23
février
2021
AOP Morbier : La rainure noire c’est noir, il n’y a plus d’espoir
Author:
teamtaomanews
Dans un précédent article (« AOP : L’habit fait-il le fromage ? » – voir notre news du 16 octobre 2019), nous vous évoquions l’interrogation transmise à la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) par la cour de cassation en matière d’Appellation d’Origine Protégée (AOP) afin de savoir si la reprise des caractéristiques physiques d’un produit protégé par une AOP peut constituer une pratique susceptible d’induire le consommateur en erreur quant à la véritable origine du produit.
Ainsi, par un arrêt du 17 décembre 2020 la CJUE [1] a rendu une décision préjudicielle sur cette question.
Pour rappel, le syndicat interprofessionnel de défense de l’AOP Morbier a assigné un producteur fabriquant et commercialisant un fromage reprenant l’apparence visuelle du produit protégé par l’appellation d’origine protégée « Morbier », en particulier la raie noire séparant les deux parties du fromage (voir ci-dessus).
La question posée par la cour de cassation est de savoir si la reprise des caractéristiques physiques d’un produit protéger par une AOP peut constituer une pratique susceptible d’induire le consommateur en erreur quant à la véritable origine du produit ?[2]
Cette interrogation revient à déterminer si la présentation d’un produit protégé par une AOP, en particulier la reproduction de la forme ou de l’apparence le caractérisant, est susceptible de constituer une atteinte à cette appellation, nonobstant l’absence de reprise de la dénomination.
La Cour a répondu à cette question en deux temps. Tout d’abord en interprétant les dispositions des articles 13, §1, respectifs des règlements n°510/2006 [3] et 1151/202 qui doivent être analysés en ce sens qu’ils n’interdisent pas uniquement l’utilisation par un tiers de la dénomination enregistrée.
En effet, leurs champs d’applications seraient plus vastes notamment par les termes « tout autre pratique » employés aux articles 13, §1, d). Ils devraient donc être interprétés dans le sens qu’ils interdisent la reproduction de la forme ou de l’apparence caractérisant un produit couvert par une dénomination enregistrée lorsque cette reproduction est susceptible d’amener le consommateur à croire que le produit en cause est couvert par cette dénomination enregistrée.
Ainsi, il y a lieu d’apprécier si ladite reproduction peut induire le consommateur, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, en erreur.
Ensuite, la Cour observe que certes la protection prévue par les règlements a initialement pour objet la dénomination enregistrée et non le produit couvert par celle-ci. Elle n’a donc pas pour objectif d’interdire l’utilisation des techniques de fabrication ou la reproduction d’une ou de plusieurs caractéristiques indiquées dans le cahier des charges d’un produit couvert par une telle dénomination.
Toutefois, les AOP sont protégées en tant qu’elles désignent un produit qui présente certaines qualités ou certaines caractéristiques. Ainsi, l’AOP et le produit couvert par celle-ci sont intimement liés.
L’expression « toute autre pratique » n’étant pas limitative, cela signifie que les textes précités pourraient inclure dans la protection la forme ou l’apparence du produit couvert par l’AOP. Et pour cela, il ne serait pas nécessaire que le nom du produit litigieux contienne l’AOP.
Il convient donc d’apprécier si un élément de l’apparence du produit couvert par la dénomination enregistrée constitue une caractéristique de référence et particulièrement distinctive pour que sa reproduction puisse amener le consommateur à croire que le produit contenant cette reproduction est couvert par cette dénomination enregistrée.
C’est ainsi que la CJUE, par cette décision préjudicielle vient consacrer l’appréciation de tous les facteurs pertinents d’une reproduction, et au-delà de la dénomination de l’AOP, l’apparence, comme en l’espèce avec la rainure noire caractéristique de l’AOP « Morbier », qui peut induire le consommateur en erreur.
A présent, il faut se demander si cette « frontière noire » sera franchis pour d’autres AOP.
Dorian Souquet
Juriste Stagiaire
Jean-Charles Nicollet
Conseil en Propriété Industrielle
Responsable du Pôle juridique
[1] CJUE, 5ème chambre, 17 décembre 2020, C-490/19 – lire la décision
[2] « Les articles 13, paragraphe 1, respectifs des règlements n°510/2006 et 1151/2012, doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils interdisent uniquement l’utilisation par un tiers de la dénomination enregistrée ou doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils interdisent la présentation d’un produit protégé par une appellation d’origine, en particulier la reproduction de la forme ou de l’apparence le caractérisant, susceptible d’induire le consommateur en erreur quant à la véritable origine du produit, même si la dénomination enregistrée n’est pas utilisée ? »
[3] « 1. Les dénominations enregistrées sont protégées contre toute :
a) utilisation commerciale directe ou indirecte d’une dénomination enregistrée pour des produits non couverts par l’enregistrement (…)
b) usurpation, imitation ou évocation, même si l’origine véritable du produit est indiquée (…)
c) autre indication fausse ou fallacieuse quant à la provenance, l’origine, la nature ou les qualités substantielles du produit (…)
d) autre pratique susceptible d’induire le consommateur en erreur quant à la véritable origine du produit. »
18
février
2021
Gleeden : la Cour de cassation et la cour d’appel matchent
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teamtaomanews
L’affaire n’était pas passée inaperçue… Nous vous en avions parlé (cf. TAoMA news du 9 juillet 2019), et la Cour de Cassation vient de le confirmer : Gleeden, application de rencontres extra-conjugales, peut librement faire l’apologie de ses services (voire de l’infidélité…).
Pour rappel, l’affaire opposait la Confédération Nationale des Associations de Familles Catholiques à la société américaine Blackdivine, éditrice du site de rencontre Gleeden.com.
Blackdivine avait fait réaliser une importante campagne publicitaire comportant des affiches sur lesquelles figuraient une pomme croquée accompagnée de slogans vantant notamment l’« amanturière », « la femme mariée s’accordant le droit de vivre sa vie avec passion » ou se terminant par le message « Gleeden, la rencontre extra-conjugale pensée par des femmes».
L’association religieuse, estimant cette opération marketing illicite, a fait assigner la société américaine afin notamment que soit ordonnée la cessation de toute référence à l’infidélité ou au caractère extra-conjugal de son activité dans le cadre des campagnes publicitaires.
Elle se fondait notamment sur l’article 212 du Code civil (faisant de la fidélité un des devoirs des époux), sur les dispositions du Code consolidé de la Chambre de commerce internationale sur les pratiques de publicité et de communication commerciale – ou Code ICC – sanctionnant les publicités illicites et antisociales ainsi que sur les dispositions de l’article 10 de la Convention européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme, qui prévoit bien des cas dans lesquels la liberté d’expression peut être restreinte.
Sans grande surprise, la Cour de Cassation rejette le pourvoi formé contre l’arrêt d’appel qui avait débouté l’association de ses demandes.
Après avoir noté que les principes éthiques d’autodiscipline professionnelle édictés par le Code ICC n’ont pas de valeur juridique contraignante et éludé la question de la caractérisation du devoir de fidélité entre les époux (ordre public de protection ou de direction), elle retient que « l’absence de sanction civile de l’adultère en dehors de la sphère des relations entre époux, partant, l’absence d’interdiction légale de la promotion à des fins commerciales des rencontres extra-conjugales, et, en tout état de cause, le caractère disproportionné de l’ingérence dans l’exercice du droit à la liberté d’expression que constituerait l’interdiction de la campagne publicitaire litigieuse », justifient que la cour d’appel n’ait pas fait interdire la campagne litigieuse.
Ainsi, Gleeden peut faire la promotion de son service de rencontres spécialisé, à côté des sites et applications permettant les rencontres uniquement entre personnes « belles », entre personnes de même confession, entre personnes « intelligentes », ou encore entre « goths ».
Référence et date : Cour de cassation – Première chambre civile, 16 décembre 2020, n° 19-19.387
Lire la décision sur le site de la Cour de cassation
Mathilde GENESTE
Stagiaire Élève-Avocate
Anita DELAAGE
Avocate à la Cour
15
février
2021
Le Brexit, quel impact sur les transferts de données par les entreprises françaises ?
Author:
teamtaomanews
Alors que le Royaume-Uni est définitivement sorti de l’Union européenne le 1er janvier 2021, les entreprises françaises ayant pour activité le transfert de données vers d’autres États, font face à certaines incertitudes, voire inquiétudes.
Dans la pratique pourtant, et contrairement à d’autres secteurs tels que le milieu commercial, le Brexit n’aura probablement pas d’impact considérable sur les transferts de données personnelles par nos entreprises françaises.
En effet, dans la majorité des cas, la législation applicable demeurera inchangée :
Il en ira ainsi notamment dans le cas où les entreprises françaises transféreront des données personnelles depuis la France vers d’autres États membres. Ces transferts demeureront soumis au principe de la liberté de circulation. De même, tout transfert de données personnelles depuis la France vers des pays tiers, restera interdit en application des articles 44 [1] et suivants du RGPD, sauf décision d’adéquation de la Commission ou encadrement.
Dans les deux cas précités, le Brexit n’impactera pas les transferts de données de nos entreprises françaises.
Il en ira probablement également ainsi dans le cas d’une entreprise française établie en France et traitant des données de ressortissants britanniques dans le cadre de ses activités. En effet, l’article 3 du RGPD [2] dispose que le texte a vocation à s’appliquer aux traitements de données personnelles effectuées dans le cadre des activités d’un établissement d’un responsable du traitement ou d’un sous-traitant sur le territoire de l’Union, de sorte qu’une fois ces conditions établies, le Brexit ne devrait pas avoir d’impact.
La vraie question se pose concernant les entreprises françaises transférant des données à caractère personnel vers le Royaume-Uni.
Depuis le 1er janvier et jusqu’au 1er juillet 2021, le Royaume-Uni est entré dans une période dite « transitoire ». En effet, dans le cadre de l’accord de commerce et de coopération conclu le 24 décembre 2020, le Royaume-Uni et l’Union européenne sont convenus que le RGPD resterait applicable de manière transitoire pour une durée supplémentaire maximale de 6 mois. Ainsi, toute communication de données faite par une société française vers le Royaume-Uni continue de se faire dans le cadre actuel et ne doit pas être pas considérée comme un transfert de données vers un pays tiers.
Jusqu’au 1er juillet 2021 au plus tard, date butoir, le Brexit n’impacte pas les transferts de données vers le Royaume-Uni par les entreprises françaises, celles-ci devant continuer à appliquer la législation antérieure.
A compter du 1er juillet 2021, soit à la fin de la période transitoire, le Royaume-Uni devrait en principe être considéré comme un État tiers. Les entreprises françaises souhaitant continuer d’y exporter des données personnelles devront se plier à la réglementation en vigueur en matière de données personnelles vers un État tiers.
Cependant, il ne s’agit là que d’un principe, puisqu’en pratique, la Commission européenne rendra très probablement une « décision d’adéquation » en vertu de laquelle elle devrait estimer que le Royaume-Uni présente un niveau de protection suffisant justifiant la poursuite des transferts. Le Royaume-Uni assurant jusque lors, un niveau de protection des données très élevé et proche de celui de l’Union européenne, il serait surprenant qu’il ne soit pas statué en ce sens ; d’autant plus que d’autres États bénéficient d’ores-et-déjà de cette position privilégiée, tels que l’Argentine, l’Uruguay et la Suisse.
Cette décision permettrait d’assurer la continuité des transferts des données entre les entreprises françaises et les entreprises britanniques, par le biais de standards relativement proches de ceux préalablement établis par le RGPD.
Enfin, dans le cas surprenant où la Commission refuserait d’admettre ce nouveau statut au Royaume-Uni, un accord pourrait être conclu avec l’Union européenne, répliquant les dispositions du RGPD, de sorte à ce que la protection soit identique à celle prévue par le texte.
Ainsi, plus de quatre ans après le vote du Brexit, l’horizon commence à se dessiner en matière de transferts de données.
Si les frontières physiques ont été rétablies entre le Royaume-Uni et l’Union européenne, les conséquences n’en sont que relatives sur la majorité des transferts de données auxquels procèdent les entreprises françaises.
Espérons que le « divorce » entre les deux territoires soit rendu définitif par la décision d’adéquation de la Commission européenne, assurant ainsi la pérennité et sécurité des transferts à venir.
Mathilde Geneste
Elève-avocate
Anne Messas
Associée et Avocat à la Cour
[1] Article 44 – Principe général applicable aux transferts
« Un transfert, vers un pays tiers ou à une organisation internationale, de données à caractère personnel qui font ou sont destinées à faire l’objet d’un traitement après ce transfert ne peut avoir lieu que si, sous réserve des autres dispositions du présent règlement, les conditions définies dans le présent chapitre sont respectées par le responsable du traitement et le sous-traitant, y compris pour les transferts ultérieurs de données à caractère personnel au départ du pays tiers ou de l’organisation internationale vers un autre pays tiers ou à une autre organisation internationale. Toutes les dispositions du présent chapitre sont appliquées de manière à ce que le niveau de protection des personnes physiques garanti par le présent règlement ne soit pas compromis. »
[2] Article 3 – Champ d’application territorial
« Le présent règlement s’applique au traitement des données à caractère personnel effectué dans le cadre des activités d’un établissement d’un responsable du traitement ou d’un sous-traitant sur le territoire de l’Union, que le traitement ait lieu ou non dans l’Union.
Le présent règlement s’applique au traitement des données à caractère personnel relatives à des personnes concernées qui se trouvent sur le territoire de l’Union par un responsable du traitement ou un sous-traitant qui n’est pas établi dans l’Union, lorsque les activités de traitement sont liées :
a) à l’offre de biens ou de services à ces personnes concernées dans l’Union, qu’un paiement soit exigé ou non desdites personnes; ou
b) au suivi du comportement de ces personnes, dans la mesure où il s’agit d’un comportement qui a lieu au sein de l’Union.
Le présent règlement s’applique au traitement de données à caractère personnel par un responsable du traitement qui n’est pas établi dans l’Union mais dans un lieu où le droit d’un État membre s’applique en vertu du droit international public.»
04
février
2021
Affaire Aya Nakamura : revers pour le styliste qui l’accusait de parasitisme
Author:
teamtaomanews
Un styliste explique avoir envoyé un moodboard (planche de tendances) comportant plusieurs styles vestimentaires à la chanteuse Aya Nakamura puis avoir réalisé avec elle une séance de photographies dans l’environnement esthétique et vestimentaire qu’il proposait. Or, à la sortie du clip de l’artiste illustrant le morceau « POOKIE », il a découvert que plusieurs tenues vestimentaires qu’elle arborait correspondaient aux styles qu’il lui avait proposés . Après une demande d’indemnisation infructueuse de 50.000 euros à la maison de production, il a décidé d’assigner la chanteuse pour des actes de parasitisme sur le fondement de l’article 1240 du Code civil.
Pour rappel, le parasitisme résulte d’agissements visant à s’approprier de façon injustifiée et sans contrepartie une valeur économique résultant d’un savoir-faire, de travaux ou d’investissements. Ainsi, il suppose la caractérisation d’une faute génératrice d’un préjudice.
Ce dernier point suffit à écarter la qualification de fait parasitaire dans ce litige. En effet, le juge constate que, si les tenues et postures proposées dans le moodboard ainsi que pour la séance photographique et pour le clip sont bien inspirées d’un univers commun, elles présentent de nettes différences (robe blanche fine décolletée versus combinaison épaisse boutonnée avec une lavallière de couleur blanc argenté / haut en fourrure rouge et orange versus vêtements rouges en cuir verni, etc.). Or le seul fait d’utiliser des tenues d’un style similaire de celui proposé par le demandeur ne suffit pas à établir une reprise constitutive d’une faute, d’autant qu’il n’a pas établi les conditions dans lesquelles il avait transmis son moodboard et organisé la séance de shooting. Aussi, rien ne permet de prouver qu’il n’a pas reçu de contrepartie pour son travail.
Par ailleurs, la juridiction a eu à se prononcer sur la demande de la célèbre chanteuse-compositrice qui reprochait notamment au styliste d’avoir exposé publiquement les différentes étapes de la procédure, notamment dans des posts sur les réseaux sociaux qui ont été largement relayés et repris par plusieurs journaux, ce qui lui aurait causé un préjudice.
Le tribunal estime que « cette publicité donnée sans justification par le demandeur à ses accusations à l’encontre de la défenderesse, procédant d’une intention manifeste de nuire, a nécessairement porté préjudice à la défenderesse en termes d’image et de réputation ».
Le tribunal relève ainsi le caractère fautif des accusations et de la publicité effectuée par le styliste dans l’affaire. Dans la mesure où cette faute a causé un préjudice moral à la chanteuse, particulièrement en termes de réputation et d’image, il est condamné à 5.000 euros de dommages-intérêts.
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Thibault FELIX
Stagiaire Pôle Avocat
Anita DELAAGE
Avocate
Référence et date : Tribunal judiciaire de Paris, 15 janvier 2021, n° 19/07796
Décision non publiée, communiquée sur demande à contact-avocat@taoma-partners.fr