18
janvier
2021
Taittinger : la fin d’une saga pétillante
Author:
teamtaomanews
Ce début d’année, certes peu festif, nous amène à revenir sur une affaire qui nous rappelle une nouvelle fois les enjeux essentiels attachés aux marques patronymiques des maisons de luxe, que ce soit dans le monde de la mode (affaires Ines de la Fressange ou Christian Lacroix) ou, comme c’est le cas en l’espèce, du champagne.
Pour rappel, Virginie Taittinger, actionnaire de la société TAITTINGER, produisant et commercialisant du champagne sous une marque éponyme, avait donné mandat à son père de la représenter dans la vente de ses parts sociales dans le cadre d’une cession de contrôle de l’entreprise.
Cet acte de cession prévoyait notamment que les membres de la famille Taittinger ne pourraient plus faire usage de leur nom pour désigner des champagnes.
Or, Madame Taittinger a repris une activité de production de champagne sous la marque « VIRGINIE T » et par le biais notamment de plusieurs noms de domaines contenant le terme « taittinger ». Dans sa communication, elle mentionnait également de manière régulière le champagne Taittinger et son expérience au sein de l’entreprise familiale.
La société ayant acquis l’entreprise et la marque TAITTINGER l’a alors assignée en violation de la convention de cession, atteinte à la marque renommée Taittinger et parasitisme.
Après plusieurs épisodes, la Cour de cassation a cassé l’arrêt de la cour d’appel de Paris dans une décision que nous avions commentée.
C’est donc sans surprise que, statuant à nouveau, en formation de renvoi, la même cour d’appel de Paris a repris le raisonnement de la Cour de cassation et définitivement validé les modalités de commercialisation du champagne VIRGINIE T.
Sur la violation de la clause d’interdiction du nom Taittinger
La cour d’appel rappelle qu’un mandat conclu en termes généraux, comme celui donné par Madame Taittinger à son père (qui ne mentionnait que la possibilité, en plus de la vente des titres, de souscrire « à tout engagement ou garantie, et, plus généralement faire le nécessaire selon ce qu’il jugera utile ou approprié »), ne peut porter que sur des actes d’administration, tout acte de propriété, tel qu’une restriction d’usage d’un nom patronymique, nécessitant un mandat exprès.
Après avoir souligné que les enjeux juridiques et financiers de l’opération imposaient à l’acheteur une vérification de l’étendue des pouvoirs des vendeurs et que la disposition litigieuse était tellement défavorable à Madame Taittinger (dont l’expérience professionnelle est étroitement liée à la société Taittinger) qu’il était exclu qu’elle ait accepté, prévu ou même envisagé que son père consentirait à la stipulation d’une telle clause, la cour décide qu’elle ne peut lui être opposée.
Sur l’atteinte à la marque renommée « TAITTINGER »
Il est reproché à Madame Taittinger de faire la communication de son nouveau produit par le biais de nombreuses références à son nom, donc à celui des champagnes TAITTINGER.
La Cour de cassation avait censuré le raisonnement de la cour d’appel, lui reprochant de réaliser un amalgame entre l’analyse de l’atteinte à la marque et l’existence de justes motifs.
Les juges y remédient donc dans ce nouvel arrêt, sans pour autant que l’issue diffère.
Ils retiennent, en substance, qu’elle a bien retiré un avantage de l’association entre son champagne et le champagne Taittinger.
Pour autant, cette dernière, au regard de ses compétences professionnelles, exclusivement développées au sein de l’entreprise familiale, ne peut se voir reprocher d’avoir assuré sa reconversion dans le domaine du champagne. Or, pour ce faire, il est légitime qu’elle fasse état de son nom, de son origine familiale et de son parcours professionnel, la conduisant à évoquer le champagne TAITTINGER. De plus, ils notent qu’elle utilise toujours son nom, dans la promotion de sa nouvelle activité, en l’associant à son prénom.
La demande de ce chef est donc rejetée, ces circonstances constituant un juste motif.
Sur le parasitisme
Une nouvelle fois, la Cour de cassation avait retoqué le premier arrêt d’appel qui ne tenait pas compte, dans son analyse de la valeur économique prétendument parasitée, du prestige et de la notoriété attachés au nom Taittinger.
Dans sa nouvelle décision, la cour d’appel n’a pour autant pas de difficultés à rejeter la demande. En effet, elle indique à nouveau que les mentions par Madame Taittinger du nom commercial de la société adverse étaient justifiées « par la légitime évocation par l’intimée de ses origines familiales et de ses activités passées durant plus de vingt ans au service du champagne TAITTINGER et ne revêtent donc aucun caractère fautif, nonobstant le prestige et la notoriété incontestés acquis par ce nom commercial et cette dénomination sociale ».
Madame Taittinger est désormais libre d’utiliser son nom dans sa communication commerciale.
Fiora FELICIAGGI
Stagiaire Pôle Avocat
Anita DELAAGE
Avocate
Référence et date : Cour d’appel de Paris, Pôle 5 – chambre 1, 3 mars 2020, n° 18/28501
Décision non publiée, communiquée sur demande à contact-avocat@taoma-partners.fr
19
mars
2020
Yuka mise en boîte (de conserve) : une condamnation pour dénigrement
Author:
teamtaomanews
Après les représentants de la filière du sucre, qui étaient parvenus à faire reconnaitre le caractère dénigrant envers le produit « sucre » d’une publicité le représentant sous la forme d’un personnage ridicule[1], c’est au tour de l’industrie des conserves de faire sanctionner une critique des produits qu’elle commercialise, relançant ainsi le débat sur la frontière entre le dénigrement et la critique licite.
Le 23 octobre 2019, la société YUCA, éditrice de l’application mobile YUKA (qui propose un décryptage des étiquettes de produits alimentaires ou cosmétiques et analyse leur impact sur la santé) a publié sur son blog un article qui n’a pas plu aux industriels de l’emballage en conserve. L’article en question, intitulé « Halte aux emballages toxiques ! », comprenait une section « conserves et aluminium : à éviter au maximum », conseillant aux lecteurs d’« éviter au maximum la consommation d’aliments ayant été en contact avec l’aluminium[tels que les] canettes de soda, légumes en conserve, etc. ».
La Fédération Française des Industries des Aliments Conservés (FIAC) soutenait que de tels propos étaient constitutifs d’une publicité trompeuse constituant une pratique commerciale déloyale ainsi que d’un dénigrement des conserves et aliments conservés résultant d’un amalgame trompeur entre aluminium et conserves, et a donc assigné la société YUCA, sur le fondement de l’article 1240 du Code civil et des articles L121_1 et L121_2 du Code de la consommation.
Si le juge des référés du tribunal de commerce de Versailles a rapidement écarté le grief lié à la publicité trompeuse, estimant que l’article incriminé ne constituait pas une publicité proprement dite pour des produits mais une information générale, il a eu à s’interroger sur la limite entre libre critique et dénigrement fautif.
Conformément à une jurisprudence établie de la Cour de cassation, la juridiction a rappelé que l’acte de dénigrement peut être caractérisé, même en l’absence d’une situation de concurrence directe et effective entre les parties, dès lors qu’il est fait état de la divulgation par l’une d’une information de nature à jeter le discrédit sur un produit commercialisé par l’autre.
En l’espèce, en affirmant que les emballages en conserve étaient toxiques pour la santé, et en conseillant à ses lecteurs d’« éviter au maximum la consommation d’aliments ayant été en contact avec l’aluminium[tels que les] canettes de soda, légumes en conserve, etc. », la société YUCA a bien jeté le discrédit sur les produits commercialisés en conserve.
Restait alors à trancher si les éléments exonérateurs cumulatifs suivants, dégagés par la jurisprudence[2], étaient réunis, auquel cas une condamnation n’aurait pas pu être prononcée :
l’information divulguée se rapporte à un sujet d’intérêt général ;
elle repose sur une base factuelle suffisante ;
son auteur a fait preuve de mesure dans ses propos.
Or, relevant que les conseils de la société YUCA ne distinguaient pas selon la composition des emballages en conserve (sans préciser notamment que 80% de la production des aliments en conserve se fait dans des emballages en fer blanc, contre 20% en aluminium, lesquels comportent en outre systématiquement un revêtement intérieur protecteur), le juge des référés a estimé que l’article ne reposait pas sur une analyse suffisante de la situation.
L’ordonnance retient également que ces préconisations se fondent sur une source unique, en l’espèce un article publié par un nutritionniste, dont les propos sont de plus interprétés de manière extensive. Ainsi, l’auteur de l’article a manqué de mesure par une généralisation abusive et un manque de base factuelle suffisante.
Enfin, la décision souligne que l’impact sur les consommateurs était sensible, leurs commentaires laissant entendre qu’ils avaient trouvé l’article intéressant et la société faisant elle-même la promotion de l’incidence de ses articles sur ses abonnés – le juge des référés remarquant par ailleurs la notoriété de la défenderesse dont l’application compte 12 millions d’utilisateurs.
Par son ordonnance du 5 mars 2020, le juge des référés du tribunal de commerce de Versailles a donc ordonné la suppression des passages litigieux dans un délai de cinq jours et sous astreinte de 500€ par jour de retard.
Si la portée de cette décision, intervenue en référé, et qui pourrait donc être remise en cause en cas d’appel ou par une décision au fond est incertaine, il est notable que la société YUCA a obtempéré et l’article a bien été modifié.
Référence et date : Tribunal de commerce de Versailles, ordonnance de référé du 5 mars 2020
Lire la décision sur Legalis
[1]Cour de cassation, chambre commerciale, 30 janvier 2017, n°04-17.203
[2]Voir notamment Cour de cassation, chambre commerciale, 9 janvier 2019, n°17-18.350
01
avril
2019
Divulguer, c’est dénigrer!
Author:
teamtaomanews
La divulgation de l’existence d’une action en justice n’ayant pas donné lieu à une décision de justice peut-elle constituer un acte de dénigrement ?
La Chambre commerciale de la Cour de cassation répond par la positive dans un arrêt rendu le 9 janvier 2019.
La société Keter Plastic, fabricante de produits en plastique dont certains produits sont vendus par la société Plicosa, a assigné en contrefaçon la société Shaf en 2012. Cette action a été rejetée par un jugement rendu en 2013, confirmé par un arrêt rendu en 2015. La société Plicosa a divulgué l’existence de cette action en justice dès 2012 aux distributeurs de la société Shaf.
La société Shaf a alors assigné la société Plicosa en paiement de dommages et intérêts pour concurrence déloyale en arguant de l’existence d’une campagne de dénigrement à son encontre. La Cour d’appel a infirmé le jugement rendu en première instance et a rejeté l’action engagée par la société Shaf au motif que la requérante ne démontrait pas le caractère non-objectif, excessif, dénigrant voire mensonger des informations divulguées par la défenderesse.
La société Shaf soutient que la divulgation d’une action en justice, même n’ayant pas donné lieu à une décision de justice, à sa clientèle par la société Plicosa est fautive dès lors qu’elle a conduit plusieurs clients à renoncer à leurs commandes.
La société Plicosa conclut au rejet du pourvoi en indiquant que les messages informant les distributeurs de l’action en justice en contrefaçon n’étaient pas accompagnés de propos mensongers, excessifs, dénigrants ou menaçants susceptibles de constituer un acte de dénigrement.
La Cour de Cassation n’est pas du même avis et casse l’arrêt rendu par la Cour d’appel, au visa du nouvel article 1240 du code civil, au motif que « la divulgation à la clientèle, par la société Plicosa, d’une action en contrefaçon n’ayant pas donné lieu à une décision de justice, dépourvue de base factuelle suffisante en ce qu’elle ne reposait que sur le seul acte de poursuite engagé par le titulaire des droits, constituait un dénigrement fautif ».
La Cour de cassation clarifie également l’articulation entre la liberté d’expression et le dénigrement fautif en expliquant que l’information qui se « rapporte à un sujet d’intérêt général et repose sur une base factuelle suffisante, sous réserve qu’elle soit exprimée avec une certaine mesure » ne constitue pas un acte de dénigrement.
Cette décision confirme la jurisprudence de la Haute Cour qui considère que la divulgation d’une décision de justice non définitive constitue un dénigrement fautif.[1]
[1] Par ex.Cass. com., 27 mai 2015, n° 14-10.800