27
août
2024
Quand un couteau tranchant devient un dossier coupant : l’annulation épique de l’IG revendiquée par les couteliers de Thiers
Author:
TAoMA
Contexte du Litige
Le 6 septembre 2022, l’INPI a attribué l’indication géographique pour les produits industriels et artisanaux (IG) de la célèbre lame ornée d’une abeille à la candidature portée par l’Association Couteau Laguiole Aubrac Auvergne (CLAA) basée à Thiers, offrant ainsi cette protection à 94 communes réparties sur six départements, incluant Thiers (Puy-de-Dôme) et Laguiole (Aveyron).
Les artisans aveyronnais, notamment soutenus par la commune de Laguiole ont contesté cette IG, arguant que la zone retenue était trop large et non cohérente.
Pour leur défense, les couteliers de Thiers ont argué avoir historiquement soutenu la production des couteaux Laguiole, notamment en fournissant des pièces détachées pendant le déclin de la coutellerie à Laguiole entre 1950 et 1985.
Cependant, les couteliers de Laguiole avaient contesté cette délimitation, affirmant que la réputation du couteau ne pouvait être liée qu’à son lieu d’origine et à sa fabrication artisanale locale.
En effet , le cahier des charges de l’Indication Géographique « couteau de Laguiole » est strict, exigeant que toutes les entreprises membres du syndicat respectent des critères de fabrication rigoureux. Ce savoir-faire ancestral repose sur une attention particulière à chaque étape, notamment avec l’estampillage de chaque lame pour garantir la qualité de l’acier utilisé, et l’inscription en creux de la marque de l’entreprise sur la lame, sans recours au laser, en fin de production.
Arguments et décision de la Cour
La Cour d’appel Aix-en-Provence a relevé plusieurs points critiques dans le cahier des charges de l’IG, notamment :
1. Ambiguïté de la désignation : la Cour a jugé que le terme « Couteau Laguiole » est ambigu, désignant à la fois un modèle de couteau et une provenance géographique, ce qui pourrait induire le consommateur en erreur sur l’origine réelle du produit.
2. Représentativité contestée : la représentativité de l’Association CLAA a été remise en cause, notamment concernant le pourcentage d’entreprises et de salariés effectivement représentés dans la zone géographique concernée.
3. Zone géographique incohérente : la zone géographique définie, englobant des régions non contiguës et distantes, a été jugée inadaptée pour garantir l’authenticité et la réputation du produit associé à l’IG.
4. Précision du produit protégé : la définition du produit à protéger a été jugée insuffisamment précise, avec des termes flous et une absence de lien clair entre les produits décrits et la zone géographique concernée.
Le 11 juillet dernier, la Cour a finalement tranché en faveur des couteliers aveyronnais, annulant la décision de l’INPI et reconnaissant que la renommée des couteaux de Laguiole est indissociable de leur lieu de conception et de production d’origine1.
Conséquences
Cette annulation représente une victoire pour les requérants, qui ont également obtenu la condamnation de l’Association CLAA aux dépens ainsi qu’au paiement de la somme de 5 000 euros à chacun des plaignants en vertu de l’article 700 du Code de procédure civile.
En revanche, la question de la responsabilité de l’INPI notamment soulevée par la commune de Laguiole pour des manquements lors de l’homologation reste en suspens. La Cour ayant ordonné la réouverture des débats sur ce point, les parties concernées sont invitées à conclure sur la recevabilité de cette demande avant une nouvelle audience prévue pour le 3 février 2025.
Cette décision pourrait avoir un impact significatif sur la gestion des indications géographiques, notamment pour les produits industriels et artisanaux, en France, rappelant l’importance de la précision et de la rigueur dans la définition et l’homologation de telles protections juridiques.
Finalement, il faut croire que même les lames les plus tranchantes ne peuvent pas échapper aux mailles serrées de la justice !
Contactez TAoMA pour obtenir des conseils personnalisés ici.
Besoin de vous former ou de former vos équipes aux bonnes pratiques sur le sujet ?
Découvrez les ateliers de TAoMA Academy en nous contactant ici.
Gaëlle Bermejo
Conseil en Propriété Industrielle
(1) Arrêt de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence No. 2024/ 163, 11 juillet 2024
28
novembre
2023
Champagne vs. Champaign : pour l’EUIPO, les ingrédients ne sont pas réunis en cuisine pour rejeter la demande de marque !
Le Comité Interprofessionnel des Vins de Champagne (CIVC) qui représente et défend les droits de l’AOP « Champagne » constate tous les jours des dépôts de marques comportant le mot « Champagne » ou faisant référence à l’univers du Champagne.
C’est sans conteste le cas de la demande de marque de l’Union Européenne « Champaign » déposée en juillet 2022 par la société américaine Monument Grill pour des produits de cuisson, de réfrigération, etc. Cette marque a la même prononciation anglosaxonne que le mot Champagne et se présente de la manière suivante :
Fidèle à son combat, le CIVC a formé opposition contre la demande de marque litigieuse afin de tenter d’empêcher son enregistrement.
Contre toute attente, l’EUIPO, en rupture avec sa propre jurisprudence et celle de la CJUE, a rejeté l’opposition du CIVC dans une décision datée du 10 octobre dernier en considérant que : « Même si les appareils et installations frigorifiques mentionnés peuvent être utilisés pour stocker du vin, les produits litigieux et le vin couvert par l’AOP Champagne sont très éloignés en termes de nature et d’aspect physique, de méthode de fabrication/élaboration et de destination ».
L’Office ajoute que le fait que les deux termes se prononcent de façon similaire « n’est pas suffisant pour que le public puisse établir un lien clair et direct entre la demande de dépôt de marque de l’Union Européenne contestée, pour des réfrigérateurs, et le produit protégé, du vin provenant de la région de Champagne ».
Enfin, l’CJUE considère que le public ne percevra pas une signification particulière dans le terme contesté « Champaign » dans la mesure où celui-ci signifie également en vieil anglais « étendue plate de campagne » ou « étendue de terrain plat », élément qui, selon lui, est de nature à démontrer l’absence de volonté délibérée de la société américaine de parasiter l’AOP Champagne.
Même si l’Office se justifie en précisant que cette décision « n’est pas remise en cause par les nombreuses décisions citées par le CIVC étant donné que les circonstances, les faits et les éléments de preuve à l’égard desquels ces affaires ont été appréciées étaient différents de l’espèce ». On l’aura compris, cette décision vient en rupture de la jurisprudence de la CJUE en la matière.
On peut en effet citer notamment l’affaire du bar à tapas espagnol « Champanillo » (notre news sur cette affaire ici) dans laquelle la CJUE, interrogée par la Cour de Barcelone, affirme que les AOP doivent être protégées à l’encontre d’une évocation se rapportant tant à des produits qu’à des services, en cas d’incorporation partielle de l’appellation protégée, de parenté phonétique et visuelle, de proximité conceptuelle ou de similitude entre les produits couverts par l’AOP et les produits et services couverts par le signe litigieux.
L’arrêt « Champanillo » pose ainsi le principe selon lequel les AOP sont protégées vis-à-vis de signes utilisés pour désigner des produits ou des services non couverts par l’appellation « Champagne » et démontre ainsi la volonté de la CJUE de garantir aux indications géographiques une protection étendue.
La voie que vient d’emprunter l’EUIPO est toute autre. Il convient toutefois de préciser qu’il s’agit là de la position de la Division d’Opposition.
Dans une affaire similaire, l’opposition contre le dépôt d’une marque de l’Union Européenne « Champagnola » par une société tchèque en classes 30 (pains et pâtisseries) et 40 (services de boulangerie et pâtisserie) avait été rejetée par la Division d’Opposition en 2019 au motif que les produits et services désignés par la demande n’étaient pas similaires au vin de Champagne et qu’il n’y avait en l’espèce ni usage commercial ni évocation et dès lors aucun risque de confusion.
Saisie d’un recours contre cette décision par le CIVC, la Chambre de Recours a annulé la décision, le 17 avril 2020, en refusant l’enregistrement de la marque « Champagnola » en classes 30 et 40 en considérant que celle-ci est une évocation certaine du terme Champagne et qu’elle exploite la renommée de l’AOP « Champagne », peu important que les produits et services visés ne soient pas similaires.
L’affaire Champaign est, depuis le 20 octobre, dans les mains de la Chambre de Recours de l’EUIPO qui optera pour la protection des appellations ou pour la poursuite du putsch engagé par la Division d’Opposition à l’égard de la CJUE.
Alors, Champagne ou pas ?
Juliette Biegala
Juriste
Jean-Charles Nicollet
Conseil en Propriété Industrielle Associé
17
août
2023
La Cour d’appel ne Rhônonce pas à la protection des AOP viticoles !
Author:
TAoMA
Il s’agit d’une nouvelle victoire pour les indications géographiques viticoles, et plus particulièrement pour l’appellation Côtes du Rhône.
A l’instar des dernières décisions rendues en matière d’appellations d’origine protégées (AOP) et d’indications géographiques protégées (IGP) viticoles ou même fromagères, cette fois-ci c’est la protection du terme « Rhône » qui vient d’être entérinée par la Cour d’appel de Paris.
A l’origine de ce litige, une action judiciaire introduite par le Syndicat général des vignerons réunis des Côtes du Rhône et l’Institut National de l’Origine et de la Qualité (INAO) devant le Tribunal Judiciaire de Paris contre le négoce de vins NewRhône Millésimes pour le dépôt et l’usage des marques françaises NEWRHONE No. 4425084 et No. 4425088, enregistrées en 2018 pour des « Vins bénéficiant des appellations d’origines protégées « Côtes du Rhône » et « Côtes du Rhône Villages » y compris les Crus des Côtes du Rhône, et des autres appellations d’origines protégées de la Vallée du Rhône ».
Déboutées en première instance aux motifs que « le terme « Rhône » renvoie au fleuve et non pas aux appellations », les demanderesses ont fait appel de cette décision le 12 mai 2021 devant la Cour d’appel de Paris.
Le 26 mai dernier [1], la troisième chambre de la Cour d’appel de Paris a prononcé la nullité des marques susvisées pour l’intégralité des produits désignés, et interdit l’exploitant NewRhône Millésimes « dans un délai de 45 jours à compter de la signification du présent arrêt (…) de faire usage du signe « Newrhône » pour désigner des vins, le commerce des vins ou leur promotion ».
A la lumière de l’arrêt Champanillo rendue par la CJUE en décembre 2021, la Cour d’appel de Paris rappelle l’importance de la notion d’« évocation », et plus précisément le fait que « le critère déterminant est celui de savoir si le consommateur, en présence d’une dénomination litigieuse, est amené à avoir directement à l’esprit, comme image de référence, la marchandise couverte par l’AOP (…) ».
La Cour considère ainsi que « ces signes incorporent en partie les appellations protégées « Côtes du Rhône » et « Côtes du Rhône Villages », en l’occurrence le terme ‘Rhône’, qui en constitue l’élément dominant, les termes ‘Côtes’ et «’Villages’» constituant des termes communs et secondaires, contrairement au terme ‘ Rhône’ qui sera identifié par le consommateur européen moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé comme se rapportant à des vins d’appellation protégée, répondant à des critères définis par un cahier des charges ».
Elle poursuit par ailleurs – avec ce qui pourrait être considéré comme l’attendu fondamental de cette décision – en précisant qu’« un vin conforme à un cahier des charges et bénéficiant d’une appellation d’origine ne peut faire usage de celle-ci que sous sa forme enregistrée, tout autre usage n’étant pas autorisé, qu’il s’agisse d’une imitation ou d’une évocation et que cette imitation ou évocation porte sur l’un ou l’ensemble des composants d’une appellation ».
A l’instar des dernières décisions judiciaires ou administratives rendues en matière d’atteintes portées à des AOP et à des IGP, cette décision de justice vient de nouveau préciser les contours de leur protection, et renforcer la réglementation de leur utilisation.
Gaëlle Bermejo
Conseil en Propriété Industrielle
[1] Cour d’appel de Paris, 26 mai 2023 – RG n° 21/09232, Pôle 5 Chambre 2
08
décembre
2022
La protection de l’AOP Morbier = la raie tant attendue de la Cour d’appel de Paris !
Author:
TAoMA
Un arrêt important rendu par la Cour d’appel de Paris sonne le glas de la saga judiciaire Morbier, initiée en 2013 par le Syndicat interprofessionnel de défense du fromage Morbier (ci-après dénommé le « Syndicat »).
A l’origine de ce litige, une action menée devant le tribunal judiciaire de Paris par le Syndicat contre la S.A.S Fromagerie du Livradois aux motifs que cette fromagerie auvergnate continuait de commercialiser un autre fromage comportant une raie noire centrale malgré la promulgation de l’AOP Morbier, et l’interdiction formelle de commercialiser ce fromage qui ne respectait pas le cahier des charges de l’appellation.
Déboutée par les juges du fond, le Syndicat a formé un pourvoi à l’issue duquel la Cour de cassation a saisi la CJUE d’une question préjudicielle – la reprise des caractéristiques physiques d’un produit protégé par une AOP, sans utilisation de la dénomination enregistrée, peut-elle constituer une pratique susceptible d’induire le consommateur en erreur quant à la véritable origine du produit au sens de l’article 13, §1 du Règlement n°1151/2012 (produits agricoles et denrées alimentaires) ?
Contrairement à la position adoptée en première instance et en appel, la CJUE avait répondu par l’affirmative. Elle avait indiqué à cette occasion que les règlements relatifs à la protection des indications géographiques et des appellations d’origine des produits agricoles et des denrées alimentaires pouvaient inclure dans la protection la forme ou l’apparence du produit couvert par l’AOP, sans qu’il soit nécessaire que le nom du produit litigieux contienne l’AOP (voir notre news du 23/02/2021 – AOP Morbier : La rainure noire c‘est noir, il n’y a plus d’espoir).
Sans surprise, la Cour de cassation avait donc cassé l’arrêt d’appel et renvoyé l’affaire devant la Cour d’appel de Paris.
Le 18 novembre 2022, lors de la dernière étape de ce récit judiciaire, la Cour d’appel de Paris a déclaré que le trait bleu horizontal évoque pour un consommateur européen moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé une caractéristique de référence et particulièrement distinctive du fromage d’appellation d’origine « Morbier ».
La Cour a également reconnu que la reproduction de la caractéristique distinctive du Morbier qu’est la raie centrale de couleur sombre alliée à la reprise de l’ensemble des caractéristiques de forme et d’apparence du fromage d’appellation d’origine constitue l’évocation de la dénomination Morbier, en ce que le consommateur en présence du fromage Montboissié est amené à avoir à l’esprit, comme image de référence, le fromage d’appellation d’origine Morbier.
Si l’appellation « Morbier » est protégée par le sigle AOP (Appellation d’origine protégée) depuis 2002, le Syndicat militait néanmoins en faveur d’un élargissement de la protection depuis une dizaine d’années.
Après cette bataille judiciaire décennale, il s’agit donc d’une grande victoire pour les acteurs de la filière et le Syndicat – les caractéristiques visuelles du célèbre fromage jurassien sont désormais protégées.
Cette décision de justice inédite qui vient élargir et renforcer la protection des AOP, fera sans nul doute jurisprudence dans l’environnement du droit positif.
L’heure étant aux festivités – n’oubliez pas de sortir le Morbier pour vos fêtes de fin d’année !
Gaëlle Bermejo
Conseil en Propriété Industrielle
12
octobre
2021
Il y a des bulles dans l’air pour les exploitants du terme « Champanillo »
Author:
teamtaomanews
Dans le cadre d’un arrêt décisif rendu le 9 septembre dernier, la Cour de Justice de l’Union Européenne rappelle et renforce les garanties dont bénéficient les Appellations d’origine protégée (AOP), plus particulièrement l’appellation CHAMPAGNE.
A l’origine de ce litige, une action menée devant les juridictions espagnoles par le Comité Interprofessionnel du Vin de Champagne (CIVC) contre la société GB qui utilise le signe champanillo (signifiant petit champagne en espagnol) accompagné d’un support graphique représentant deux coupes remplies d’une boisson mousseuse, pour désigner et promouvoir ses bars à tapas en Espagne.
Lors d’un renvoi préjudiciel initié par les instances espagnoles, la CJUE précise les conditions de protection dont bénéficient les produits couverts par une AOP.
D’une part, le règlement portant organisation commune des marchés des produits agricoles[1] protège les AOP à l’égard d’agissements se rapportant tant à des produits qu’à des services. Ainsi, les AOP bénéficient d’une protection très large qui s’étend à toute utilisation visant à profiter de la réputation associée aux produits visés par l’une de ces indications.
D’autre part, la notion d’ »évocation », condition sine qua non pour caractériser une atteinte à une AOP, n’est pas subordonnée à l’exigence d’une identité ou similarité entre les produits de l’AOP et les produits ou services exploités par le signe litigieux. Les produits ou services peuvent être différents, l’atteinte sera quand même reconnue dès lors que le consommateur sera en mesure d’établir un lien direct et univoque entre la dénomination litigieuse et l’AOP.
Cette décision, amplement saluée par le CIVC, s’inscrit dans le prolongement de la décision CHAMPAGNOLA rendue par la Chambre de recours de l’EUIPO, qui confirmait également que l’atteinte à l’AOP était caractérisée dès lors qu’il y avait une évocation audit signe et une utilisation permettant de profiter de sa réputation même en présence de produits/services non similaires.
Il semblerait qu’en précisant et renforçant les conditions de protection dont bénéficient les produits couverts par une AOP, la CJUE ait fermement décidé de rappeler que les bulles estampillées « CHAMPAGNE », ça se mérite !
Gaëlle Bermejo
Juriste
[1] Règlement (UE) n ° 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles et abrogeant les règlements (CEE) n ° 922/72, (CEE) n ° 234/79, (CE) n ° 1037/2001 et (CE) n ° 1234/2007 du Conseil. OJ L 347, 20.12.2013, p. 671–854.
12
août
2021
Moscou sabre l’AOC « Champagne » en russe et la relègue au rang de simple « vin à bulles » pour les exportateurs français
Author:
teamtaomanews
Le 2 juillet 2021, Vladimir Poutine a validé l’amendement de la loi sur la réglementation des boissons alcoolisées réservant l’appellation « Shampanskoye » (« Champagne » en russe) aux seuls producteurs de vin russes.
Non seulement cette nouvelle norme dégrade la protection offerte par l’AOC (appellation d’origine contrôlée) « Champagne », mais elle interdit de surcroit aux producteurs étrangers – et notamment français – d’avoir recours à cette dénomination traduite en russe. Les champagnes français importés devront donc désormais être qualifiés de « sparkling wines » (vins à bulles) en lieu et place de « Shampanskoye ». Pire encore, en cas de non-respect de la nouvelle réglementation, les vins français seront assimilés à de la contrefaçon.
Il est cependant important de noter que la dénomination « Champagne » reste l’apanage de nos grands vins en Russie.
Les conséquences économiques ne sont pas négligeables sachant que les exportations françaises de champagne vers la Russie représentent 13% des 50 millions des litres de mousseux importés. Nos producteurs français devront donc apporter des modifications textuelles sur leurs étiquettes avant d’exporter leurs nectars vers la Russie.
Pour comprendre la gravité de l’atteinte porté au droit français par Moscou il faut rappeler ce que représente le régime des AOC.
Une appellation d’origine contrôlée (AOC), ou appellation d’origine protégée (AOP) au niveau européen, permet d’identifier un produit présentant des caractéristiques indissociables de l’espace géographique dans lequel il est produit. Obtenir une AOP prend plusieurs années et nécessite des études techniques poussées pour démontrer que les caractéristiques du produit sont dues à la situation géographique de l’aire de production et au savoir-faire local.
L’objectif poursuivi est double : il s’agit d’une part d’offrir au consommateur une identification claire du produit et de ses qualités, et d’autre part de protéger les producteurs régionaux contre des concurrents désireux de s’accaparer indûment la réputation de leur terroir.
Le domaine viticole est inséparable des AOC puisque c’est de ce milieu qu’elles sont issues. C’est en 1935 sous l’impulsion de vignerons renommés qu’un décret-loi vient fixer les premières AOC. Figurent dans cette liste des grands crus à l’instar des vins de Châteauneuf-du-Pape, de Tavel ou encore de Montbazillac. Le Champagne les a bien vite rejoints en 1936. Le domaine viticole est aujourd’hui toujours fécond en appellations d’origine, puisqu’on en dénombrait 363 en France en 2017.
De l’autre côté de l’Oural, la conception de la préservation des productions locales est bien différente. En effet, en 1930 Staline a entrepris de créer un « champagne soviétique ». Bas de gamme et produit en masse, il présentait l’intérêt d’être accessible à tous.
Face à la Russie, le respect des AOC au-delà des frontières de l’hexagone reste difficile même si l’Union européenne tente d’inclure leur protection lors de la signature d’accords commerciaux avec d’autres états.
Anne-Cécile Pasquet
Auditrice de justice
Jean-Charles Nicollet
Conseil en Propriété Industrielle
Responsable du Pôle juridique CPI
05
juillet
2021
Pour l’office européen de la propriété intellectuelle (EUIPO), ne s’improvise pas fabriquant de Prosecco qui veut !
Author:
teamtaomanews
Avec ses fines bulles et son prix abordable, le Prosecco a depuis une vingtaine d’années conquit les faveurs des vacanciers estivaux. Ingrédient indispensable au Spritz, cocktail lui-même indispensable à tout apéritif réussi, ce vin blanc pétillant est typique de l’Italie. Plus particulièrement de sa région nord-est, dans laquelle s’élèvent les collines du Prosecco.
Ce détail a son importance puisque le Prosecco, à l’instar de son cousin français le Champagne, est protégé par une AOP : une appellation d’origine protégée. L’AOP permet d’empêcher les tiers de profiter indûment de l’aura du nom d’un produit souvent renommé.
L’AOP Prosecco a été enregistrée dans la catégorie « vin » le 1er août 2009, et c’est pour en assurer la défense que le Consortium pour la protection de l’Appellation d’Origine Contrôlée Prosecco – ou dans la langue de Dante « Consorzio di tutela della Denominazione di Origine Controllata Prosecco » – a formé opposition le 17 juin 2020 contre l’ensemble des produits désignés par la demande de marque déposée le 22 décembre 2019 par la société Hempdrinks GmbH, en classes 32 et 33 pour des boissons non alcooliques et diverses boissons alcooliques.
Cultivé bien loin de collines transalpines, le « Hamp-Secco » est un alcool fabriqué à base de chanvre au Weinviertel, une région viticole autrichienne.
Pour solliciter le rejet de la demande de marque l’opposant se fonde sur l’article 8§6 du Règlement sur la marque de l’Union européenne (RMUE) permettant de s’opposer à une demande de marque sur la base d’une AOP ou indication géographique protégée par le règlement UE n°1308/2013, consacré aux produits viticoles. Selon ce dernier règlement, les indications géographiques et plus particulièrement les AOP sont protégées contre :
– tout usage direct ou indirect du nom protégé pour des produits comparables qui ne respecteraient pas le cahier des charges de l’indication géographique ou dans le cas où cette utilisation exploiterait la renommée de l’AOP ou de l’indication géographique
– toute utilisation abusive, imitation ou évocation, même si la vraie origine des produits est indiquée ou si le nom protégé est traduit ou accompagné d’une expression du type « style », « méthode », « imitation », etc.
– toute autre indication fausse ou trompeuse sur la provenance, l’origine, la nature ou les qualités essentielles du produit, à l’intérieur ou à l’extérieur du packaging, des supports publicitaires, etc.
– toute autre pratique susceptible d’induire en erreur le consommateur sur la véritable origine du produit.
Il s’agit donc d’une protection large et la jurisprudence est en la matière relativement sévère puisqu’il suffit que le signe litigieux provoque chez le consommateur raisonnablement bien informé et observateur une confusion avec l’AOP pour que ces textes trouvent à s’appliquer.
Comme dans le cadre d’une opposition basée sur une marque antérieure, lorsque le droit invoqué est une AOP, l’EUIPO prend en considération les ressemblances phonétiques et visuelles entre les signes ainsi que le degré de similarité entre les produits concernés.
Dans le cas présent, l’EUIPO a jugé que la demande de marque était susceptible de créer dans l’esprit du consommateur une association avec l’AOP Prosecco, aussi bien pour les boissons alcoolisées que non alcoolisées. En effet, l’élément verbal HEMP-SECCO est placé en position prédominante au sein de la marque contestée. Les autres éléments composant la demande sont des éléments figuratifs et décoratifs ou des éléments verbaux de plus petite taille. Il s’agit donc d’éléments secondaires par rapport à la dénomination HEMP-SECCO. Par ailleurs, cette dernière sera utilisée oralement par le public pour se référer aux produits et sera donc l’élément retenu par le consommateur.
L’EUIPO relève que les signes HEMP-SECCO et PROSECCO partagent 5 lettres formant la séquence « secco » mais également la lettre P au sein de leurs préfixes. Enfin, ces éléments verbaux ont la même structure et le même nombre de syllabes. Au regard de ces différents développements, l’EUIPO considère que la marque constitue une évocation de l’AOP Prosecco. La marque est par conséquent rejetée.
Ainsi si les bulles du Prosecco ont vocation à pétiller sur les terrasses du monde entier, le nom du vin lui, ne dépassera pas les frontières de ses collines.
Anne-Cécile Pasquet
Auditrice de justice
Jean-Charles Nicollet
Conseil en Propriété Industrielle
Responsable du Pôle juridique CPI
23
février
2021
AOP Morbier : La rainure noire c’est noir, il n’y a plus d’espoir
Author:
teamtaomanews
Dans un précédent article (« AOP : L’habit fait-il le fromage ? » – voir notre news du 16 octobre 2019), nous vous évoquions l’interrogation transmise à la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) par la cour de cassation en matière d’Appellation d’Origine Protégée (AOP) afin de savoir si la reprise des caractéristiques physiques d’un produit protégé par une AOP peut constituer une pratique susceptible d’induire le consommateur en erreur quant à la véritable origine du produit.
Ainsi, par un arrêt du 17 décembre 2020 la CJUE [1] a rendu une décision préjudicielle sur cette question.
Pour rappel, le syndicat interprofessionnel de défense de l’AOP Morbier a assigné un producteur fabriquant et commercialisant un fromage reprenant l’apparence visuelle du produit protégé par l’appellation d’origine protégée « Morbier », en particulier la raie noire séparant les deux parties du fromage (voir ci-dessus).
La question posée par la cour de cassation est de savoir si la reprise des caractéristiques physiques d’un produit protéger par une AOP peut constituer une pratique susceptible d’induire le consommateur en erreur quant à la véritable origine du produit ?[2]
Cette interrogation revient à déterminer si la présentation d’un produit protégé par une AOP, en particulier la reproduction de la forme ou de l’apparence le caractérisant, est susceptible de constituer une atteinte à cette appellation, nonobstant l’absence de reprise de la dénomination.
La Cour a répondu à cette question en deux temps. Tout d’abord en interprétant les dispositions des articles 13, §1, respectifs des règlements n°510/2006 [3] et 1151/202 qui doivent être analysés en ce sens qu’ils n’interdisent pas uniquement l’utilisation par un tiers de la dénomination enregistrée.
En effet, leurs champs d’applications seraient plus vastes notamment par les termes « tout autre pratique » employés aux articles 13, §1, d). Ils devraient donc être interprétés dans le sens qu’ils interdisent la reproduction de la forme ou de l’apparence caractérisant un produit couvert par une dénomination enregistrée lorsque cette reproduction est susceptible d’amener le consommateur à croire que le produit en cause est couvert par cette dénomination enregistrée.
Ainsi, il y a lieu d’apprécier si ladite reproduction peut induire le consommateur, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, en erreur.
Ensuite, la Cour observe que certes la protection prévue par les règlements a initialement pour objet la dénomination enregistrée et non le produit couvert par celle-ci. Elle n’a donc pas pour objectif d’interdire l’utilisation des techniques de fabrication ou la reproduction d’une ou de plusieurs caractéristiques indiquées dans le cahier des charges d’un produit couvert par une telle dénomination.
Toutefois, les AOP sont protégées en tant qu’elles désignent un produit qui présente certaines qualités ou certaines caractéristiques. Ainsi, l’AOP et le produit couvert par celle-ci sont intimement liés.
L’expression « toute autre pratique » n’étant pas limitative, cela signifie que les textes précités pourraient inclure dans la protection la forme ou l’apparence du produit couvert par l’AOP. Et pour cela, il ne serait pas nécessaire que le nom du produit litigieux contienne l’AOP.
Il convient donc d’apprécier si un élément de l’apparence du produit couvert par la dénomination enregistrée constitue une caractéristique de référence et particulièrement distinctive pour que sa reproduction puisse amener le consommateur à croire que le produit contenant cette reproduction est couvert par cette dénomination enregistrée.
C’est ainsi que la CJUE, par cette décision préjudicielle vient consacrer l’appréciation de tous les facteurs pertinents d’une reproduction, et au-delà de la dénomination de l’AOP, l’apparence, comme en l’espèce avec la rainure noire caractéristique de l’AOP « Morbier », qui peut induire le consommateur en erreur.
A présent, il faut se demander si cette « frontière noire » sera franchis pour d’autres AOP.
Dorian Souquet
Juriste Stagiaire
Jean-Charles Nicollet
Conseil en Propriété Industrielle
Responsable du Pôle juridique
[1] CJUE, 5ème chambre, 17 décembre 2020, C-490/19 – lire la décision
[2] « Les articles 13, paragraphe 1, respectifs des règlements n°510/2006 et 1151/2012, doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils interdisent uniquement l’utilisation par un tiers de la dénomination enregistrée ou doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils interdisent la présentation d’un produit protégé par une appellation d’origine, en particulier la reproduction de la forme ou de l’apparence le caractérisant, susceptible d’induire le consommateur en erreur quant à la véritable origine du produit, même si la dénomination enregistrée n’est pas utilisée ? »
[3] « 1. Les dénominations enregistrées sont protégées contre toute :
a) utilisation commerciale directe ou indirecte d’une dénomination enregistrée pour des produits non couverts par l’enregistrement (…)
b) usurpation, imitation ou évocation, même si l’origine véritable du produit est indiquée (…)
c) autre indication fausse ou fallacieuse quant à la provenance, l’origine, la nature ou les qualités substantielles du produit (…)
d) autre pratique susceptible d’induire le consommateur en erreur quant à la véritable origine du produit. »
25
janvier
2021
Cidre de Perche: 22 ans pour obtenir l’AOC!
Author:
teamtaomanews
Les producteurs de cidre de Perche peuvent se réjouir d’avoir obtenu la consécration pour leurs produits : le sceau de l’Appellation d’Origine Contrôlée, de son petit nom AOC.
Nous pourrions être mauvaises langues et nous dire qu’il s’agit d’une AOC de plus, mais il s’agirait d’un commentaire réducteur. La procédure pour obtenir une AOC est longue et compliquée. Dans le cadre du cidre de Perche, il aura fallu près de 22 ans aux producteurs pour obtenir le graal !
En effet, l’AOC signifie que le produit bénéficie de caractéristiques, notamment gustatives, qui résultent aussi bien de la qualité du terroir et des produits locaux que du savoir-faire des producteurs de la région. Toutes les étapes de production doivent être réalisées dans l’aire géographique que l’AOC couvrira.
Il revient donc aux producteurs, qui souhaitent obtenir une AOC, d’apporter la preuve que les caractéristiques de leurs produits ne peuvent être obtenues que dans leur aire géographique. Seul moyen, faire conduire de nombreuses études par des experts sur la topographie, les qualités particulières de la terre locale par rapport à d’autres zones, les méthodes de production, etc.
Toutes ces études prennent du temps et surtout, représentent un investissement financier important. La quête du sceau sacré implique ainsi une démarche réfléchie des producteurs qui croient en leurs produits.
Car le chemin ne s’arrête pas une fois l’AOC obtenue. Le dossier est ensuite transmis à la Commission européenne. Cette dernière en fera une étude minutieuse, pourra demander des compléments d’expertises, etc. Enfin, elle décidera soit de valider l’AOC, qui cèdera alors sa place à l’AOP (Appellation d’Origine Protégée) et sera inscrite au registre européen, soit de refuser l’AOC, entrainant sa disparition.
Dans le cadre de l’AOC cidre de Perche, la Commission européenne pourrait rendre sa décision d’ici la fin de l’année 2021. Les producteurs ne sont donc pas encore au bout de leurs peines, une AOC, ça se mérite !
Jean-Charles Nicollet
Conseil en Propriété Industrielle
Responsable du Pôle juridique CPI
Load more
Loading...