05
juillet
2021
Tintin et le temple de l’exception de parodie
Author:
teamtaomanews
L’artiste Xavier Marabout a réalisé des œuvres d’art mêlant l’univers du peintre Edward Hopper et celui de l’auteur de bande dessinée Hergé à travers la représentation du personnage de Tintin, placé dans des situations saugrenues. L’artiste a fait le choix de représenter le célèbre reporter accompagné de femmes dans des environnements austères, évoquant la mélancolie habituelle des œuvres de Hopper.
La société Moulinsart, titulaire exclusive des droits patrimoniaux de Hergé (à l’exception de l’édition des albums de bande dessinée) a constaté la vente et la commercialisation des œuvres, sur le site internet de Xavier Marabout, adaptant sans autorisation les personnages des Aventures de Tintin.
Cette dernière considérant ces actes comme contrefaisants a assigné Xavier Marabout en contrefaçon de droits d’auteur et en concurrence déloyale et parasitaire devant le Tribunal Judiciaire de Rennes (1).
La question principale abordée dans cette décision est de savoir si Xavier Marabout peut légitimement se prévaloir de l’exception de parodie. Et subsidiairement, s’il y a lieu de considérer que les actes en question sont parasitaires ou déloyaux.
Concernant la question de l’exception de parodie le Tribunal Judiciaire a rappelé le principe selon lequel lorsque l’œuvre a été divulguée, l’auteur ne peut interdire « 3° sous réserve que soient indiqués clairement le nom de l’auteur et la source ; 4° la parodie, le pastiche et la caricature, compte tenu des lois du genre ».
Xavier Marabout invoque cette exception au monopole du droit d’auteur de la société Moulinsart, sans pour autant contester avoir reproduit et adapté sans autorisation des éléments issus des Aventures de Tintin.
Dans un premier temps, le tribunal s’est livré à une analyse précise de chaque critère de l’exception de parodie :
La parodie doit permettre l’identification immédiate de l’œuvre parodiée, ce qui est le cas en l’espèce puisque les personnages de l’œuvre d’origine sont aisément identifiables.
L’œuvre parodique doit se distinguer de l’œuvre originale. En l’espèce, le choix du support – un tableau versus une bande dessinée – permet bien de distinguer l’œuvre parodique de l’œuvre originale.
L’intention humoristique doit être présente et reconnue par le public, l’austérité des œuvres de Hopper est ici plus animée et vient transcender l’impossibilité pour Tintin d’afficher ses sentiments dans des situations burlesques où des femmes aux allures de « bimbos » sont représentées. En outre, le nom des œuvres permet également de démontrer l’approche parodique de l’auteur avec un effet humoristique tel que « Moulinsart au soleil» ou « Lune de miel » faisant écho directement aux œuvres originales de Hergé.
Une absence de risque de confusion : La parodie exige une distanciation comique et un travestissement qui ne doit pas porter une atteinte disproportionnée aux œuvres de l’auteur. Les Aventures de Tintin ont connu une diffusion mondiale considérable par le nombre d’exemplaires vendus, que le public identifie aisément. Les travestissements opérés sont effectués sous forme de tableau permettant de distinguer la représentation classique sous vignette de bande dessinée habituelle de Hergé. Enfin, les inspirations de l’univers de Hopper étant indéniables par les environnements reproduits mais aussi par les titres des œuvres ne peuvent venir caractériser un risque de confusion quelconque.
Dans ces conditions, le Tribunal judiciaire en conclut que les œuvres de Xavier Marabout traduisent une forme d’hommage et accueille l’exception de parodie.
Le tribunal s’est ensuite concentré sur le fait de savoir si la démarche de Xavier Marabout ne s’inscrivait pas dans une démarche purement commerciale et mercantile, s’appropriant ainsi la valeur économique de l’œuvre de Hergé, portant de ce fait atteinte aux droits patrimoniaux de la société Moulinsart.
Faisant une appréciation très concrète des enjeux financiers en comparant les revenus générés par l’œuvre de Hergé et ceux découlant de l’exploitation des tableaux de Xavier Marabout les juges considèrent que les faits allégués de contrefaçon n’engendrent qu’une perte financière minime voire totalement hypothétique pour la société Moulinsart, qui ne peut dès lors s’opposer à la liberté de création.
En conséquence, le Tribunal judiciaire déboute la société Moulinsart de ses demandes au titre du droit d’auteurs en excluant toute faute constitutive de contrefaçon.
Pour ce qui est des demandes en concurrence déloyale ; le tribunal a noté que l’exception de parodie ne peut venir caractériser un comportement fautif parasitaire et que les activités commerciales d’exploitation des produits dérivés de l’œuvre de Tintin par la société Moulinsart ne s’adressent pas à la même clientèle que les œuvres réalisées par Xavier Marabout, et ne peuvent de ce fait constituer une concurrence déloyale.
Ainsi, cette décision parait cohérente et mesurée, notamment au regard des œuvres en question où l’empreinte de l’auteur par l’originalité de ses choix et références permettent de faire prévaloir la liberté d’expression des artistes.
Dorian Souquet
Juriste stagiaire
Anne Laporte
Avocate à la Cour
(1) Tribunal judiciaire de Rennes, 2e chambre civile, 10 Mai 2021, 17/04478 – Société Moulinsart c/ Xavier Marabout
31
mars
2020
Liberté d’expression : une décision indigeste pour les producteurs de foie gras
Author:
teamtaomanews
L214, association de protection animale habituée des tribunaux, vient d’obtenir gain de cause en appel contre une ordonnance de référé qui l’avait condamnée à supprimer sous astreinte une vidéo dénonçant les conditions de fabrication du foie gras.
L’association avait diffusé fin décembre sur les réseaux sociaux une vidéo intitulée « ça vous donne envie ? » parodiant un film publicitaire faisant la promotion du foie gras. Cette vidéo reprenait 6 secondes d’un film promotionnel de 15 secondes originellement diffusé à la télévision par le Comité national interprofessionnel des palmipèdes à foie gras (CIFOG). Ce spot aurait coûté, selon le CIFOG, 1.192.779 euros et aurait été financé pour moitié par un organisme du ministère de la culture, FranceAgriMer. La vidéo diffusée par l’association L214 présentait, à la suite des premières secondes du film publicitaire originel, des images de gavage de canards et de broyage de canetons, remplaçant le slogan « le foie gras, exceptionnel à chaque fois » par « le foie gras exceptionnellement cruel à chaque fois », et dénonçait le financement « par nos impôts » de cette publicité.
Le CIFOG a assigné l’association L214 en référé pour obtenir, notamment, l’interdiction sous astreinte de la diffusion du film « ça vous donne envie ? ». Par une ordonnance du 6 février 2019, le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris a retenu l’existence d’un trouble manifestement illicite caractérisé par l’atteinte portée aux droits d’auteur attachés au film, a interdit la diffusion de la vidéo en cause sous astreinte de 200 euros par jour d’infraction constatée et a condamné l’association aux dépens et à payer la somme de 2.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile. L’association L214 a interjeté appel de cette ordonnance.
Le CIFOG soutenait dans cette affaire que l’association L214 avait porté atteinte à ses droits sur le film en le reproduisant sans avoir participé aux investissements engagés pour sa réalisation et sa diffusion, abusant ainsi de sa liberté d’expression. L’association L214 faisait valoir pour sa part l’exercice de sa liberté d’expression et opposait au CIFOG l’exception tirée de l’article L. 122-5, 4° du Code de la propriété intellectuelle interdisant à l’auteur d’une œuvre divulguée de s’opposer à sa parodie, pastiche ou caricature.
Il s’agissait, entre autres, pour la Cour statuant en référé de déterminer si l’association avait simplement usé de sa liberté d’expression, de sorte qu’il ne pouvait lui être reproché aucune atteinte manifestement illicite aux droits du CIFOG.
Dans une de ses dernières décisions rendues avant sa fermeture pour cause de confinement, la Cour d’appel de Paris a infirmé le 13 mars 2020 l’ordonnance de référé, considérant qu’aucun trouble manifestement illicite ou dommage imminent n’était suffisamment caractérisé pour justifier de porter atteinte à la liberté d’expression telle que garantie par l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (CESDH). La Cour d’appel de Paris a d’abord relevé qu’il existait entre les premières secondes du film diffusé et sa parodie une césure claire, et que la seule atteinte à des intérêts financiers ne pouvait à elle seule justifier une restriction à la liberté d’expression.
La Cour a ensuite opéré un contrôle de proportionnalité entre la liberté d’expression et le droit d’auteur, relevant que si le droit d’auteur constitue bien une limitation à la liberté d’expression prévue par la loi, justifiée par la poursuite d’un intérêt légitime et nécessaire dans une société démocratique au sens de la CESDH, celui-ci cède devant l’exception de parodie. La Cour relevait par ailleurs à cet égard que la démonstration de l’existence et de la titularité du droit d’auteur faisait en l’espèce défaut et que l’argument n’avait pas été soulevé par l’assignation. La Cour a donc rejeté les arguments de l’intimée sur le fondement du droit d’auteur.
En définitive, aucun « besoin social impérieux » ne justifiait en l’espèce selon la Cour de « porter atteinte à la liberté d’expression de l’association L214 dont l’activité porte sur le bien-être animal ». La Cour déboute donc le CIFOG et le condamne à 3.000 euros d’article 700.
Il convient néanmoins de rester prudent quant à la portée de cette décision intervenue en référé et qui ne tranche que la question de l’existence ou non d’un trouble manifestement illicite que l’urgence commanderait de faire cesser, mais ne préjuge pas d’une éventuelle condamnation au fond.
Référence et date : Cour d’appel de Paris, Pôle 5 – chambre 2, 13 mars 2020, n° 19/04127
Lire la décision sur Doctrine.fr
28
juin
2019
Parodie : Le Point fait rire la Cour de cassation
Author:
teamtaomanews
Le 19 juin 2014, le journal Le Point publiait un numéro dont la Une représentait, sous l’intitulé « Corporatiste intouchables, tueurs de réforme, lepéno-cégétistes… Les naufrageurs – la France coule, ce n’est pas leur problème », un buste de Marianne à demi submergé.
Il est cependant apparu que le journal n’avait pas recherché l’autorisation de l’auteur de la sculpture apparaissant dans ce photomontage, Alain Gourdon, dit Aslan, avant de procéder à la publication. Le sculpteur étant décédé, son épouse (investie de l’ensemble de ses droits) a assigné le Point en contrefaçon. Après le rejet de sa demande par les juges du fond, c’est la Cour de Cassation qui, par un arrêt du 22 mai 2019, a définitivement mis fin aux prétentions de la demanderesse.
Dans sa décision, la Cour marque son accord avec la qualification de parodie donnée à la Une de l’hebdomadaire par la cour d’appel. En effet, l’article L122-5 du Code de la propriété intellectuelle indique que « lorsqu’une œuvre est divulguée, l’auteur ne peut interdire […] 4° la parodie, le pastiche ou la caricature, compte tenu des lois du genre », ces dernières n’étant pas définies légalement.
La Cour de Justice de l’Union Européenne[1] avait déjà apporté un éclairage sur les caractéristiques que devaient présenter une œuvre pour pouvoir être considérée comme une parodie, à savoir :
Évoquer une œuvre existante, tout en présentant des différences perceptibles par rapport à celle-ci ;
Constituer une manifestation d’humour ou une raillerie.
En revanche, elle avait souligné que la notion de « parodie » n’était pas soumise à des conditions selon lesquelles elle devrait présenter un caractère original propre, pouvoir raisonnablement être attribuée à une personne autre que l’auteur de l’œuvre originale, porter sur l’œuvre originale ou mentionner la source de l’œuvre parodiée.
S’agissant d’une notion autonome du droit de l’Union, c’est à la lumière de cette interprétation que la Cour de cassation s’est prononcée, validant la décision de la cour d’appel, qui avait relevé :
L’absence de tout risque de confusion avec l’œuvre originale, du fait des éléments propres ajoutés par le photomontage ;
L’existence d’une « métaphore humoristique du naufrage prétendu de la République » qui résultait dudit montage, peu important le caractère sérieux de l’article qu’il illustrait,
Sans chercher à savoir, en revanche, si la parodie portait sur l’œuvre elle-même, ce critère ayant été écarté par la CJUE.
Date et référence : Cour de cassation, 1ère chambre civile, 22 mai 2019, n°18-12718
Lire la décision complète sur Legifrance
[1] CJUE, 3 septembre 2014, Deckym, C-201/13