11
juillet
2022
Le TUE n’est pas d’humeur festive, Amsterdam Poppers descriptive
Author:
admingih092115
Si Amsterdam, capitale des Pays-Bas, est connue pour son patrimoine culturel et artistique, ainsi que ses richesses historiques, elle l’est tout autant pour sa vie nocturne et les plaisirs y associés. Ce fait, qualifié de notoire par le Tribunal de l’Union européenne (TUE) dans sa décision du 6 avril 20221, n’a pas joué en faveur de la société Funline International, déposante de la demande de marque AMSTERDAM POPPERS.
Le 15 décembre 2020, la société de droit américain Funline International a déposé auprès de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) la demande de marque AMSTERDAM POPPERS pour désigner divers produits des classes 3 et 5, y inclus « produits à inhaler à vocation aphrodisiaque et/ou euphorisante ».
L’EUIPO a, dans le cadre de l’examen de cette marque, émis un refus total de protection de la marque sur la base des deux motifs suivants :
La marque AMSTERDAM POPPERS est contraire à l’ordre public et aux bonnes mœurs dès lors qu’elle fait référence à une drogue récréative ;
La marque AMSTERDAM POPPERS est descriptive des « produits à inhaler à vocation aphrodisiaque et/ou euphorisante » dès lors qu’elle sert à décrire la provenance des produits en cause, à savoir une substance récréative provenant de la ville d’Amsterdam.
Sur recours de la société Funline International, la Chambre d’appel de l’EUIPO a confirmé partiellement la décision de refus. En effet, si la Chambre d’appel de l’EUIPO déjuge l’examinateur concernant la contrariété à l’ordre public et aux bonnes mœurs au motif que la consommation de poppers n’est pas prohibée dans les États membres, elle maintient la conclusion selon laquelle la marque AMSTERDAM POPPERS est descriptive pour les « produits à inhaler à vocation aphrodisiaque et/ou euphorisante ».
La demande de marque AMSTERDAM POPPERS a donc été acceptée à l’enregistrement pour l’ensemble des produits qu’elle désigne en classes 3 et 5, exception faite des « produits à inhaler à vocation aphrodisiaque et/ou euphorisante ».
C’était sans compter la détermination de la société Funline International qui a porté l’affaire devant le TUE afin d’obtenir l’annulation de la décision au motif qu’elle violerait l’Article 7, paragraphe 1, sous c), du Règlement 2017/10012.
En effet, la société Funline International considérait que la marque AMSTERDAM POPPERS ne pouvait être considérée comme descriptive dès lors que la ville d’Amsterdam n’était pas connue pour la production de poppers, de sorte qu’il n’existait aucun lien direct entre le lieu géographique et le produit en cause. Par ailleurs, la société américaine affirmait que la combinaison des termes AMSTERDAM et POPPERS était inhabituelle, conférant à l’ensemble un caractère arbitraire au regard des produits objectés.
Le TUE dans sa décision du 6 avril dernier rejette les arguments ci-dessus et confirme la décision de la Chambre d’appel de l’EUIPO.
En ce sens, le TUE rappelle la jurisprudence classique selon laquelle une marque composée de plusieurs termes descriptifs et/ou de termes géographiques peut faire l’objet d’un enregistrement à titre de marque au sein de l’Union européenne, à la condition toutefois que (i) la combinaison ne soit pas elle-même descriptive et (ii) qu’il n’existe pas de lien direct entre le lieu géographique et le produit désigné.
Or, tel n’est pas le cas en l’espèce puisque, contrairement à ce qu’affirme la société Funline International :
le terme AMSTERDAM sera nécessairement associé à la ville du même nom qui est notoirement connue pour sa tolérance concernant l’usage de drogues ;
le terme POPPERS renvoie directement à la nature des produits en cause, à savoir une substance qui est généralement utilisée dans un cadre festif.
Aussi, il existe un lien direct entre le lieu géographique utilisé et les produits objectés, le public pertinent pouvant raisonnablement penser que les produits en cause proviennent d’Amsterdam, ville réputée pour la consommation de ce type de produits.
Au surplus, le TUE considère de manière assez logique que la construction grammaticale de la marque demandée est banale, à tout le moins pour le public anglophone et francophone. La signification descriptive de la marque est effectivement immédiatement perceptible par ce public et ne nécessite pas particulièrement d’efforts intellectuels.
Il n’y aura donc pas de poppers à Amsterdam, le TUE confirme le rejet de la demande de marque AMSTERDAM POPPERS pour les « produits à inhaler à vocation aphrodisiaque et/ou euphorisante ».
Cette décision, en phase avec la jurisprudence classique de l’Union européenne, permet de rappeler les critères de protection des marques descriptives, en particulier quand elles sont composées d’une juxtaposition de termes descriptif et/ou d’un terme géographique. La vigilance reste donc de mise !
Baptiste Kuentzmann
Conseil en Propriété Industrielle
1 Tribunal de l’Union européenne du 6 avril 2022, Funline International c/ Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle, Affaire T-680/21 ;
2 « 1. Sont refusés à l’enregistrement: (…) c) les marques qui sont composées exclusivement de signes ou d’indications pouvant servir, dans le commerce, à désigner l’espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, la provenance géographique ou l’époque de la production du produit ou de la prestation du service, ou d’autres caractéristiques de ceux-ci; »
14
avril
2022
Prudence, la cession d’une marque à titre gratuit équivaut à une donation !
Author:
admingih092115
Le titulaire d’une marque a la faculté de transférer tout ou partie des droits qu’il détient sur celle-ci à un tiers, à travers la conclusion d’un contrat de cession. La cession peut être conclue à titre onéreux ou bien à titre gratuit.
Le jugement du tribunal judiciaire de Paris rendu le 8 février 2022[1] alerte les cocontractants sur les risques liés à une cession d’une marque à titre gratuit, très courante en pratique.
Dans cette affaire, deux associés ont déposé conjointement une marque de l’Union européenne ainsi que des dessins et modèles communautaires pour commercialiser des antennes. À la suite de la liquidation de leur société, l’un des deux titulaires a créé une nouvelle société, à qui il a cédé à titre gratuit ses droits sur la marque et les dessins et modèles, sans obtenir le consentement de son-ex associé.
Le co-titulaire des droits cédés l’a immédiatement assigné en nullité du contrat de cession, au motif que ce contrat, considéré comme une donation, aurait dû être constaté par acte notarié.
Le tribunal fonde sa décision sur l’article 931 du Code civil, qui prévoit que toutes les donations entre vifs (y inclus les personnes morales[2]) doivent être passées devant notaire, sous peine de nullité.
Il rappelle que le Code de la propriété intellectuelle ne déroge pas à ce formalisme et donc qu’en l’absence d’un droit spécial, il convient de prononcer la nullité du contrat de cession de marque et de modèle, qui n’avait pas été constaté par acte notarié.
Ainsi, la cession d’une marque à titre gratuit est considérée juridiquement comme une donation qui doit être passée devant notaire, sous peine de nullité.
Quelles sont les conséquences d’une telle annulation ?
Le contrat est considéré comme n’ayant jamais existé, de sorte que les parties doivent être remises dans l’état dans lequel elles se trouvaient avant sa conclusion[3].
Quelles sont les conséquences d’une qualification de la cession en donation ?
Qualifiée de donation, la cession de droits de marque à titre gratuit implique le paiement de droits de mutation dans les conditions de droit commun. Toutefois, l’exigibilité de ces droits varie en fonction du mode d’exploitation de la marque[4].
Dans l’hypothèse où la cession n’aurait pas été constatée par un acte notarié, la prudence est de mise, dans la mesure où cette situation peut entraîner des conséquences fiscales importantes de la part de l’administration (tel qu’un redressement fiscal).
Comment échapper au régime fiscal des donations ?
Afin d’éviter la constatation de la cession par un notaire et le paiement de droits de mutation, il est fréquent que le prix de cession soit fixé à un montant symbolique (par exemple d’un euro)[5].
Toutefois, l’administration peut considérer que la cession à un tel prix constitue un acte anormal de gestion dans le cas où la marque aurait été sous-évaluée, et requalifier l’acte en contrat à titre gratuit[6].
***
L’argument fondé sur l’irrespect de l’article 931 du code civil avait déjà été tenté par le passé[7] mais sans que les juridictions saisies n’aient à l’examiner, en présence d’irrecevabilités ou d’autres obstacles rendant inutile son examen. Le jugement du 8 février 2022 est donc particulièrement observé par les praticiens.
Pour l’heure, il semblerait qu’aucun appel n’a été formé à l’encontre de cette décision. Si la procédure en restait là ou si la solution du tribunal judiciaire était confirmée en appel, elle pourrait avoir des répercussions importantes pour la pratique, d’autant plus qu’elle s’applique à tous les droits de propriété intellectuelle.
Lire la décision sur Legalis
Margaux Maarek
Stagiaire
Jérémie Leroy-Ringuet
Avocate à la cour
[1] TJ Paris, 3e ch. 8 févr. 2022, n° 19/14142
[2] Cass. com., 7 mai 2019, n° 17-15621
[3] Cass. 1e civ. 16 juill. 1998 n° 96-18404 ; Cass. 3e civ. 2 oct. 2002 n° 01-02924
[4] Répertoire IP/IT et communication, propriété industrielle, régime fiscal, fiscalité des cessions de droits de propriété industrielle, Emmanuel CRUVELIER – Mise à jour décembre 2021.
[5] Fiche pratique n° 542 – Rédiger un contrat de cession de marque, Arnaud FOLLIARD-MONGUIRAL, Lexis 360, Mise à jour le 29 avril 2021
[6] Voir par exemple cour d’appel de Douai, 29 mars 2018, RG n° 17/00192 (pourvoi rejeté)
[7] Notamment, cour d’appel de Paris, 21 mai 1976, n° INPI B19760129 ; 29 janvier 2010, RG n° 08/21549