« SORTEZ COUVERT », la marque qui ne l’est pas assez

Depuis les années 90, le célèbre animateur Christophe Dechavanne clôture l’ensemble de ses émissions par l’annonce, devenue également célèbre, « Sortez couverts » dans un souci de sensibiliser le public à la prévention des maladies sexuellement transmissibles.

Dès 2003, via sa société de production Coyote Conseil, l’animateur a procédé au dépôt de la marque SORTEZ COUVERT (sans S à la fin) en France notamment pour les catégories de produits et services suivantes :

– Imprimés, journaux, livres, manuels…
– Publicité, diffusion d’annonces publicitaires…
– Communications radiophoniques ; diffusion de programmes de télévision et radiophoniques ; émissions radiophoniques et par télévision ; messagerie électronique…
– Organisation de spectacles ; organisation d’expositions à but culturel ou éducatif ; information en matière de divertissement ; organisation et conduite de séminaires et de congrès ; divertissement pour télévision ou radiophonique…

De manière surprenante, la marque ne désigne pas les préservatifs. Pourtant, un accord avec une société du secteur a été trouvé pour la commercialisation de préservatifs sous ce nom. La société Laboratoires Majorelle, spécialisée dans la fabrication de préservatifs, a relevé ce défaut de protection et a déposé la marque française SORTEZ COUVERTS ! en septembre 2018 pour des préservatifs.

Le sang de l’animateur n’a fait qu’un tour et lui est monté à la tête, entrainant le dépôt d’une opposition devant l’INPI par sa société de production contre cette demande de marque à découvert !

L’INPI a rendu sa décision le 4 juin dernier [1] qui trouve son originalité, non dans la comparaison des signes en présence, mais dans la comparaison des produits et services et des tentatives ingénieuses de la société Coyote Conseil pour tenter de l’emporter.

Concernant les signes, l’INPI n’a pu que constater l’imitation de la marque SORTEZ COUVERT par la demande SORTEZ COUVERTS ! L’Office juge que les différences entre les signes ne sont qu’une « simple marque du pluriel et [unajout d’un élément de ponctuation » qui « n’ont que peu d’incidence visuelle et aucune incidence phonétique ».

Pour ce qui est de la comparaison des produits et services, l’histoire est toute autre en raison du principe de spécialité selon lequel la marque n’est protégée que pour les produits et services qu’elle désigne. Or, la marque antérieure ne couvrant pas les « préservatifs », son titulaire a joué d’inventivité pour pimenter le jeu.

Afin de tenter de démontrer un lien entre les produits et services désignés par la marque antérieure et les « préservatifs », la société Coyote a limité sa marque en demandant l’ajout à la fin du libellé de la mention « tous ces produits/services destinés à la santé publique et notamment à la prévention des infections sexuellement transmissibles et à l’incitation à l’usage des préservatifs ».

Malheureusement, cette limitation n’a pas été inscrite sur le registre des marques avant le rendu de la décision de l’INPI. Ce dernier a donc écarté ce point au motif que la limitation n’était pas encore opposable aux tiers au jour du rendu de la décision.

La société Coyote a tenté de mettre en avant que les « préservatifs » présentaient un lien étroit avec les « imprimés, journaux… » de sa marque car « ils sont également souvent vendus/distribués associés à des imprimés destinés à sensibiliser le public sur les maladies sexuellement transmissibles ou à donner des conseils d’utilisation. Ils sont également le sujet d’affiches et de campagnes d’affichage ayant le même objectif ». L’INPI n’a pourtant pas été sensible à l’argument et il a estimé qu’un critère aussi général de similarité reviendrait à considérer comme complémentaires un très grand nombre de produits.

Dans le même esprit, l’INPI a rejeté toute similitude entre les « préservatifs » et les autres services désignés par la marque antérieure.

Dans un souci de prévention, la société Coyote a également fait valoir la notoriété de la marque SORTEZ COUVERT dans le domaine de la promotion en faveur de l’emploi du préservatif. A nouveau, l’INPI est resté hermétique et a jugé que même si la notoriété était reconnue, cela ne suffirait pas « à compenser les différences existantes entre les produits et services ».

Enfin, la société Coyote dénonce le caractère frauduleux du dépôt de la demande de marque SORTEZ COUVERTS ! Les tribunaux judiciaires étant seuls juges de cette question, l’INPI écarte également l’argument.

L’opposition est rejetée et la marque contestée acceptée à enregistrement.

Il est important pour les titulaires de marques d’être bien couverts pour leurs produits et services d’intérêt s’ils ne souhaitent pas être contaminés par des concurrents !

 

Jean-Charles Nicollet
Conseil en Propriété Industrielle

 

[1] Lire la décision du 4 juin 2019 ici