29
novembre
2018
Que retenir de la liste de traitements soumis à analyse d’impact publiée par la CNIL ?
Author:
teamtaomanews
Pour mieux comprendre : l’article 35 du Règlement général sur la protection des données de 2016 (ou RGPD) prévoit une obligation de « principe » de réaliser une analyse d’impact sur la vie privée (AIPD) lorsqu’un traitement est « susceptible d’engendrer un risque élevé pour les droits et libertés des personnes concernées ».
Afin d’assurer une interprétation uniforme de cette obligation au sein des États membres, l’article vise des typologies de traitements pour lesquels une AIPD est nécessaire et invite les autorités nationales de protection des données à établir deux types de listes :
une liste des types d’opérations de traitement pour lesquelles une analyse doit être réalisée ;
une liste des types d’opérations de traitement pour lesquelles aucune analyse ne doit être réalisée.
C’est dans ce contexte que la CNIL a publié une liste des types d’opérations de traitement devant faire l’objet d’une AIPD.
Un certain parallèle peut être effectué avec des cas d’autorisation qui existaient antérieurement à l’entrée en application du RGPD, tels que pour les traitements de données de localisation à large échelle (autorisation préalable de la CNIL prévue à l’article L.581-9 du code de l’environnement sur les systèmes de mesure automatique de l’audience ou d’analyse du comportement intégrés des dispositifs publicitaires), les alertes professionnelles ou encore les listes noires ou d’exclusion.
Cependant, la CNIL semble également se focaliser sur des traitements qui, jusque-là, pouvaient être considérés comme courants et dont la mise en œuvre n’était pas susceptible de porter atteinte à la vie privée ou aux libertés (ex : les traitements RH ou la prospection), ce qui leur permettait de bénéficier de procédures simplifiées auprès de la CNIL, mais qui, du fait de l’usage de nouveaux moyens technologiques ou décisionnels (ex : les algorithmes ou systèmes de géolocalisation) doivent à présent faire l’objet de davantage de précautions.
Les responsables de traitements ne peuvent donc plus se reposer sur la dichotomie entre les traitements qui étaient soumis à déclaration (les moins à risque) et ceux qui étaient soumis à autorisation (les plus à risque).
Ils doivent désormais, hormis les cas d’autorisation maintenus localement, vérifier si une analyse d’impact n’est pas requise au regard :
des cas visés par l’article 35 du RGPD, en se référant aux critères dégagés par l’ex-G29 (remplacé par le CEPD ou Comité européen à la protection des données) – qui retient que dès lors que deux critères sont remplis, l’analyse est requise ;
de la liste de la ou des autorité(s) de protection des données compétente(s) au regard du traitement (NB : ainsi pour les traitements transnationaux il sera nécessaire de vérifier pour chaque Etat membre concerné si une telle liste a été publiée).
Il convient enfin de veiller à l’évolution de certains traitements qui pourraient tomber sous le coup d’une obligation de réaliser une analyse d’impact dans le temps.
Lire la liste entière sur le site de la CNIL
22
novembre
2018
Pas de droit d’auteur pour la saveur d’un produit alimentaire
Author:
teamtaomanews
Les Juridictions nationales se penchent régulièrement sur la définition des œuvres susceptibles d’être protégées par le droit de la propriété intellectuelle. Après l’odeur d’un parfum, à qui les juges néerlandais semblent accorder une protection par le droit d’auteur, alors que la jurisprudence française y est plutôt opposée, il est ici question du goût d’un produit alimentaire.
La CJUE vient de rendre une décision très claire sur l’absence d’appropriation par le droit d’auteur des saveurs gustatives.
La société néerlandaise Levola s’était fait céder les « droits de propriété intellectuelle » sur un fromage à tartiner à la crème fraîche et aux fines herbes (le « Heksenkaas »).
Ayant découvert qu’un concurrent (la société Smilde) fabriquait pour une chaine de supermarchés un fromage (le « Witte Wievenkaas ») qu’elle jugeait similaire au sien, Levola l’a assignée pour atteinte à ses droits d’auteur sur la « saveur » du Heksenkaas.
Au cours de la procédure judiciaire, la cour d’appel d’Arnhem-Leuvarde a saisi la CJUE d’une question préjudicielle portant, en substance, sur la possibilité pour le goût d’un produit alimentaire de bénéficier de la protection par le droit de la propriété intellectuelle.
La Cour rappelle que les droits exclusifs dont jouissent les auteurs aux termes de la directive 2001/29 sur le droit d’auteur portent sur des « œuvres » et que ces droits souffrent d’exceptions et de limitations, également prévues par ledit texte.
Elle précise ensuite que, pour qu’un objet puisse revêtir la qualification d’œuvre, il importe que soient réunies deux conditions cumulatives :
1. L’objet concerné doit être original, en ce sens qu’il constitue une création intellectuelle propre à son auteur => ce point n’est pas en débat en l’espèce ;
2. La qualification d’œuvre est réservée aux éléments qui sont l’expression d’une telle création intellectuelle.
En s’appuyant sur divers textes internationaux auxquels l’Union européenne est tenue de se conformer, la juridiction indique que « les œuvres littéraires et artistiques comprennent toutes les productions du domaine littéraire, scientifique et artistique, quel qu’en soit le mode ou la forme d’expression » et que « ce sont les expressions et non les idées, les procédures, les méthodes de fonctionnement ou les concepts mathématiques, en tant que tels, qui peuvent faire l’objet d’une protection au titre du droit d’auteur ».
Elle en conclut que la notion d’œuvre « implique nécessairement une expression de l’objet de la protection au titre du droit d’auteur qui le rende identifiable avec suffisamment de précision et d’objectivité, quand bien même cette expression ne serait pas nécessairement permanente ».
En effet, la Cour rappelle qu’il est essentiel que les autorités chargées de veiller au respect des droits d’auteur, mais également les particuliers (notamment les concurrents de titulaires de droits) soient en mesure de connaître avec clarté et précision les objets ainsi protégés et que tout élément de subjectivité soit écarté dans le processus d’identification de l’objet protégé. Ainsi, ce dernier doit pouvoir faire l’objet d’une expression précise et objective. Cette exigence répond notamment aux questions qui était posée par la juridiction de renvoi, qui se demandait comment faire valoir ses droits devant les juridictions (faudrait-il que le juge déguste un produit pour vérifier s’il peut être protégé ? Que les choix créatifs de l’« auteur » soient décrits ? Comment la similitude avec un autre produit pourrait être établie ? etc.).
Or, la Cour souligne que « la possibilité d’une identification précise et objective fait défaut en ce qui concerne la saveur d’un produit alimentaire [puisqu’elle] repose essentiellement sur des sensations et des expériences gustatives qui sont subjectives et variables [qui] dépendent, notamment, de facteurs liés à la personne qui goûte le produit concerné […] ainsi que de l’environnement ou du contexte dans lequel ce produit est goûté.
En outre, une identification précise et objective de la saveur d’un produit alimentaire, qui permette de la distinguer de la saveur d’autres produits de même nature, n’est pas possible par des moyens techniques en l’état actuel du développement scientifique ».
En conséquence, la CJUE décide que la saveur d’un produit alimentaire ne peut pas être qualifiée d’œuvre et que le droit de l’Union s’oppose à ce qu’une législation nationale soit interprétée de manière à lui accorder une protection par le droit d’auteur.
Si l’issue de cette affaire n’est pas particulièrement surprenante, l’exigence d’une formalisation étant souvent rappelée, tout du moins par les juridictions françaises, elle permet de rappeler la difficile protection des saveurs, qui peinent également à remplir les critères de validité des marques (cf. CA Paris, 4ème chambre, section B, 03 octobre 2003 : « la marque constituée par le goût suivant : ‘’arôme artificiel de fraise’’ ne remplit en aucun cas les critères de précision et d’objectivité requis [et ne peut pas être enregistrée] »).
Référence et date : Cour de Justice de l’Union Européenne, 13 novembre 2018, dans l’affaire n° C‑310/17
Lire l’arrêt sur Curia
19
novembre
2018
Affaire Zemmour/ ITélé : les termes « En principe » dans le contrat, formule magique ?
Author:
teamtaomanews
La Cour d’appel de Versailles vient de confirmer un jugement du Tribunal de Grande Instance de Nanterre se prononçant sur le caractère abusif de la rupture de la relation contractuelle entre une société d’exploitation audiovisuelle et un célèbre polémiste français.
Depuis 2003 le Groupe Canal + et la Société d’Exploitation d’un Service d’Information (SESI), sollicitaient Monsieur Zemmour en qualité de chroniqueur d’une émission télévisée, ayant pour objet de décrypter l’actualité politique hebdomadaire, d’abord directement, puis par l’intermédiaire de la société RUBEMPRE, dont il était le gérant, au moyen de contrats à durée déterminée ayant pour objet, pour chaque saison, de « déterminer les conditions d’intervention de M. Zemmour sur les antennes d’iTélé dans le cadre de l’émission ‘’Ca se dispute’’ ».
La dernière de ces conventions a été conclue le 27 juin 2014 pour la saison 2014/2015, soit en principe jusqu’en juillet 2015.
Cependant, à la suite de plusieurs publications polémiques de M. Zemmour et à la vague d’indignation les ayant suivies, la SESI a annoncé fin décembre 2014, ne pas vouloir reconduire l’émission « Ca se dispute » pour l’année 2015. Elle a en conséquence publié un communiqué de presse dans lequel elle indiquait « iTélé a décidé de mettre fin à l’émission ‘’Ça se dispute’’ qui ne reprendra pas en janvier 2015 », et indiqué à la société RUBEMPRE que, « le contrat [les liant] devenait sans objet, et donc que M. Zemmour était libéré de ses obligations notamment vis-à-vis de la chaîne iTélé ».
Estimant que la SESI avait rompu brutalement et abusivement le contrat, la société RUBEMPRE et M. Zemmour l’ont assignée en réparation des préjudices qu’ils estimaient avoir subis.
Par jugement du 17 novembre 2016, le TGI a fait droit aux demandes de la société RUBEMPRE et a condamné la SESI à lui verser la somme de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts.
M. Zemmour et la société RUBEMPRE ont interjeté appel de ce jugement en demandant la confirmation de la condamnation, mais estimant que les dommages et intérêts devaient être plus importants.
SUR LA RUPTURE DU CONTRAT
La cour relève que le contrat donnait une certaine souplesse à la SESI quant à la programmation hebdomadaire de l’émission ou à l’obligation de recourir à l’occasion de chaque émission à une prestation de M. Zemmour puisqu’il précisait que ses prestations :
– Étaient « en principe» hebdomadaires ;
– Étaient conditionnées aux « besoins de SESI en termes de programmation et plus précisément selon la diffusion ou non de l’émission sur la chaîne, de telle sorte qu’il est entendu entres les parties qu’il ne pèse sur SESI aucune obligation de faire appel au contractant chaque semaine de la saison 2014/2015».
– Devaient durer « en principe» jusqu’au 17 juillet 2015.
Cependant, ces dispositions contractuelles ne pouvaient s’analyser comme ne faisant « peser sur la société SESI aucune obligation de recourir aux prestations » de M. Zemmour, au risque d’être considérées comme conditionnant ses interventions à la seule volonté de la SESI, auquel cas elles devraient être interprétées comme des conditions potestatives, nulles aux termes de l’article 1174 du Code civil dans la version qui était alors applicable.
De plus, les juges ont estimé que les motifs de la SESI selon lesquels les propos de M. Zemmour avaient pris une dimension politique n’étaient pas fondés, dans la mesure où il intervenait justement pour ses qualités de polémiste.
Le contrat aurait donc dû se poursuivre jusqu’à son échéance, le seul moyen d’y mettre fin unilatéralement étant l’invocation d’un manquement contractuel et le respect d’un préavis de 15 jours, prévu au contrat.
La cour confirme donc la décision rendue par les juges de première instance.
SUR L’INDEMNISATION DU PRÉJUDICE
La cour d’appel rappelle que « la faute de la société SESI réside non pas dans le fait d’avoir renoncé à confier à la société RUBEMPRE la poursuite des prestations qu’elle lui avait confiées jusqu’alors, ce qu’elle était libre de faire ou non, mais d’y avoir renoncé brutalement sans respecter un préavis d’usage devant tenir compte des relations jusqu’alors entretenues par les parties ».
En outre, « depuis le mois de décembre 2014, la rédaction de la chaîne iTélé avait été confrontée à une vague d’indignation tant de la société civile que des journalistes de sa chaîne à la suite de la polémique suscitée par les propos de M. Zemmour, de telle sorte que la société RUBEMPRE pouvait s’attendre à ce que la chaîne ait recours moins régulièrement [à ses] interventions », ce qui était rendu possible grâce à l’insertion des termes « en principe » dans le contrat qui, même s’ils ne pouvaient pas entièrement dédouaner la SESI, lui permettaient de jouir d’une certaine latitude quant au recours aux prestations de M. Zemmour.
Ainsi, la cour valide le calcul du préjudice réalisé par le TGI, qui l’avait estimé à 50.000€, contrairement aux demandes de la société RUBEMPRE qui exigeait une indemnisation à hauteur de l’addition des sommes qui auraient dû lui être allouées par l’émission jusqu’à la fin de la saison, soit 68.200€ HT.
Quant à son prétendu préjudice économique (elle estimait que l’émission aurait pu « se prolonger encore durant au moins cinq années supplémentaires » et exigeait en conséquence la réparation de son préjudice à hauteur de 527.000€ HT, correspondant à la somme de 2.200€ par émission diffusée pendant 260 semaines), il a été considéré, aussi bien par le tribunal que par la cour, comme hypothétique, donc insusceptible de réparation.
Enfin, concernant la demande de Monsieur Zemmour relative à son prétendu préjudice moral, la cour observe que le communiqué de presse annonçant la fin de son émission était « particulièrement sobre et ne renferm[ait] aucun propos vexatoire » à son encontre et que la rédactrice en chef de la chaine avait procédé de manière non condamnable, en menant au préalable une enquête et en lui permettant de s’exprimer sur ses propos polémiques.
Sa demande est également rejetée.
Ainsi, malgré une reconnaissance de la responsabilité de la SESI, la cour d’appel a nettement limité la réparation due à ce titre, en n’allouant que 50.000€ aux appelantes, qui réclamaient au total plus d’un million d’euros.
Référence de l’arrêt : Cour d’appel de Versailles, 04 octobre 2018, n° 16/09301
Décision non publiée, communiquée sur demande à contact@taoma-partners.fr