21
janvier
2022
« L’homme à la pelle et en slip » gagne son procès contre France Télévisions
Il n’est probablement plus nécessaire d’expliquer ce qu’est un « mème » sur Internet : notre imaginaire contemporain est désormais envahi par Grumpy cat, Disaster girl et autres Jawad.
Si Grumpy cat ne s’est jamais plaint de sa notoriété numérique, d’autres inspirateurs non consentants de ces engouements créatifs ont pu s’estimer victimes de préjudices liés à l’exploitation de leur image.
Il en va ainsi d’un résident du département des Landes devenu, contre son gré, célèbre sous le nom de « l’homme à la pelle et en slip » à la suite de la diffusion de son image lors d’un reportage diffusé sur France Télévisions en 2015, et qui a récemment obtenu réparation de la part du tribunal judiciaire de Dax.
Les faits sont les suivants : une équipe de journalistes a couvert une action de la Ligue pour la Protection des Oiseaux destinée à dénoncer l’utilisation de pièges à oiseaux illégaux, utilisés en l’occurrence sur une propriété privée. Alarmé par les cris de sa vieille mère et pris au dépourvu lors de sa toilette matinale, le propriétaire des lieux et des pièges a surgi hors de sa maison, armé d’une pelle, en slip et en T-shirt malgré la froidure de novembre, pour défendre son bien au détriment de sa dignité, dans l’ignorance qu’il était de la présence de photographes et de l’équipe de tournage.
Les images ont tout de suite été diffusées, entraînant une prolifération de mèmes qui a assuré à cet agriculteur anonyme une célébrité autant mondiale qu’indésirée.
Après une légère condamnation, confirmée en appel, pour violences volontaire du fait de l’usage de la fameuse pelle sur un des militants ornithophiles, l’agriculteur landais, pensant peut-être tardivement que la meilleure défense était la contre-attaque, décida de saisir les tribunaux pour atteinte à sa vie privée. Il a obtenu gain de cause, sinon sur le quantum, du moins sur le principe, dans une décision (dont nous ne savons pas si elle a été ou sera frappée d’appel) juridiquement intéressante, au-delà de son aspect médiatique.
La demande de requalification en diffamation a été rejetée
Tout d’abord, et assez classiquement, la société défenderesse a tenté de neutraliser les demandes, soumises à une prescription quinquennale puisque fondées sur l’article 9 du code civil, en réclamant leur requalification en action en diffamation. Cela aurait pu avoir pour effet de voir prononcée la prescription (trimestrielle en matière d’infractions de presse) et la nullité de l’assignation.
On a toutefois du mal à imaginer comment ce premier argument aurait pu prospérer dans la mesure où les faits semblent très éloignés de l’imputation de faits mensongers relativement à la personne du demandeur, susceptibles d’atteindre son honneur ou sa considération. Certes, l’honneur et la considération du demandeur avaient été endommagés par la diffusion des images, mais sans qu’une telle atteinte résulte de l’imputation ou allégation d’un fait.
C’est donc bien une atteinte au droit au respect de l’image du demandeur, élément de sa vie privée, qui justifiait les poursuites.
L’action pénale préexistante n’a pas autorité de la chose jugée sur cette action civile
France Télévisions a ensuite tenté d’obtenir l’irrecevabilité de l’action au motif que les demandes auraient été l’objet de décisions judiciaires passées en force de chose jugée. Mais le tribunal a considéré qu’il n’avait existé aucune demande relative à l’atteinte à la vie privée, formulée par l’homme affublé d’accessoires de mode et de jardinage, lors de son procès correctionnel.
L’atteinte à la vie privée, disproportionnée eu égard au caractère d’intérêt général du reportage, est reconnue
Le tribunal considère qu’on ne saurait considérer le demandeur responsable de sa tenue indécente puisqu’il ignorait la présence de caméras et d’appareils photo et qu’il a dû agir précipitamment : « il n’est ainsi pas établi qu’il s’est volontairement et spontanément présenté devant les journalistes dans cette tenue ».
La défenderesse a tenté vainement d’invoquer le motif d’intérêt général qui, en d’autres circonstances, peut l’emporter sur la protection de la vie privée (par exemple, Cass. Civ. 1e, 13 mai 2014, n° 13-15819, lorsque les personnes photographiées sont des personnalités notoires et que les images diffusées ne révélaient rien qu’elles n’aient déjà rendu public sur leur vie privée, et alors que les photographies étaient pertinentes au vu du contenu de l’article).
En effet, en l’espèce, l’objet d’intérêt public du reportage, la chasse illégale d’oiseaux, ne justifiait pas la diffusion de l’image du demandeur qui constituait une atteinte disproportionnée dès lors que son visage n’était pas flouté.
C’est donc la prise de vue et la diffusion non consentie de l’image non floutée du demandeur en sous-vêtements, sur sa propriété, et alors que son visage était clairement reconnaissable qui constitue, au sens du tribunal, l’atteinte à la vie privée (au respect du droit à l’image) du demandeur ; selon le tribunal, les images diffusées « sont dégradantes et portent atteinte à sa dignité ». Leur répercussion via les parodies fleurissant sur Internet les a en outre rendues « humiliantes » et le tribunal en tient la défenderesse responsable car elle a « pu faciliter la multiplication des détournements ». Le tribunal identifie donc un lien de causalité direct entre la faute commise par France Télévisions et le préjudice lié à l’identification du demandeur sous le sobriquet humiliant de « l’homme en slip et à la pelle » et rejette l’argument de la défenderesse de la présence d’autres équipes que la sienne, puisqu’elle a elle-même diffusé les images sur des chaînes nationales à des heures de grande écoute, participant ainsi à l’étendue du préjudice du demandeur. Elle est donc tenue responsable à elle seule du préjudice directement subi par sa faute, y compris en raison de la diffusion épidémique subséquente des images sur la toile.
Une décision conforme à la jurisprudence : le critère du consentement à la diffusion
Il aurait pu être considéré, au-delà de la transformation du demandeur en objet de moqueries, que la diffusion de l’image d’une personne en slip et t-shirt n’est pas, en soi, de nature à porter atteinte au respect de son image, tant nous sommes, depuis quelques décennies confrontés quotidiennement à l’image de nos semblables en petite tenue dans les médias et en ligne. Mais c’est bien sûr la notion de consentement, absente de l’article 9 du code civil mais reprise à plusieurs moments par le tribunal (et prévue à l’article 226-1 du code pénal, qui aurait pu être invoqué), qui justifie la condamnation.
Il s’agit là d’un critère en partie subjectif puisque, par exemple, un mannequin peut autoriser la publication de photographies pour lesquelles il a posé en lingerie, et interdire des photographies analogues : le même type d’image peut constituer une atteinte ou non. Il s’agit là également de s’assurer du consentement, qui se manifeste chez les professionnels par un engagement contractuel. Par exemple, le tribunal de grande instance de Bobigny a condamné une société de vente de lingerie pour la publication de photographies d’une modèle au visage identifiable, en sous-vêtements, alors que celle-ci considérait que son droit à la vie privée sur le fondement de l’article 9 du code civil avait été violé, faute d’autorisation donnée à la société (12 mars 2012, RG n° 12/00212).
Le tribunal de grande instance de Nanterre a également condamné une société de presse pour avoir notamment diffusé l’image d’un homme en sous-vêtements, issue d’une campagne publicitaire pour de la lingerie mais détournée de son contexte pour illustrer, aux côtés d’autres photographies, la relation intime de cette personne alors anonyme avec une ancienne miss France : l’utilisation détournée de cette image a été considérée comme portant atteinte à son droit à la vie privée alors même que la première diffusion de la photographie avait été consentie (26 novembre 2015, RG n° 14/07025).
Dernier exemple, le tribunal de grande instance de Paris a considéré, dans un jugement du 4 février 2004, RG n° 04/02512, que la diffusion, accompagnée de commentaires moqueurs, de l’image prise dans le cadre d’une activité ressortant de la vie privée, d’un personnage public « seulement vêtu d’un boxer blanc – qui peut passer pour un sous-vêtement – porte atteinte à l’intimité de sa vie privée ».
On pourra rapprocher ces jugements d’espèce d’un arrêt récent de la Cour de cassation (Crim. 20 octobre 2021, n° 20-83622) qui a rappelé que les juges du fond doivent constater expressément l’absence de consentement à la diffusion d’une personne en sous-vêtements photographiée dans un lieu privé pour caractériser l’atteinte à la vie privée (certes, en se fondant dans cet arrêt sur les dispositions précitées du code pénal et non sur l’article 9 du code civil).
La difficile évaluation et la probablement impossible cessation du préjudice subi
Le demandeur obtient donc une réparation à hauteur de 10.000 euros (et 5.000 euros de frais de justice), alors qu’il en demandait vingt fois plus. On peut s’étonner de l’octroi d’une somme relativement modeste eu égard au préjudice subi, quand bien même la victime était et reste relativement anonyme, et alors que le tribunal n’a pas hésité à qualifier de dégradant et d’humiliant ce qu’elle a subi. Ce d’autant plus que les dommages-intérêts sont d’ordinaire amoindris par les tribunaux lorsque la victime a elle-même, par le passé ou par la suite, diffusé volontairement des images d’elle en sous-vêtements ou nue (par exemple, tribunal de grande instance de Nanterre, 4 septembre 2014, RG n° 13/10518) – ce qui n’est pas le cas en l’espèce.
La juridiction ne s’étend guère sur les critères qui lui ont permis d’évaluer le montant de la condamnation – et rejette ironiquement la demande de publication judiciaire au motif que cette publication ne ferait que prolonger le préjudice en rappelant « ‘l’image de l’homme en slip et à la pelle’ que Monsieur X voudrait faire oublier ». Elle ordonne également l’exécution provisoire eu égard à l’ancienneté de l’affaire.
La question que pose cette affaire, c’est celle de la réparation effective de préjudices subis en ligne, et de leur cessation. France Télévisions a été condamnée à flouter l’image litigieuse et à ne plus diffuser le reportage. Mais cela n’empêchera pas les mèmes de rester en ligne : rien ne disparaît jamais complètement d’Internet comme l’apprennent les victimes de diffusions d’images de leurs corps nus et qui ont beau faire condamner le responsable de leur diffusion : même s’il existe des outils juridiques pour obtenir le retrait des images préjudiciables, la tâche peut être sans fin et seul le désintérêt et la lassitude du public peuvent reléguer efficacement dans les confins du web les traces du dommage.
Jérémie Leroy-Ringuet
Avocat à la cour
Tribunal judiciaire de Dax, 15 septembre 2021, RG n° 18/01539. Décision non publiée, communiquée sur demande à contact-avocat@taoma-partners.fr
07
avril
2020
Impact de la déchéance pour non-usage sur une action en contrefaçon de la marque déchue
Author:
teamtaomanews
La marque semi-figurative SAINT GERMAIN a été enregistrée en France le 12 mai 2006 par la société AR pour désigner des boissons alcooliques, des cidres, des digestifs, des vins et des spiritueux. De son côté, la société la Cooper International Spirits distribuait, sous la dénomination « St-Germain », une liqueur fabriquée par la société St Dalfour et par les Etablissements Gabriel Boudier.
Le 8 juin 2012, la société AR a assigné ces trois sociétés en contrefaçon de marque devant le Tribunal de grande instance de Paris. Toutefois, dans une instance parallèle, le TGI de Nanterre a prononcé la déchéance de la marque semi-figurative SAINT GERMAIN de la société AR pour défaut d’usage, avec prise d’effet au 13 mai 2011, premier jour suivant la période de grâce. La titulaire déchue a néanmoins maintenu son action en contrefaçon pour les actes situés lors de la période antérieure à la déchéance, soit entre le 8 juin 2009 et le 13 mai 2011, période au cours de laquelle la marque n’était pas encore soumise à obligation d’usage.
L’ensemble de ses demandes a été rejeté par le Tribunal de grande instance de Paris en 2015 ; le jugement a été confirmé par la Cour d’appel de Paris le 13 septembre 2016. Cette dernière a en effet estimé que la société AR ne pouvait se prévaloir d’une atteinte portée à la marque SAINT GERMAIN, par un signe identique concurrent, alors même qu’elle ne présentait pas d’éléments probants permettant de témoigner d’une exploitation effective de ladite marque. Les juges du fond semblent donc avoir subordonné la potentielle condamnation pour contrefaçon à la preuve, ici manquante, que son titulaire l’exploitait, quand bien même la période quinquennale pour commencer l’usage de la marque courait encore.
Saisie d’un pourvoi, la Cour de cassation a décidé de surseoir à statuer et d’interroger à titre préjudiciel la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). En substance, la question préjudicielle posée était de savoir si le titulaire d’une marque entretemps déchue en raison du défaut d’usage sérieux de celle-ci conserve toutefois le droit de réclamer l’indemnisation du préjudice subi en raison de l’usage par un tiers – antérieurement à la date d’effet de la déchéance – d’un signe similaire créant une confusion avec sa marque.
L’indemnisation possible des préjudices antérieurs à la date d’effet de la déchéance pour non-usage
La Cour rappelle tout d’abord que, selon sa propre jurisprudence, le titulaire d’une marque non encore soumise à usage sérieux – donc avant la fin de la période quinquennale suivant son enregistrement – peut très bien agir en contrefaçon sur la base des produits et services désignés, sans avoir à prouver qu’il fait usage de sa marque (CJUE, 21 décembre 2016, Länsförsäkringar, C-654/15).
Or la situation est différente en l’espèce. La difficulté se situe précisément sur la portée des droits du titulaire sur la marque à l’expiration du délai de grâce, alors même que la déchéance a déjà été prononcée. En somme, une telle déchéance peut-elle avoir des incidences sur la possibilité du titulaire de se prévaloir, après l’expiration du délai de grâce, des atteintes portées à sa marque au cours de cette période ?
La CJUE répond par la positive, jugeant que les Etats membres ont « la faculté de permettre que le titulaire d’une marque déchu de ses droits à l’expiration du délai de cinq ans à compter de son enregistrement pour ne pas avoir fait de cette marque un usage sérieux dans l’État membre concerné pour les produits ou les services pour lesquels elle avait été enregistrée conserve le droit de réclamer l’indemnisation du préjudice subi en raison de l’usage, par un tiers, antérieurement à la date d’effet de la déchéance, d’un signe similaire pour des produits ou des services identiques ou similaires prêtant à confusion avec sa marque ».
En effet, elle rappelle que la directive 2008/95 avait laissé aux Etats membres la faculté de déterminer l’étendue des effets de la déchéance d’une marque et que le législateur français avait fait le choix de faire produire ces effets à compter de l’expiration du délai de grâce et non antérieurement à ce délai. La France n’a donc pas fait le choix de permettre au contrefacteur allégué de soulever l’exception de l’absence d’usage au cours de la période de grâce pour s’exonérer des actes de contrefaçon.
Aussi, le titulaire d’une marque déchu de ses droits pour défaut d’usage sérieux conserve le droit de réclamer l’indemnisation du préjudice subi en raison de l’usage, par un tiers, antérieurement à la date d’effet de la déchéance, d’un signe similaire créant un risque de confusion avec sa marque.
La prise en compte du défaut d’usage en période de grâce dans le calcul de l’indemnisation
La CJUE précise ensuite la portée de sa propre décision, en spécifiant que le défaut d’usage au cours de la période de grâce est tout de même un « élément important à prendre en compte pour déterminer l’existence et, le cas échéant, l’étendue du préjudice subi par le titulaire et, partant, le montant des dommages et intérêts que celui-ci peut éventuellement réclamer ».
Ainsi, le préjudice subi par le titulaire d’une marque qui ne l’utilise pas se résume à l’atteinte au droit de propriété et exclut l’indemnisation de gains manqués et de profits réalisés indûment. Le préjudice moral est tout aussi relatif.
Une telle prise en compte de l’absence d’usage prive le titulaire déchu de ses dernières munitions. Si le droit français lui permet de faire valoir sa marque pour les faits antérieurs à la date d’effet de la déchéance, il serait en effet malvenu que cela lui permette de réclamer d’importants dommages-intérêts. Cela reviendrait en effet à légitimer la pratique des « trademark trolls », ces titulaires de marques qui n’exploitent pas leurs portefeuilles et les utilisent uniquement pour soutirer de l’argent à des tiers souhaitant les utiliser, via des contrats de licence ou des actions en contrefaçon.
La précision de la CJUE est donc un tempérament important destiné à sanctionner de telles pratiques et à limiter l’effet de l’interprétation du droit de l’Union qu’elle a été invitée à faire : le titulaire d’une marque déchue peut demander réparation d’actes contrefaisant sa marque avant la date de prise d’effet de la déchéance mais, s’il ne l’exploitait pas, son indemnisation s’en trouvera limitée.
Synthia TIENTCHEU TCHEUKO
Élève-avocate
Jérémie LEROY-RINGUET
Avocat à la Cour
Référence et date : Cour de justice de l’Union européenne, 26 mars 2020, affaire C‑622/18
Lire la décision sur Curia
11
septembre
2019
« LED ZEPPELIN », le célèbre groupe britannique fait son entrée au panthéon des marques
Le célèbre groupe de rock Britannique chantait pour la première fois en 1971 son fameux titre « Stairway to Heaven ». Ce n’est pas sans une certaine ironie de l’histoire que le Groupe, plus de quarante ans après, atteint ce fameux paradis, mais dans un contexte légèrement différent.
En 2016, la marque « ZEPPELIN GUITARS » fut déposée auprès de l’Office de l’Union Européenne pour la Propriété Intellectuelle (EUIPO) pour désigner les produits suivants :
Classe 9: « Appareils des technologies de l’information ; Micros pour instruments de musique électriques (pick-up) ; Mixeurs audio avec amplificateur intégré ; Pédales wah-wah pour guitares ; Pièces et accessoires de tous les produits précités, compris dans cette classe » ;
Classe 15: « Instruments de musique ; Accessoires pour instruments de musique ; Pièces et accessoires de tous les produits précités, compris dans cette classe ».
La société Superhype Tapes Limited, Label discographique du groupe Britannique, forma alors opposition à l’encontre de cette demande de marque sur la base de ses marques de l’Union Européenne « LED ZEPPELIN », ainsi que la marque non déposée du même nom, dont la protection est revendiquée au Royaume-Uni et en Ireland.
L’opposant invoquait notamment l’article 8(5) du Règlement sur la marque de l’Union Européenne (UE) 2017/1001 [1], soit la renommée de ses marques antérieures.
Pour rappel, la marque renommée, telle que prévue par le Règlement, s’entend d’une marque dont le champ de protection s’étend au-delà du principe de spécialité, selon lequel une marque n’est protégée que pour des produits et services identiques ou similaires.
Bien que souvent invoqué par les titulaires de marques, ce fondement n’est que très rarement reconnu par l’EUIPO au regard des conditions rigoureuses qui sont imposées. En effet, il est nécessaire que les signes en cause soient identiques ou similaires, que la marque antérieure jouisse d’une renommée sur le territoire concerné pour les produits et services pour lesquels l’opposition a été formée et qu’il existe un risque de préjudice.
En l’espèce, la Division d’Opposition de l’EUIPO a considéré que les marques antérieures « LED ZEPPELIN » bénéficiaient d’une renommée sur le territoire de l’Union Européenne. Pour ce faire, elle se fonde sur divers éléments, dont l’un n’a pas manqué de marquer les esprits, à savoir un hommage qu’avait rendu l’ancien Président américain Barack Obama au groupe en 2012 et selon lequel Led Zeppelin « still rock! ».
En outre, la décision confirme que les signes en cause présentent des ressemblances visuelles, phonétiques et intellectuelles importantes et que les produits visés sont similaires et fortement liés.
Il ressort de ces éléments que la marque contestée « ZEPPELIN GUITARS » sera nécessairement associée aux marques antérieures « LED ZEPPELIN », c’est-à-dire que le public pertinent, lorsqu’il sera confronté à la marque contestée « ZEPPLIN GUITARS », établira un lien entre les signes en cause.
En effet, l’EUIPO juge qu’en raison de l’utilisation du signe « ZEPPELIN GUITARS », les produits contestés attireront beaucoup plus l’attention du public concerné que si ces mêmes produits étaient commercialisés sous une marque (inconnue) différente.
La demande de marque opposée est donc susceptible de tirer indûment profit de la renommée des marques antérieures et partant, créer un préjudice au détriment du groupe de rock britannique.
Par conséquent, l’opposition est reconnue comme fondée et la demande de marque « ZEPPELIN GUITARS » est rejetée dans son intégralité.
Près de quarante ans après sa séparation, le Groupe Led Zeppelin reste l’un des plus grands groupes de rock au monde et cette décision rendue en matière de droit des marques ne fait que le confirmer !
Baptiste Kuentzmann
Juriste
[1] Article 8(5) du Règlement sur la marque de l’Union Européenne (UE) 2017/1001 : « Sur opposition du titulaire d’une marque antérieure enregistrée au sens du paragraphe 2, la marque demandée est refusée à l’enregistrement si elle est identique ou similaire à une marque antérieure, indépendamment du fait que les produits ou services pour lesquels elle est demandée sont identiques, similaires ou non similaires à ceux pour lesquels la marque antérieure est enregistrée, lorsque cette marque antérieure est une marque de l’Union Européenne qui jouit d’une renommée dans l’Union ou une marque nationale qui jouit d’une renommée dans l’État concerné, et que l’usage sans juste motif de la marque demandée tirerait indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de cette marque antérieure ou leur porterait préjudice ».
01
avril
2019
Divulguer, c’est dénigrer!
Author:
teamtaomanews
La divulgation de l’existence d’une action en justice n’ayant pas donné lieu à une décision de justice peut-elle constituer un acte de dénigrement ?
La Chambre commerciale de la Cour de cassation répond par la positive dans un arrêt rendu le 9 janvier 2019.
La société Keter Plastic, fabricante de produits en plastique dont certains produits sont vendus par la société Plicosa, a assigné en contrefaçon la société Shaf en 2012. Cette action a été rejetée par un jugement rendu en 2013, confirmé par un arrêt rendu en 2015. La société Plicosa a divulgué l’existence de cette action en justice dès 2012 aux distributeurs de la société Shaf.
La société Shaf a alors assigné la société Plicosa en paiement de dommages et intérêts pour concurrence déloyale en arguant de l’existence d’une campagne de dénigrement à son encontre. La Cour d’appel a infirmé le jugement rendu en première instance et a rejeté l’action engagée par la société Shaf au motif que la requérante ne démontrait pas le caractère non-objectif, excessif, dénigrant voire mensonger des informations divulguées par la défenderesse.
La société Shaf soutient que la divulgation d’une action en justice, même n’ayant pas donné lieu à une décision de justice, à sa clientèle par la société Plicosa est fautive dès lors qu’elle a conduit plusieurs clients à renoncer à leurs commandes.
La société Plicosa conclut au rejet du pourvoi en indiquant que les messages informant les distributeurs de l’action en justice en contrefaçon n’étaient pas accompagnés de propos mensongers, excessifs, dénigrants ou menaçants susceptibles de constituer un acte de dénigrement.
La Cour de Cassation n’est pas du même avis et casse l’arrêt rendu par la Cour d’appel, au visa du nouvel article 1240 du code civil, au motif que « la divulgation à la clientèle, par la société Plicosa, d’une action en contrefaçon n’ayant pas donné lieu à une décision de justice, dépourvue de base factuelle suffisante en ce qu’elle ne reposait que sur le seul acte de poursuite engagé par le titulaire des droits, constituait un dénigrement fautif ».
La Cour de cassation clarifie également l’articulation entre la liberté d’expression et le dénigrement fautif en expliquant que l’information qui se « rapporte à un sujet d’intérêt général et repose sur une base factuelle suffisante, sous réserve qu’elle soit exprimée avec une certaine mesure » ne constitue pas un acte de dénigrement.
Cette décision confirme la jurisprudence de la Haute Cour qui considère que la divulgation d’une décision de justice non définitive constitue un dénigrement fautif.[1]
[1] Par ex.Cass. com., 27 mai 2015, n° 14-10.800
10
décembre
2018
Droit à l’image du mannequin : un « flou » pas qu’artistique
Author:
teamtaomanews
La jurisprudence relative aux contrats de mannequinat se dessine par petites touches et confirme régulièrement que, comme en matière de droit d’auteur, les droits cédés ne le sont que dans la limite de ce qui est expressément prévu.
Le Juge des référés du tribunal de grande instance de Paris vient de rendre une ordonnance qui confirme ce principe, tout en apportant un élément intéressant relatif au « floutage » du visage du mannequin, réalisé par l’utilisateur de son image afin d’atténuer le préjudice allégué.
Une entreprise offrant des solutions technologiques pour améliorer la santé de ses clients (Umanlife) avait fait réaliser une vidéo promotionnelle où un couple interagissait avec leur nouveau-né, leurs amis et leurs outils high-tech. La durée d’exploitation de l’image des deux personnages principaux avait été fixée à deux ans sans que le point de départ de cette période ait été précisé. Un des deux mannequins avait considéré que la période était échue et, constatant que la vidéo était toujours en ligne, avait mis en demeure Umanlife de cesser cette utilisation.
L’entreprise a alors appliqué un filtre flou sur le visage du demandeur chaque fois qu’il apparaissait sur la vidéo. Estimant que cette mesure n’était pas suffisante, celui-ci a assigné Umanlife en référé, réclamant l’interdiction de la diffusion du spot publicitaire ainsi que la réparation de son préjudice.
Sur la caractérisation de l’atteinte
Le Juge des référés s’est considéré compétent car le trouble manifestement illicite découlait de la « seule violation » résultant du simple fait que le « corps, attribut du droit à l’image, [apparaissait dans la vidéo] ». Le demandeur avançait en effet que, dans le cadre de son métier, il utilisait autant son corps, et notamment ses mains, très exploitées dans la vidéo, que son visage. Ainsi, le TGI reconnaît que le corps du mannequin est protégeable au titre du droit à l’image, au même titre que son visage.
Sur ce point, il est est intéressant de comparer ce jugement à des décisions rendues en matière de protection de la vie privée qui ont conclu, au contraire, que la victime d’un paparazzi pouvait obtenir réparation du préjudice subi à condition que le floutage des images n’empêche pas son identification (notamment Cour d’Appel de Versailles, 6 novembre 2008, RG n°07/08158). La différence de solution semble être justifiée par le fait que le corps du mannequin est bien son instrument de travail et que la nature de l’atteinte est différente.
Le juge a ensuite réglé la question du point de départ de la période de cession du droit à l’image, absent du contrat. Il a interprété le contrat « à la lumière de la volonté des parties » en adoptant comme date d’entrée en vigueur de l’accord celle qui avait été retenue pour établir les redevances régularisées auprès de la deuxième mannequin (qui avait apparemment signé un protocole avec la société à compter du 24 septembre 2015, ce qui impliquait que le contrat initial avait pris fin à cette date), donnant ainsi raison au demandeur.
Il a dès lors constaté que l’image du mannequin avait été exploitée après la période contractuelle et en a déduit une violation du droit à l’image.
Cette ordonnance vient compléter une jurisprudence antérieure qui avait considéré que l’absence de durée précise ne valait pas durée illimitée (TGI Créteil, 1e chambre civile, 15 novembre 2016, Nathalie L. c/ Éditions Concorde).
Sur l’impact du « floutage » opéré par la défenderesse sur la détermination des mesures de réparation
Si le juge a donné raison au demandeur sur le principe, il n’a pas accordé les mesures demandées. En effet, il a estimé que la provision octroyée (4.000€) suffisait, à ce stade, à réparer le préjudice subi et que le retrait de la vidéo serait disproportionné. La justification avancée est que la défenderesse est une simple start-up qui a d’ores et déjà rémunéré la deuxième mannequin pour deux années supplémentaires et flouté le visage du demandeur.
La solution peut paraitre étrange car, si la violation est caractérisée, « peu import[ant] que le visage du demandeur soit ‘flouté’ », elle devrait être sanctionnée par la cessation de l’atteinte. On peut donc voir dans cette ordonnance une application du principe de proportionnalité, qui trouve un terrain d’élection particulier en matière de référé lorsque le juge doit concilier certains droits avec la liberté d’expression, mais également une répercussion de la patrimonialisation de l’image (puisqu’il ne s’agissait pas d’une violation de la vie privée du mannequin, mais d’une atteinte à son outil de travail, une réparation pécuniaire peut être satisfaisante).
Référence et date : Tribunal de grande instance de Paris, Ordonnance de référé du 16 novembre 2018
Lire L’ordonnance sur Legalis
19
novembre
2018
Affaire Zemmour/ ITélé : les termes « En principe » dans le contrat, formule magique ?
Author:
teamtaomanews
La Cour d’appel de Versailles vient de confirmer un jugement du Tribunal de Grande Instance de Nanterre se prononçant sur le caractère abusif de la rupture de la relation contractuelle entre une société d’exploitation audiovisuelle et un célèbre polémiste français.
Depuis 2003 le Groupe Canal + et la Société d’Exploitation d’un Service d’Information (SESI), sollicitaient Monsieur Zemmour en qualité de chroniqueur d’une émission télévisée, ayant pour objet de décrypter l’actualité politique hebdomadaire, d’abord directement, puis par l’intermédiaire de la société RUBEMPRE, dont il était le gérant, au moyen de contrats à durée déterminée ayant pour objet, pour chaque saison, de « déterminer les conditions d’intervention de M. Zemmour sur les antennes d’iTélé dans le cadre de l’émission ‘’Ca se dispute’’ ».
La dernière de ces conventions a été conclue le 27 juin 2014 pour la saison 2014/2015, soit en principe jusqu’en juillet 2015.
Cependant, à la suite de plusieurs publications polémiques de M. Zemmour et à la vague d’indignation les ayant suivies, la SESI a annoncé fin décembre 2014, ne pas vouloir reconduire l’émission « Ca se dispute » pour l’année 2015. Elle a en conséquence publié un communiqué de presse dans lequel elle indiquait « iTélé a décidé de mettre fin à l’émission ‘’Ça se dispute’’ qui ne reprendra pas en janvier 2015 », et indiqué à la société RUBEMPRE que, « le contrat [les liant] devenait sans objet, et donc que M. Zemmour était libéré de ses obligations notamment vis-à-vis de la chaîne iTélé ».
Estimant que la SESI avait rompu brutalement et abusivement le contrat, la société RUBEMPRE et M. Zemmour l’ont assignée en réparation des préjudices qu’ils estimaient avoir subis.
Par jugement du 17 novembre 2016, le TGI a fait droit aux demandes de la société RUBEMPRE et a condamné la SESI à lui verser la somme de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts.
M. Zemmour et la société RUBEMPRE ont interjeté appel de ce jugement en demandant la confirmation de la condamnation, mais estimant que les dommages et intérêts devaient être plus importants.
SUR LA RUPTURE DU CONTRAT
La cour relève que le contrat donnait une certaine souplesse à la SESI quant à la programmation hebdomadaire de l’émission ou à l’obligation de recourir à l’occasion de chaque émission à une prestation de M. Zemmour puisqu’il précisait que ses prestations :
– Étaient « en principe» hebdomadaires ;
– Étaient conditionnées aux « besoins de SESI en termes de programmation et plus précisément selon la diffusion ou non de l’émission sur la chaîne, de telle sorte qu’il est entendu entres les parties qu’il ne pèse sur SESI aucune obligation de faire appel au contractant chaque semaine de la saison 2014/2015».
– Devaient durer « en principe» jusqu’au 17 juillet 2015.
Cependant, ces dispositions contractuelles ne pouvaient s’analyser comme ne faisant « peser sur la société SESI aucune obligation de recourir aux prestations » de M. Zemmour, au risque d’être considérées comme conditionnant ses interventions à la seule volonté de la SESI, auquel cas elles devraient être interprétées comme des conditions potestatives, nulles aux termes de l’article 1174 du Code civil dans la version qui était alors applicable.
De plus, les juges ont estimé que les motifs de la SESI selon lesquels les propos de M. Zemmour avaient pris une dimension politique n’étaient pas fondés, dans la mesure où il intervenait justement pour ses qualités de polémiste.
Le contrat aurait donc dû se poursuivre jusqu’à son échéance, le seul moyen d’y mettre fin unilatéralement étant l’invocation d’un manquement contractuel et le respect d’un préavis de 15 jours, prévu au contrat.
La cour confirme donc la décision rendue par les juges de première instance.
SUR L’INDEMNISATION DU PRÉJUDICE
La cour d’appel rappelle que « la faute de la société SESI réside non pas dans le fait d’avoir renoncé à confier à la société RUBEMPRE la poursuite des prestations qu’elle lui avait confiées jusqu’alors, ce qu’elle était libre de faire ou non, mais d’y avoir renoncé brutalement sans respecter un préavis d’usage devant tenir compte des relations jusqu’alors entretenues par les parties ».
En outre, « depuis le mois de décembre 2014, la rédaction de la chaîne iTélé avait été confrontée à une vague d’indignation tant de la société civile que des journalistes de sa chaîne à la suite de la polémique suscitée par les propos de M. Zemmour, de telle sorte que la société RUBEMPRE pouvait s’attendre à ce que la chaîne ait recours moins régulièrement [à ses] interventions », ce qui était rendu possible grâce à l’insertion des termes « en principe » dans le contrat qui, même s’ils ne pouvaient pas entièrement dédouaner la SESI, lui permettaient de jouir d’une certaine latitude quant au recours aux prestations de M. Zemmour.
Ainsi, la cour valide le calcul du préjudice réalisé par le TGI, qui l’avait estimé à 50.000€, contrairement aux demandes de la société RUBEMPRE qui exigeait une indemnisation à hauteur de l’addition des sommes qui auraient dû lui être allouées par l’émission jusqu’à la fin de la saison, soit 68.200€ HT.
Quant à son prétendu préjudice économique (elle estimait que l’émission aurait pu « se prolonger encore durant au moins cinq années supplémentaires » et exigeait en conséquence la réparation de son préjudice à hauteur de 527.000€ HT, correspondant à la somme de 2.200€ par émission diffusée pendant 260 semaines), il a été considéré, aussi bien par le tribunal que par la cour, comme hypothétique, donc insusceptible de réparation.
Enfin, concernant la demande de Monsieur Zemmour relative à son prétendu préjudice moral, la cour observe que le communiqué de presse annonçant la fin de son émission était « particulièrement sobre et ne renferm[ait] aucun propos vexatoire » à son encontre et que la rédactrice en chef de la chaine avait procédé de manière non condamnable, en menant au préalable une enquête et en lui permettant de s’exprimer sur ses propos polémiques.
Sa demande est également rejetée.
Ainsi, malgré une reconnaissance de la responsabilité de la SESI, la cour d’appel a nettement limité la réparation due à ce titre, en n’allouant que 50.000€ aux appelantes, qui réclamaient au total plus d’un million d’euros.
Référence de l’arrêt : Cour d’appel de Versailles, 04 octobre 2018, n° 16/09301
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