10
juin
2022
Quelle place donner à la libération de la parole des femmes en matière de diffamation ?
Par deux arrêts récents et remarqués rendus le 11 mai 2022, la première chambre civile de la Cour de cassation a précisé les contours de l’exception de bonne foi en matière de diffamation dans le cadre des mouvements #MeToo et #BalanceTonPorc.
Pour rappel, l’article 29, alinéa 1er, in limine, de la loi du 29 juillet 1881 définit la diffamation comme : « toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé ».
Lorsqu’un propos est qualifié de diffamatoire, son auteur peut notamment être excusé s’il démontre sa bonne foi. Elle suppose la réunion de quatre critères cumulatifs, traditionnellement dégagés par la jurisprudence : 1° l’absence d’animosité personnelle envers la personne concernée par les propos, 2° la prudence et la mesure dans l’expression, 3° la légitimité du but poursuivi et 4° le sérieux de l’enquête lorsque l’auteur est journaliste, à défaut l’existence d’une base factuelle suffisante.
En l’espèce, la Cour de cassation était saisie de deux affaires aux enjeux juridiques similaires :
• Dans l’affaire #BalanceTonPorc1, l’ex-patron d’Equidia poursuivait en diffamation une journaliste ayant publié un tweet dénonçant les propos sexistes qu’il aurait tenus à son égard. Il s’agit du premier tweet ayant utilisé le hashtag #BalanceTonPorc, seulement quelques jours après les révélations dans la presse américaine de l’affaire Weinstein.
• Dans l’affaire #Metoo2, un ancien ministre de la République poursuivait en diffamation une jeune femme l’ayant accusé de l’avoir agressée sexuellement lors d’un opéra. Les propos litigieux avaient été publiés sur son blog personnel dans un billet intitulé « Moi aussi », puis repris dans un article de presse.
Les juges du fond ayant retenu le caractère diffamatoire des propos litigieux dans les deux affaires, la Cour de cassation devait seulement se prononcer sur l’existence de la bonne foi de leurs auteures, et plus particulièrement, sur la caractérisation d’une base factuelle suffisante.
Dans ces décisions, prises au visa de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’Homme, la Cour de cassation rappelle la manière dont doit être mis en œuvre le contrôle de proportionnalité en matière de diffamation pour faire jouer l’excuse de bonne foi :
« En matière de diffamation, lorsque l’auteur des propos soutient qu’il était de bonne foi, il appartient aux juges, qui examinent à cette fin si celui-ci s’est exprimé dans un but légitime, était dénué d’animosité personnelle, s’est appuyé sur une enquête sérieuse et a conservé prudence et mesure dans l’expression, de rechercher […] si lesdits propos s’inscrivent dans un débat d’intérêt général et reposent sur une base factuelle suffisante ».
Dans les deux affaires, la Cour de cassation relève que la cour d’appel a retenu que les propos litigieux s’inscrivaient dans un débat d’intérêt général :
• « consécutif à la libération de la parole des femmes » (dans l’affaire MeToo) ;
• « sur la dénonciation de comportements à connotation sexuelle non consentis de certains hommes vis-à-vis des femmes et de nature à porter atteinte à leur dignité » (dans l’affaire #BalanceTonPorc).
Après avoir contrôlé l’appréciation des éléments de preuve produits devant les juges du fond, la Cour de cassation conclut dans les deux affaires à l’existence d’une base factuelle suffisante permettant de faire bénéficier les auteures des propos litigieux du bénéfice de la bonne foi.
Cette souplesse dans l’appréciation de la bonne foi démontre que la Haute Cour souhaite s’inscrire dans son temps, en accordant une place à la libération de la parole des femmes dans le débat public ; de quoi faire évoluer les moyens soulevés devant les magistrats de la chambre de la presse…
Alain Hazan
Avocat à la Cour
1 Civ. 1, 11 mai 2022, pourvoi n°21-16.497
1 Civ. 1, 11 mai 2022, pourvoi n°21-16.156
22
avril
2020
Loi PACTE : la procédure d’opposition marque nouvelle génération
Nous l’attendions depuis plusieurs années et la France a enfin transposé la directive européenne 2015/2436 du 16 décembre 2015 rapprochant les législations des États membres sur les marques via la loi PACTE.
L’une des évolutions majeures du droit français porte sur la réforme de la procédure d’opposition devant l’INPI contre une demande de marque portant atteinte aux droits antérieurs d’un tiers. Cette opposition nouvelle génération ne s’applique que pour les marques françaises, ou internationales désignant la France, déposées à compter du 11 décembre 2019. Pour les marques déposées avant cette date, l’ancienne procédure reste applicable.
Nous vous proposons donc un petit comparatif entre la nouvelle et l’ancienne procédures d’opposition.
Fondements de l’opposition
L’ancienne procédure d’opposition se caractérisait par l’obligation de n’invoquer qu’un droit antérieur par procédure. Ainsi, si un titulaire souhaitait baser son opposition sur deux marques, il n’avait d’autre choix que de déposer deux oppositions.
La nouvelle procédure permet d’invoquer plusieurs droits antérieurs dans une seule et même opposition. De même, les droits antérieurs qui peuvent servir au soutien de la procédure ont été élargis.
Déroulement de la procédure
Si le délai pour former opposition reste de deux mois à compter de la publication de la marque litigieuse, il est désormais possible de déposer une opposition formelle. Le mémoire présentant les arguments au soutien de l’action devra être présenté dans le délai de 1 mois suivant l’expiration du délai d’opposition.
Le principe du contradictoire a également fait l’objet d’un renforcement puisque les parties peuvent échanger plusieurs jeux d’écritures pour faire valoir leurs arguments. En contrepartie, la procédure d’opposition est allongée et peut durer jusqu’à 10 mois avant le rendu de la décision définitive contre 6 mois maximum pour l’ancienne procédure.
Dans le cadre de sa défense, le déposant de la marque contestée peut exiger que l’opposant apporte la preuve de l’usage sérieux des marques antérieures invoquées qui ont été enregistrées depuis plus de 5 ans. Une telle possibilité était déjà offerte dans l’ancienne procédure d’opposition.
Cependant, l’INPI a aujourd’hui le pouvoir d’exercer un contrôle approfondi des preuves qui seront fournies par l’opposant. Il conviendra donc que ce dernier soit en mesure, avant l’engagement d’une procédure d’opposition sur la base d’une marque enregistrée depuis plus de 5 ans, d’apporter la preuve de l’usage sérieux de la marque pour tous les produits et/ou services invoqués dans le cadre de la procédure.
La procédure d’opposition nouvelle génération est donc un grand pas en avant pour les titulaires de droits antérieurs en leur offrant des fondements d’action plus larges et un principe du contradictoire renforcé. Le revers de la médaille est la nécessité de devoir démontrer l’usage sérieux de ses marques enregistrées depuis plus de 5 ans, à la demande du défendeur, pour tous les produits et/ou services invoqués au soutien de l’opposition.
Jean-Charles Nicollet
Conseil en Propriété Industrielle
Responsable du Pôle juridique CPI