31
mai
2019
Pas de qualification de « fake news » pour le tweet de Christophe Castaner
Author:
teamtaomanews
La loi relative à la manipulation de l’information, publiée au journal officiel du 23 décembre 2018, avait pour objectif d’éviter une recrudescence de fausses informations à l’approche des élections européennes.
Cette disposition très spécifique au contexte électoral a été mise à l’épreuve récemment dans un jugement rendu « en état de référé » par la formation collégiale de référé du Tribunal de grande instance de Paris (au visa de l’article 487 du Code de procédure civile).
Ce jugement du 17 mai 2019 refuse d’ordonner de faire cesser la diffusion d’un tweet controversé, publié par Christophe Castaner, ministre de l’Intérieur, à la suite des événements ayant eu lieu à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière en marge des manifestations du 1ermai.
Le tweet en question est rédigé en ces termes :
« Ici à la Pitié-Salpêtrière, on a attaqué un hôpital.
On a agressé son personnel soignant. Et on a blessé un policier mobilisé pour le protéger.
Indéfectible soutien à nos forces de l’ordre : elles sont la fierté de la République ».
Pour les deux plaignants, des parlementaires membres du Parti communiste français, ce post constituait une allégation inexacte et trompeuse au sens de l’article L. 163-2 du Code électoral et devait être retiré par le réseau à l’oiseau bleu.
Selon ce texte, « Pendant les trois mois précédant le premier jour du mois d’élections générales et jusqu’à la date du tour de scrutin où celles-ci sont acquises, lorsque des allégations ou imputations inexactes ou trompeuses d’un fait de nature à altérer la sincérité du scrutin à venir sont diffusées de manière délibérée, artificielle ou automatisée et massive par le biais d’un service de communication au public en ligne, le juge des référés peut, à la demande du ministère public, de tout candidat, de tout parti ou groupement politique ou de toute personne ayant intérêt à agir, et sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire aux personnes physiques ou morales mentionnées au 2 du I de l’article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique ou, à défaut, à toute personne mentionnée au 1 du même I toutes mesures proportionnées et nécessaires pour faire cesser cette diffusion. »
Il revenait donc au juge des référés d’apprécier le contenu du tweet incriminé afin de décider ou non de sa suppression. Ce dernier, après avoir mis hors de cause Twitter France et reçu les interventions de Twitter International et du ministre, a, pour justifier son refus, interprété le texte en accord avec la décision rendue à son sujet par le Conseil constitutionnel le 20 décembre 2018, qui dégageait les critères permettant d’identifier une fake news illicite.
Or le jugement considère que ces critères ne sont pas réunis :
Les propos du ministre apparaissent exagérés (pas d’attaque) mais portent sur des faits réels confirmés, à savoir l’intrusion de manifestants dans l’établissement le 1ermai 2019. Ainsi, l’information ne saurait être considérée comme dénuée de tout lien avec le réel, ce qui l’empêche d’être considérée comme manifestement inexacte ou trompeuse
Les propos n’ont pas été diffusés d’une manière « cumulativement massive, artificielle ou automatisée, et délibérée » notamment par des robots pour le compte de tiers désireux de répandre la fausse nouvelle. Ce critère, interprété à la lumière de l’exposé des motifs de la proposition de loi sur la lutte contre la manipulation de l’information, renvoie selon lui à l’usage de tiers rémunérés pour la diffusion de l’information, ou de « bots » permettant une quantité massive et automatique de retweets
Enfin, appréciant le risque manifeste d’altération de la sincérité du scrutin, le juge rejette l’argument des demandeurs selon lequel le tweet incriminé, en « faisant croire à un climat de violence pour faire jouer le ressort de la peur et du chaos », aurait un effet manifeste sur la campagne européenne en cours au moment des faits. Selon lui, l’immédiate contestation des propos du ministre par différents articles de presse offrait à l’électeur une pluralité de points de vue sur les événements, le mettant à l’abri de toute manipulation
Au vu de ces trois critères, la demande de retrait est donc rejetée.
Ce jugement offre un regard intéressant sur l’application de la loi « fake news » par nos juridictions et sur le caractère très restrictif de ses conditions d’applications. L’usage de moyens automatisés, ou l’absence de tous liens avec la réalité, ne permettent ainsi au texte que de cibler les plus extravagantes des fausses informations dans un contexte de manipulation de l’opinion publique.
Pour d’autres types de propos mensongers, d’autres textes seront éventuellement applicables : ceux sur la diffamation et ceux sur la dénonciation calomnieuse, ou encore l’article 27 de la loi du 29 juillet 1881 qui continue de réprimer « la publication, la diffusion ou la reproduction, par quelque moyen que ce soit, de nouvelles fausses, de pièces fabriquées, falsifiées ou mensongèrement attribuées à des tiers lorsque, faite de mauvaise foi, elle aura troublé la paix publique, ou aura été susceptible de la troubler ».
Lire la décision complète
28
mai
2019
TAoMA Partners distingué dans le Classement Legal500 EMEA 2019
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24
mai
2019
Compteurs Linky et RGPD, le courant passe bien
Author:
teamtaomanews
La Société Enedis devrait dans les prochaines semaines passer le cap des 20 millions d’unités en service pour le compteur électrique connecté Linky. Un chiffre symbolique quand on sait les réticences qu’a suscité cet appareil et les nombreux contentieux dont il a fait l’objet.
Dernier épisode dans la saga juridique du compteur, le juge des référés du TGI de Bordeaux a rejeté le recours collectif formé par plus de 200 personnes qui considéraient que l’appareil leur causait un trouble manifestement illicite ou les exposait un dommage imminent notamment eu égard au droit de la consommation et au principe de précaution en matière environnementale. Un troisième moyen était fondé sur la violation du Règlement général sur la protection des données (« RGPD ») et ses principes de transparence et de consentement éclairé. Les demandeurs soutenaient que la collecte et le traitement des données personnelles des utilisateurs du compteur seraient effectués sans leur consentement, et pour une utilisation qu’ils qualifiaient d’ « opaque ».
Le juge justifie son rejet de ce moyen en expliquant que les données collectées par Linky font l’objet d’« une anonymisation des informations pendant leur transmission, d’une part par leur cryptage, et d’autre part par l’absence de toute référence d’identification nominative ». Elles perdraient donc ainsi leur caractère personnel, identifié ou identifiable, nécessaire à l’application des mesures du Règlement. Le juge estime par ailleurs que les demandeurs n’ont pas apporté la preuve suffisante d’un traitement illicite des données collectées par Enedis. Seule victoire pour ces derniers, la pose d’un compteur dans un immeuble où résident des personnes hypersensibles aux ondes électromagnétiques devra s’accompagner d’un système de filtrage.
Cette ordonnance constitue, après les déboires de l’appareil avec la CNIL, une nouvelle validation de sa conformité avec le droit des données personnelles. Il a en effet été reproché l’an dernier à la société Direct Énergie (partenaire d’Enedis) de manquer à ses obligations quant au recueillement d’un consentement libre, éclairé et spécifique, au sens de l’article 7 de la loi Informatique et Libertés[1]. La société avait par la suite rectifié le tir, ce qui avait résulté en une clôture de la mise en demeure par la Commission[2].
Après cette décision qui adoubait Linky comme conforme à la Loi Informatique et Libertés, Le juge des référés du TGI de Bordeaux rejoint donc l’autorité de contrôle en reconnaissant la conformité du traitement au règlement, assurant sa légalité auprès de la nouvelle législation. Une décision à forte portée symbolique pour un appareil qui aura, dès sa conception, fait l’objet d’inquiétudes et d’un suivi particulièrement attentif sur le plan du traitement de données.
Référence et date : Tribunal de grande instance de Bordeaux, 23 avril 2019
Lire la décision sur Legalis
[1] CNIL, Décision MED n° 2018- 007 du 5 mars 2018 mettant en demeure la société DIRECT ENERGIE
[2] CNIL, Décision du 24 octobre 2018, Clôture de la décision n°MED-2018-007 du 5 mars 2018 mettant en demeure la société DIRECT ENERGIE
07
mai
2019
Avis négatifs sur Google: liberté d’expression vs protection des données
Author:
teamtaomanews
Dans une ordonnance du 12 avril 2019, le juge des référés du TGI de Paris a refusé la suppression de la fiche Google « MyBusiness » d’une dentiste et des avis allégués de dénigrement qui y avaient été publiés par ses patients. Ce service est consultable par les utilisateurs de Google Maps qui y recherchent les coordonnées d’une entité qui y est répertoriée (de tout type : boulangerie, musée, étude de notaires, siège social de multinationale ou salle de sport…).
La dentiste avait demandé au juge des référés de considérer que la fiche et les commentaires qui y étaient publiés constituaient un traitement illicite de ses données personnelles et un trouble manifestement illicite.
Le juge des référés (après avoir rappelé que seule la société Google LLC pouvait être mise en cause et non la société Google France, qui n’est pas l’exploitante du service « MyBusiness » et donc n’est pas le responsable du traitement) a confirmé que les données servant à l’identification d’un professionnel libéral constituent bien des données à caractère personnel.
Cette solution semble contraire à une précédente ordonnance rendue par le juge des référés du même tribunal, qui avait ordonné la suppression de la fiche « MyBusiness » d’un autre dentiste pour la simple raison qu’il en souhaitait la suppression et retirait ainsi son consentement[1]. Il semble en effet contestable de considérer que des données personnelles relatives à un professionnel libéral, puissent être librement traitées par un tiers qui s’y opposerait, sous le seul prétexte qu’elles seraient disponibles sur des annuaires professionnels.
Concernant, à présent, les avis des patients sur les prestations du dentiste, le juge a indiqué que l’ »intérêt légitime d’information du consommateur » permet à Google de relier des commentaires à l’identification d’un médecin et que l’abus de la liberté d’expression relève d’autres fondements que ceux invoqués par la demanderesse, à savoir ceux offerts par la loi du 29 juillet 1881 sur la presse en cas d’injure ou de diffamation[2] et l’article 1240 du code civil permettant d’agir contre des propos dénigrants. La suppression pure et simple de la fiche contenant les avis, en vertu du droit d’opposition concédé par la loi du 6 janvier 1978 « Informatique et libertés », constituerait une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression, en tout cas lorsqu’une telle demande est formulée en référé.
La portée de cette décision en matière d’appréciation des données à caractère personnel d’un professionnel libéral devra être confirmée par la solution que retiendra le juge du fond si l’affaire se présente devant lui. Mais cette ordonnance rappelle à juste titre que les actions intentées à l’encontre de propos considérés diffamants ou injurieux doivent observer les règles prévues par la loi de 1881 et ne sauraient être fondées sur le droit des données personnelles.
[1]TGI de Paris, ordonnance de référé du 6 avril 2018
[2]Pour aller plus loin