06
août
2024
L’IA à l’épreuve du sacro-saint droit d’auteur, quand le Géant de la musique américaine s’attaque aux petits nouveaux de l’IA
La Recording Industry Association of America (RIAA) a récemment engagé une action judiciaire contre deux jeunes startups américaines, Suno et Udio, pour violation du droit d’auteur. Ces entreprises se spécialisent dans la génération de musique par l’intelligence artificielle (IA), un domaine en pleine expansion mais qui soulève d’importantes questions juridiques, notamment en matière de droits d’auteur.
Les Acteurs en Présence
Suno et Udio sont deux startups qui exploitent des technologies d’IA pour créer de la musique s’inspirant d’œuvres existantes, ce qui vient poser la question de la violation potentielle des droits d’auteur des œuvres dites sources.
La Recording Industry Association of America (RIAA), pour sa part, est une organisation qui représente les intérêts de l’industrie musicale américaine, en particulier ceux des maisons de disques et des artistes, et qui œuvre à la protection de leurs droits d’auteur. Elle inclut notamment des organismes bien connus comme Universal Music Group, Sony Music Entertainment, et Warner Music Group.
Les Revendications de la RIAA
La RIAA accuse Suno et Udio d’utiliser des œuvres protégées par le droit d’auteur pour entraîner leurs algorithmes d’IA sans autorisation préalable. Elles sont accusées d’avoir copié des chansons pour entraîner leurs systèmes, produisant ainsi des morceaux similaires à ceux des artistes humains. Suno et Udio auraient permis à leurs utilisateurs de recréer des éléments de chansons célèbres, telles que « All I Want for Christmas Is You » de Mariah Carey, et de générer des voix impossibles à distinguer de celles de Michael Jackson ou ABBA. Selon la RIAA, cette pratique constitue une violation directe des droits d’auteur des artistes et des maisons de disques.
Les labels américains demandent donc aux tribunaux fédéraux de New York et du Massachusetts de :
• Faire cesser l’utilisation illégale des œuvres protégées, ce qui conduirait à interdire à Suno et Udio de poursuivre l’utilisation d’œuvres protégées, sans obtenir les licences nécessaires au préalable.
• D’obtenir des dédommagements pécuniers pour les préjudices subis, pouvant atteindre 150 000 dollars par chanson copiée. Cette indemnisation financière serait justifiée par les dommages causés par l’utilisation non autorisée des œuvres protégées. Suno est accusée d’avoir copié 662 chansons et Udio 1 670 titres.
• Plus généralement, de réglementer l’utilisation de l’IA dans la création musicale. Est demandé ici l’établissement de nouvelles directives pour garantir aux artistes et maisons de disques que les futures utilisations de l’IA respectent les droits d’auteur.
Les moyens de défense de Suno et Udio
Face à ces accusations, Suno et Udio avancent plusieurs arguments pour leur défense :
• L’innovation technologique et la liberté de création : Les startups soutiennent que leur technologie représente une avancée significative dans la création musicale et qu’elle permet de repousser les limites de la créativité humaine.
• L’absence de préjudice direct : A cet égard, Suno et Udio affirment que leur activité ne porte pas atteinte aux ventes ou à la popularité des œuvres originales, et que leurs créations constituent des œuvres nouvelles et distinctes.
• L’utilisation équitable (Fair Use) : Elles argumentent que l’utilisation des œuvres existantes est transformée de manière substantielle et peut donc être considérée comme une utilisation équitable.
Le « fair use » permet en effet l’utilisation limitée et encadrée d’œuvre protégée sans avoir à demander la permission. Il s’agirait en France du pendant de l’exception de courte citation.
Plusieurs critères sont établis pour déterminer si l’on est en effet dans le cas d’un usage « fair ». Dans le cas d’espèce on peut se demander si les critères sont en effet remplis ?
• Le but et le caractère de l’utilisation litigieuse : Serait-elle commerciale ou éducative ?
• La quantité et la substantialité de la séquence utilisée : Il y a-t-il une utilisation de l’essentiel de l’œuvre ou juste une petite partie ?
• L’effet de l’utilisation sur le marché potentiel de l’œuvre originale : L’utilisation réduit-elle la valeur ou le marché potentiel de l’œuvre source ?
Questions ouvertes pour le futur
Plusieurs bastions du journalisme et de la littérature ont engagé des actions légales contre des entreprises de technologie en intelligence artificielle pour l’exploitation abusive de leurs créations.
Parmi eux, huit journaux de premier plan aux États-Unis, y compris le renommé Chicago Tribune, ont lancé une procédure judiciaire contre OpenAI et Microsoft, accusés de s’approprier illégalement des articles soumis au droit d’auteur. Par ailleurs, une enquête du New York Times a récemment mis en lumière que des entités telles que Google et OpenAI auraient utilisé des millions d’heures de contenu vidéo de YouTube, enfreignant ainsi les règles d’utilisation strictes de la plateforme.
Ces affaires viennent soulever plusieurs questions cruciales pour l’avenir de la musique et de la création de manière générale et des technologies créatives :
• La nécessaire définition des limites du « fair use » pour l’IA : Des lignes directrices plus claires doivent être établies pour distinguer entre l’innovation technologique et la violation des droits d’auteur.
• La nécessaire régulation de l’IA : Il pourrait être pertinent d’introduire une législation adaptée qui reconnaît les particularités de l’IA tout en protégeant les droits des créateurs.
• L’éventuelle collaboration entre artistes et IA : Les artistes pourraient explorer des partenariats avec des développeurs d’IA pour créer de nouvelles formes d’art tout en veillant à ce que les accords de licence respectent leurs droits créatifs. Ces accords ont d’ailleurs été expérimentés et adoptés entre les artistes et les plateformes de musique de type Spotify et Apple musique afin de réguler le marché du téléchargement illégal. Il s’agirait alors d’une source de revenus non négligeables pour les artistes et maisons de disque.
Les procès de Suno et Udio pourraient permettre d’établir de nouveaux standards pour la législation sur les droits d’auteur à l’ère de l’intelligence artificielle dans l’industrie créative. Il est donc essentiel de suivre de près les développements de ce dossier.
Alors que la technologie continue d’évoluer, l’interaction entre innovation et droit d’auteur restera un terrain dynamique et complexe nécessitant un équilibre entre protection des droits et promotion de l’innovation.
Mazélie PILLET
Conseil en propriété industrielle
14
mars
2023
Pas belle la vie pour l’exécuteur testamentaire de Jean Ferrat
Author:
TAoMA
La Cour de cassation est récemment venue clore un litige de longue date opposant l’exécuteur testamentaire de Jean Ferrat et l’éditeur d’un ouvrage biographique consacré au chanteur.
Dans cette affaire, l’exécuteur testamentaire de Jean Ferrat reprochait notamment à l’éditeur de reproduire plus de 130 extraits des chansons de l’artiste.
Une telle exploitation de l’œuvre du chanteur constituait selon le demandeur une contrefaçon de droits d’auteur ainsi qu’une atteinte à l’intégrité de l’œuvre musicale.
Le demandeur est débouté de l’intégralité de ses demandes par une décision de la Cour d’appel de Paris, confirmée par la Cour de cassation dans une décision du 8 février 20231.
En effet, cette dernière considérant que :
L’exception de courte citation doit être appliquée. Chacune des citations reproduites dans l’ouvrage servant l’analyse critique de l’œuvre de Jean Ferrat permettant au lecteur d’en comprendre le sens et l’engagement de l’artiste. Ces citations ne s’inscrivant pas dans une démarche commerciale ou publicitaire mais étant justifiées par le caractère pédagogique du livre en cause ;
Le texte et la musique d’une chanson relevant de genres différents et étant dissociables, le seul fait que le texte ait été séparé de la musique ne portait pas nécessairement atteinte au droit moral de l’auteur.
Une analyse critique d’une œuvre d’un auteur peut donc conduire à l’exception de courte citation, mettant en échec une action en contrefaçon, surtout si l’objectif est pédagogique.
Des questions sur vos droits d’auteur et leur protection ? Les équipes de TAoMA sont à votre disposition pour en discuter !
Émeline JET
Élève-avocate
Jade de Lumley Woodyear
Stagiaire juriste
Anne Laporte
Avocate
(1) 8 février 2023, Cour de cassation, Pourvoi n° 21-23.976 : pour lire la décision
11
juillet
2022
Pas de fausse note pour Ed Sheeran innocenté de plagiat devant la haute cour de justice britannique
Author:
TAoMA
« Shape of You », le hit d’Ed Sheeran à plus de 3 milliards de Stream sur Spotify, près de 6 milliards de vues sur YouTube depuis sa sortie en janvier 2017, est-il un plagiat de « Oh Why » ? C’est la question à laquelle a répondu la Haute Cour de Justice britannique dans un arrêt attendu du 6 avril 2022.
Samy Chokri et Ross O’Donoghue sont les auteurs d’une chanson intitulée « Oh Why » sortie en juin 2015. Estimant qu’une partie du refrain de « Shape of You », d’Ed Sheeran était un plagiat de leurs chansons, Samy Chokri et Ross O’Donoghue ont demandé à être crédités comme auteurs. En réponse, Ed Sheeran intente une action à leur encontre afin d’obtenir une déclaration de non-contrefaçon. Pour se défendre, Samy Chokri et Ross O’Donoghue forment une demande reconventionnelle en plagiat.
Aux termes d’une analyse argumentée, la Haute Cour de Justice conclut que la star britannique n’a pas copié la chanson « Oh Why ».
En effet, elle considère qu’il existe de très nombreuses différences entre les œuvres en cause, et qu’il n’est pas prouvé qu’Ed Sheeran ait eu accès à l’œuvre prétendument plagiée compte tenu de son « succès limité ». Dans ces conditions, elle en déduit que le chanteur pop n’a pas copié « délibérément » ni « inconsciemment » la chanson « Oh Why » et condamne les auteurs-compositeurs qui l’accusaient de plagiat à verser à Ed Sheeran plus d’un million d’euros d’indemnisation.
En souhaitant que le chanteur britannique connaisse la même issue dans la procédure en cours Outre-Atlantique aux termes de laquelle sa ballade « Thinking out Loud » est accusée de beaucoup trop s’inspirer de la chanson « Let’s Get it On » de Marvin Gaye.
Nathan Audinet
Stagiaire – Pôle avocats
Anne Laporte
Avocate à la cour