14
mars
2023
Pas belle la vie pour l’exécuteur testamentaire de Jean Ferrat
Author:
admingih092115
La Cour de cassation est récemment venue clore un litige de longue date opposant l’exécuteur testamentaire de Jean Ferrat et l’éditeur d’un ouvrage biographique consacré au chanteur.
Dans cette affaire, l’exécuteur testamentaire de Jean Ferrat reprochait notamment à l’éditeur de reproduire plus de 130 extraits des chansons de l’artiste.
Une telle exploitation de l’œuvre du chanteur constituait selon le demandeur une contrefaçon de droits d’auteur ainsi qu’une atteinte à l’intégrité de l’œuvre musicale.
Le demandeur est débouté de l’intégralité de ses demandes par une décision de la Cour d’appel de Paris, confirmée par la Cour de cassation dans une décision du 8 février 20231.
En effet, cette dernière considérant que :
L’exception de courte citation doit être appliquée. Chacune des citations reproduites dans l’ouvrage servant l’analyse critique de l’œuvre de Jean Ferrat permettant au lecteur d’en comprendre le sens et l’engagement de l’artiste. Ces citations ne s’inscrivant pas dans une démarche commerciale ou publicitaire mais étant justifiées par le caractère pédagogique du livre en cause ;
Le texte et la musique d’une chanson relevant de genres différents et étant dissociables, le seul fait que le texte ait été séparé de la musique ne portait pas nécessairement atteinte au droit moral de l’auteur.
Une analyse critique d’une œuvre d’un auteur peut donc conduire à l’exception de courte citation, mettant en échec une action en contrefaçon, surtout si l’objectif est pédagogique.
Des questions sur vos droits d’auteur et leur protection ? Les équipes de TAoMA sont à votre disposition pour en discuter !
Émeline JET
Élève-avocate
Jade de Lumley Woodyear
Stagiaire juriste
Anne Laporte
Avocate
(1) 8 février 2023, Cour de cassation, Pourvoi n° 21-23.976 : pour lire la décision
05
juillet
2021
Tintin et le temple de l’exception de parodie
Author:
teamtaomanews
L’artiste Xavier Marabout a réalisé des œuvres d’art mêlant l’univers du peintre Edward Hopper et celui de l’auteur de bande dessinée Hergé à travers la représentation du personnage de Tintin, placé dans des situations saugrenues. L’artiste a fait le choix de représenter le célèbre reporter accompagné de femmes dans des environnements austères, évoquant la mélancolie habituelle des œuvres de Hopper.
La société Moulinsart, titulaire exclusive des droits patrimoniaux de Hergé (à l’exception de l’édition des albums de bande dessinée) a constaté la vente et la commercialisation des œuvres, sur le site internet de Xavier Marabout, adaptant sans autorisation les personnages des Aventures de Tintin.
Cette dernière considérant ces actes comme contrefaisants a assigné Xavier Marabout en contrefaçon de droits d’auteur et en concurrence déloyale et parasitaire devant le Tribunal Judiciaire de Rennes (1).
La question principale abordée dans cette décision est de savoir si Xavier Marabout peut légitimement se prévaloir de l’exception de parodie. Et subsidiairement, s’il y a lieu de considérer que les actes en question sont parasitaires ou déloyaux.
Concernant la question de l’exception de parodie le Tribunal Judiciaire a rappelé le principe selon lequel lorsque l’œuvre a été divulguée, l’auteur ne peut interdire « 3° sous réserve que soient indiqués clairement le nom de l’auteur et la source ; 4° la parodie, le pastiche et la caricature, compte tenu des lois du genre ».
Xavier Marabout invoque cette exception au monopole du droit d’auteur de la société Moulinsart, sans pour autant contester avoir reproduit et adapté sans autorisation des éléments issus des Aventures de Tintin.
Dans un premier temps, le tribunal s’est livré à une analyse précise de chaque critère de l’exception de parodie :
La parodie doit permettre l’identification immédiate de l’œuvre parodiée, ce qui est le cas en l’espèce puisque les personnages de l’œuvre d’origine sont aisément identifiables.
L’œuvre parodique doit se distinguer de l’œuvre originale. En l’espèce, le choix du support – un tableau versus une bande dessinée – permet bien de distinguer l’œuvre parodique de l’œuvre originale.
L’intention humoristique doit être présente et reconnue par le public, l’austérité des œuvres de Hopper est ici plus animée et vient transcender l’impossibilité pour Tintin d’afficher ses sentiments dans des situations burlesques où des femmes aux allures de « bimbos » sont représentées. En outre, le nom des œuvres permet également de démontrer l’approche parodique de l’auteur avec un effet humoristique tel que « Moulinsart au soleil» ou « Lune de miel » faisant écho directement aux œuvres originales de Hergé.
Une absence de risque de confusion : La parodie exige une distanciation comique et un travestissement qui ne doit pas porter une atteinte disproportionnée aux œuvres de l’auteur. Les Aventures de Tintin ont connu une diffusion mondiale considérable par le nombre d’exemplaires vendus, que le public identifie aisément. Les travestissements opérés sont effectués sous forme de tableau permettant de distinguer la représentation classique sous vignette de bande dessinée habituelle de Hergé. Enfin, les inspirations de l’univers de Hopper étant indéniables par les environnements reproduits mais aussi par les titres des œuvres ne peuvent venir caractériser un risque de confusion quelconque.
Dans ces conditions, le Tribunal judiciaire en conclut que les œuvres de Xavier Marabout traduisent une forme d’hommage et accueille l’exception de parodie.
Le tribunal s’est ensuite concentré sur le fait de savoir si la démarche de Xavier Marabout ne s’inscrivait pas dans une démarche purement commerciale et mercantile, s’appropriant ainsi la valeur économique de l’œuvre de Hergé, portant de ce fait atteinte aux droits patrimoniaux de la société Moulinsart.
Faisant une appréciation très concrète des enjeux financiers en comparant les revenus générés par l’œuvre de Hergé et ceux découlant de l’exploitation des tableaux de Xavier Marabout les juges considèrent que les faits allégués de contrefaçon n’engendrent qu’une perte financière minime voire totalement hypothétique pour la société Moulinsart, qui ne peut dès lors s’opposer à la liberté de création.
En conséquence, le Tribunal judiciaire déboute la société Moulinsart de ses demandes au titre du droit d’auteurs en excluant toute faute constitutive de contrefaçon.
Pour ce qui est des demandes en concurrence déloyale ; le tribunal a noté que l’exception de parodie ne peut venir caractériser un comportement fautif parasitaire et que les activités commerciales d’exploitation des produits dérivés de l’œuvre de Tintin par la société Moulinsart ne s’adressent pas à la même clientèle que les œuvres réalisées par Xavier Marabout, et ne peuvent de ce fait constituer une concurrence déloyale.
Ainsi, cette décision parait cohérente et mesurée, notamment au regard des œuvres en question où l’empreinte de l’auteur par l’originalité de ses choix et références permettent de faire prévaloir la liberté d’expression des artistes.
Dorian Souquet
Juriste stagiaire
Anne Laporte
Avocate à la Cour
(1) Tribunal judiciaire de Rennes, 2e chambre civile, 10 Mai 2021, 17/04478 – Société Moulinsart c/ Xavier Marabout
12
octobre
2020
Pas de marque pour Banksy!
Author:
teamtaomanews
« FLOWER THROWER » (Le lanceur de fleur) du célèbre artiste anonyme Banksy est sans doute l’une de ses œuvres les plus connues. Cette œuvre, qui avait été protégée à titre de marque auprès de l’Office de l’Union Européenne pour la Propriété Intellectuelle (EUIPO) vient d’être déclarée nulle sur le fondement de la mauvaise foi.
En effet, en 2014, la société Pest Control Office Limited, venant aux droits de l’artiste Banksy afin de masquer sa véritable identité, avait procédé au dépôt de la marque figurative du célèbre graffiti « FLOWER THROWER » pour divers produits et services, dont notamment les vêtements, les activités culturelles… :
(Marque de l’Union Européenne No. 12575155)
En 2019, la société britannique Full Color Black Limited, qui est spécialisée dans la fabrication de cartes de vœux et qui souhaitait utiliser l’œuvre pour ses produits, a introduit auprès de l’EUIPO une action en nullité contre cette marque sur le fondement de la mauvaise foi.
Pour rappel, le Règlement sur la marque de l’Union Européenne prévoit que la nullité d’une marque de l’Union européenne peut être déclarée, notamment, « lorsque le demandeur était de mauvaise foi lors du dépôt de la demande de marque » [1]. Selon la jurisprudence de l’Union Européenne, la mauvaise foi s’applique lorsqu’il « ressort d’indices pertinents et concordants que le titulaire d’une marque de l’Union Européenne a introduit la demande d’enregistrement de cette marque non pas dans le but de participer de manière loyale au jeu de la concurrence mais avec l’intention de porter atteinte, d’une manière non conforme aux usages honnêtes, aux intérêts de tiers, ou avec l’intention d’obtenir, sans même viser un tiers en particulier, un droit exclusif à des fins autres que celles relevant des fonctions d’une marque, notamment de la fonction essentielle d’indication d’origine » [2].
Or, en l’espèce, la société britannique Full Color Black Limited considérait que le dépôt de la marque reproduisant l’œuvre « FLOWER THROWER » avait été déposée de mauvaise foi dans la mesure où Banksy n’avait aucunement l’intention de l’utiliser en tant qu’indication d’origine des produits et services visés, mais pour contourner son incapacité à se prévaloir d’un autre droit de propriété intellectuelle, le droit d’auteur notamment, en raison de son anonymat.
En réponse, Banksy arguait notamment que le signe litigieux avait fait l’objet d’un commencement d’exploitation pour les produits en cause en 2019, via l’ouverture d’une boutique en ligne, bien que selon ses propres mots, rapportés dans un certain nombre de publications, une telle exploitation avait été réalisée dans le seul but de contourner l’obligation d’usage à laquelle était soumise sa marque de l’Union européenne.
Par décision du 14 septembre 2020, la Division de l’Annulation de l’EUIPO a reconnu que le dépôt de la marque reproduisant l’œuvre « FLOWER THROWER » avait été effectué de mauvaise foi et l’a, en conséquence, déclarée nulle.
Pour arriver à cette conclusion, l’EUIPO s’est notamment fondée sur deux éléments :
Banksy n’a, lors du dépôt, eu aucunement l’intention d’utiliser la marque en cause pour les produits et services visés. Les seuls usages identifiés ont été réalisés qu’une fois la procédure d’annulation initiée et ce, dans le but de contourner les exigences du droit des marques ;
Banksy, du fait de son anonymat, mais également d’autres circonstances indépendantes au droit des marques, ne peut valablement prétendre à la protection par le droit d’auteur. Le dépôt de la marque en cause a été réalisé avec pour seul objectif de s’approprier des droits sur un signe pour lequel Banksy ne pouvait se prévaloir des droits d’auteur.
Cette décision, tout en reprécisant la notion de « mauvaise foi » en matière de marque, vient donc rappeler qu’il est impératif d’avoir l’intention de faire usage de sa marque pour les produits et services visés et ce, conformément à la fonction d’indication d’origine.
Or, tel n’était pas le cas concernant la marque reproduisant l’œuvre « FLOWER THROWER » et, fort probablement, pour les autres marques déposées par la société liées à Banksy reproduisant ses autres œuvres, dont la plus célèbre n’est autre que « GIRL WITH BALLON » (Petite fille au ballon). Cette décision pourrait donc avoir de très lourdes conséquences sur les droits de Banksy sur ses œuvres.
Baptiste Kuentzmann
Juriste
[1] Article 59(1)(b) du Règlement (UE) 2017/1001 sur la marque de l’Union européenne « 1. La nullité de la marque de l’Union européenne est déclarée, sur demande présentée auprès de l’Office ou sur demande reconventionnelle dans une action en contrefaçon : b) lorsque le demandeur était de mauvaise foi lors du dépôt de la demande de marque »
[2] Cour de Justice de l’Union Européenne, affaire C-104/18 P, STYLO & KOTON (fig.), §46
18
juillet
2019
« FACK JU GÖHTE »: Mieux vaut une insulte qu’un désordre ?
Author:
teamtaomanews
Le signe « FACK JU GÖHTE », qui est également le titre d’une comédie allemande à succès, peut-il être enregistré à titre de marque de l’Union Européenne ?
En 2015, la société Constantin Film Produktion GmbH a déposé auprès de l’Office de l’Union Européenne pour la Propriété Intellectuelle (EUIPO), une demande d’enregistrement de la marque verbale « FACK JU GÖHTE », correspondant au titre d’un film, pour divers produits et services de la vie quotidienne. Cette demande de marque a été rejetée au motif que le signe « FACK JU GÖHTE » était contraire à l’Article 7, paragraphe 1, sous f) du Règlement n°207/2009 [1], soit contraire à l’ordre public et aux bonnes mœurs. L’EUIPO considérait que les termes « FACK JU » étaient prononcés de la même manière que l’expression anglaise « FUCK YOU » et que le signe constituait donc une marque de mauvais goût, offensante et vulgaire par laquelle l’écrivain Johann Wolgang von Goethe était insulté à titre posthume.
En 2017, Constantin Film Produktion GmbH a introduit devant le Tribunal de l’Union Européenne (TUE) un recours en annulation de la décision de l’EUIPO. Par un arrêt en date du 24 janvier 2018, le TUE rejeta ce recours.
Constantin Film Produktion GmbH saisit alors la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) d’un pourvoi dirigé contre cette décision en alléguant d’erreurs dans l’interprétation et l’application du Règlement (CE) n°207/2009 sur la marque communautaire, qui exclut de l’enregistrement les marques « contraires à l’ordre public ou aux bonnes mœurs », ainsi que d’une violation des principes de l’égalité de traitement, de sécurité juridique et de bonne administration.
Le 2 juillet dernier, l’Avocat général Bobek a présenté ses conclusions et recommande à la CJUE d’annuler l’arrêt du Tribunal, ainsi que la décision de l’EUIPO.
En effet, l’Avocat général observe dans un premier temps que contrairement à l’affirmation du TUE selon laquelle « il est constant qu’il existe, dans le domaine de l’art, de la culture et de la littérature, un souci constant de préserver la liberté d’expression qui n’existe pas dans le domaine des marques », la liberté d’expression a vocation à s’appliquer en droit des marques, même si sa protection n’est pas l’objectif principal poursuivi par le droit des marques.
Il souligne également que les notions « d’ordre public » et « bonnes mœurs » présentent des différences conceptuelles certaines, dont il faut tenir compte dans l’application de l’Article 7, paragraphe 1, sous f) du Règlement n°207/2009. La notion « d’ordre public » correspondrait à une vision normative de valeurs et d’objectifs, définie par les autorités publiques compétentes, à travers des sources officielles du droit et des documents de politique, tandis que les « bonnes mœurs » feraient référence à des valeurs et croyances auxquelles une société adhère à un moment donné, définies et appliquées par le consensus social prévalant dans une société à une moment donné. Ainsi, la principale différence entre ces deux notions réside dans la façon dont elles sont établies et déterminées. Alors que « l’ordre public » peut être déterminé de manière objective, par référence aux lois, aux politiques publiques et aux déclarations officielles, les principes moraux doivent être appréciés au regard d’un contexte social précis, ce qui suppose de prendre en considération la perception de la société à un moment précis.
Par conséquent, le motif absolu de refus d’enregistrement tiré des « bonnes mœurs » doit être apprécié au regard de la perception du public pertinent, en tenant compte des éléments de fait propres à l’espèce.
Or, selon l’Avocat général, l’EUIPO, ainsi que le TUE, n’auraient pas tenu compte de ces principes dans l’appréciation du signe « FACK JU GÖHTE », ignorant le contexte plus large dans lequel la marque avait été déposée, à savoir le succès du film lors de sa sortie, l’absence de controverse à propos de son titre, le fait que son visionnage ait été autorisé à un public jeune et que l’Institut Goethe s’en sert à des fins pédagogiques.
Enfin, l’Avocat général a souligné que l’EUIPO s’était écarté de sa jurisprudence sans explication cohérente. En effet, dans le cadre de l’affaire « Die Wanderhure » (i.e. : La Catin), qui était également le titre d’une œuvre littéraire allemande et de son adaptation cinématographique, la chambre de recours de l’EUIPO avait considéré que le succès du film démontrait que le public n’avait pas été choqué ni par l’œuvre littéraire, ni par le titre. Ainsi, compte tenu des similitudes entre les contextes, l’EUIPO aurait dû fournir une explication plausible à l’adoption de solutions différentes dans ces deux affaires.
La CJUE qui commence à présent à délibérer dans cette affaire, n’est toutefois pas liée par les conclusions de l’Avocat général. Elle pourrait se ranger du côté de Constantin Film Produktion GmbH, et donc de l’Avocat général Bobek, et suivre les traces de son homologue américain, la Cour Suprême des États-Unis qui, pour rappel, a récemment reconnu la validité de la marque « FUCT », sur le fondement de la liberté d’expression (lire notre TAoMA News).
Lire les conclusions de l’Avocat général Bobek sur le site CURIA.
[1] l’Article 7, paragraphe 1, sous f) du Règlement n°207/2009 : « 1. Sont refusés à l’enregistrement : (…) f) les marques qui sont contraires à l’ordre public ou aux bonnes mœurs (…) »
19
mars
2019
Le vrai du faux de l’article 13
Author:
teamtaomanews
Mise à Jour du 27 mars 2019 suite à l’adoption de la Directive par le Parlement européen le 26 mars 2019
La directive « droit d’auteur », proposée par la Commission le 14 septembre 2016, vient d’être votée dans une version modifiée et définitive par le Parlement européen le 26 mars 2019. Nous faisons le point sur ce que dit « l’article 13 », devenu article 17, et sur les peurs qu’il a suscitées.
Comme toute directive, le texte qui vient d’être adopté par le Parlement européen devra être transposé dans le droit national des 28 (ou 27 ?) États Membres et ne sera pas applicable tel quel (contrairement aux règlements, comme le RGPD qui n’a pas eu besoin de transposition). La directive ne fait que fixer des buts à atteindre et laisse aux États Membres les moyens de parvenir à ces buts (par exemple, en imposant l’utilisation de logiciels de filtrage automatique, ou non).
Cette directive, tout au long du processus de négociations qui a duré deux ans et demi, a suscité de multiples inquiétudes et nous avons souhaité faire le point sur ce qu’elle implique, en examinant chacune des craintes et interrogations qui se sont répandues sur la toile, en particulier au sujet du fameux « article 13 » qui est devenu, dans la version finale, l’article 17 mais qui est passé à la postérité sous son numéro 13.
C’est quoi, l’article 13 ?
L’article 13, devenu 17, de la directive prévoit :
La fin du statut protecteur de l’hébergeur de contenu étendu par la jurisprudence européenne des FAI aux plateformes : plus de safe harbor, qui permettait aux hébergeurs de ne pas voir leur responsabilité engagée en cas de prompt retrait du contenu litigieux, mais une responsabilité a priori;
Une rémunération des auteurs encadrée par des contrats de licence facultatifs pour les ayants droit (point 1 de l’article) ;
Quand les ayants droit ne souhaitent pas conclure d’accord global, une obligation de coopération pour les plateformes, qui seraient ainsi obligées de supprimer le contenu litigieux (point 4) ;
Lorsqu’aucune autorisation n’a été accordée par les ayants droit, les hébergeurs sont tenus responsables de la communication du contenu litigieux sauf s’ils démontrent qu’ils ont : tout fait pour obtenir l’autorisation, ont déployé tous les efforts pour assurer l’indisponibilité de l’œuvre spécifique et qu’ils ont agi avec diligence pour supprimer ou interdire l’accès à l’œuvre après avoir reçu notification par les titulaires des droits. Il sera fait application du principe de proportionnalité afin de déterminer si les hébergeurs ont respecté leur obligation de coopération notamment au regard de l’audience, de la taille du service, du type d’œuvres téléchargées par les utilisateurs, des moyens efficaces et de leur coût pour l’hébergeur.
La possibilité pour les utilisateurs dont le contenu a été retiré de contester ce retrait au moyen d’une procédure de recours interne (point 8)
Une obligation de filtrage préalable à laquelle n’échappent que les plateformes âgées de moins de trois ans, réalisant moins de 10 millions d’euros de chiffre d’affaire annuel. Lorsque ces plateformes attirent plus de 5 millions d’utilisateurs, elles devront également démontrer qu’elles ont réalisé les efforts substantiels pour empêcher le téléchargement des œuvres pour lesquelles les auteurs avaient communiqué les éléments pertinents (point 4aa).
Ça va encore compliquer la vie des PME, comme le RGPD ?
Le Parlement européen a allégé la charge prévue initialement par la Commission pour les PME qui n’auront pas à mettre en œuvre de mesure de blocage automatique même en présence d’accords de licence négociés avec les ayants droit (point 7). En revanche, les plus petites plateformes seront obligées d’accepter de signer des accords de licence.
Est-ce que je prendrai des risques en faisant apparaître des marques dans mes vidéos ?
Non, rien ne change en matière de marques. La directive ne concerne que le droit d’auteur. Elle ne change rien au fait qu’il est déjà possible, sans engager sa responsabilité, de faire apparaître, volontairement ou non, un objet portant une marque protégée, dans le contenu mis en ligne. C’est par exemple le cas de cette célèbre marque de vêtements dans une vidéo de Norman Thavaud. L’utilisation qui est faite de la marque n’est pas « dans la vie des affaires » : elle ne constitue donc pas une contrefaçon.
Et les œuvres protégées par le droit d’auteur ? Va-t-il être désormais interdit de les montrer, même dans un coin de l’image ou pendant une fraction de seconde ?
Contrairement au projet rédigé par la Commission, la version modifiée puis votée par le Parlement précise que les exceptions au droit d’auteur empêcheront l’application de l’article 13. Par conséquent, il sera toujours possible, comme c’est le cas aujourd’hui, de :
Reproduire le bref extrait d’une œuvre à titre illustratif d’un propos plus général (citer une phrase d’un roman, montrer l’extrait d’une pièce de théâtre, utiliser quelques secondes d’une chanson…), comme c’est le cas pour cet extrait du film Le Cinquième Élément dans la même vidéo de Norman Thavaud ;
Faire figurer une œuvre protégée au sein d’un ensemble plus vaste, par exemple la Pyramide du Louvre de Ieoh Ming Pei (œuvre architecturale encore protégée) dans une vidéo tournée dans Paris ou un personnage de Walt Disney sur un poster figurant en arrière-plan de la vidéo d’un youtubeur dès lors que ces œuvres ne sont pas l’objet principal du contenu mis en ligne (exception « de panorama » ou « d’inclusion fortuite ») ;
Détourner une œuvre pour s’en moquer, la parodier, ou produire un contenu humoristique (exception de parodie), comme cette vidéo des Guignols de l’info parodiant une chanson de Stromae ;
Et bien sûr, il reste possible d’utiliser librement des œuvres appartenant au domaine public, c’est-à-dire dont l’auteur ou le dernier coauteur survivant est mort depuis au moins 70 années écoulées avant le 1er janvier de l’année en cours (hors cas particuliers).
J’ai entendu dire que l’article 13, c’est le retour de la censure…
Dès lors que les exceptions au droit d’auteur sont préservées, la directive n’aura aucunement pour effet de « censurer » les uploadeurs. En revanche, les mesures de surveillance des œuvres protégées seront peut-être plus efficaces et donneront lieu à davantage de retraits de contenu : mais ces retraits seront justifiés par des infractions au droit d’auteur.
Le droit d’auteur est certes une limite à la liberté d’expression puisqu’il est, par exemple, interdit de mettre en ligne un film n’appartenant pas au domaine public sans l’autorisation des ayants droit. Mais il ne s’agit pas à proprement parler de « censure » car cette limite à la liberté d’expression est inscrite dans la loi et dans les droits fondamentaux et constitutionnels (par l’article 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, notamment). Le terme de « censure » impliquant l’idée d’une intervention arbitraire, il est ici incorrect – sauf si les craintes suscitées par « Content ID » se révélaient justifiées, voir dernière question ci-dessous.
Est-ce vrai que les memes seront interdits ?
Les memes sont ces détournements parodiques qui incluent potentiellement des œuvres protégées, comme par exemple ce détournement du personnage OSS117 en référence à une phrase prononcée par l’actuel président de la République :
Une telle image utilise donc un extrait d’une œuvre protégée (OSS117 : Le Caire, nid d’espions) et le détourne par l’ajout d’un texte qui n’en provient pas mais qui suggère un rapprochement. A première vue, cette image enfreint donc le droit moral des ayants droit (absence de mention de l’auteur de l’image, modification non autorisée de l’œuvre) ainsi que leurs droit patrimoniaux (absence d’autorisation de la reproduction de l’œuvre, absence de rémunération).
Pourtant, ce meme n’est pas une contrefaçon car les exceptions au droit d’auteur empêchent les ayants droit du film d’en demander la suppression : l’image est utilisée à des fins parodiques, Emmanuel Macron étant comparé à Hubert Bonisseur de la Bath.
Les memes ne sont donc pas mis en danger par la directive, en droit.
Mais si les exceptions restent en vigueur, qu’est-ce qui va changer ?
Si les exceptions au droit d’auteur ne sont pas supprimées par la directive, cela implique tout d’abord que les plateformes n’auront pas la tâche démesurée de retirer tous les contenus utilisant des œuvres grâce à ces exceptions !
Ce qui va surtout changer, c’est le mode de rémunération des ayants droit qui seraient payés, via les accords de licence ou les accords au cas par cas, à la fois par YouTube et par l’uploadeur alors que, jusqu’à présent, seul ce dernier rémunère les auteurs des œuvres qu’il utilise dans sa contribution, sur les revenus dégagés par la publicité et que lui reverse YouTube. C’est une des raisons pour lesquelles les plateformes s’opposent à l’article 13.
Ensuite, il est vrai que les changements ne seront peut-être pas très visibles pour les uploadeurs ou les utilisateurs. Ainsi, les grandes plateformes ont déjà mis en place, depuis des années, notamment en France, des systèmes leur permettant de filtrer le contenu protégé, ne serait-ce qu’en surveillant par mots-clés le contenu mis en ligne, mais aussi en recourant à des robots ; elles suppriment également du contenu qui leur a été signalé comme contrefaisant par les ayants droit en-dehors de tout accord de licence ; elles ont enfin déjà instauré des procédures de contestation par les uploadeurs des mesures de retrait opérées contre leur contenu.
Par exemple, YouTube (propriété de Google) propose une procédure en ligne de notification d’atteinte aux droits d’auteur, mais aussi une procédure de contestation de la demande de retrait.
De même, YouTube a déjà prévu un formulaire de contestation contre le blocage automatique d’une vidéo par le logiciel « Content ID » et même une possibilité de faire appel contre la confirmation du retrait suite à la contestation (même lien). YouTube a donc anticipé sur l’application de l’article 13.
Enfin, certains utilisateurs avertis contournent les mesures de blocage automatique en empêchant la reconnaissance automatique des données contenues dans les vidéos qu’ils mettent en ligne : la bataille technologique ne concerne certes pas le gros des troupes des utilisateurs mais elle a une nette avance, comme toujours, sur l’évolution juridique.
Comment ce robot de blocage automatique, « Content ID », fonctionne-t-il ?
C’est un robot capable de repérer qu’un YouTubeur essaie de mettre en ligne un film dont les ayants droit ont expressément demandé la protection, ou bien un extrait de ce film. Ainsi, si un utilisateur de YouTube essaie de mettre en ligne sur sa chaîne le dernier film commercialisé par Warner ou par Universal et que ces sociétés ont demandé à bénéficier des services de Content ID, la mise en ligne est automatiquement bloquée. Il aura le même problème s’il a inclus un extrait de ce film dans sa propre vidéo.
Le problème suscité par ce blocage automatique est sa coexistence avec l’exception de courte citation et avec l’exception de parodie. En effet, les ayants droit ont la possibilité d’encadrer par défaut la durée autorisée des extraits. C’est pour cela, justement, que les procédures de contestation ont été prévues. Mais comme ces procédures sont très favorables aux ayants droit, l’uploadeur n’a plus que la seule option de saisir les tribunaux judiciaires pour faire condamner l’atteinte à sa liberté d’expression.
Il bien sûr impossible pour ce robot de répertorier la totalité des œuvres audiovisuelles protégées (films, émissions, clips, etc.) et musicales. Dès lors, le blocage automatique ne pourra concerner qu’une petite partie des œuvres protégées.
La crainte majeure pour les plateformes est que le blocage automatique soit imposé dans le cadre des accords de licence comme une obligation de résultat et non comme une obligation de moyens : dans le premier cas, elles seraient responsables si leurs robots ne détectent pas l’utilisation non autorisée d’une œuvre protégée ; dans le second, elles pourraient se dédouaner si elles démontrent avoir tout fait pour assurer le blocage automatique avec les outils technologiques et les moyens humains qui sont les leurs.
Gaëlle Loinger-Benamran
Associée
Conseil en Propriété Industrielle
et
Jérémie Leroy-Ringuet
Avocat à la Cour
22
novembre
2018
Pas de droit d’auteur pour la saveur d’un produit alimentaire
Author:
teamtaomanews
Les Juridictions nationales se penchent régulièrement sur la définition des œuvres susceptibles d’être protégées par le droit de la propriété intellectuelle. Après l’odeur d’un parfum, à qui les juges néerlandais semblent accorder une protection par le droit d’auteur, alors que la jurisprudence française y est plutôt opposée, il est ici question du goût d’un produit alimentaire.
La CJUE vient de rendre une décision très claire sur l’absence d’appropriation par le droit d’auteur des saveurs gustatives.
La société néerlandaise Levola s’était fait céder les « droits de propriété intellectuelle » sur un fromage à tartiner à la crème fraîche et aux fines herbes (le « Heksenkaas »).
Ayant découvert qu’un concurrent (la société Smilde) fabriquait pour une chaine de supermarchés un fromage (le « Witte Wievenkaas ») qu’elle jugeait similaire au sien, Levola l’a assignée pour atteinte à ses droits d’auteur sur la « saveur » du Heksenkaas.
Au cours de la procédure judiciaire, la cour d’appel d’Arnhem-Leuvarde a saisi la CJUE d’une question préjudicielle portant, en substance, sur la possibilité pour le goût d’un produit alimentaire de bénéficier de la protection par le droit de la propriété intellectuelle.
La Cour rappelle que les droits exclusifs dont jouissent les auteurs aux termes de la directive 2001/29 sur le droit d’auteur portent sur des « œuvres » et que ces droits souffrent d’exceptions et de limitations, également prévues par ledit texte.
Elle précise ensuite que, pour qu’un objet puisse revêtir la qualification d’œuvre, il importe que soient réunies deux conditions cumulatives :
1. L’objet concerné doit être original, en ce sens qu’il constitue une création intellectuelle propre à son auteur => ce point n’est pas en débat en l’espèce ;
2. La qualification d’œuvre est réservée aux éléments qui sont l’expression d’une telle création intellectuelle.
En s’appuyant sur divers textes internationaux auxquels l’Union européenne est tenue de se conformer, la juridiction indique que « les œuvres littéraires et artistiques comprennent toutes les productions du domaine littéraire, scientifique et artistique, quel qu’en soit le mode ou la forme d’expression » et que « ce sont les expressions et non les idées, les procédures, les méthodes de fonctionnement ou les concepts mathématiques, en tant que tels, qui peuvent faire l’objet d’une protection au titre du droit d’auteur ».
Elle en conclut que la notion d’œuvre « implique nécessairement une expression de l’objet de la protection au titre du droit d’auteur qui le rende identifiable avec suffisamment de précision et d’objectivité, quand bien même cette expression ne serait pas nécessairement permanente ».
En effet, la Cour rappelle qu’il est essentiel que les autorités chargées de veiller au respect des droits d’auteur, mais également les particuliers (notamment les concurrents de titulaires de droits) soient en mesure de connaître avec clarté et précision les objets ainsi protégés et que tout élément de subjectivité soit écarté dans le processus d’identification de l’objet protégé. Ainsi, ce dernier doit pouvoir faire l’objet d’une expression précise et objective. Cette exigence répond notamment aux questions qui était posée par la juridiction de renvoi, qui se demandait comment faire valoir ses droits devant les juridictions (faudrait-il que le juge déguste un produit pour vérifier s’il peut être protégé ? Que les choix créatifs de l’« auteur » soient décrits ? Comment la similitude avec un autre produit pourrait être établie ? etc.).
Or, la Cour souligne que « la possibilité d’une identification précise et objective fait défaut en ce qui concerne la saveur d’un produit alimentaire [puisqu’elle] repose essentiellement sur des sensations et des expériences gustatives qui sont subjectives et variables [qui] dépendent, notamment, de facteurs liés à la personne qui goûte le produit concerné […] ainsi que de l’environnement ou du contexte dans lequel ce produit est goûté.
En outre, une identification précise et objective de la saveur d’un produit alimentaire, qui permette de la distinguer de la saveur d’autres produits de même nature, n’est pas possible par des moyens techniques en l’état actuel du développement scientifique ».
En conséquence, la CJUE décide que la saveur d’un produit alimentaire ne peut pas être qualifiée d’œuvre et que le droit de l’Union s’oppose à ce qu’une législation nationale soit interprétée de manière à lui accorder une protection par le droit d’auteur.
Si l’issue de cette affaire n’est pas particulièrement surprenante, l’exigence d’une formalisation étant souvent rappelée, tout du moins par les juridictions françaises, elle permet de rappeler la difficile protection des saveurs, qui peinent également à remplir les critères de validité des marques (cf. CA Paris, 4ème chambre, section B, 03 octobre 2003 : « la marque constituée par le goût suivant : ‘’arôme artificiel de fraise’’ ne remplit en aucun cas les critères de précision et d’objectivité requis [et ne peut pas être enregistrée] »).
Référence et date : Cour de Justice de l’Union Européenne, 13 novembre 2018, dans l’affaire n° C‑310/17
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