06
août
2019
« SORTEZ COUVERT », la marque qui ne l’est pas assez
Author:
teamtaomanews
Depuis les années 90, le célèbre animateur Christophe Dechavanne clôture l’ensemble de ses émissions par l’annonce, devenue également célèbre, « Sortez couverts » dans un souci de sensibiliser le public à la prévention des maladies sexuellement transmissibles.
Dès 2003, via sa société de production Coyote Conseil, l’animateur a procédé au dépôt de la marque SORTEZ COUVERT (sans S à la fin) en France notamment pour les catégories de produits et services suivantes :
– Imprimés, journaux, livres, manuels…
– Publicité, diffusion d’annonces publicitaires…
– Communications radiophoniques ; diffusion de programmes de télévision et radiophoniques ; émissions radiophoniques et par télévision ; messagerie électronique…
– Organisation de spectacles ; organisation d’expositions à but culturel ou éducatif ; information en matière de divertissement ; organisation et conduite de séminaires et de congrès ; divertissement pour télévision ou radiophonique…
De manière surprenante, la marque ne désigne pas les préservatifs. Pourtant, un accord avec une société du secteur a été trouvé pour la commercialisation de préservatifs sous ce nom. La société Laboratoires Majorelle, spécialisée dans la fabrication de préservatifs, a relevé ce défaut de protection et a déposé la marque française SORTEZ COUVERTS ! en septembre 2018 pour des préservatifs.
Le sang de l’animateur n’a fait qu’un tour et lui est monté à la tête, entrainant le dépôt d’une opposition devant l’INPI par sa société de production contre cette demande de marque à découvert !
L’INPI a rendu sa décision le 4 juin dernier [1] qui trouve son originalité, non dans la comparaison des signes en présence, mais dans la comparaison des produits et services et des tentatives ingénieuses de la société Coyote Conseil pour tenter de l’emporter.
Concernant les signes, l’INPI n’a pu que constater l’imitation de la marque SORTEZ COUVERT par la demande SORTEZ COUVERTS ! L’Office juge que les différences entre les signes ne sont qu’une « simple marque du pluriel et [un] ajout d’un élément de ponctuation » qui « n’ont que peu d’incidence visuelle et aucune incidence phonétique ».
Pour ce qui est de la comparaison des produits et services, l’histoire est toute autre en raison du principe de spécialité selon lequel la marque n’est protégée que pour les produits et services qu’elle désigne. Or, la marque antérieure ne couvrant pas les « préservatifs », son titulaire a joué d’inventivité pour pimenter le jeu.
Afin de tenter de démontrer un lien entre les produits et services désignés par la marque antérieure et les « préservatifs », la société Coyote a limité sa marque en demandant l’ajout à la fin du libellé de la mention « tous ces produits/services destinés à la santé publique et notamment à la prévention des infections sexuellement transmissibles et à l’incitation à l’usage des préservatifs ».
Malheureusement, cette limitation n’a pas été inscrite sur le registre des marques avant le rendu de la décision de l’INPI. Ce dernier a donc écarté ce point au motif que la limitation n’était pas encore opposable aux tiers au jour du rendu de la décision.
La société Coyote a tenté de mettre en avant que les « préservatifs » présentaient un lien étroit avec les « imprimés, journaux… » de sa marque car « ils sont également souvent vendus/distribués associés à des imprimés destinés à sensibiliser le public sur les maladies sexuellement transmissibles ou à donner des conseils d’utilisation. Ils sont également le sujet d’affiches et de campagnes d’affichage ayant le même objectif ». L’INPI n’a pourtant pas été sensible à l’argument et il a estimé qu’un critère aussi général de similarité reviendrait à considérer comme complémentaires un très grand nombre de produits.
Dans le même esprit, l’INPI a rejeté toute similitude entre les « préservatifs » et les autres services désignés par la marque antérieure.
Dans un souci de prévention, la société Coyote a également fait valoir la notoriété de la marque SORTEZ COUVERT dans le domaine de la promotion en faveur de l’emploi du préservatif. A nouveau, l’INPI est resté hermétique et a jugé que même si la notoriété était reconnue, cela ne suffirait pas « à compenser les différences existantes entre les produits et services ».
Enfin, la société Coyote dénonce le caractère frauduleux du dépôt de la demande de marque SORTEZ COUVERTS ! Les tribunaux judiciaires étant seuls juges de cette question, l’INPI écarte également l’argument.
L’opposition est rejetée et la marque contestée acceptée à enregistrement.
Il est important pour les titulaires de marques d’être bien couverts pour leurs produits et services d’intérêt s’ils ne souhaitent pas être contaminés par des concurrents !
Jean-Charles Nicollet
Conseil en Propriété Industrielle
[1] Lire la décision du 4 juin 2019 ici
19
novembre
2018
Affaire Zemmour/ ITélé : les termes « En principe » dans le contrat, formule magique ?
Author:
teamtaomanews
La Cour d’appel de Versailles vient de confirmer un jugement du Tribunal de Grande Instance de Nanterre se prononçant sur le caractère abusif de la rupture de la relation contractuelle entre une société d’exploitation audiovisuelle et un célèbre polémiste français.
Depuis 2003 le Groupe Canal + et la Société d’Exploitation d’un Service d’Information (SESI), sollicitaient Monsieur Zemmour en qualité de chroniqueur d’une émission télévisée, ayant pour objet de décrypter l’actualité politique hebdomadaire, d’abord directement, puis par l’intermédiaire de la société RUBEMPRE, dont il était le gérant, au moyen de contrats à durée déterminée ayant pour objet, pour chaque saison, de « déterminer les conditions d’intervention de M. Zemmour sur les antennes d’iTélé dans le cadre de l’émission ‘’Ca se dispute’’ ».
La dernière de ces conventions a été conclue le 27 juin 2014 pour la saison 2014/2015, soit en principe jusqu’en juillet 2015.
Cependant, à la suite de plusieurs publications polémiques de M. Zemmour et à la vague d’indignation les ayant suivies, la SESI a annoncé fin décembre 2014, ne pas vouloir reconduire l’émission « Ca se dispute » pour l’année 2015. Elle a en conséquence publié un communiqué de presse dans lequel elle indiquait « iTélé a décidé de mettre fin à l’émission ‘’Ça se dispute’’ qui ne reprendra pas en janvier 2015 », et indiqué à la société RUBEMPRE que, « le contrat [les liant] devenait sans objet, et donc que M. Zemmour était libéré de ses obligations notamment vis-à-vis de la chaîne iTélé ».
Estimant que la SESI avait rompu brutalement et abusivement le contrat, la société RUBEMPRE et M. Zemmour l’ont assignée en réparation des préjudices qu’ils estimaient avoir subis.
Par jugement du 17 novembre 2016, le TGI a fait droit aux demandes de la société RUBEMPRE et a condamné la SESI à lui verser la somme de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts.
M. Zemmour et la société RUBEMPRE ont interjeté appel de ce jugement en demandant la confirmation de la condamnation, mais estimant que les dommages et intérêts devaient être plus importants.
SUR LA RUPTURE DU CONTRAT
La cour relève que le contrat donnait une certaine souplesse à la SESI quant à la programmation hebdomadaire de l’émission ou à l’obligation de recourir à l’occasion de chaque émission à une prestation de M. Zemmour puisqu’il précisait que ses prestations :
– Étaient « en principe» hebdomadaires ;
– Étaient conditionnées aux « besoins de SESI en termes de programmation et plus précisément selon la diffusion ou non de l’émission sur la chaîne, de telle sorte qu’il est entendu entres les parties qu’il ne pèse sur SESI aucune obligation de faire appel au contractant chaque semaine de la saison 2014/2015».
– Devaient durer « en principe» jusqu’au 17 juillet 2015.
Cependant, ces dispositions contractuelles ne pouvaient s’analyser comme ne faisant « peser sur la société SESI aucune obligation de recourir aux prestations » de M. Zemmour, au risque d’être considérées comme conditionnant ses interventions à la seule volonté de la SESI, auquel cas elles devraient être interprétées comme des conditions potestatives, nulles aux termes de l’article 1174 du Code civil dans la version qui était alors applicable.
De plus, les juges ont estimé que les motifs de la SESI selon lesquels les propos de M. Zemmour avaient pris une dimension politique n’étaient pas fondés, dans la mesure où il intervenait justement pour ses qualités de polémiste.
Le contrat aurait donc dû se poursuivre jusqu’à son échéance, le seul moyen d’y mettre fin unilatéralement étant l’invocation d’un manquement contractuel et le respect d’un préavis de 15 jours, prévu au contrat.
La cour confirme donc la décision rendue par les juges de première instance.
SUR L’INDEMNISATION DU PRÉJUDICE
La cour d’appel rappelle que « la faute de la société SESI réside non pas dans le fait d’avoir renoncé à confier à la société RUBEMPRE la poursuite des prestations qu’elle lui avait confiées jusqu’alors, ce qu’elle était libre de faire ou non, mais d’y avoir renoncé brutalement sans respecter un préavis d’usage devant tenir compte des relations jusqu’alors entretenues par les parties ».
En outre, « depuis le mois de décembre 2014, la rédaction de la chaîne iTélé avait été confrontée à une vague d’indignation tant de la société civile que des journalistes de sa chaîne à la suite de la polémique suscitée par les propos de M. Zemmour, de telle sorte que la société RUBEMPRE pouvait s’attendre à ce que la chaîne ait recours moins régulièrement [à ses] interventions », ce qui était rendu possible grâce à l’insertion des termes « en principe » dans le contrat qui, même s’ils ne pouvaient pas entièrement dédouaner la SESI, lui permettaient de jouir d’une certaine latitude quant au recours aux prestations de M. Zemmour.
Ainsi, la cour valide le calcul du préjudice réalisé par le TGI, qui l’avait estimé à 50.000€, contrairement aux demandes de la société RUBEMPRE qui exigeait une indemnisation à hauteur de l’addition des sommes qui auraient dû lui être allouées par l’émission jusqu’à la fin de la saison, soit 68.200€ HT.
Quant à son prétendu préjudice économique (elle estimait que l’émission aurait pu « se prolonger encore durant au moins cinq années supplémentaires » et exigeait en conséquence la réparation de son préjudice à hauteur de 527.000€ HT, correspondant à la somme de 2.200€ par émission diffusée pendant 260 semaines), il a été considéré, aussi bien par le tribunal que par la cour, comme hypothétique, donc insusceptible de réparation.
Enfin, concernant la demande de Monsieur Zemmour relative à son prétendu préjudice moral, la cour observe que le communiqué de presse annonçant la fin de son émission était « particulièrement sobre et ne renferm[ait] aucun propos vexatoire » à son encontre et que la rédactrice en chef de la chaine avait procédé de manière non condamnable, en menant au préalable une enquête et en lui permettant de s’exprimer sur ses propos polémiques.
Sa demande est également rejetée.
Ainsi, malgré une reconnaissance de la responsabilité de la SESI, la cour d’appel a nettement limité la réparation due à ce titre, en n’allouant que 50.000€ aux appelantes, qui réclamaient au total plus d’un million d’euros.
Référence de l’arrêt : Cour d’appel de Versailles, 04 octobre 2018, n° 16/09301
Décision non publiée, communiquée sur demande à contact@taoma-partners.fr