16
octobre
2019
AOP : L’habit fait-il le fromage ?
Author:
teamtaomanews
La Cour de Cassation, dans un arrêt du 19 juin 2019 [1], a posé une question préjudicielle à la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) en matière d’Appellation d’Origine Protégée (AOP) afin de savoir si la reprise des caractéristiques physiques d’un produit protégé par une AOP peut constituer une pratique susceptible d’induire le consommateur en erreur quant à la véritable origine du produit.
Le « Morbier » est un fromage qui bénéficie d’une AOP. Le décret ayant instauré l’appellation « Morbier » le décrit notamment comme « un fromage […] de la forme de cylindre plat […] qui présente des faces planes et un talon légèrement convexe. […] La pâte est de couleur ivoire à jaune pâle avec éventuellement une raie noire centrale horizontale […] ». Une photo sera bien plus parlante :
Une société fromagère, hors de la zone géographique de l’AOP, produit un fromage dont l’apparence visuelle est identique à celle du « Morbier ».
L’organisme de Défense et de Gestion (ODG) de l’AOP « Morbier » en fait donc tout un fromage et assigne en justice cette société au motif qu’elle porte atteinte à l’AOP et commet des actes de concurrence déloyale et parasitaires du fait de la fabrication et de la commercialisation de son fromage ayant l’apparence du « Morbier ». La société fromagère créerait la confusion avec le « Morbier » et profiterait de sa notoriété.
Aussi bien le Tribunal de Grande Instance que la Cour d’Appel de Paris ont rejeté les demandes de l’ODG nous menant devant la Cour de Cassation.
La présente affaire repose en effet sur l’interprétation de l’article 13, §1 du Règlement n°1151/2012 du Parlement Européen et du Conseil du 21 Novembre 2012 relatif aux systèmes de qualités applicables aux produits agricoles et aux denrées alimentaires qui énumère les actes interdits contre les AOP comme suit :
« 1. Les dénominations enregistrées sont protégées contre : […]
d) toute autre pratique susceptible d’induire le consommateur en erreur quant à la véritable origine du produit. »
Si la protection accordée par le point d) de cet article semble large, il n’en demeure pas moins que le texte fait expressément référence à la « dénomination protégée ». Cela signifie-t-il que seul le nom « Morbier » est protégé par les textes européens ou ceux-ci doivent-ils être interprétés de manière plus large, comme interdisant également la reprise de la présentation visuelle du produit ?
Pour le Tribunal de Grande Instance et la Cour d’Appel, seule la dénomination « Morbier » est protégée. Mais la Cour de Cassation n’en est pas aussi sûre estimant que cette question est inédite et que la CJUE « ne semble pas avoir rendu de décision sur la question […] ».
Le décret ayant instauré l’appellation « Morbier » contenant des prescriptions claires et précises sur la forme caractéristique du fromage, la Cour de Cassation estime qu’il existe un doute sur l’interprétation du point d) de l’article 13 §1 et en appel donc au jugement de la CJUE.
L’habit fait-il le fromage et surtout l’AOP ? La CJUE devra en répondre dans les prochains mois ! Affaire à suivre…
Jean-Charles Nicollet
Conseil en Propriété Industrielle
[1] Lien vers la décision
08
octobre
2019
Publication de la mauvaise photo : atteinte à la vie privée et non diffamation
Author:
teamtaomanews
Dans un arrêt rendu le 12 septembre 2019 dont la solution est classique, la première chambre civile de la Cour de cassation a rappelé l’interprétation stricte des dispositions de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse en matière de qualification des faits et de prescription applicable.
L’arrêt oppose une personne physique, M. Farid Z, à la société détentrice du quotidien Sud-Ouest. M. Z reprochait à la publication d’avoir utilisé une photographie de sa personne pour illustrer un article publié en ligne et concernant M. Riyad K, suspecté de participation à un projet terroriste.
Après que la société a reconnu que la photographie avait été publiée par erreur, elle a été condamnée en appel sur le fondement de l’article 9 du Code civil invoqué par la partie demanderesse et qui entend protéger le respect de la vie privée en permettant au juge de « prescrire toutes mesures, telles que séquestre, saisie et autres, propres à empêcher ou faire cesser une atteinte à l’intimité de la vie privée ».
Dans le pourvoi, la société estime que le juge du fond aurait dû opérer une requalification du fondement et maintient que les dispositions de la loi du 29 juillet 1881 relatives à la diffamation et à son régime dérogatoire du droit commun auraient dû s’appliquer. Selon elle, en effet, les faits relevaient de la qualification de diffamation laquelle est caractérisée par « toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne (…) » commis par voie de la presse ou tout autre moyen de publication (article 29 de la loi de 1881). Cette requalification aurait eu pour effet de rendre l’action de M. Z prescrite par le délai de trois mois prévu à l’article 65 de la loi précitée.
La demanderesse au pourvoi considérait donc que la Cour d’appel s’était contredite dans ses motifs. En effet, il lui était reproché de ne pas avoir retenu la qualification de diffamation pour la simple raison, selon la cour, que le plaignant n’était pas identifiable sur la photographie et qu’elle ne saurait être diffamée en raison de propos tenus au sujet d’une autre personne, tout en lui ayant octroyé des dommages et intérêts sur le fondement de l’article 9 du Code civil, « au regard du préjudice moral pouvant résulter du fait d’être assimilé à M. K. compte tenu des faits alors imputés à celui-ci, dans la mesure où il était parfaitement identifiable par son entourage familial, social et professionnel ».
Néanmoins, la haute juridiction a confirmé l’arrêt de la cour d’appel retenant la qualification d’atteinte à la vie privée et rejetant par conséquent l’application du régime de prescription trimestrielle du droit de la presse.
En effet, il n’y a diffamation que si le particulier est visé, ou mentionné, de manière directe ou identifiable. L’atteinte à la personne étant, par définition, strictement personnelle, seule la personne visée a qualité à agir en diffamation. Cependant, il est important de mentionner que l’article 29 de la loi sur la liberté de la presse dispose que l’action en diffamation peut être ouverte « même si elle est faite sous forme dubitative ou si elle vise une personne ou un corps non expressément nommé, mais dont l’identification est rendue possible par les termes » utilisés. La jurisprudence a déterminé qu’il est à la charge de la victime de démontrer qu’elle est identifiable dans la publication par ses proches ou par un « cercle restreint d’initiés » (Cass. Crim., 15 nov. 2016, n°15-87241).
En l’espèce, le juge du fond a retenu à bon droit que, si la photographie de M. Z était incluse dans l’article, il n’était fait nulle mention du nom du requérant et l’article ne lui imputait aucun des faits litigieux. Dès lors, la Cour exclut la qualification de diffamation et en conclut que le régime dérogatoire en matière de prescription n’avait pas à s’appliquer.
Rappelons enfin que cet arrêt, s’il ne fait que confirmer une interprétation stricte et bien connue de la loi sur la presse, est rendu dans un contexte mouvementé. Alors que, sous le précédent quinquennat, il avait été question de sortir de la loi de 1881 toutes les dispositions relatives au racisme, ce sont précisément celles relatives à l’injure et à la diffamation qui aurait pu s’en émanciper si le projet de la Garde des sceaux, vivement contesté, n’avait été finalement enterré par le Premier ministre à l’été 2019. La loi de 1881 résiste, encore et toujours…
Willems Guiriaboye
Stagiaire
Jérémie Leroy-Ringuet
Avocat
Cour de cassation, 1e chambre civile, 12 Septembre 2019 – n°18-23108
Décision non publiée, communiquée sur demande à contact@taoma-partners.fr
28
juin
2019
Parodie : Le Point fait rire la Cour de cassation
Author:
teamtaomanews
Le 19 juin 2014, le journal Le Point publiait un numéro dont la Une représentait, sous l’intitulé « Corporatiste intouchables, tueurs de réforme, lepéno-cégétistes… Les naufrageurs – la France coule, ce n’est pas leur problème », un buste de Marianne à demi submergé.
Il est cependant apparu que le journal n’avait pas recherché l’autorisation de l’auteur de la sculpture apparaissant dans ce photomontage, Alain Gourdon, dit Aslan, avant de procéder à la publication. Le sculpteur étant décédé, son épouse (investie de l’ensemble de ses droits) a assigné le Point en contrefaçon. Après le rejet de sa demande par les juges du fond, c’est la Cour de Cassation qui, par un arrêt du 22 mai 2019, a définitivement mis fin aux prétentions de la demanderesse.
Dans sa décision, la Cour marque son accord avec la qualification de parodie donnée à la Une de l’hebdomadaire par la cour d’appel. En effet, l’article L122-5 du Code de la propriété intellectuelle indique que « lorsqu’une œuvre est divulguée, l’auteur ne peut interdire […] 4° la parodie, le pastiche ou la caricature, compte tenu des lois du genre », ces dernières n’étant pas définies légalement.
La Cour de Justice de l’Union Européenne[1] avait déjà apporté un éclairage sur les caractéristiques que devaient présenter une œuvre pour pouvoir être considérée comme une parodie, à savoir :
Évoquer une œuvre existante, tout en présentant des différences perceptibles par rapport à celle-ci ;
Constituer une manifestation d’humour ou une raillerie.
En revanche, elle avait souligné que la notion de « parodie » n’était pas soumise à des conditions selon lesquelles elle devrait présenter un caractère original propre, pouvoir raisonnablement être attribuée à une personne autre que l’auteur de l’œuvre originale, porter sur l’œuvre originale ou mentionner la source de l’œuvre parodiée.
S’agissant d’une notion autonome du droit de l’Union, c’est à la lumière de cette interprétation que la Cour de cassation s’est prononcée, validant la décision de la cour d’appel, qui avait relevé :
L’absence de tout risque de confusion avec l’œuvre originale, du fait des éléments propres ajoutés par le photomontage ;
L’existence d’une « métaphore humoristique du naufrage prétendu de la République » qui résultait dudit montage, peu important le caractère sérieux de l’article qu’il illustrait,
Sans chercher à savoir, en revanche, si la parodie portait sur l’œuvre elle-même, ce critère ayant été écarté par la CJUE.
Date et référence : Cour de cassation, 1ère chambre civile, 22 mai 2019, n°18-12718
Lire la décision complète sur Legifrance
[1] CJUE, 3 septembre 2014, Deckym, C-201/13