20
janvier
2021
La PI en chiffres : le tout dernier rapport de l’OMPI
L’Office mondial pour la Propriété intellectuelle (OMPI), a publié son rapport 2020 sur l’activité en propriété intellectuelle au niveau mondial (chiffres de 2019).
On y apprend, entre autres, que le dépôt de brevets est en baisse côté chinois et en hausse côté américain, même si l’Empire du Milieu conserve son leadership.
En ce qui concerne les marques, on y découvre que ce sont les secteurs de la recherche et de la technologie, ainsi que celui de la santé et celui de l’habillement qui réunissent le plus de dépôts (près de 50% des dépôts à eux trois) ; ou encore qu’en-dehors de l’EUIPO et de l’INPI, c’est auprès des offices chinois, américains et britanniques que les français déposent le plus de marques, alors que, parmi les étrangers, ce sont les chinois et les suisses qui déposent le plus de marques françaises auprès de l’INPI.
Tous les chiffres sont disponibles ici (le rapport est en anglais).
18
janvier
2021
Taittinger : la fin d’une saga pétillante
Author:
teamtaomanews
Ce début d’année, certes peu festif, nous amène à revenir sur une affaire qui nous rappelle une nouvelle fois les enjeux essentiels attachés aux marques patronymiques des maisons de luxe, que ce soit dans le monde de la mode (affaires Ines de la Fressange ou Christian Lacroix) ou, comme c’est le cas en l’espèce, du champagne.
Pour rappel, Virginie Taittinger, actionnaire de la société TAITTINGER, produisant et commercialisant du champagne sous une marque éponyme, avait donné mandat à son père de la représenter dans la vente de ses parts sociales dans le cadre d’une cession de contrôle de l’entreprise.
Cet acte de cession prévoyait notamment que les membres de la famille Taittinger ne pourraient plus faire usage de leur nom pour désigner des champagnes.
Or, Madame Taittinger a repris une activité de production de champagne sous la marque « VIRGINIE T » et par le biais notamment de plusieurs noms de domaines contenant le terme « taittinger ». Dans sa communication, elle mentionnait également de manière régulière le champagne Taittinger et son expérience au sein de l’entreprise familiale.
La société ayant acquis l’entreprise et la marque TAITTINGER l’a alors assignée en violation de la convention de cession, atteinte à la marque renommée Taittinger et parasitisme.
Après plusieurs épisodes, la Cour de cassation a cassé l’arrêt de la cour d’appel de Paris dans une décision que nous avions commentée.
C’est donc sans surprise que, statuant à nouveau, en formation de renvoi, la même cour d’appel de Paris a repris le raisonnement de la Cour de cassation et définitivement validé les modalités de commercialisation du champagne VIRGINIE T.
Sur la violation de la clause d’interdiction du nom Taittinger
La cour d’appel rappelle qu’un mandat conclu en termes généraux, comme celui donné par Madame Taittinger à son père (qui ne mentionnait que la possibilité, en plus de la vente des titres, de souscrire « à tout engagement ou garantie, et, plus généralement faire le nécessaire selon ce qu’il jugera utile ou approprié »), ne peut porter que sur des actes d’administration, tout acte de propriété, tel qu’une restriction d’usage d’un nom patronymique, nécessitant un mandat exprès.
Après avoir souligné que les enjeux juridiques et financiers de l’opération imposaient à l’acheteur une vérification de l’étendue des pouvoirs des vendeurs et que la disposition litigieuse était tellement défavorable à Madame Taittinger (dont l’expérience professionnelle est étroitement liée à la société Taittinger) qu’il était exclu qu’elle ait accepté, prévu ou même envisagé que son père consentirait à la stipulation d’une telle clause, la cour décide qu’elle ne peut lui être opposée.
Sur l’atteinte à la marque renommée « TAITTINGER »
Il est reproché à Madame Taittinger de faire la communication de son nouveau produit par le biais de nombreuses références à son nom, donc à celui des champagnes TAITTINGER.
La Cour de cassation avait censuré le raisonnement de la cour d’appel, lui reprochant de réaliser un amalgame entre l’analyse de l’atteinte à la marque et l’existence de justes motifs.
Les juges y remédient donc dans ce nouvel arrêt, sans pour autant que l’issue diffère.
Ils retiennent, en substance, qu’elle a bien retiré un avantage de l’association entre son champagne et le champagne Taittinger.
Pour autant, cette dernière, au regard de ses compétences professionnelles, exclusivement développées au sein de l’entreprise familiale, ne peut se voir reprocher d’avoir assuré sa reconversion dans le domaine du champagne. Or, pour ce faire, il est légitime qu’elle fasse état de son nom, de son origine familiale et de son parcours professionnel, la conduisant à évoquer le champagne TAITTINGER. De plus, ils notent qu’elle utilise toujours son nom, dans la promotion de sa nouvelle activité, en l’associant à son prénom.
La demande de ce chef est donc rejetée, ces circonstances constituant un juste motif.
Sur le parasitisme
Une nouvelle fois, la Cour de cassation avait retoqué le premier arrêt d’appel qui ne tenait pas compte, dans son analyse de la valeur économique prétendument parasitée, du prestige et de la notoriété attachés au nom Taittinger.
Dans sa nouvelle décision, la cour d’appel n’a pour autant pas de difficultés à rejeter la demande. En effet, elle indique à nouveau que les mentions par Madame Taittinger du nom commercial de la société adverse étaient justifiées « par la légitime évocation par l’intimée de ses origines familiales et de ses activités passées durant plus de vingt ans au service du champagne TAITTINGER et ne revêtent donc aucun caractère fautif, nonobstant le prestige et la notoriété incontestés acquis par ce nom commercial et cette dénomination sociale ».
Madame Taittinger est désormais libre d’utiliser son nom dans sa communication commerciale.
Fiora FELICIAGGI
Stagiaire Pôle Avocat
Anita DELAAGE
Avocate
Référence et date : Cour d’appel de Paris, Pôle 5 – chambre 1, 3 mars 2020, n° 18/28501
Décision non publiée, communiquée sur demande à contact-avocat@taoma-partners.fr
21
décembre
2020
Droits de PI et Brexit : fin de la transition le 31/12 – et après ?
Author:
teamtaomanews
Première publication du 16 avril 2020
Mise à jour du 20 janvier 2021
Le Royaume-Uni a quitté, de manière définitive, l’Union européenne le 31 décembre 2020. Le Brexit a donc des conséquences directes sur vos droits de propriété industrielle européens.
L’équipe News de TAoMA vous propose une mise à jour sur le sujet.
Marques
Tout d’abord, si vos marques de l’Union européenne sont toujours protégées au Royaume-Uni, cette situation prendra fin le 31 décembre 2020 !
Mais pas de panique, nous vous expliquons la situation des marques de l’Union européenne après cette date et selon les différents cas de figure possibles.
1ère situation : les marques de l’Union européenne enregistrées au 1er janvier 2021
Aucun changement à prévoir jusqu’au 31 décembre 2020 pour :
Les marques de l’Union européenne enregistrées ;
Les marques de l’Union européenne actuellement en cours d’enregistrement et les marques déposées d’ici la fin de la transition et qui seront enregistrées au 31 décembre 2020 ;
Les marques de l’Union européenne arrivant à expiration avant le 31 décembre 2020 et dûment renouvelées avant cette date (ou en période de grâce).
Pour l’ensemble de ces marques, l’office britannique créera automatiquement des marques nationales équivalentes sur son registre. Ces équivalences britanniques seront totalement indépendantes de la marque de l’Union européenne initiale, mais conserveront les dates de dépôts et de priorité correspondantes.
La bonne nouvelle est que l’office n’exigera pas le paiement d’une taxe officielle pour la création de ces nouvelles marques nationales équivalentes.
Les titulaires ne seront pas notifiés par l’office britannique et ne recevront pas de nouveau certificat d’enregistrement de leur équivalence mais pourront accéder aux détails de leur nouvelle marque sur le site de l’office britannique en indiquant leur numéro de marque de l’Union européenne, précédé par la référence « UK009 ».
Par ailleurs, ces marques devront être renouvelées à leur échéance auprès de l’office britannique comme toute marque nationale.
Si un titulaire de marque de l’Union européenne ne souhaite pas obtenir d’équivalence, des mesures d’opt-out (renoncement à obtenir une équivalence britannique) seront possibles à compter du 1er janvier 2021 (le formulaire correspondant qui sera disponible sur le site gov.uk ne devrait pas être publié avant cette date).
2ème situation : les marques de l’Union européenne en cours d’enregistrement au 1er janvier 2021
Pour les marques de l’Union européenne déposées mais pas encore enregistrées au 1er janvier 2021, il sera obligatoire de solliciter la création d’un droit équivalent auprès de l’office britannique et de payer les taxes officielles correspondantes. Cette démarche volontaire devra être effectuée avant le 30 septembre 2021, afin de remplacer les droits européens qui ne couvriront plus le Royaume-Uni.
Cette démarche volontaire permettra de demander le maintien des demandes de marques européennes au Royaume-Uni en conservant leur date de dépôt européenne initiale.
3ème situation : les marques de l’Union européenne arrivant à expiration après le 1er janvier 2021
Pour vos marques européennes dont la date de renouvellement est postérieure au 1er janvier 2021, il sera obligatoire d’effectuer, dans le délai imparti, le renouvellement et le paiement de taxes auprès de l’EUIPO ET de l’office britannique, afin de remplacer les droits européens qui ne couvriront plus le Royaume-Uni.
Attention, si vous avez procédé au renouvellement de votre marque européenne, auprès de l’EUIPO, avant le 31 décembre 2020, espérant anticiper le Brexit, il n’en est rien ! En effet, ce renouvellement anticipé ne vous permet pas d’échapper à l’obligation de payer les taxes de renouvellement de la marque britannique équivalente qui sera créée automatiquement le 1er janvier 2021.
4ème situation : les marques internationales désignant l’Union européenne
Des mesures équivalentes sont prévues pour les marques internationales désignant l’Union européenne.
Toutefois, une particularité est à prévoir puisque l’équivalence britannique sera indépendante de la marque internationale.
5ème situation : Quid de l’usage et la renommée des marques de l’Union européenne ?
Enfin, nous clôturons ce paragraphe sur les marques en précisant que l’usage et la renommée des marques au sein de l’Union européenne, même à l’extérieur du Royaume-Uni, au cours des 5 années précédant la fin de la période de transition, soit le 31 décembre 2020, pourront être valablement invoqués au Royaume-Uni.
Dessins et modèles
Ces mêmes mesures sont transposées aux dessins et modèles, y compris les dessins et modèles communautaires non enregistrés pour lesquels un registre spécifique sera créé par l’office britannique. Cette mesure est rassurante pour les titulaires de tels droits puisqu’à la différence d’un dessin ou modèle enregistré classique, un dessin ou modèle communautaire non enregistré permet de conférer une protection (plus limitée) pour une durée de 3 ans non renouvelable, à compter de sa première divulgation au public sur le territoire de l’Union européenne).
Autres conséquences
En revanche, le Brexit pourrait avoir des incidences importantes sur les contrats (accords de coexistence, lettres d’engagement, licences…), les actions judiciaires en cours au Royaume-Uni au 1er janvier 2021 engagées sur la base d’une marque ou d’un dessin et modèle de l’Union européenne, les procédures d’opposition auprès de l’EUIPO sur la base de marques britanniques, ou encore les noms de domaine .eu dont les titulaires sont britanniques, etc.
Nous vous recommandons donc de procéder à des audits de vos portefeuilles, contrats et procédures en cours afin d’anticiper au mieux les conséquences de la sortie effective du Royaume-Uni de l’Union européenne.
L’ensemble de l’équipe TAoMA est mobilisée sur ces problématiques et reste à votre disposition pour vous accompagner dans cette période de transition.
Stay safe !
Marion Mercadier
Conseil en Propriété Industrielle
Jean-Charles Nicollet
Conseil en Propriété Industrielle
Responsable du Pôle juridique
02
novembre
2020
Devant la Cour comme sur le terrain, Léo MESSI décroche la victoire
Author:
teamtaomanews
Lionel Messi est considéré comme le meilleur joueur de tous les temps, et c’est peu dire que sa renommée est considérable. La Cour de Justice de l’Union Européenne ne s’y est pas trompée lorsqu’elle a mis fin, le 17 septembre dernier[1], à un litige de près de dix ans, en confirmant l’enregistrement de la marque portant le nom du célèbre joueur, considérant que la notoriété de celui-ci suffisait à écarter le risque de confusion avec la marque antérieure MASSI.
Cette affaire débute en 2011 lorsque le célèbre joueur dépose auprès de l’EUIPO une demande d’enregistrement de la marque complexe suivante en classes 25 et 28 notamment, pour désigner des vêtements et articles de sport :
Le titulaire de deux marques de l’Union Européenne antérieures MASSI désignant des vêtements et articles de sport forme opposition contre la demande d’enregistrement de la marque du joueur invoquant l’existence d’un risque de confusion entre les signes.
Dans un premier temps, la division d’opposition de l’EUIPO, puis la Chambre des recours, font droit à la demande du titulaire des marques MASSI, et refusent l’enregistrement de la demande de la marque du joueur du fait de la similarité des signes et de l’identité des produits visés générant un risque de confusion selon l’Office.
Sur recours de Lionel MESSI, l’affaire est alors portée devant le Tribunal de l’Union Européenne qui, dans un arrêt du 26 avril 2018[2], refuse cette interprétation et autorise Lionel MESSI à enregistrer son nom en tant que marque.
Selon le Tribunal, même si les produits visés sont identiques et les signes MESSI et MASSI sont visuellement et phonétiquement très proches, la réputation du joueur est telle que, sur le plan conceptuel, les marques apparaîtront différentes pour le public pertinent.
En d’autres termes, les consommateurs à qui on présenterait des vêtements de sports de la marque MESSI feraient immédiatement le lien avec le joueur et non avec les marques antérieures MASSI. Le Tribunal écarte alors tout risque de confusion entre les signes.
Le titulaire des marques antérieures et l’EUIPO ne partageant pas cette analyse forment tous deux un pourvoi contre cette décision.
Dans son arrêt du 17 septembre 2020, la Cour de Justice de l’Union Européenne confirme l’interprétation du Tribunal et rejette les deux pourvois.
Au titre de l’article 8 du Règlement sur la Marque de l’Union Européenne, l’EUIPO argue qu’une marque ne peut être refusée à l’enregistrement en cas de similitude avec une marque antérieure même s’il n’existe un risque de confusion que pour une partie du public pertinent. En effet, l’EUIPO considère que le public pertinent est composé de plusieurs parties significatives, l’une faisant le lien entre la marque MESSI et le joueur, et l’autre ne le faisant pas. Ainsi selon l’Office, pour cette partie du public pertinent, la différence conceptuelle n’existerait pas.
La Cour rejette cet argument et valide l’analyse du Tribunal en considérant qu’il a parfaitement jugé que la célébrité du footballeur était telle que « seule une partie négligeable du public pertinent n’associerait pas le terme « messi » au nom du célèbre joueur de football » et qu’en tout état de cause, il n’était même pas plausible de considérer que le consommateur moyen n’associerait pas ce signe au joueur dans le domaine des vêtements et articles de sport, compte tenu de sa notoriété.
La Cour estime donc que le Tribunal a valablement considéré que la perception du signe par l’ensemble du public pertinent était de nature à écarter le risque de confusion et rejette le pourvoi.
Le titulaire des marques antérieure MASSI se fonde lui sur plusieurs moyens pour critiquer la décision du Tribunal de l’Union.
Il soutient notamment que seule la notoriété de la marque antérieure devrait compter dans l’appréciation du risque de confusion, et non la notoriété de la demande de marque postérieure. La Cour rejette cette interprétation et indique que, bien que la notoriété de la marque antérieure soit effectivement un facteur important dans l’analyse de celui-ci, ce risque doit être apprécié globalement en prenant en compte l’ensemble les facteurs pertinents, y compris la notoriété du nom constitutif de la demande d’enregistrement. Cette interprétation n’est pas nouvelle ! En effet, déjà en 2010 dans un arrêt impliquant la mannequin Barbara Becker, la Cour avait considéré que la notoriété de la personne cherchant à faire enregistrer son nom en tant que marque pouvait « de toute évidence » influencer la perception de la marque par le public pertinent[3].
Outre des erreurs de droit écartées par la Cour, le titulaire des marques MASSI reproche également au Tribunal d’avoir fait une mauvaise application de l’arrêt Ruiz-Picasso c/ OHMI[4].
Cette affaire de 2006 opposait les descendants du célèbre peintre, également titulaire de la marque communautaire « PICASSO », à l’Office ayant enregistré la marque « Picaro » notamment pour des véhicules automobiles. La Cour pour rejeter le pourvoi de la famille Picasso avait notamment considéré que la notoriété du peintre, auquel les consommateurs penseraient immédiatement conférait à la marque « PICASSO » « une signification claire et déterminée » dans l’esprit du public permettant d’écarter tout risque de confusion.
Ainsi, le titulaire des marques MASSI soutient que la notoriété prise en compte dans cette affaire portait sur la marque antérieure, et non sur la demande d’enregistrement, et n’était donc pas transposable à l’espèce.
La Cour rejette cette interprétation de l’arrêt Picasso et rappelle que si des différences conceptuelles de nature à écarter un risque de confusion entre deux marques sont constatées, il n’y a pas de condition nécessitant que la marque notoire soit la marque antérieure !
Après près de 10 années de procédure, le footballeur Lionel MESSI dispose enfin d’une marque enregistrée à son nom pour commercialiser des vêtements et accessoires de sport. BUT !
Fiora Feliciaggi
Stagiaire Pôle Avocats
Anne Laporte
Avocat à la cour
[1] CJUE, 17 septembre 2020, EUIPO c/ Messi Cuccittini, C-449/18 P
[2] TUE, 26 avril 2018, Messi Cuccittini c/ EUIPO – J-M.-E.V. e hijos, T-554/14
[3] CJUE, 24 juin 2010, Becker c/ Harman International Industries, C-51/09 P
[4] CJCE, 12 janvier 2006, Ruiz-Picasso e.a. c/ OHMI, C-361/04 P
15
octobre
2020
Pas de rattrapage pour le licencié qui veut renouveler la marque objet de la licence
Author:
teamtaomanews
L’activité du licencié de marque repose par définition sur la marque, c’est dire l’importance pour lui que revêt le renouvellement de la marque, qui, pourtant, n’est souvent vu que comme une formalité rapidement traitée dans les contrats de licence.
Dans l’affaire jugée par le Tribunal de l’Union Européenne (TUE)(1) le 23 septembre 2020, la société licenciée n’a pu obtenir de procéder au renouvellement de la marque à la place du titulaire et a durement payé la négligence de ce dernier en perdant la marque objet de son activité.
Les praticiens connaissent la possibilité de rattraper un non-renouvellement de marque par la restitutio in integrum (restitution intégrale), elle est prévue par l’article 53(2) du Règlement sur la marque de l’Union Européenne qui prévoit que la demande de renouvellement peut être présentée à l’EUIPO dans les six mois avant la date d’expiration et jusqu’à six mois après cette date moyennant une surtaxe.
En l’espèce, le délai de grâce avait expiré le 22 janvier 2018 sans que le titulaire ne procède au renouvellement de la marque, la société licenciée avait alors déposé une requête fondée sur l’article 104 du règlement(3) qui prévoit la possibilité d’être rétabli dans le droit à demander le renouvellement, malgré l’expiration du délai, lorsque, ayant fait preuve de toute la vigilance nécessaire, le demandeur n’a pas été en mesure de respecter un délai à raison d’un empêchement qui a pour conséquence la perte d’un droit.
La requérante avait souligné que le titulaire avait méconnu son obligation contractuelle de l’informer de son intention de ne pas renouveler l’enregistrement. En conséquence, elle n’avait pas pu elle-même procéder au renouvellement à temps.
L’EUIPO ayant rejeté la demande, la licenciée a formé un recours devant le TUE en invoquant la violation des articles 53 et 104 du règlement ainsi que des principes généraux d’effectivité et de protection par les dispositions du droit de l’UE.
Dans sa décision, le Tribunal rejette les différents moyens soulevés et fait une application stricte de l’article 104. En l’occurrence, le Tribunal estime que le licencié n’était pas en mesure de déposer une telle requête puisqu’il ne pouvait être assimilé au titulaire et n’était pas non plus considéré comme une partie à la procédure de renouvellement comme le prévoient les dispositions applicables.
En l’espèce, le licencié ne disposait pas d’une autorisation du titulaire lui permettant de procéder au renouvellement avant l’expiration du délai. L’autorisation avait ici été donnée le 17 juillet 2018 par le titulaire pour déposer la requête en restitution mais le délai de renouvellement avait expiré depuis plusieurs mois, et par conséquent la procédure de renouvellement avait pris fin.
A contrario, un licencié peut déposer une telle demande tant qu’il a été autorisé à procéder au renouvellement par le titulaire avant l’expiration du délai de renouvellement.
Le recours à l’article 104 du règlement doit ainsi être vu comme une exception et ne peut permettre à un licencié de rattraper les négligences du titulaire ou sa décision de ne pas renouveler la marque serait ce au détriment du licencié.
De même, la restitutio in integrum n’est justifiée que lorsqu’un empêchement a fait obstacle au respect du délai. En l’espèce, la requérante invoquait l’absence d’autorisation du titulaire comme cause de l’inobservation de ce son délai, mais le TUE rejette cette excuse.
Le TUE rejette aussi l’excuse tirée du manquement du titulaire à l’obligation d’information du non-renouvellement. En effet, les relations entre un licencié et le titulaire d’une marque ou le non-respect de leurs obligations respectives relèvent d’un litige contractuel et ne peuvent jouer dans le déroulement des délais et des procédures devant l’EUIPO.
Enfin, le TUE ajoute que la protection conférée par la marque n’a pas vocation à conférer une protection illimitée à son titulaire, bien au contraire, le jeu du droit des marques permet de libérer les signes qui ne sont plus exploités afin favoriser la concurrence.
Le principe même du droit des marques est donc que la protection est conférée tant que la marque est renouvelée et c’est par l’acte de renouvellement que le titulaire confirme sa volonté de protection. A défaut de renouvellement la marque perd toute protection et dans le cas d’espèce, le licencié perd le fondement de son activité.
Nul doute que le licencié exercera un recours contre le titulaire de la marque qui engage ainsi sa responsabilité.
Mais pour éviter ce type de situation, on ne saurait que trop conseiller aux licenciés d’assurer aussi une surveillance des renouvellements de marque et de veiller le cas échéant à se faire autoriser avant l’expiration du délai à procéder au renouvellement.
Laura Frétaud
Stagiaire juriste
Anne Messas
Avocate associée
(1) Tribunal de l’Union Européenne 23 septembre 2020 T-557/19, EU:T:2020:450, Seven SpA / EUIPO
(2) Article 53 du Règlement 2017/1001 sur la marque de l’Union Européenne
(3) Article 104 du Règlement 2017/1001 sur la marque de l’Union Européenne
13
octobre
2020
Arrêt KISS contre MUSIKISS, pas de fausse note pour le titulaire des marques britanniques antérieures
Author:
teamtaomanews
A l’approche du Brexit, des questions peuvent se poser sur la validité d’avoir invoqué des marques britanniques dans les procédures européennes en cours et vice versa, sur l’application du droit de l’Union Européenne au Royaume-Uni.
L’équipe de TAoMA News fait un point sur la situation à l’occasion d’un arrêt intéressant rendu par le Tribunal de l’Union Européenne, le 23 septembre 2020, dans le cadre d’une opposition européenne basée (uniquement) sur 7 marques britanniques antérieures.
Dans cet arrêt, le titulaire des 7 marques semi-figuratives britanniques KISS a déposé une opposition à l’encontre de la demande de marque européenne MUSIKISS en 2014.
Devant le TUE, le déposant a invoqué, qu’en cas de Brexit sans accord, l’opposition devrait être rejetée car les marques antérieures britanniques ne bénéficieraient plus d’une protection en Union européenne.
Le TUE y répond en rappelant que les marques britanniques constituent une base valable de l’opposition puisque le droit de l’Union européenne continue de s’appliquer au Royaume-Uni jusqu’au 31 décembre 2020.
En effet, le Royaume-Uni a quitté l’Union Européenne le 31 janvier 2020. Toutefois, comme indiqué dans notre précédent article (Notre TAoMA News: « BREXIT et droits de propriété intellectuelle européens ») une période de transition a été mise en place jusqu’au 31 décembre 2020. Au cours de cette période, il est considéré que les marques européennes incluent toujours le Royaume-Uni et que les titulaires de marques britanniques peuvent défendre leur marques en Union européenne.
Cet arrêt vient donc confirmer ce principe et la bonne application des modalités prévues dans l’accord de retrait.
A cette occasion, le TUE rappelle d’ailleurs qu’un motif relatif d’opposition doit s’apprécier au moment du dépôt de la demande d’enregistrement qui fait l’objet de l’opposition.
Comme le Royaume-Uni faisait bien partie de l’Union Européenne à la date de dépôt de la marque MUSIKISS le 15 novembre 2013, le Brexit est donc sans incidence sur cette procédure, qui peut se poursuivre, pourrait-on dire, comme si le Brexit n’avait pas lieu.
Toutefois, la fin de la période de transition approchant, il conviendra d’accorder une vigilance particulière au choix des bases de vos futures oppositions européennes.
Toute l’équipe de TAoMA Partners est prête et reste à votre disposition pour vous accompagner dans la protection et la défense de vos marques en Union européenne et au Royaume-Uni.
Marion Mercadier
Juriste
Pour lire l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne
12
octobre
2020
Pas de marque pour Banksy!
Author:
teamtaomanews
« FLOWER THROWER » (Le lanceur de fleur) du célèbre artiste anonyme Banksy est sans doute l’une de ses œuvres les plus connues. Cette œuvre, qui avait été protégée à titre de marque auprès de l’Office de l’Union Européenne pour la Propriété Intellectuelle (EUIPO) vient d’être déclarée nulle sur le fondement de la mauvaise foi.
En effet, en 2014, la société Pest Control Office Limited, venant aux droits de l’artiste Banksy afin de masquer sa véritable identité, avait procédé au dépôt de la marque figurative du célèbre graffiti « FLOWER THROWER » pour divers produits et services, dont notamment les vêtements, les activités culturelles… :
(Marque de l’Union Européenne No. 12575155)
En 2019, la société britannique Full Color Black Limited, qui est spécialisée dans la fabrication de cartes de vœux et qui souhaitait utiliser l’œuvre pour ses produits, a introduit auprès de l’EUIPO une action en nullité contre cette marque sur le fondement de la mauvaise foi.
Pour rappel, le Règlement sur la marque de l’Union Européenne prévoit que la nullité d’une marque de l’Union européenne peut être déclarée, notamment, « lorsque le demandeur était de mauvaise foi lors du dépôt de la demande de marque » [1]. Selon la jurisprudence de l’Union Européenne, la mauvaise foi s’applique lorsqu’il « ressort d’indices pertinents et concordants que le titulaire d’une marque de l’Union Européenne a introduit la demande d’enregistrement de cette marque non pas dans le but de participer de manière loyale au jeu de la concurrence mais avec l’intention de porter atteinte, d’une manière non conforme aux usages honnêtes, aux intérêts de tiers, ou avec l’intention d’obtenir, sans même viser un tiers en particulier, un droit exclusif à des fins autres que celles relevant des fonctions d’une marque, notamment de la fonction essentielle d’indication d’origine » [2].
Or, en l’espèce, la société britannique Full Color Black Limited considérait que le dépôt de la marque reproduisant l’œuvre « FLOWER THROWER » avait été déposée de mauvaise foi dans la mesure où Banksy n’avait aucunement l’intention de l’utiliser en tant qu’indication d’origine des produits et services visés, mais pour contourner son incapacité à se prévaloir d’un autre droit de propriété intellectuelle, le droit d’auteur notamment, en raison de son anonymat.
En réponse, Banksy arguait notamment que le signe litigieux avait fait l’objet d’un commencement d’exploitation pour les produits en cause en 2019, via l’ouverture d’une boutique en ligne, bien que selon ses propres mots, rapportés dans un certain nombre de publications, une telle exploitation avait été réalisée dans le seul but de contourner l’obligation d’usage à laquelle était soumise sa marque de l’Union européenne.
Par décision du 14 septembre 2020, la Division de l’Annulation de l’EUIPO a reconnu que le dépôt de la marque reproduisant l’œuvre « FLOWER THROWER » avait été effectué de mauvaise foi et l’a, en conséquence, déclarée nulle.
Pour arriver à cette conclusion, l’EUIPO s’est notamment fondée sur deux éléments :
Banksy n’a, lors du dépôt, eu aucunement l’intention d’utiliser la marque en cause pour les produits et services visés. Les seuls usages identifiés ont été réalisés qu’une fois la procédure d’annulation initiée et ce, dans le but de contourner les exigences du droit des marques ;
Banksy, du fait de son anonymat, mais également d’autres circonstances indépendantes au droit des marques, ne peut valablement prétendre à la protection par le droit d’auteur. Le dépôt de la marque en cause a été réalisé avec pour seul objectif de s’approprier des droits sur un signe pour lequel Banksy ne pouvait se prévaloir des droits d’auteur.
Cette décision, tout en reprécisant la notion de « mauvaise foi » en matière de marque, vient donc rappeler qu’il est impératif d’avoir l’intention de faire usage de sa marque pour les produits et services visés et ce, conformément à la fonction d’indication d’origine.
Or, tel n’était pas le cas concernant la marque reproduisant l’œuvre « FLOWER THROWER » et, fort probablement, pour les autres marques déposées par la société liées à Banksy reproduisant ses autres œuvres, dont la plus célèbre n’est autre que « GIRL WITH BALLON » (Petite fille au ballon). Cette décision pourrait donc avoir de très lourdes conséquences sur les droits de Banksy sur ses œuvres.
Baptiste Kuentzmann
Juriste
[1] Article 59(1)(b) du Règlement (UE) 2017/1001 sur la marque de l’Union européenne « 1. La nullité de la marque de l’Union européenne est déclarée, sur demande présentée auprès de l’Office ou sur demande reconventionnelle dans une action en contrefaçon : b) lorsque le demandeur était de mauvaise foi lors du dépôt de la demande de marque »
[2] Cour de Justice de l’Union Européenne, affaire C-104/18 P, STYLO & KOTON (fig.), §46
23
avril
2020
NOUVEAUTÉS DU PAQUET MARQUES : Dépôt, motifs de refus, renouvellement…
La France, par l’ordonnance n°2019-1169 du 13 novembre 2019 (1) et par le décret n°2019-1316 du 9 décembre 2019 (2), a enfin transposé la Directive européenne dite « Paquet Marques » du 16 décembre 2015 (3). Cette réforme modifie profondément le code de la propriété intellectuelle et touche l’ensemble du droit des marques. Nous vous présentons donc ci-dessous certaines de ces modifications concernant les conditions de dépôt et de renouvellement de la marque :
=> Abandon de la représentation graphique dans le dépôt
Afin de faire entrer le droit des marques dans le XXIème siècle et de tenir compte des nouvelles technologies, la condition de représentation graphique du signe, jusque-là exigée par le code de la propriété intellectuelle (CPI), est aujourd’hui abandonnée au profit d’une nouvelle formulation précisant que le signe « doit pouvoir être représenté dans le registre national des marques de manière à permettre à toute personne de déterminer précisément et clairement l’objet de la protection conférée à son titulaire ».
Plus précisément « la marque est représentée dans le registre national des marques sous une forme appropriée au moyen de la technologie communément disponible ».
Cette modification permet de faciliter le dépôt de certaines marques dont la représentation graphique pouvait être compliquée voire impossible. Elle ouvre ainsi la voie à de nouveaux moyens de représentation du signe, tels que des fichiers MP3, des fichiers vidéo, des enregistrements, etc… Ainsi, les marques sonores qui devaient faire l’objet d’une représentation graphique, par exemple par le biais d’une partition qui ne peut être lue que par les mélomanes, peut aujourd’hui être déposée via un fichier MP3. Cette absence d’obligation de représentation graphique permet donc de déposer plus facilement des signes plus atypiques tels que les marques sonores, les marques multimédias ou encore les marques de mouvements…
Toutefois, le signe doit toujours être représenté de façon claire, précise, distincte, facilement accessible, intelligible, durable et objective, ce qui implique que le moyen de représentation soit suffisamment adapté pour pouvoir déterminer clairement l’objet de la protection.
=> Obligation d’un libellé clair et précis
S’il a toujours été nécessaire que la marque désigne un libellé de produits et services clair, la réforme est allée encore plus loin sur ce point pour tenir compte notamment des dernières décisions de la Cour de Justice et plus particulièrement l’arrêt IP TRANSLATOR de 2012 (4).
Elle exige ainsi que le libellé revendiqué dans le dépôt soit rédigé de manière claire et précise et indique que les produits et services « sont désignés avec suffisamment de clarté et de précision pour permettre à toute personne de déterminer, sur cette seule base, l’étendue de la protection ».
La marque n’est dès lors protégée que pour les produits et services expressément cités dans le dépôt. Il n’est plus possible de se fonder sur les intitulés généraux des classes pour bénéficier d’une protection étendue à tous les produits ou services incluent dans ces classes.
Il est dès lors nécessaire d’être encore plus vigilant dans la rédaction du libellé afin de désigner de manière précise tous les produits et/ou services qui seront exploités à court ou moyen terme sous la marque.
=> Nouveaux motifs de refus d’enregistrement
La réforme a ajouté de nouveaux motifs de refus d’une demande de marque, par l’INPI, à ceux déjà prévus par les textes. Ainsi, ne peuvent être valablement enregistrés :
Des signes exclusivement constitués « par la forme ou une autre caractéristique du produit imposée par la nature même de ce produit, nécessaire à l’obtention d’un résultat technique ou qui confère à ce produit une valeur substantielle ». La référence à « une autre caractéristiques du produit » est nouvelle et élargit le motif de refus propre aux marques de forme qui peut désormais s’appliquer plus largement et à toute les marque et notamment à des marques atypiques dont le dépôt est facilité.
Une marque reprenant « des appellations d’origine et des indications géographiques, des mentions traditionnelles pour les vins et des spécialités traditionnelles garanties » protégées par la législation nationale, de l’Union Européenne ou par des accords internationaux.
Une marque consistant en la dénomination d’une variété végétale antérieure.
Une marque dont le dépôt a été effectué de mauvaise foi par le demandeur.
=> Modification du système de taxe
Si l’ancien système prévoyait un forfait unique pour le dépôt d’une marque d’une à trois classes, avec une taxe par classe supplémentaire à partir de la troisième classe, la réforme l’a abandonné au profit d’un système d’une taxe par classe.
Le même système a été adopté pour le renouvellement de la marque.
L’objectif premier de cette réforme vise à réduire le nombre de classes dans les dépôts afin notamment de désengorger les registres et que la marque ne désigne que les produits ou services pour lesquels elle sera véritablement utilisée. En effet, en pratique, la plupart des déposant n’ont besoin que d’une ou deux classes de produits et/ou services pour couvrir leur projet. Or, avec une taxe unique pour une à trois classes, ils avaient tendance à vouloir déposer leurs marques de manière plus large en désignant une classe supplémentaire pour laquelle aucun usage ne serait jamais fait.
=> Modification du délai de renouvellement
Auparavant, le renouvellement de la marque pouvait être effectué au plus tôt 6 mois avant la date d’expiration de la marque jusqu’au dernier jour du mois de sa date anniversaire. Un délai de grâce de six mois suivant l’expiration était accordé pour pouvoir procéder au renouvellement, malgré l’expiration de la marque, moyennant le paiement d’une surtaxe.
Désormais, le renouvellement de la marque peut se faire au plus tôt 1 an avant l’expiration de la marque et au plus tard le jour de sa date anniversaire. Le délai de grâce de 6 mois a été maintenu, toujours moyennant le paiement d’une surtaxe.
Toute l’équipe de TAoMA vous accompagne au quotidien dans la gestion de vos actifs de propriété intellectuelle et reste à votre disposition pour tout besoin !
Laura Fretaud
Juriste stagiaire
Muriel Holstein
Responsable du Pôle Administratif
(1) Ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019 relative aux marques de produits ou de services
(2) Décret n° 2019-1316 du 9 décembre 2019 relatif aux marques de produits ou de services
(3) Pour voir le texte
(4) CJUE, IP TRANSLATOR, 19 juin 2012, C307/1
23
avril
2020
Marques : de nouvelles actions disponibles devant l’INPI
Author:
teamtaomanews
Le droit des marques vient de connaître, sous l’impulsion du droit de l’Union européenne (UE), une réforme fondamentale dont le but est d’harmoniser les différents droits nationaux des Etats membres. Un des effets essentiels de l’entrée en vigueur de l’ordonnance n°2019-1169 du 13 novembre 2019 est que, depuis le 1er avril 2020, les procédures en annulation de marques françaises ou d’extensions françaises de marques internationales ont été considérablement simplifiées et rendues bien moins onéreuses.
Ces procédures sont celles en nullité pour motifs relatifs, notamment pour atteinte à un droit antérieur (le demandeur considère qu’il était le premier à « occuper le terrain »), ou pour motifs absolus (la marque est invalide, en soi, car descriptive ou contraire à l’ordre public) et celles en déchéance, notamment lorsque le titulaire n’utilise pas sa marque ou qu’elle est devenue le terme usuel pour désigner le produit (par exemple, la marque « Escalator » pour des escaliers mécaniques) :
Alors qu’auparavant les tribunaux judiciaires avaient compétence exclusive pour traiter ces demandes, avec pour conséquence l’application des règles du code de procédure civile et la représentation obligatoire par avocat, cette compétence est désormais partagée avec l’Institut national de la Propriété industrielle (INPI).
Cet article a pour objectif de présenter les nouvelles règles et les avantages de cette réforme.
1/ Où cela se passe-t-il, désormais, et que peut-on faire de nouveau ?
La réforme a transféré des compétences des juridictions judiciaires vers l’INPI, et a supprimé l’exigence d’intérêt à agir pour certaines actions, accroissant ainsi les possibilités d’obtenir la radiation d’une marque des registres. Parallèlement, la réforme octroie de nouvelles possibilités de défense au titulaire de la marque contestée contre l’auteur de la demande de nullité.
Les nouvelles règles de compétence : où agir ?
Les actions en déchéance pour non-usage, qui permettent d’obtenir la radiation des registres d’une marque enregistrée mais non utilisée par son titulaire, peuvent désormais être formées directement devant l’INPI alors qu’auparavant, elles ne pouvaient être engagées que devant celui des dix tribunaux compétents en matière de marques nationales correspondant au domicile du titulaire de la marque.
Il en va de même pour les actions en annulation pour motif relatif ou pour motif absolu.
Le tableau ci-après récapitule les nouvelles règles de compétence et celles restant inchangées :
Ces nouvelles règles de compétence pourront donner lieu à des stratégies contentieuses et des choix d’opportunité : si la compétence d’un tribunal judiciaire est recherchée, elle peut être obtenue en ajoutant dans l’assignation des demandes relatives à la contrefaçon ou bien en ajoutant au fondement de la marque antérieure celui d’un autre droit d’auteur antérieur : dans ce cas, la compétence judiciaire l’emporte sur la compétence de l’INPI.
Inversement, une partie qui souhaiterait faire des économies pourrait, si elle estime que c’est son intérêt, renoncer à ses demandes en contrefaçon et simplement demander l’annulation d’une marque directement devant l’INPI, s’épargnant ainsi des coûts procéduraux plus élevés devant une juridiction judiciaire.
Les nouvelles règles d’intérêt à agir : qui peut agir ?
Les stratégies contentieuses seront également influencées par le fait nouveau que la demande principale en déchéance, passant des juridictions judiciaires à l’INPI, n’est plus soumise à intérêt à agir : le demandeur qui veut obtenir la déchéance d’une marque qu’il estime non utilisée par son titulaire ne devra plus, par exemple, prouver qu’il dispose d’un droit antérieur sur un signe identique ou similaire et pour des produits identiques ou similaires à ceux dont il demande la déchéance.
Hormis les actions fondées sur un motif absolu et les actions en déchéance, toutes les autres actions et demandes, qu’elles soient formées devant l’INPI ou devant un juge, impliquent la démonstration d’un intérêt à agir, y compris la demande reconventionnelle en déchéance, c’est-à-dire la réplique faite par un défendeur au titulaire d’une marque qui agit en contrefaçon devant un tribunal :
En d’autres termes, une partie qui veut obtenir l’annulation d’une marque, sans disposer d’un droit antérieur ou en visant l’annulation totale de la marque (c’est-à-dire pour des produits et services qu’elle n’exploite pas elle-même), pourra désormais la demander devant l’INPI.
Les moyens de défense : que peut faire le titulaire de la marque contestée ?
En défense, le titulaire de la marque contestée peut soulever plusieurs moyens :
Il peut tout d’abord contester l’intérêt à agir du demandeur, lorsque celui-ci peut être requis.
Il peut ensuite soulever la prescription (mais seulement dans le cas de l’invocation d’une marque antérieure notoire) ou la forclusion par tolérance dans le cadre des actions en nullité pour droit antérieur.
Il peut également demander à ce que l’action soit déclarée irrecevable :
En l’absence de caractère distinctif de la marque antérieure au moment du dépôt de la marque contestée, même s’il a été acquis postérieurement ;
En l’absence de renommée de la marque antérieure au moment du dépôt de la marque contestée, quand le fondement invoqué est la marque renommée, même si la renommée a été acquise postérieurement.
Cette irrecevabilité ne présente aucun caractère automatique mais doit être soulevée en défense par le titulaire de la marque contestée.
Enfin et surtout, il peut exiger du demandeur à la nullité d‘une marque pour motif relatif qu’il prouve qu’il a fait un usage sérieux de sa marque antérieure au cours des cinq années qui précèdent la demande en nullité. En outre, si la marque antérieure a été enregistrée depuis plus de cinq ans à la date de dépôt ou de priorité de la marque contestée, il devra également rapporter la preuve d’un usage de cette marque antérieure dans les cinq ans précédant le dépôt ou la date de priorité de la marque contestée.
Dans une telle hypothèse, donc, le demandeur peut être contraint de prouver un usage de sa marque antérieure au cours de deux périodes de référence différentes, pouvant parfois se confondre ou se chevaucher.
Par exemple, si le titulaire d’une marque enregistrée en 2002 demande, le 15 mai 2020, la nullité d’une marque déposée le 15 juin 2012, le titulaire de la marque antérieure devra prouver, sur demande du défendeur, l’usage sérieux de sa marque entre le 15 mai 2015 et le 15 mai 2020 et entre le 15 juin 2007 et le 15 juin 2012. Si le dépôt de la marque antérieure est intervenu beaucoup moins longtemps avant celui de la marque postérieure, la période pour laquelle l’usage doit être prouvé est réduite d’autant.
Dans le cas d’une marque postérieure déposée le 15 avril 2019 et d’une demande en nullité déposée le 15 mai 2020, les périodes se chevauchent puisque la première est située entre le 15 mai 2015 et le 15 mai 2020 et la seconde entre le 15 avril 2014 et le 15 avril 2019 : il en résulte, en pratique, une « période continue » entre le 15 avril 2014 et le 15 mai 2020 :
L’ensemble de ces moyens fera l’objet d’une réponse dans la décision finale de l’INPI.
2/ Comment cela se passe-t-il et combien de temps peuvent durer ces procédures ?
Les règles procédurales applicables devant les juridictions judiciaires ne sont pas les mêmes que celles qui régissent les nouvelles actions ouvertes devant l’INPI. Elles devraient permettre un traitement plus rapide des procédures.
Introduction de l’action
L’action en nullité ou en déchéance devant l’INPI est initiée au moyen d’un formulaire en ligne identifiant :
La marque contestée,
Les droits antérieurs invoqués, dans le cas d’une demande de nullité pour motif relatif,
L’identité de la partie demanderesse
Et l’étendue de l’annulation demandée (tous les produits et services ou seulement certains d’entre eux).
Le demandeur doit joindre également la preuve du paiement de la redevance INPI dont le montant est de 600 euros (ce montant ne comprenant pas les honoraires de l’avocat ou du conseil en propriété industrielle), auxquels il faut éventuellement ajouter 150 euros par droit antérieur additionnel invoqué dans une action en annulation pour motif relatif. Aucun nouveau droit ne peut être invoqué postérieurement à l’introduction de l’action : il convient donc de bien réfléchir dès le début à la totalité des droits invocables. Il sera en revanche possible de retrancher certains de ces droits ainsi que certains des produits et services visés par la demande d’annulation, tout du long de la procédure.
Dans tous les cas, sauf celui de l’action en déchéance pour non-usage, pour lequel ce n’est pas obligatoire, le demandeur joint également des observations exposant les motifs de la demande d’annulation de tout ou partie de la marque (précisant par exemple en quoi la marque antérieure est similaire ou identique, quant à son signe et à ses produits et services, à la marque postérieure).
Enfin, l’action devant l’INPI ne peut être que soit une action en nullité soit une action en déchéance : il est impossible de cumuler les fondements au sein d’une seule et même action, alors que c’était possible jusque récemment devant les juridictions judiciaires, les plaideurs demandant indifféremment la nullité pour droits antérieurs et la déchéance pour non-usage, par exemple, et pas nécessairement l’une à titre subsidiaire de l’autre, sans que cela ne constitue une cause d’irrecevabilité.
Ce changement invite donc les demandeurs à concentrer leurs actions et à mieux définir leurs stratégies en amont, même si la réforme ne leur interdit pas de former deux actions parallèles sur deux fondements différents, d’autant plus que le coût de ces actions est très limité.
Déroulé de la procédure : la phase d’instruction
Une fois la demande envoyée, l’INPI dispose d’un mois pour examiner la recevabilité de l’action et pour notifier le titulaire de la marque contestée, ce qui déclenche une série de délais : un premier délai de deux mois pour que le titulaire communique ses premières observations en réponse, suivi de plusieurs délais d’un mois pour permettre aux parties d’échanger des observations écrites et des pièces, s’ils le souhaitent : deux jeux d’observations pour le demandeur et trois pour le titulaire, les dernières observations ne pouvant ni soulever de nouveaux moyens ni joindre de nouvelles preuves d’usage.
Si une des parties décide de ne pas ou ne plus faire usage de son droit de présenter des observations, la phase d’instruction peut se terminer rapidement – à cette réserve que le titulaire d’une marque dont la déchéance pour non-usage est demandée pourra toujours présenter deux jeux d’observations et de preuves d’usage, même en l’absence de réponse du demandeur.
À tout moment, chacune des parties, ou l’INPI lui-même, peut demander la tenue d’une audience orale qui interviendra à l’issue de la phase écrite.
Enfin, les parties peuvent suspendre à tout moment la procédure, d’un commun accord, pour trois périodes de quatre mois.
Décision et appel
La décision intervient dans les trois mois suivant la fin de la phase d’échanges entre les parties. L’absence de décision revient à une décision de rejet de l’action.
La procédure devant l’INPI peut donc théoriquement durer entre six mois et un an, si l’on imagine qu’aucune suspension n’est demandée.
La décision peut mettre à la charge de la partie perdante une partie ou la totalité des frais de la procédure, à la demande de la partie gagnante, mais seulement si l’action est totalement gagnée ou perdue : les frais demeurent à la charge de chacune des parties si, par exemple, la décision annule seulement une partie des produits et services visés par le demandeur.
En l’absence d’appel, la décision rendue par l’INPI est exécutoire. Si la marque est annulée en raison du droit antérieur du demandeur, l’annulation est rétroactive et prend effet à la date de son dépôt : elle est réputée n’avoir jamais existé.
L’annulation rétroactive a un effet sur les tiers (un effet « erga omnes ») : par exemple, si une action en contrefaçon a été initiée antérieurement par le titulaire de la marque annulée contre un tiers, l’action peut devenir sans objet.
A l’inverse, la déchéance prend effet à la date de la demande ou, sur requête du demandeur, à la date à laquelle est survenu le motif de déchéance.
La procédure d’appel
Une fois la décision rendue, les parties ont un mois (hors délais augmentés pour les DROM-COM et les parties résidant à l’étranger) pour faire appel devant celle des dix cours d’appel spécialisées qui est territorialement compétente, à savoir celle correspondant au domicile de la personne qui forme le recours (ou devant la cour d’appel de Paris pour les appelants résidant à l’étranger). La représentation par avocat y est obligatoire.
Contrairement aux appels contre les décisions relatives aux procédures d’opposition, celui contre les décisions relatives aux procédures en annulation est dévolutif : il est possible pour les parties de fournir de nouvelles pièces (y compris des preuves d’usage) et de soulever de nouveaux moyens.
La procédure d’appel en elle-même observe les délais habituels et la décision définitive devrait pouvoir être rendue environ un an après la saisine de la cour. La procédure d’appel durera donc davantage que la procédure devant l’INPI.
La voie du pourvoi en cassation est bien sûr ouverte, y compris au directeur de l’INPI, contre l’arrêt d’appel.
Au lieu de faire appel, est-il possible de redemander la même chose à l’INPI ?
Dans le cas où une marque aurait été validée à la suite d’une action en annulation, cette marque ne devient pas pour autant incontestable.
La règle est la suivante : lorsqu’une action en annulation est introduite 1° entre les mêmes parties ayant la même qualité, 2° avec le même objet et la même cause et 3° lorsqu’une décision définitive a déjà été rendue soit par l’INPI soit par une juridiction judiciaire, alors l’action est irrecevable (c’est le principe de l’autorité de la chose jugée).
A contrario de cette règle, il semble donc théoriquement possible, après une décision définitive validant une marque dont la nullité était demandée sur le fondement d’une marque antérieure, de former une nouvelle action en nullité sur le fondement d’un autre droit, par exemple, un nom de domaine, ou de former une action en déchéance pour non-usage ou pour perte du caractère distinctif.
De même, une action en déchéance ayant donné lieu à une décision de maintien de la marque contestée n’empêche pas de former une nouvelle action en déchéance ultérieurement, puisque la période de référence au cours de laquelle le titulaire doit avoir utilisé la marque ne sera pas la même et qu’il reste possible de déchoir de ses droits le titulaire qui a, par le passé, utilisé sa marque mais ne l’utilise plus.
Bien d’autres situations complexes pourront se produire et créer des difficultés dans le cadre de ces nouvelles actions.
En résumé, voici les avantages de ces nouvelles actions ouvertes depuis le 1er avril 2020 :
Le coût de l’introduction d’une action en annulation ou en déchéance est de seulement 600 euros hors honoraires d’avocat ou de CPI et, dans le cas de l’action en déchéance, il n’est même pas obligatoire de fournir des mémoires argumentatifs, ce qui diminue d’autant plus les coûts procéduraux ;
L’action en nullité, même pour motif relatif, est devenue imprescriptible depuis l’entrée en vigueur de la loi PACTE (sauf si le titulaire de la marque postérieure peut démontrer que le demandeur en a toléré l’usage de bonne foi pendant cinq ans) ;
L’action en déchéance et l’action en nullité pour motif absolu peuvent être introduites devant l’INPI par n’importe qui, même sans intérêt à agir ;
Les actions en nullité introduites devant l’INPI sont encadrées dans des délais relativement courts, les demandeurs pouvant ainsi obtenir une décision bien plus rapidement que devant les tribunaux ;
L’action en nullité pour atteinte à un droit antérieur peut être perçue comme une seconde chance pour les titulaires antérieurs qui n’auraient pas engagé de procédure d’opposition, dès lors que les coûts et modalités de ces deux procédures sont désormais très similaires.
TAoMA Partners, cabinet d’avocats et de conseils en propriété industrielle, est à votre disposition si vous souhaitez en savoir davantage ou profiter de ces nouvelles opportunités.
Malaurie Pantalacci
Conseil en propriété industrielle, Associée
Jérémie Leroy-Ringuet
Avocat à la cour
Remerciements à Blandine Lemoine, juriste et à Jean-Charles Nicollet, Conseil en propriété industrielle, Responsable du Pôle juridique CPI, pour leur aide à la préparation de cet article.
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