formé un recours contre cette décision devant la Chambre des recours de l’EUIPO qui a, par une décision du 5 octobre 2023, confirmé la décision de l’examinateur en rappelant et appliquant les dispositions de l’article 7 §1 b et c et §2 du Règlement sur la Marque de l’Union européenne (RMUE).
En effet, une marque doit être refusée dès lors qu’elle est :
– composée exclusivement de signes ou d’indications pouvant servir dans le commerce pour désigner l’espèce, la qualité etc … En l’espèce l’association des termes « LA MAISON DU » (qui forme à l’évidence une expression désignant une entreprise commerciale), au terme « CHOCOLAT » informe clairement les consommateurs sur l’espèce des produits et services en cause. Le consommateur percevra le signe comme un centre ou bâtiment qui fabrique/ produit/ vend du chocolat ou y trouver une expérience qui est liée au chocolat même, que cela soit dans le monde réel comme dans le monde virtuel.
– dépourvue de caractère distinctif, ne serait-ce que dans une partie de l’Union européenne. En l’espèce, la marque demandée sera considérée pas le public pertinent comme indiquant seulement que les produits et services proviennent d’une entreprise commerciale spécialisée dans le chocolat ce qui constitue un message laudatif vantant la spécialisation et le caractère unique de l’entreprise commerciale.
Dès lors, elle confirme que la demande de marque en cause est descriptive des produits et services objectés, quand bien même ces derniers soient virtuels et rejette le recours de la demanderesse. LA MAISON DU CHOCOLAT est donc enregistrée pour les produits et services restants et notamment ceux en lien avec la pâtisserie.
Ce n’est pas la première fois que la demanderesse se voit refuser l’une de ses demandes de marque à l’enregistrement pour défaut de caractère distinctif par l’Office. En effet, elle avait déjà cherché à déposer le signe LA MAISON DU CHOCOLAT en 2003 pour des produits et services en classes 30 (cacao, pâtisserie et confiserie, sauces (condiments)) et 43 (services de restauration (alimentation)) sans succès. La tentative pour des produits et services du monde virtuel se heurte finalement aux mêmes refus de l’Office.
L’Office adopte ainsi la même appréciation de la distinctivité pour les marques désignant des produits virtuels que pour les marques désignant des produits matériels. En effet, d’après la Chambre des recours, le caractère virtuel de ces produits ou services ne modifie pas la perception du signe, tant qu’ils ont un lien avec le chocolat ou le cacao.
Cette décision témoigne donc de la volonté de l’EUIPO d’adapter le droit des marques aux nouveaux enjeux du virtuel.
Margaux Maarek
Juriste
Mélissa Cassanet
Conseil en Propriété Industrielle Associée
(1) EUIPO, Chambre des recours, 5 octobre 2023, R 836/2023-2
Load more
Loading...