29
avril
2021
Nouvelle loi sur les enfants influenceurs : la protection de l’intimité passe avant la viralité
Author:
teamtaomanews
Une loi promulguée le 19 octobre 2020 encadre l’exploitation commerciale de l’image des mineurs sur les réseaux sociaux. Le député qui en est à son origine, Bruno Studer, a répondu aux questions de TAoMA Partners.
TAoMA Partners : À quel besoin cette loi a-t-elle répondu ? Est-ce que des articulations avec d’autres lois telle que celle sur les enfants comédiens ont été prises en compte ?
Bruno STUDER : Effectivement, les enfants artistes, les enfants du spectacle et les mannequins sont protégés en France depuis plusieurs années par un régime très protecteur qui encadre leur durée maximum de travail, s’assure que des autorisations ont été accordées par la préfecture, que les enfants sont consentants, qu’ils sont bien instruits, pas forcément scolarisés mais en tout cas instruits. La loi s’assure aussi que leurs intérêts financiers sont protégés dans la mesure où 90% des sommes générées par leur activité est placée sur un compte en banque géré par la Caisse des Dépôts et Consignations – montant auquel ils ont accès une fois qu’ils sont émancipés, c’est-à-dire à l’âge de la majorité mais parfois avant s’il y a une décision dans ce sens.
Or je me suis aperçu, alerté par des associations et par des journalistes, que les enfants dits « influenceurs » ou « youtubeurs » ne bénéficiaient pas de cette protection. Cette loi vient donc combler ce qu’on appelle un vide juridique, en étendant le régime dit « des enfants du spectacle » aux enfants influenceurs.
Concrètement, en quoi et comment cette loi protège-t-elle les enfants ?
Il y a différentes dispositions dans la loi qui protègent ces enfants et font peser des responsabilités sur les parents qui sont en première ligne dans l’activité de leurs enfants. La loi fait aussi peser des responsabilités sur les entreprises qui font appel à ces enfants pour faire de la publicité, ce qu’on appelle du placement de produit. Et la loi crée aussi des responsabilités sur les plateformes, dans la mesure du possible car on est dans un régime juridique assez contraignant en la matière. Les plateformes profitent, en effet, de l’activité de ces enfants pour générer des revenus qu’elles partagent après avec les enfants et leurs parents.
Il y a deux grands cas : le premier où le juge pourra établir assez facilement qu’il existe une relation de travail parce que la personne qui filme donne des consignes à des enfants qui les exécutent. Beaucoup de ces vidéos sont scénarisées : les enfants ont répété, plusieurs prises ont visiblement été faites pour arriver à un bon résultat. Dans ces cas-là, qui représentent la très grande majorité des cas qu’on a pu observer sur les réseaux sociaux, on aura le même régime que pour les enfants du spectacle. C’est-à-dire que si aucune autorisation n’a été demandée par les parents, ils pourront être accusés et éventuellement condamnés pour travail dissimulé concernant un mineur, ce qui les expose à des peines très graves.
Dans le second cas, la preuve de l’existence de consignes n’est pas forcément facile à établir. Je prends un exemple : un enfant qui joue bien au foot et qui se fait filmer n’obéit pas à la consigne de la personne qui tient la caméra, il obéit à celle de son entraineur ; mais quoi qu’il arrive, on le filme, on monte la vidéo, et puis elle a du succès, elle est partagée, elle est vue, il y a des gens qui s’abonnent à la chaine de partage de vidéos en ligne sur la plateforme qui l’héberge. Ensuite, une entreprise demande à pouvoir recourir à cet enfant influenceur et dit souhaiter que, dans une prochaine vidéo, l’enfant porte des chaussures ou un t-shirt de telle ou telle marque. Dans ce cas-là, il n’y a pas de relation de travail, parce qu’il n’y a pas de consignes, et pour autant on n’est plus dans du loisir dès lors que des revenus sont générés et que des gens en tirent profit. Dans ce cas-là, au-delà d’un certain seuil (à fixer par décret), le dépôt d’une déclaration sera demandé aux parents pour faire progressivement s’installer une relation protectrice envers l’enfant et en relation avec ses intérêts, qu’ils soient financiers, scolaires ou de santé.
Au-delà de ces deux cas principaux, la loi protège aussi les enfants en renforçant le droit à l’oubli. L’enfant pourra demander, avant même d’atteindre la majorité, le retrait de vidéos où il figure. C’est une chose à laquelle je tenais beaucoup parce qu’il peut très bien y avoir des enfants, par exemple des collégiens, qui ne souhaitent pas que des vidéos où on les voit tout petits restent en ligne.
Les entreprises qui feront appel à ces enfants pour faire du placement de produits devront, hors cas de relation de travail, s’assurer que les parents ont bien fait cette déclaration auprès de la préfecture. Dans le cas contraire, elles pourraient être condamnées à des amendes. Il s’agit de les responsabiliser progressivement.
Enfin, les plateformes devront retirer les vidéos dans lesquelles apparaissent des enfants, si on les informe que les demandes d’autorisation n’ont pas été formulées dans le cadre d’une relation de travail.
Les plateformes n’ont donc pas d’obligation a priori ?
Non, parce que de toute façon on n’est pas en mesure de la leur imposer. On aurait pu l’imposer à quelques-unes mais pas aux plus petites d’entre elles ni aux entreprises de droit américain, par exemple, en raison du principe juridique de territorialité. Le contrôle a priori est celui des parents qui restent les premiers responsables, ainsi que celui des entreprises qui devront vérifier que les déclarations ont bien été faites. Pour les plateformes, il s’agit effectivement d’une responsabilité a posteriori.
Les seuils rendant obligatoire la déclaration à la préfecture seront-ils des seuils relatifs aux revenus générés ? Ou au nombre de vidéos ?
C’était toute la question car on peut très bien imaginer que des parents y verraient un filon et multiplieraient les vidéos sans forcément avoir de succès, tout en sollicitant beaucoup leur enfant. Il fallait donc trouver différentes catégories de seuils et ce sont ceux-là qui doivent être maintenant fixés par décret.
La difficulté par rapport au champ d’application de l’article 3 de la loi, c’est de savoir comment protéger quelqu’un qui n’entre pas dans le champ d’une relation de travail, alors que le principe, en France, c’est que les parents sont les détenteurs et les protecteurs de l’image de leur enfant et des droits afférents. Désormais, des responsabilités pèsent sur les parents même dans le cas où l’on n’est pas dans une relation de travail.
Faut-il nécessairement passer par l’intermédiaire d’une agence ? Parfois, la relation n’existe qu’entre les parents et les enfants, sans tiers.
C’est toute la difficulté. Même dans le cas de la relation de travail, en fait, la difficulté c’est qu’il n’y a pas de tiers. Dans le cas d’un enfant du spectacle ou d’un enfant mannequin, le parent est là comme intermédiaire, il joue le rôle du tiers entre l’enfant et le producteur, ou entre l’enfant et l’entreprise. Dans le cas des enfants influenceurs, c’est complètement remis à plat car le parent est à la fois producteur, scénariste et éditeur de la vidéo. Effectivement, les parents vont donc devoir faire les démarches et pouvoir bénéficier d’une relation directe avec une entreprise qui voudrait faire appel à leur enfant, mais tout en étant déclarés en tant qu’entreprise soit de mannequinat, soit de production. Mais on ne peut pas imposer un tiers entre le parent et l’enfant. C’est une vraie difficulté que l’on a clarifiée puisque, quoi qu’il arrive, le parent sera considéré comme étant l’employeur de l’enfant qui se trouve dans une relation de travail et le parent devra obéir à toutes les règles qui régissent les activités d’entreprises de mannequinat ou autre.
Est-ce que cela change quelque chose pour les annonceurs ?
Les annonceurs pourront toujours continuer à passer par des agences si les parents décident eux aussi passer par les agences, et si les parents sont eux-mêmes constitués en agence ils pourront s’adresser directement aux parents.
Dans le cas où l’on n’est pas dans une relation de travail, où il n’y a pas de contrat signé entre l’enfant et les parents, il faudra que les annonceurs aient quand même vérifié que les parents ont fait cette déclaration auprès de la préfecture. Dans le cas où l’on étend le régime des enfants du spectacle aux enfants « youtubeurs », l’annonceur devra faire les vérifications nécessaires sous peine d’être considéré comme étant complice de travail dissimulé de mineur.
Quel rôle est réservé aux plateformes ?
Dans la proposition de loi initiale, je faisais peser sur les plateformes l’obligation d’aller vérifier a priori que l’enfant était couvert, soit par le régime de l’autorisation, soit par celui de la déclaration. Je regrette que cela n’ait pas été conservé mais c’est le jeu de la proposition de loi : on propose, puis il y a un dialogue interne au Parlement et ensuite avec le gouvernement.
Dans les faits, on ne peut pas contraindre les plateformes parce que ce sont souvent des entreprises de droit étranger et qu’elles s’abritent derrière le cadre juridique existant. J’aurais pu imposer cela à Dailymotion mais pas à YouTube, alors que c’est essentiellement sur cette dernière que se produit le phénomène des enfants influenceurs. Les plateformes sont bien conscientes d’être protégées mais on évolue à leur égard, que ce soit pour les questions liées aux enfants influenceurs, sur la haine en ligne ou sur toute forme de responsabilité dans le cadre de la directive e-commerce de droit européen de 2000 qui fixe un statut très clair sur les plateformes qui sont de simples hébergeurs et pas des éditeurs.
En revanche, j’ai eu un dialogue très nourri avec ces plateformes en ce qui concerne les enfants influenceurs. La loi établit un devoir de coopération placé sous l’égide du CSA – dont on ne cesse de renforcer les pouvoirs de contrôle, ces dernières années. Le CSA produira chaque année un bilan de ce qu’auront fait, ou pas, les plateformes au sujet des enfants influenceurs. Les plateformes se verront imposer un devoir d’information envers leurs usagers, en particulier auprès des enfants et des parents en ce qui concerne les règles auxquelles ils doivent obéir.
Le régime de responsabilité des plateformes est donc relativement restreint mais on espère que cette collaboration, qui est la seule qu’on peut leur imposer, donnera des résultats. Au fond, il y a un enjeu de réputation : YouTube n’a certainement pas envie d’être taxé de complicité d’exploitation de mineurs. C’est là-dessus qu’on a essayé de jouer.
Existe-t-il des lois équivalentes dans d’autres pays ?
Nous sommes les premiers à encadrer la protection des enfants « youtubeurs » dans le cadre du droit du travail. C’est aussi cela qui fait qu’on est la France : on montre la voie, on montre l’exemple.
La proposition de loi avait été l’occasion de publications de presse partout dans le monde : il y a eu un véritable intérêt pour le sujet. Mais il faut bien avoir conscience du régime très protecteur du droit français par rapport aux enfants. Il faut rappeler que le travail d’enfants est interdit sauf dérogation, en France.
Y a-t-il une prochaine étape prévue pour renforcer les dispositions de cette loi ?
Nous verrons comment évolue le cadre juridique européen avec les deux directives DSA (Digital Services Act) et DMA (Digital Market Act) qui sont actuellement à l’étude et ce qu’elles pourront imposer ou pas aux plateformes.
La véritable question qui se pose aujourd’hui, au-delà des enfants influenceurs, c’est la question du droit à l’image de l’enfant. Encore une fois, l’image de l’enfant appartient aux parents qui sont censés en être les protecteurs mais on voit bien les tentations actuelles d’exposer l’intimité de l’enfant, ce qui revient presque à la violer – et j’utilise volontairement ce terme fort car lorsqu’on montre son enfant dans tous les moments de sa vie privée, on ne respecte plus son intimité. Il faut inventer un nouveau droit à l’image alors que l’image est maintenant partout, tout le temps. Je fais souvent référence à cette directive e-commerce qui a été adoptée à un moment où les smartphones n’existaient pas, où les plateformes de partage de vidéos et de photos n’existaient pas. Il y a un changement encore plus profond à mener autour du droit à l’image de l’enfant, un sujet qui est porté par des associations de protection de l’enfance, notamment celles qui œuvrent sur Internet qui sont alarmées par la surexposition des enfants.
J’ai toujours affirmé, pendant la discussion parlementaire, qu’à la tentation de la viralité il fallait privilégier l’impératif de l’intimité. Je pense que c’est maintenant que l’on doit être très attentifs. Mais le débat n’est pas que législatif, il est aussi sociétal. Ce n’est pas parce qu’il existe des lois qu’elles sont respectées, ce n’est pas parce que la loi sur les enfants influenceurs entre en vigueur au moment de cet entretien qu’elle sera respectée et qu’il n’y aura plus d’abus. Ce n’est pas parce qu’il y a des limitations de vitesse sur les routes que tout le monde respecte les limitations de vitesse. En revanche, la loi crée des outils pour les cas d’abus – et ils existent, ils ne sont pas forcément aussi nombreux et aussi fréquents que certains peuvent avoir envie de croire. On reporte vite sur Internet beaucoup de responsabilités dans les déviances de notre société alors qu’il y a des très bonnes choses qui se passent sur Internet. Il y a des enfants influenceurs dont l’activité est très saine et qui font profiter d’autres enfants de leur passion, de leur savoir-faire. Il faut juste vérifier qu’ils le font dans le respect de leur intérêt supérieur : c’est un impératif constitutionnel français, c’est aussi un impératif conventionnel, prévu par des textes internationaux.
Donc pour vous répondre, la première étape désormais, je pense, est de convaincre d’autres pays de suivre l’exemple de la France.
Les usages évoluent, notamment parce que de nouvelles plateformes apparaissent avec un fonctionnement spécifique. Les associations ont-elles un rôle de lanceur d’alerte ?
Ce sont les associations qui, les premières, ont essayé de faire condamner des parents pour exploitation, travail dissimulé ou autres motifs invoqués en justice à l’époque. Mais elles avaient été déboutées parce que l’on considérait que c’était une activité de loisir et pas du travail. Grâce à cette loi, ces associations auront accès plus facilement à des informations que les plateformes devront leur communiquer.
Leur activité se poursuivra également sur d’autres sujets : il y a, par exemple, une action en justice en cours sur l’accès à la pornographie par les mineurs. Six sites ont été signalés au CSA qui devrait bientôt les mettre en demeure de sécuriser le cheminement d’accès à leurs contenus. Ces associations ont aussi un rôle essentiel de sensibilisation ; elles ont parfois des partenariats avec des plateformes elles-mêmes, visitées par les enfants, pour faire passer des spots de sensibilisation. On compte beaucoup sur ces associations.
Y a-t-il dans la loi des dispositions protégeant les enfants qui sont de l’autre côté de l’écran ?
C’est vrai que cela fait partie des sujets qui sont encore devant nous. D’ailleurs, on parle plus souvent des enfants qui sont devant les écrans que de ceux qui sont derrière. Cette loi met surtout l’éclairage sur ceux qui sont derrière.
Il est nécessaire de mettre en place de nouvelles règles sur les enfants qui sont devant ces écrans, ce qui est plus difficile en ligne qu’ailleurs. Il y a des choses que vous pouvez voir sur les chaines de ces enfants influenceurs que vous ne pourrirez plus voir à la télévision en raison des règles applicables à l’audiovisuel et des chartes d’autorégulation qui sont très contraignantes. Mais la publicité sur Internet est beaucoup plus difficile à réguler, en tous les cas à l’échelle d’un pays. Un enfant montré en train de manger des bonbons ou des chips devant la télévision, en train de jouer devant son ordinateur et de manger de la junk food : c’est quelque chose que vous ne voyez plus à la télévision, au cinéma ou dans les publicités mais qui reste présent sur les chaînes de vidéos en ligne. La régulation à inventer ne pourra se faire qu’à l’échelle de plusieurs pays, de l’Union européenne dans un premier temps et peut être de l’OCDE ensuite. En effet, c’est très facile de faire héberger sa chaine ailleurs qu’en France.
Les entreprises l’ont bien compris avec l’enjeu réputationnel qui s’impose à elles. Au moment où la loi a été discutée à l’Assemblée nationale, la Fédération française des industries du Jouet et de la Puériculture a publié une charte relative, justement, aux enfants influenceurs. La loi a donc eu ses premiers effets avant sa promulgation.
Enfin, il faut appeler à la responsabilité collective. J’aime à dire que la loi ne peut pas tout ; il y a des dérives auxquelles on va devoir s’atteler dans les prochains temps, notamment en termes de messages publicitaires. Mais la France a besoin, pour cela, de partenariats européens et j’espère que les directives DSA et DMA iront dans le bon sens.
Interview réalisée à Strasbourg le 20 avril 2021 (jour de l’entrée en vigueur de la loi)
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18
février
2021
Gleeden : la Cour de cassation et la cour d’appel matchent
Author:
teamtaomanews
L’affaire n’était pas passée inaperçue… Nous vous en avions parlé (cf. TAoMA news du 9 juillet 2019), et la Cour de Cassation vient de le confirmer : Gleeden, application de rencontres extra-conjugales, peut librement faire l’apologie de ses services (voire de l’infidélité…).
Pour rappel, l’affaire opposait la Confédération Nationale des Associations de Familles Catholiques à la société américaine Blackdivine, éditrice du site de rencontre Gleeden.com.
Blackdivine avait fait réaliser une importante campagne publicitaire comportant des affiches sur lesquelles figuraient une pomme croquée accompagnée de slogans vantant notamment l’« amanturière », « la femme mariée s’accordant le droit de vivre sa vie avec passion » ou se terminant par le message « Gleeden, la rencontre extra-conjugale pensée par des femmes».
L’association religieuse, estimant cette opération marketing illicite, a fait assigner la société américaine afin notamment que soit ordonnée la cessation de toute référence à l’infidélité ou au caractère extra-conjugal de son activité dans le cadre des campagnes publicitaires.
Elle se fondait notamment sur l’article 212 du Code civil (faisant de la fidélité un des devoirs des époux), sur les dispositions du Code consolidé de la Chambre de commerce internationale sur les pratiques de publicité et de communication commerciale – ou Code ICC – sanctionnant les publicités illicites et antisociales ainsi que sur les dispositions de l’article 10 de la Convention européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme, qui prévoit bien des cas dans lesquels la liberté d’expression peut être restreinte.
Sans grande surprise, la Cour de Cassation rejette le pourvoi formé contre l’arrêt d’appel qui avait débouté l’association de ses demandes.
Après avoir noté que les principes éthiques d’autodiscipline professionnelle édictés par le Code ICC n’ont pas de valeur juridique contraignante et éludé la question de la caractérisation du devoir de fidélité entre les époux (ordre public de protection ou de direction), elle retient que « l’absence de sanction civile de l’adultère en dehors de la sphère des relations entre époux, partant, l’absence d’interdiction légale de la promotion à des fins commerciales des rencontres extra-conjugales, et, en tout état de cause, le caractère disproportionné de l’ingérence dans l’exercice du droit à la liberté d’expression que constituerait l’interdiction de la campagne publicitaire litigieuse », justifient que la cour d’appel n’ait pas fait interdire la campagne litigieuse.
Ainsi, Gleeden peut faire la promotion de son service de rencontres spécialisé, à côté des sites et applications permettant les rencontres uniquement entre personnes « belles », entre personnes de même confession, entre personnes « intelligentes », ou encore entre « goths ».
Référence et date : Cour de cassation – Première chambre civile, 16 décembre 2020, n° 19-19.387
Lire la décision sur le site de la Cour de cassation
Mathilde GENESTE
Stagiaire Élève-Avocate
Anita DELAAGE
Avocate à la Cour
25
juin
2020
Affaire Grimbergen : la Cour de cassation n’est pas sensible à « l’imagination des concepteurs » en matière de publicité pour les boissons alcooliques…
Author:
teamtaomanews
Ce 20 mai, la Cour de cassation s’est une nouvelle fois prononcée sur l’épineuse question de la publicité pour les boissons alcooliques.
La société Kronenbourg a diffusé, pour la promotion de ses bières Grimbergen, les films « La légende du Phoenix », « Les territoires d’une légende », mais également un « Jeu des territoires » et diverses publicités comportant le slogan « L’intensité est une légende ».
L’Association de prévention en alcoologie et en addictologie (ANPAA), reconnue d’utilité publique, a assigné Kronenbourg afin que soit déclarée illicite, au regard de l’article L. 3323-4 du code de la santé publique, la diffusion des éléments précités, que soit ordonné leur retrait du site français grimbergen.fr, et de se voir allouer des dommages-intérêts. Pour rappel, aux termes de l’article susvisé, « la publicité autorisée pour les boissons alcooliques est limitée à l’indication du degré volumique d’alcool, de l’origine, de la dénomination, de la composition du produit, du nom et de l’adresse du fabricant, des agents et des dépositaires ainsi que du mode d’élaboration, des modalités de vente et du mode de consommation du produit.
Cette publicité peut comporter des références relatives aux terroirs de production, aux distinctions obtenues, aux appellations d’origine [ou aux indications géographiques]. Elle peut également comporter des références objectives relatives à la couleur et aux caractéristiques olfactives et gustatives du produit ».
La question se posait de savoir si le caractère objectif ne concernait que la couleur et les caractéristiques olfactives et gustatives du produit, les autres éléments étant laissés à l’imagination des concepteurs, ou si, au contraire, ce principe d’objectivité devait infuser l’entièreté de la publicité.
Condamnée en première instance, la société Kronenbourg avait relevé appel du jugement, la cour d’appel de Paris lui donnant raison en indiquant que les mentions des publicités de boissons alcooliques devaient être purement objectives uniquement lorsqu’elles étaient relatives à la couleur et aux caractéristiques olfactives et gustatives du produit et en précisant que la communication sur les origines et la composition du produit pouvait être hyperbolique.
L’ANPAA s’est pourvue en cassation contre cette décision, soutenant que toutes les indications figurant sur les publicités pour boissons alcooliques doivent être informatives et objectives pour être licites, et la Cour de cassation a suivi son raisonnement en interprétant sévèrement l’article L. 3323-4 du Code de la santé publique. Elle a retenu que « la publicité pour les boissons alcooliques […] demeure limitée aux seules indications et références spécifiées [par ledit article], et présente un caractère objectif et informatif […], lequel ne concerne donc pas seulement les références relatives à la couleur et aux caractéristiques olfactives et gustatives du produit ».
La Haute juridiction a donc étendu le critère d’objectivité et d’information à toutes les indications et références susceptibles d’apparaître sur une publicité pour boissons alcooliques. Ce faisant, elle marque un tournant suite à un arrêt de 2015 qui laissait au contraire envisager un certain assouplissement dans l’interprétation des dispositions issues de la « loi Evin »[1].
Références et date : Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 20 mai 2020, n°19-12.278
Lire la décision sur Légifrance
Quelles implications concrètes pour les publicitaires/annonceurs ? Rappel des grands principes pour qu’une publicité pour des boissons alcooliques soit licite :
Supports autorisés :
Presse écrite hors publications jeunesse ;
Radio, dans des tranches horaires prédéfinies ;
Affichage dans les lieux de vente spécialisés ;
Circulaires commerciales ;
Véhicules de livraison ;
Fêtes traditionnelles consacrées à des boissons alcooliques locales et à l’intérieur de celles-ci ;
Présentations de dégustations traditionnelles (musées, stages d’œnologie, etc.) ;
Objets réservés à la consommation de boissons alcooliques ;
Services de communication en ligne, hors ceux destinés à la jeunesse et ceux édités par des associations, sociétés et fédérations sportives et ligues professionnelles.
Mention obligatoire : Message à caractère sanitaire précisant que l’abus d’alcool est dangereux pour la santé
Mentions autorisées, à condition d’être objectives et non imaginaires ou hyperboliques => il faut présenter le produit sans donner une image valorisante de l’alcool :
Degré volumique d’alcool ;
Origine ;
Dénomination ;
Composition du produit ;
Nom et adresse du fabricant ;
Agents et dépositaires ;
Mode d’élaboration ;
Modalités de vente ;
Mode de consommation ;
Références aux terroirs de production ;
Références aux distinction obtenues ;
Références aux appellations d’origines ou aux indications géographiques ;
Références à la couleur du produit ;
Référence aux caractéristiques olfactives et gustatives du produit ;
Conditionnement, s’il est conforme aux principes ci-dessus.
Eugénie LEBELLE
Élève-avocate
Anita DELAAGE
Avocate
[1] https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000030841220&fastReqId=536820049&fastPos=1
19
mars
2020
Yuka mise en boîte (de conserve) : une condamnation pour dénigrement
Author:
teamtaomanews
Après les représentants de la filière du sucre, qui étaient parvenus à faire reconnaitre le caractère dénigrant envers le produit « sucre » d’une publicité le représentant sous la forme d’un personnage ridicule[1], c’est au tour de l’industrie des conserves de faire sanctionner une critique des produits qu’elle commercialise, relançant ainsi le débat sur la frontière entre le dénigrement et la critique licite.
Le 23 octobre 2019, la société YUCA, éditrice de l’application mobile YUKA (qui propose un décryptage des étiquettes de produits alimentaires ou cosmétiques et analyse leur impact sur la santé) a publié sur son blog un article qui n’a pas plu aux industriels de l’emballage en conserve. L’article en question, intitulé « Halte aux emballages toxiques ! », comprenait une section « conserves et aluminium : à éviter au maximum », conseillant aux lecteurs d’« éviter au maximum la consommation d’aliments ayant été en contact avec l’aluminium[tels que les] canettes de soda, légumes en conserve, etc. ».
La Fédération Française des Industries des Aliments Conservés (FIAC) soutenait que de tels propos étaient constitutifs d’une publicité trompeuse constituant une pratique commerciale déloyale ainsi que d’un dénigrement des conserves et aliments conservés résultant d’un amalgame trompeur entre aluminium et conserves, et a donc assigné la société YUCA, sur le fondement de l’article 1240 du Code civil et des articles L121_1 et L121_2 du Code de la consommation.
Si le juge des référés du tribunal de commerce de Versailles a rapidement écarté le grief lié à la publicité trompeuse, estimant que l’article incriminé ne constituait pas une publicité proprement dite pour des produits mais une information générale, il a eu à s’interroger sur la limite entre libre critique et dénigrement fautif.
Conformément à une jurisprudence établie de la Cour de cassation, la juridiction a rappelé que l’acte de dénigrement peut être caractérisé, même en l’absence d’une situation de concurrence directe et effective entre les parties, dès lors qu’il est fait état de la divulgation par l’une d’une information de nature à jeter le discrédit sur un produit commercialisé par l’autre.
En l’espèce, en affirmant que les emballages en conserve étaient toxiques pour la santé, et en conseillant à ses lecteurs d’« éviter au maximum la consommation d’aliments ayant été en contact avec l’aluminium[tels que les] canettes de soda, légumes en conserve, etc. », la société YUCA a bien jeté le discrédit sur les produits commercialisés en conserve.
Restait alors à trancher si les éléments exonérateurs cumulatifs suivants, dégagés par la jurisprudence[2], étaient réunis, auquel cas une condamnation n’aurait pas pu être prononcée :
l’information divulguée se rapporte à un sujet d’intérêt général ;
elle repose sur une base factuelle suffisante ;
son auteur a fait preuve de mesure dans ses propos.
Or, relevant que les conseils de la société YUCA ne distinguaient pas selon la composition des emballages en conserve (sans préciser notamment que 80% de la production des aliments en conserve se fait dans des emballages en fer blanc, contre 20% en aluminium, lesquels comportent en outre systématiquement un revêtement intérieur protecteur), le juge des référés a estimé que l’article ne reposait pas sur une analyse suffisante de la situation.
L’ordonnance retient également que ces préconisations se fondent sur une source unique, en l’espèce un article publié par un nutritionniste, dont les propos sont de plus interprétés de manière extensive. Ainsi, l’auteur de l’article a manqué de mesure par une généralisation abusive et un manque de base factuelle suffisante.
Enfin, la décision souligne que l’impact sur les consommateurs était sensible, leurs commentaires laissant entendre qu’ils avaient trouvé l’article intéressant et la société faisant elle-même la promotion de l’incidence de ses articles sur ses abonnés – le juge des référés remarquant par ailleurs la notoriété de la défenderesse dont l’application compte 12 millions d’utilisateurs.
Par son ordonnance du 5 mars 2020, le juge des référés du tribunal de commerce de Versailles a donc ordonné la suppression des passages litigieux dans un délai de cinq jours et sous astreinte de 500€ par jour de retard.
Si la portée de cette décision, intervenue en référé, et qui pourrait donc être remise en cause en cas d’appel ou par une décision au fond est incertaine, il est notable que la société YUCA a obtempéré et l’article a bien été modifié.
Référence et date : Tribunal de commerce de Versailles, ordonnance de référé du 5 mars 2020
Lire la décision sur Legalis
[1]Cour de cassation, chambre commerciale, 30 janvier 2017, n°04-17.203
[2]Voir notamment Cour de cassation, chambre commerciale, 9 janvier 2019, n°17-18.350
19
décembre
2019
Un an de prison pour usurpation d’identité et cyber harcèlement : les juges haussent le ton
Author:
teamtaomanews
Face à la prolifération des comportements nuisibles sur internet, le législateur s’est efforcé de proposer une répression adéquate en renforçant notamment la sanction du harcèlement moral lorsqu’il est commis en ligne[1], l’usurpation d’identité en ligne restant en revanche assimilée au délit commis par d’autres moyens[2].
En l’espèce, une professeure de philosophie à la retraite, administratrice et rédactrice d’un site internet concernant la culture chinoise a commenté en 2013 un ouvrage dont elle critiquait la qualité.
Peu de temps après, et durant une période de plus d’un an, la professeure a reçu de plus de 500 courriers électroniques malveillants et insultants de la part de l’auteure.
Elle n’a également pas hésité à contacter l’ancien établissement scolaire de la victime, ainsi qu’une mairie, afin de la discréditer.
Et pour pour chercher à accréditer ses propos diffamatoires, elle avait créé plusieurs adresses mails depuis lesquels elle publiait de faux messages antisémites attribués à la victime sur différents sites internet, messages qu’elle commentait ensuite sous un autre nom pour alimenter la polémique. Certains webmasters ayant accepté de fournir les identifiants de connexion, la démarche de l’auteure a été dévoilée.
Face à ces faits édifiants, le jugement a été sans équivoque. En effet, le préjudice moral subit par Madame X a été constaté ayant pour cause « les nuisances importantes qu’internet peut occasionner en adressant des messages haineux et calomniateur sous le couvert de l’anonymat supposé d’un clavier ».
Aussi, le juge a condamné la prévenue à 8000€ en réparation du préjudice moral de Mme X mais surtout, et c’est ce qui rend cet arrêt notable, il l’a condamnée à 1 an d’emprisonnement.
Willems Guiriaboye
Stagiaire Pôle avocats
Anita Delaage
Avocate
Date et référence : Tribunal de grande instance de Paris, 14ème chambre correctionnelle, 27 juin 2019
Lire le jugement sue Legalis
[1] Art 222-33-2-2 du Code pénal : « Le fait de harceler une personne par des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de vie se traduisant par une altération de sa santé physique ou mentale est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende […]
Les faits mentionnés […] sont punis de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende : […]
4° Lorsqu’ils ont été commis par l’utilisation d’un service de communication au public en ligne ou par le biais d’un support numérique ou électronique […] ».
[2] Art 226-4-1 du Code pénal : « Le fait d’usurper l’identité d’un tiers ou de faire usage d’une ou plusieurs données de toute nature permettant de l’identifier en vue de troubler sa tranquillité ou celle d’autrui, ou de porter atteinte à son honneur ou à sa considération, est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende.
Cette infraction est punie des mêmes peines lorsqu’elle est commise sur un réseau de communication au public en ligne ».
06
décembre
2019
Vers la fin du Black Friday ?
Author:
teamtaomanews
Les députés ont adopté un amendement visant à interdire les campagnes de promotions du « Black Friday » au sein du projet de loi relatif à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire, qui porte sur quatre grandes orientations : gaspillage, mobilisation des industriels, information du citoyen et collecte des déchets.
Pour rappel, le « Black Friday » est une vaste opération d’origine américaine qui se déroule le lendemain de Thanksgiving (quatrième jeudi de novembre) et durant laquelle les commerçants proposent des remises importantes lançant la période des achats de Noël.
Importé en France il y a quelques années, le « Black Friday » a rapidement connu un succès conséquent.
Cette opération commerciale utilise le flou encadrant les promotions afin de contourner la législation encadrant les soldes. En effet, alors que les soldes sont strictement encadrés (durées délimitées par arrêté ministériel, obligation de détenir le stock depuis plus d’un mois, etc.), les commerçants sont libres de proposer des réductions ou promotions à leur gré, tant que ces offres commerciales ne constituent pas des pratiques commerciales déloyales et restent marginales par rapport aux périodes de vente normales.
Cependant, cette année, de nombreuses critiques se sont élevées, aussi bien sur l’impact écologique de la manifestation que sur le caractère souvent trompeur des publicités qui en font la promotion.
L’amendement proposé par Delphine Batho et adopté par les députés vise à lutter contre les pratiques abusives entourant le « Black Friday » en insérant un alinéa à l’article L. 121-7 du code de la consommation, qui régit les pratiques commerciales agressives. Ainsi, il serait interdit, « dans une publicité, de donner l’impression, par des opérations de promotion coordonnées à l’échelle nationale, que le consommateur bénéficie d’une réduction de prix comparable à celle des soldes […] en dehors de leur période légale ».
Si cet amendement n’interdirait pas le Black Friday lui-même, il pourrait fortement en limiter la portée en le privant de publicité.
Lire l’amendement adopté sur le site de l’Assemblée nationale
Salomé Silliaume
Élève-avocate
Anita Delaage
Avocate
09
juillet
2019
L’adultère, fidèle à la déontologie publicitaire
Author:
teamtaomanews
« En amour l’infidélité est un grand crime, mais le public et la nature l’excusent », écrivait Chicaneau de Neuville dans son Dictionnaire philosophique (à ne pas confondre avec celui de Voltaire!) ; en est-il de même pour la déontologie publicitaire ?
Ainsi se présente la question posée récemment à la Cour d’Appel de Paris dans une affaire opposant la Confédération Nationale des Associations de Familles Catholiques à la société américaine Blackdivine, gérante du site de rencontre Gleeden.com, et à laquelle elle a répondu dans un arrêt délivré le 17 mai 2019.
Ce site de rencontre, qui compte un million d’adhérents en France, a en effet choisi de se démarquer de ses concurrents en axant sa communication sur la discrétion de ses services, et en vantant les mérites des relations extraconjugales (voir les exemples d’affiches ci-dessous).
Une approche radicale qui ne fut pas du goût de certaines associations qui, regroupées en confédération, ont donc assigné la société Blackdivine en 2015 afin de faire juger nuls les contrats qu’elle passe avec ses utilisateurs, au motif de cause illicite, et de l’astreindre à retirer ses publicités faisant référence à l’infidélité. Le tribunal de grande instance ayant rejeté leurs demandes, les demandeurs ont interjeté appel.
Il est notamment demandé à la Cour d’ « ordonner à BlackDivine de cesser de faire référence, de quelque manière que ce soit, directe ou indirecte, à l’infidélité ou au caractère extra-conjugal de son activité dans le cadre de ses publicités », au motif qu’un tel comportement est constitutif, au visa de l’article 212 du Code Civil, de la faute civile d’adultère. L’appelante rappelle également à cet effet la tendance jurisprudentielle récente, qui veut que la fréquentation régulière d’un site de rencontres par un des époux suffise à caractériser une telle faute [1].
Elle argue en outre de l’illicéité de ces publicités pour justifier leur interdiction, rappelant les dispositions du code ICC sur la publicité et les communications commerciales, selon lesquelles ces dernières ne doivent pas encourager les comportements violents, illicites ou antisociaux. Elle voit également dans ces publications une violation du décret du 27 mars 1992, qui interdit aux publicités télevisées de choquer les convictions religieuses des spectateurs.
La Cour d’Appel, dans son arrêt du 17 mai dernier, réfute en bloc ces demandes. D’abord, elle juge que l’interprétation de l’article 212 du code Civil ne permet pas de déduire de la faute d’adultère une obligation de fidélité relevant d’un ordre public de direction ; cette faute ne peut être soulevée que par l’un des époux lors d’une procédure de divorce, et souffre des exceptions : « consentement mutuel des époux, excusée par l’infidélité de l’autre époux etc… ». Elle confirme donc le jugement du tribunal, selon lequel la CNAFC ne saurait se prévaloir d’une telle faute pour exiger la suppression des publicités.
Concernant le prétendu caractère illicite des publicités en elles-mêmes, le juge se rend aux arguments du site, et rappelle que non seulement l’association ne démontre pas l’existence d’une incitation à un quelconque comportement illicite, mais que cette campagne publicitaire a déjà fait l’objet d’un examen par le jury de déontologie publicitaire, qui n’y a décelé aucun contenu choquant ou indécent, notamment grâce à l’usage des « évocations, des jeux de mots ou des phrases à double sens ». Le moyen basé sur la protection des convictions religieuses dans les publicités télévisuelles est également rejeté, au nom de la liberté d’expression à laquelle le spot concerné ne porte pas atteinte.
Par cet arrêt, la Cour d’Appel confirme sa volonté de ne pas censurer une campagne publicitaire au simple motif qu’elle serait provoquante et pourrait choquer une certaine population. La protection de la liberté d’expression demeure donc un pilier de la jurisprudence française, comme il l’était déjà en 2006 quand la Cour de Cassation refusait de censurer une parodie de la Cène de Léonard de Vinci remplaçant les apôtres et le Christ par des femmes [2].
Anita Delaage
Avocat à la Cour
Et
Corentin Pousset-Bougère
Stagiaire Avocat
Réf. Décision complète : Cour d’appel, Paris, Pôle 5, chambre 11, 17 Mai 2019 – n° 17/04642
[1] Notamment, Cour d’appel de Lyon 2ème chambre 7 février 2011, N° de RG : 09/06238 ; Cour d’appel de Paris, 19 décembre 2007, N° de RG : 07/03365
[2] Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 14 novembre 2006, 05-15.822 05-16.001, Publié au bulletin
10
décembre
2018
Droit à l’image du mannequin : un « flou » pas qu’artistique
Author:
teamtaomanews
La jurisprudence relative aux contrats de mannequinat se dessine par petites touches et confirme régulièrement que, comme en matière de droit d’auteur, les droits cédés ne le sont que dans la limite de ce qui est expressément prévu.
Le Juge des référés du tribunal de grande instance de Paris vient de rendre une ordonnance qui confirme ce principe, tout en apportant un élément intéressant relatif au « floutage » du visage du mannequin, réalisé par l’utilisateur de son image afin d’atténuer le préjudice allégué.
Une entreprise offrant des solutions technologiques pour améliorer la santé de ses clients (Umanlife) avait fait réaliser une vidéo promotionnelle où un couple interagissait avec leur nouveau-né, leurs amis et leurs outils high-tech. La durée d’exploitation de l’image des deux personnages principaux avait été fixée à deux ans sans que le point de départ de cette période ait été précisé. Un des deux mannequins avait considéré que la période était échue et, constatant que la vidéo était toujours en ligne, avait mis en demeure Umanlife de cesser cette utilisation.
L’entreprise a alors appliqué un filtre flou sur le visage du demandeur chaque fois qu’il apparaissait sur la vidéo. Estimant que cette mesure n’était pas suffisante, celui-ci a assigné Umanlife en référé, réclamant l’interdiction de la diffusion du spot publicitaire ainsi que la réparation de son préjudice.
Sur la caractérisation de l’atteinte
Le Juge des référés s’est considéré compétent car le trouble manifestement illicite découlait de la « seule violation » résultant du simple fait que le « corps, attribut du droit à l’image, [apparaissait dans la vidéo] ». Le demandeur avançait en effet que, dans le cadre de son métier, il utilisait autant son corps, et notamment ses mains, très exploitées dans la vidéo, que son visage. Ainsi, le TGI reconnaît que le corps du mannequin est protégeable au titre du droit à l’image, au même titre que son visage.
Sur ce point, il est est intéressant de comparer ce jugement à des décisions rendues en matière de protection de la vie privée qui ont conclu, au contraire, que la victime d’un paparazzi pouvait obtenir réparation du préjudice subi à condition que le floutage des images n’empêche pas son identification (notamment Cour d’Appel de Versailles, 6 novembre 2008, RG n°07/08158). La différence de solution semble être justifiée par le fait que le corps du mannequin est bien son instrument de travail et que la nature de l’atteinte est différente.
Le juge a ensuite réglé la question du point de départ de la période de cession du droit à l’image, absent du contrat. Il a interprété le contrat « à la lumière de la volonté des parties » en adoptant comme date d’entrée en vigueur de l’accord celle qui avait été retenue pour établir les redevances régularisées auprès de la deuxième mannequin (qui avait apparemment signé un protocole avec la société à compter du 24 septembre 2015, ce qui impliquait que le contrat initial avait pris fin à cette date), donnant ainsi raison au demandeur.
Il a dès lors constaté que l’image du mannequin avait été exploitée après la période contractuelle et en a déduit une violation du droit à l’image.
Cette ordonnance vient compléter une jurisprudence antérieure qui avait considéré que l’absence de durée précise ne valait pas durée illimitée (TGI Créteil, 1e chambre civile, 15 novembre 2016, Nathalie L. c/ Éditions Concorde).
Sur l’impact du « floutage » opéré par la défenderesse sur la détermination des mesures de réparation
Si le juge a donné raison au demandeur sur le principe, il n’a pas accordé les mesures demandées. En effet, il a estimé que la provision octroyée (4.000€) suffisait, à ce stade, à réparer le préjudice subi et que le retrait de la vidéo serait disproportionné. La justification avancée est que la défenderesse est une simple start-up qui a d’ores et déjà rémunéré la deuxième mannequin pour deux années supplémentaires et flouté le visage du demandeur.
La solution peut paraitre étrange car, si la violation est caractérisée, « peu import[ant] que le visage du demandeur soit ‘flouté’ », elle devrait être sanctionnée par la cessation de l’atteinte. On peut donc voir dans cette ordonnance une application du principe de proportionnalité, qui trouve un terrain d’élection particulier en matière de référé lorsque le juge doit concilier certains droits avec la liberté d’expression, mais également une répercussion de la patrimonialisation de l’image (puisqu’il ne s’agissait pas d’une violation de la vie privée du mannequin, mais d’une atteinte à son outil de travail, une réparation pécuniaire peut être satisfaisante).
Référence et date : Tribunal de grande instance de Paris, Ordonnance de référé du 16 novembre 2018
Lire L’ordonnance sur Legalis