08
octobre
2019
Publication de la mauvaise photo : atteinte à la vie privée et non diffamation
Author:
teamtaomanews
Dans un arrêt rendu le 12 septembre 2019 dont la solution est classique, la première chambre civile de la Cour de cassation a rappelé l’interprétation stricte des dispositions de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse en matière de qualification des faits et de prescription applicable.
L’arrêt oppose une personne physique, M. Farid Z, à la société détentrice du quotidien Sud-Ouest. M. Z reprochait à la publication d’avoir utilisé une photographie de sa personne pour illustrer un article publié en ligne et concernant M. Riyad K, suspecté de participation à un projet terroriste.
Après que la société a reconnu que la photographie avait été publiée par erreur, elle a été condamnée en appel sur le fondement de l’article 9 du Code civil invoqué par la partie demanderesse et qui entend protéger le respect de la vie privée en permettant au juge de « prescrire toutes mesures, telles que séquestre, saisie et autres, propres à empêcher ou faire cesser une atteinte à l’intimité de la vie privée ».
Dans le pourvoi, la société estime que le juge du fond aurait dû opérer une requalification du fondement et maintient que les dispositions de la loi du 29 juillet 1881 relatives à la diffamation et à son régime dérogatoire du droit commun auraient dû s’appliquer. Selon elle, en effet, les faits relevaient de la qualification de diffamation laquelle est caractérisée par « toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne (…) » commis par voie de la presse ou tout autre moyen de publication (article 29 de la loi de 1881). Cette requalification aurait eu pour effet de rendre l’action de M. Z prescrite par le délai de trois mois prévu à l’article 65 de la loi précitée.
La demanderesse au pourvoi considérait donc que la Cour d’appel s’était contredite dans ses motifs. En effet, il lui était reproché de ne pas avoir retenu la qualification de diffamation pour la simple raison, selon la cour, que le plaignant n’était pas identifiable sur la photographie et qu’elle ne saurait être diffamée en raison de propos tenus au sujet d’une autre personne, tout en lui ayant octroyé des dommages et intérêts sur le fondement de l’article 9 du Code civil, « au regard du préjudice moral pouvant résulter du fait d’être assimilé à M. K. compte tenu des faits alors imputés à celui-ci, dans la mesure où il était parfaitement identifiable par son entourage familial, social et professionnel ».
Néanmoins, la haute juridiction a confirmé l’arrêt de la cour d’appel retenant la qualification d’atteinte à la vie privée et rejetant par conséquent l’application du régime de prescription trimestrielle du droit de la presse.
En effet, il n’y a diffamation que si le particulier est visé, ou mentionné, de manière directe ou identifiable. L’atteinte à la personne étant, par définition, strictement personnelle, seule la personne visée a qualité à agir en diffamation. Cependant, il est important de mentionner que l’article 29 de la loi sur la liberté de la presse dispose que l’action en diffamation peut être ouverte « même si elle est faite sous forme dubitative ou si elle vise une personne ou un corps non expressément nommé, mais dont l’identification est rendue possible par les termes » utilisés. La jurisprudence a déterminé qu’il est à la charge de la victime de démontrer qu’elle est identifiable dans la publication par ses proches ou par un « cercle restreint d’initiés » (Cass. Crim., 15 nov. 2016, n°15-87241).
En l’espèce, le juge du fond a retenu à bon droit que, si la photographie de M. Z était incluse dans l’article, il n’était fait nulle mention du nom du requérant et l’article ne lui imputait aucun des faits litigieux. Dès lors, la Cour exclut la qualification de diffamation et en conclut que le régime dérogatoire en matière de prescription n’avait pas à s’appliquer.
Rappelons enfin que cet arrêt, s’il ne fait que confirmer une interprétation stricte et bien connue de la loi sur la presse, est rendu dans un contexte mouvementé. Alors que, sous le précédent quinquennat, il avait été question de sortir de la loi de 1881 toutes les dispositions relatives au racisme, ce sont précisément celles relatives à l’injure et à la diffamation qui aurait pu s’en émanciper si le projet de la Garde des sceaux, vivement contesté, n’avait été finalement enterré par le Premier ministre à l’été 2019. La loi de 1881 résiste, encore et toujours…
Willems Guiriaboye
Stagiaire
Jérémie Leroy-Ringuet
Avocat
Cour de cassation, 1e chambre civile, 12 Septembre 2019 – n°18-23108
Décision non publiée, communiquée sur demande à contact@taoma-partners.fr
07
mai
2019
Avis négatifs sur Google: liberté d’expression vs protection des données
Author:
teamtaomanews
Dans une ordonnance du 12 avril 2019, le juge des référés du TGI de Paris a refusé la suppression de la fiche Google « MyBusiness » d’une dentiste et des avis allégués de dénigrement qui y avaient été publiés par ses patients. Ce service est consultable par les utilisateurs de Google Maps qui y recherchent les coordonnées d’une entité qui y est répertoriée (de tout type : boulangerie, musée, étude de notaires, siège social de multinationale ou salle de sport…).
La dentiste avait demandé au juge des référés de considérer que la fiche et les commentaires qui y étaient publiés constituaient un traitement illicite de ses données personnelles et un trouble manifestement illicite.
Le juge des référés (après avoir rappelé que seule la société Google LLC pouvait être mise en cause et non la société Google France, qui n’est pas l’exploitante du service « MyBusiness » et donc n’est pas le responsable du traitement) a confirmé que les données servant à l’identification d’un professionnel libéral constituent bien des données à caractère personnel.
Cette solution semble contraire à une précédente ordonnance rendue par le juge des référés du même tribunal, qui avait ordonné la suppression de la fiche « MyBusiness » d’un autre dentiste pour la simple raison qu’il en souhaitait la suppression et retirait ainsi son consentement[1]. Il semble en effet contestable de considérer que des données personnelles relatives à un professionnel libéral, puissent être librement traitées par un tiers qui s’y opposerait, sous le seul prétexte qu’elles seraient disponibles sur des annuaires professionnels.
Concernant, à présent, les avis des patients sur les prestations du dentiste, le juge a indiqué que l’ »intérêt légitime d’information du consommateur » permet à Google de relier des commentaires à l’identification d’un médecin et que l’abus de la liberté d’expression relève d’autres fondements que ceux invoqués par la demanderesse, à savoir ceux offerts par la loi du 29 juillet 1881 sur la presse en cas d’injure ou de diffamation[2] et l’article 1240 du code civil permettant d’agir contre des propos dénigrants. La suppression pure et simple de la fiche contenant les avis, en vertu du droit d’opposition concédé par la loi du 6 janvier 1978 « Informatique et libertés », constituerait une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression, en tout cas lorsqu’une telle demande est formulée en référé.
La portée de cette décision en matière d’appréciation des données à caractère personnel d’un professionnel libéral devra être confirmée par la solution que retiendra le juge du fond si l’affaire se présente devant lui. Mais cette ordonnance rappelle à juste titre que les actions intentées à l’encontre de propos considérés diffamants ou injurieux doivent observer les règles prévues par la loi de 1881 et ne sauraient être fondées sur le droit des données personnelles.
[1]TGI de Paris, ordonnance de référé du 6 avril 2018
[2]Pour aller plus loin