14
décembre
2018
Le Tribunal de l’Union européenne dit OUI à TMview !
Justifier des marques antérieures dans une procédure d’opposition en demande devant l’EUIPO n’est pas toujours simple lorsque les copies des certificats d’enregistrement ne sont pas entre nos mains. La tentation d’avoir recours à des extraits de bases de données en ligne est forte de par la simplicité d’usage de ces outils. La plus aisée n’est autre que TMview qui est un outil offert par l’EUIPO.
Cependant, la question de la recevabilité des extraits TMview se pose régulièrement. Le TUE nous a enfin apporté une réponse claire, le 6 décembre 2018, dans une décision où il a notamment eu à se prononcer sur la recevabilité des extraits issus de TMview.
Rappel du contexte
La société VANS Inc. a procédé au dépôt, le 17 novembre 2011, d’une marque figurative de l’Union européenne pour son célèbre logo . Le 21 février 2012, la société Deichmann SE a formé opposition à l’encontre de cette demande de marque sur la base de parties européennes de plusieurs de ses marques internationales.
Pour justifier de ses marques antérieures, l’opposant a fourni des extraits de la base de données TMview. Le 21 octobre 2015, la division d’opposition de l’EUIPO a rejeté l’opposition au motif qu’il n’existait pas de risque de confusion entre les signes et que l’opposant n’avait pas justifié de l’existence de l’une de ses marques. L’opposant a logiquement formé un recours contre cette décision mais la chambre de recours de l’EUIPO l’a rejeté, sans même étudier le risque de confusion, au motif que la société Deichmann SE n’avait pas justifié de ses droits antérieurs selon les dispositions de la règle 19, paragraphe 2, du Règlement No. 2868/95 (devenue article 7, paragraphe 2, du règlement 2018/625) « au moyen de documents officiels qui proviennent de l’autorité compétente ayant procédé à l’enregistrement de la marque ».
Vous connaissez la suite ! Recours devant le TUE nous amenant à la décision du 6 décembre 2018.
Recevabilité des extraits de TMview
La société Deichmann SE soutient que les extraits de la base de données TMview sont conformes au Règlement car « les données […] proviennent des offices de marques participants, notamment l’OMPI, et que les extraits de cette base contiennent toutes les informations pertinentes pour démontrer la preuve de la protection d’un enregistrement international antérieur désignant l’Union européenne ».
Il est rappelé par le TUE que « la règle 19, paragraphe 2, sous a), ii), du Règlement No. 2868/95 exclut la possibilité de produire des extraits d’une base de données donnant accès à des documents n’émanant pas de l’administration auprès de laquelle la demande de marque a été déposée ». Cela signifie que pour la partie européenne d’une marque internationale, un extrait provenant de « eSearch plus » n’est pas recevable car la base est gérée par l’EUIPO qui n’est pas l’administration auprès de laquelle la marque a été déposée (voir en ce sens l’arrêt Aldi Einkauf/OHMI – Alifoods (Alifoods), T‑240/13 du 26 novembre 2014).
A l’inverse, si la base de données TMview est un outil géré par l’EUIPO, les offices nationaux y participent, dont notamment l’OMPI, en donnant accès aux données des marques qui sont déposées auprès d’eux. Les informations sont donc fournies par les offices qui en sont responsables et qui les mettent à jour quotidiennement. L’extrait « TMview correspond à l’état du registre de l’autorité compétente au moment de la consultation de cette base par l’utilisateur ».
En conséquence, un extrait de TMview est un document équivalent à un certificat d’enregistrement et est recevable dans une procédure d’opposition devant l’EUIPO ! Il convient cependant que l’opposant fournisse un extrait qui contienne l’ensemble des informations utiles permettant d’assurer l’existence, la validité et l’étendue géographique de la marque antérieure.
Les Directives d’examen de l’EUIPO ne prévalent pas sur le Règlement
Dans le cadre des discussions, la société Deichmann SE s’est appuyée sur les directives d’examen de l’EUIPO qui disposent que « l’EUIPO accepte notamment, s’agissant des enregistrements internationaux, les extraits de la banque de données TMview, pour autant qu’ils contiennent les informations utiles ». Elle estimait donc être dans son bon droit en fournissant des extraits de TMview et que la chambre de recours ne pouvait pas aller à l’encontre de ces directives en rejetant son recours.
Le TUE rappelle que les décisions de la chambre de recours « relèvent de l’exercice d’une compétence liée et non pas d’un pouvoir discrétionnaire si bien que la légalité des décisions de ces mêmes chambres de recours doit être appréciée uniquement sur la base [du Règlement] ».
Les directives d’examen de l’EUIPO ne sont pas des actes juridiques contraignants pour interpréter le droit de l’Union Européenne (ce qui avait déjà été jugé dans l’arrêt Leno Merken du 19 décembre 2012 C-149/11).
Le TUE juge ainsi que les directives d’examen ne priment pas sur le Règlement mais, au contraire, que ce sont elles qui doivent être interprétées au regard du Règlement. Ces directives ne peuvent être invoquées pour justifier que la chambre de recours a violé le Règlement.
La reconnaissance « officielle » par le TUE de la recevabilité des extraits issus de TMview est une bonne nouvelle car elle permet de conforter la pratique de l’EUIPO et de rassurer les opposants. Le doute d’un rejet de la justification de ses droits antérieurs par le biais de TMview n’est plus qu’un souvenir !
Lire la décision T-848/16 du 6 décembre 2018 ici
10
décembre
2018
Droit à l’image du mannequin : un « flou » pas qu’artistique
Author:
teamtaomanews
La jurisprudence relative aux contrats de mannequinat se dessine par petites touches et confirme régulièrement que, comme en matière de droit d’auteur, les droits cédés ne le sont que dans la limite de ce qui est expressément prévu.
Le Juge des référés du tribunal de grande instance de Paris vient de rendre une ordonnance qui confirme ce principe, tout en apportant un élément intéressant relatif au « floutage » du visage du mannequin, réalisé par l’utilisateur de son image afin d’atténuer le préjudice allégué.
Une entreprise offrant des solutions technologiques pour améliorer la santé de ses clients (Umanlife) avait fait réaliser une vidéo promotionnelle où un couple interagissait avec leur nouveau-né, leurs amis et leurs outils high-tech. La durée d’exploitation de l’image des deux personnages principaux avait été fixée à deux ans sans que le point de départ de cette période ait été précisé. Un des deux mannequins avait considéré que la période était échue et, constatant que la vidéo était toujours en ligne, avait mis en demeure Umanlife de cesser cette utilisation.
L’entreprise a alors appliqué un filtre flou sur le visage du demandeur chaque fois qu’il apparaissait sur la vidéo. Estimant que cette mesure n’était pas suffisante, celui-ci a assigné Umanlife en référé, réclamant l’interdiction de la diffusion du spot publicitaire ainsi que la réparation de son préjudice.
Sur la caractérisation de l’atteinte
Le Juge des référés s’est considéré compétent car le trouble manifestement illicite découlait de la « seule violation » résultant du simple fait que le « corps, attribut du droit à l’image, [apparaissait dans la vidéo] ». Le demandeur avançait en effet que, dans le cadre de son métier, il utilisait autant son corps, et notamment ses mains, très exploitées dans la vidéo, que son visage. Ainsi, le TGI reconnaît que le corps du mannequin est protégeable au titre du droit à l’image, au même titre que son visage.
Sur ce point, il est est intéressant de comparer ce jugement à des décisions rendues en matière de protection de la vie privée qui ont conclu, au contraire, que la victime d’un paparazzi pouvait obtenir réparation du préjudice subi à condition que le floutage des images n’empêche pas son identification (notamment Cour d’Appel de Versailles, 6 novembre 2008, RG n°07/08158). La différence de solution semble être justifiée par le fait que le corps du mannequin est bien son instrument de travail et que la nature de l’atteinte est différente.
Le juge a ensuite réglé la question du point de départ de la période de cession du droit à l’image, absent du contrat. Il a interprété le contrat « à la lumière de la volonté des parties » en adoptant comme date d’entrée en vigueur de l’accord celle qui avait été retenue pour établir les redevances régularisées auprès de la deuxième mannequin (qui avait apparemment signé un protocole avec la société à compter du 24 septembre 2015, ce qui impliquait que le contrat initial avait pris fin à cette date), donnant ainsi raison au demandeur.
Il a dès lors constaté que l’image du mannequin avait été exploitée après la période contractuelle et en a déduit une violation du droit à l’image.
Cette ordonnance vient compléter une jurisprudence antérieure qui avait considéré que l’absence de durée précise ne valait pas durée illimitée (TGI Créteil, 1e chambre civile, 15 novembre 2016, Nathalie L. c/ Éditions Concorde).
Sur l’impact du « floutage » opéré par la défenderesse sur la détermination des mesures de réparation
Si le juge a donné raison au demandeur sur le principe, il n’a pas accordé les mesures demandées. En effet, il a estimé que la provision octroyée (4.000€) suffisait, à ce stade, à réparer le préjudice subi et que le retrait de la vidéo serait disproportionné. La justification avancée est que la défenderesse est une simple start-up qui a d’ores et déjà rémunéré la deuxième mannequin pour deux années supplémentaires et flouté le visage du demandeur.
La solution peut paraitre étrange car, si la violation est caractérisée, « peu import[ant] que le visage du demandeur soit ‘flouté’ », elle devrait être sanctionnée par la cessation de l’atteinte. On peut donc voir dans cette ordonnance une application du principe de proportionnalité, qui trouve un terrain d’élection particulier en matière de référé lorsque le juge doit concilier certains droits avec la liberté d’expression, mais également une répercussion de la patrimonialisation de l’image (puisqu’il ne s’agissait pas d’une violation de la vie privée du mannequin, mais d’une atteinte à son outil de travail, une réparation pécuniaire peut être satisfaisante).
Référence et date : Tribunal de grande instance de Paris, Ordonnance de référé du 16 novembre 2018
Lire L’ordonnance sur Legalis