31
octobre
2023
Condamnation exemplaire pour un cas de parasitisme par la Cour d’appel dans le secteur de la parfumerie de luxe
Impossible d’échapper depuis 2009 à la communication publicitaire massive sur tous supports du parfum LA PETITE ROBE NOIRE, parfum créé par la société GUERLAIN en 2009 et de son iconique flacon « Coque d’or » créé par la maison BACCARAT en 1937.
Ayant constaté en 2015 la commercialisation par une société belge sur son site internet et sur d’autres sites de vente en ligne d’une collection de parfums à bas prix dénommée « LA PETITE FLEUR » et ses déclinaisons dont « LA PETITE FLEUR NOIRE », la société GUERLAIN, après avoir vainement tenté une approche amiable, a assigné la société belge devant le tribunal de commerce de Paris sur le fondement du parasitisme.
Le tribunal ayant suivi GUERLAIN sur toutes ses demandes, un appel est interjeté par la société belge. Peine perdue, le jugement est confirmé en tous ses points par la Cour d’appel de Paris qui retient sans ambigüité le parasitisme et confirme les lourdes condamnations prononcées en première instance.
La Cour retient les agissements de parasitisme en raison :
• De l’examen des parfums litigieux qui montre une inspiration à la fois du nom, de l’identité visuelle, de la forme en nœud papillon du flacon de la PETITE ROBE NOIRE de sorte que les éléments de ressemblance pris dans leur globalité traduisent la volonté de la société belge de se placer dans le sillage de GUERLAIN ;
• Du choix du nom de la gamme des parfums litigieux « LA PETITE FLEUR » construit de manière similaire au nom « LA PETITE ROBE NOIRE » ;
• De la reprise d’une silhouette féminine dessinée sans visage et portant une petite robe, choix effectué par GUERLAIN qui rompait avec les codes du secteur. Choix qui ne s’imposait pas en revanche pour la collection des parfums litigieux « LA PETITE FLEUR » qui aurait pu être associée à beaucoup d’autres visuels notamment floraux et donc autres qu’une silhouette féminine ;
• De la reprise de l’univers de Paris et de la Tour Eiffel ainsi que les couleurs rosés/violets présents dans toute la communication autour du parfum GUERLAIN ;
• De la reprise enfin du flacon « Coque d’Or » dans ses caractéristiques essentielles (même démarcation centrale, quatre pans inclinés vers le bas du flacon, chaque côté reprenant un pan plus haut que l’autre et un nœud papillon sur le dessus avec une légère courbe).
La Cour retient que ces similitudes ne sont pas fortuites et caractérisent le caractère intentionnel des captations.
Dès lors, la Cour retient que la société belge a réalisé des économies en profitant des lourds investissements engagés par GUERLAIN tant d’un point de vue créatif que commercial, ce qui a permis à la société belge de limiter ses propres frais de conception et de commercialisation et ainsi de proposer ses produits à des prix bien inférieurs à ceux de la société GUERLAIN ayant de surcroît un effet de dilution de l’image de GUERLAIN.
Concernant la réparation des agissements parasitaires, la Cour confirme les sévères sanctions prononcées par le tribunal en première instance :
• 594.000 euros au titre de la réparation du préjudice matériel correspondant à 1% des dépenses publicitaires engagées par GUERLAIN en France pour le seul parfum « LA PETITE ROBE NOIRE » ;
• 100.000 euros au titre du préjudice moral retenu au titre de la dilution de la notoriété de ses parfums et de l’atteinte à sa réputation et à son image de marque.
La Cour confirme également la publication judiciaire de la décision sur les deux sites de la société belge.
A retenir enfin dans cette affaire, la compétence territoriale du tribunal de commerce de Paris qui avait été contestée par la société belge en raison de sa nationalité.
La Cour d’appel de Paris rappelle en effet que le constat d’huissier du site internet de la société belge, dressé à la demande de la société GUERLAIN, faisait apparaître des produits accessibles en France et pouvant être commandés et livrés en France « de sorte que le fait dommageable et la matérialisation du dommage, à savoir la mise en vente de parfums litigieux, se produit notamment à Paris ».
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La décision du Tribunal de commerce de Paris, confirmée ici par la Cour d’appel de Paris, rappelle que l’absence de droits privatifs n’empêche pas pour autant les victimes d’obtenir une réparation de leur préjudice.
Toutefois il ne doit pas être négligé de rapporter la preuve des agissements parasitaires. Dans le cas où ceux-ci sont commis par une société étrangère, le constat d’achat internet devra attester sans ambigüité que l’achat et la livraison sont possibles depuis et vers la France afin que les actes puissent être poursuivis sur notre territoire. A ne pas néglier non plus, la preuve du préjudice tant matériel que moral, une attestation du directeur financier et de la responsable marketing de l’entreprise victime étant parfaitement recevable.
Voici donc une fois encore posée le principe selon lequel l’absence de droits de propriété intellectuelle ne confère pas pour autant une liberté d’inspiration sans limite.
Juliette Biegala
Juriste
Malaurie Pantalacci
Conseil en Propriété Industrielle associée
27
octobre
2023
Les mineurs et leur image : une problématique de plus en plus mise en lumière !
Insufflés par Bruno Studer, Eric Poulliat et Aurore Bergé, une proposition de loi avait été déposée à l’Assemblée nationale le 19 janvier 2023 concernant le respect du droit à l’image des mineurs.
1. Pourquoi faire cette loi ?
Venue renforcer la protection de l’image des mineurs dans l’ère numérique en constante évolution, cette nouvelle loi veut modifier les règles du code civil concernant l’autorité parentale, afin d’y intégrer le respect de la vie privée et le droit à l’image. L’idée est d’alerter et de sensibiliser les parents sur leurs obligations.
La technologie moderne et l’ubiquité des réseaux sociaux ont créé de nouveaux défis de matière de protection de la vie privée, en particulier pour les mineurs dont les parents partagent de plus en plus leur image en ligne.
2. Quelles sont les principaux apports de cette loi ?
• Insérer dans la définition de l’autorité parentale la notion de vie privée au titre de l’article 371-1 du code civil ;
• Indiquer que « Les parents protègent en commun le droit à l’image de leur enfant mineur » et que « Les parents associent l’enfant à l’exercice de son droit à l’image, selon son âge et son degré de maturité », comme l’exige la Convention internationale des droits de l’enfant de 1989 ;
• Permettre au juge aux affaires familiales d’interdire à un parent de publier ou diffuser toute image de son enfant sans l’accord de l’autre parent ;
• Créer une délégation partielle forcée de l’autorité parentale en cas de diffusion de l’image de l’enfant portant gravement atteinte à sa dignité ou à son intégrité morale ;
• Permettre à la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) de saisir la justice pour demander toute mesure de sauvegarde des droits de l’enfant en cas de non-exécution ou d’absence de réponse à une demande d’effacement de données personnelles prévu à l’article 51 de la loi « Informatique et libertés ».
3. Quelles sont les prochaines étapes ?
Le texte a été adopté le mardi 10 octobre 2023 par l’Assemblée nationale, il est dorénavant transmis pour une nouvelle lecture au Sénat !
Restons attentifs !
17
octobre
2023
Entrée en vigueur de la loi sur le cyberscore
La loi n°2022-309 du 3 mars 20221 pour la mise en place d’une certification de cybersécurité des plateformes numériques destinée au grand public est entrée en vigueur le 1er octobre 2023.
L’objectif de cette loi est de sensibiliser et d’éduquer les utilisateurs de plateformes en ligne à la cybersécurité.
La période de crise sanitaire liée au covid a accéléré la dématérialisation des données et les interdépendances humaines aux systèmes de communication numérique. Le recours à des plateformes ou à des solutions de messagerie, de visioconférence, s’est décuplé au cours de cette période. Ces services ont notamment été proposés par des acteurs américains, ce qui a posé des questions d’application des règles protectrices du droit de l’Union ou encore de l’hébergement des données.
Leur développement a aussi multiplié les risques et les atteintes liées à la cybersécurité, qui sont de plus en plus élaborées, telles que la captation des données personnelles, de données bancaires, l’usurpation d’identité, l’espionnage, les enregistrements frauduleux de réunions en ligne à l’insu des participants, voire le détournement d’image ou de voix pour l’élaboration de deep fake…
Et ces failles ne sont pas exploitées uniquement envers les particuliers ; les systèmes informatiques des pouvoirs publics, des collectivités territoriales, des hôpitaux, ou encore des entreprises privées sont également largement visés.
La loi s’insère dans le développement d’une stratégie de maîtrise, de protection des données et de préservation de la souveraineté numérique
Pour sensibiliser sur les enjeux de sécurité numérique, la loi a introduit un système de cyberscore en créant l’article L. 111-7-3 dans le Code de la consommation.
Cet article va tout d’abord s’appliquer aux opérateurs de plateformes en lignes tels que désignés à l’article L. 111-7 du même code. Ces opérateurs sont « des personnes physiques ou morales proposant, à titre professionnel, de manière rémunérée ou non, un service de communication au public en ligne reposant sur le classement ou le référencement, au moyen d’algorithmes informatiques, de contenus, de biens ou de services proposés ou mis en ligne par des tiers, ou sur la mise en relation de plusieurs parties en vue de la vente d’un bien, de la fourniture d’un service ou de l’échange ou du partage d’un contenu, d’un bien ou d’un service ».
Sont ensuite concernés les services de communications interpersonnelles non fondés sur la numérotation qui sont désignés et définis au point 6° quater de l’article L. 32 du Code des postes et des communications électroniques, comme WhatsApp ou Messenger.
La loi impose à ces acteurs, franchissant un certain seuil dont les modalités de détermination seront fixées par décret, de réaliser un audit auprès de prestataires d’audit de la sécurité des systèmes d’information (PASSI)2 qualifiés par l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI).
Les critères à prendre en compte lors de la réalisation de l’audit sont quant à eux déterminés par décret conjoint des ministres en charge de la consommation et du numérique, pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL).
Le résultat de l’audit prendra la forme d’une certification de sécurité pour les plateformes numériques. Ce label cyberscore, à l’instar du nutriscore présent sur de nombreux emballages de produits alimentaires, vise à informer les internautes utilisateurs de ces sites sur le niveau de sécurisation des données. Il devra être présenté aux utilisateurs des plateformes « de façon lisible, claire et compréhensible et être accompagné d’une présentation ou d’une expression complémentaire, au moyen d’un système d’information coloriel ».
En obligeant la présentation d’une telle information sur les sites, les objectifs de la loi sont clairs : forcer les opérateurs concernés à être transparents sur leur sécurité et à la renforcer, protéger les utilisateurs tout sensibilisant ces derniers à la protection de leurs données, à des fins d’éducation sur la cybersécurité. Cette garantie de cybersécurité vise les données dans leur ensemble, allant au-delà d’un simple chevauchement avec la protection des données personnelles déjà assurée par le Règlement général sur la protection des données (RGPD).
Bénéficier d’un score élevé, obtenu à l’issue d’audits réalisés par des opérateurs externes qualifiés, sera vertueux tant pour l’image de la plateforme que pour la confiance des utilisateurs. Ces audits permettront, de plus, de s’assurer d’un certain contrôle sur les plateformes et autres opérateurs du Cloud, dont un grand nombre est susceptible d’être tiers à l’Union européenne.
Des débuts difficiles pour la loi
Cependant, arborer un tel score ne garantit aucunement l’absence totale de risques. Les attaques contre les sites internet, les entreprises et les particuliers sont nombreuses et les méthodes variées.
Par ailleurs, la loi est certes entrée en vigueur, mais le décret d’application et l’arrêté censés définir respectivement les seuils déterminant les plateformes et services visés, ainsi que les critères à prendre en compte pour l’audit et la délivrance du certificat, n’ont pas été pris au jour de l’entrée en application de la loi, ce qui retarde son application effective.
Ainsi, les opérateurs concernés ne sont pas encore déterminés. En effet, tous les sites ne seront pas concernés, et ce, pour permettre un équilibre entre une réglementation trop prononcée, et le développement des activités et de l’innovation.
La loi ne sera donc pleinement opérationnelle qu’après la publication du décret et de l’arrêté, éléments clés pour définir les acteurs concernés.
Arthur Burger
Stagiaire juriste
Gaëlle Loinger-Benamran
Conseil en propriété industrielle Associée
[1] https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000045294275/
[2] https://www.ssi.gouv.fr/entreprise/qualifications/prestataires-de-services-de-confiance-qualifies/prestataires-daudit-de-la-securite-des-systemes-dinformation-passi-qualifies/