21
janvier
2022
Parasitisme: Konbini « furious » de la reprise de son format « Fast & Curious »
Difficile de passer à côté des populaires interviews « Fast & Curious » du média Konbini lorsque l’on est présent sur les réseaux sociaux.
Ces vidéos de 2 minutes et 30 secondes présentent une personnalité qui répond, sur un rythme soutenu, à une série de questions sous la forme d’un choix entre deux propositions courtes. La popularité de ce format court et décalé n’a cessé d’augmenter depuis sa création en 2015.
Néanmoins, il n’est pas loisible aux tiers d’en reprendre les caractéristiques. C’est en tout cas ce qu’a décidé le tribunal judiciaire de Paris dans une décision du 1er juillet 2021.
Dans cette affaire, un candidat à une élection municipale, en campagne électorale, avait diffusé sur sa page Facebook une vidéo intitulée « Fast & Cabourg » dans laquelle il se prêtait au jeu de l’interview sous un format identique à celui imaginé par Konbini. Au regard de cette appropriation, la réaction de la société ne s’est pas fait attendre : elle a assigné le candidat sur le fondement du parasitisme afin d’obtenir des dommages et intérêts.
L’action de Konbini contre le candidat est recevable
Afin de se défendre, le candidat attaqué a d’abord tenté de soulever l’irrecevabilité de l’action de la demanderesse, aux motifs qu’il ne serait ni l’auteur, ni le producteur de la vidéo litigieuse, ni même l’administrateur de la page Facebook sur laquelle la vidéo a été postée. Selon lui, aucune action ne pouvait donc être dirigée à son encontre.
Le Tribunal considère que le candidat s’abstenant de désigner l’administrateur de la page Facebook ou l’auteur de la vidéo litigieuse ne démontrait pas que celle-ci aurait été produite par un tiers. Il en déduit ainsi que le candidat doit être regardé comme le producteur de la vidéo, et que l’action de Konbini est alors recevable.
Le format « Fast & Curious » n’est pas protégeable sur le fondement du droit d’auteur
Dans le cadre de son analyse au fond, le tribunal commence par s’interroger sur la protection du format « Fast & Curious » fondée sur le droit d’auteur, alors même que la société KONBINI ne formulait aucune demande sur le fondement de la contrefaçon dans le cadre de son action judiciaire. En effet, si la société KONBINI a pu revendiquer des droits d’auteur sur ce format dans son courrier de mise en demeure à l’attention du candidat interviewé, il a finalement abandonné cette revendication dans le cadre de son action judiciaire.
Dans sa décision, le tribunal commence par préciser la notion de « format » en décrivant ce support comme « le document qui définit précisément et de façon complète, en principe sous une forme écrite, le contenu d’un programme audiovisuel. Il a vocation à être décliné pour la réalisation des émissions ».
Ensuite, et bien que les formats audiovisuels ne soient pas listés explicitement par l’article L. 112-2 du Code de la propriété intellectuelle répertoriant les œuvres susceptibles de protection par le droit d’auteur, le tribunal vient rappeler, sans surprise, que ces types de créations sont susceptibles d’être protégées par le droit d’auteur dès lors qu’elles sont originales et portent l’empreinte de la personnalité de leur auteur.
Pour autant, dans le cas présent, le tribunal écarte la qualité d’œuvre au format « Fast & Curious », jugeant que la société KONBINI s’abstient de caractériser l’originalité du format en cause.
Cette décision ne dénie donc pas toute originalité au format « Fast & Curious » mais se contente d’écarter la protection par le droit d’auteur faute pour la société KONBINI de l’avoir revendiquée.
La protection du format sur le fondement du parasitisme
La notion de parasitisme, construite par la jurisprudence sur le fondement de l’article 1240 du Code civil, prend le relais. Une aubaine pour la demanderesse qui appuie sa demande de dommages et intérêts sur ce seul fondement.
Le tribunal constate ainsi que la vidéo litigieuse « reproduit à l’identique l’ensemble des caractéristiques du format, y compris ses aspects sonores et ses détails visuels ».
Il en conclut que le parasitisme est caractérisé, « au regard de l’absence de coût financier et d’effort de création personnelle du candidat, aux fins de promotion de sa candidature aux élections municipales ».
Il est intéressant de noter que les juges du fond refusent d’appliquer les deux exceptions soulevées par le candidat à l’élection municipale pour tenter d’échapper à sa responsabilité :
L’exception de parodie d’abord : le tribunal relève que cette exception est inapplicable en l’espèce, l’action n’étant pas fondée sur le droit d’auteur, et considère en tout état de cause que la vidéo litigeuse ne présente aucune différence perceptible avec l’œuvre d’origine et ne constitue donc pas une manifestation d’humour ou une raillerie ;
La liberté d’expression : le tribunal considère que la vidéo mettant en scène l’interview du candidat ne participe nullement à un débat d’intérêt général, les questions posées se bornant à interroger le candidat sur des expériences personnelles sans lien avec la politique et écarte ainsi l’exception de liberté d’expression. En tout état de cause, l’application d’une telle exception paraissait hasardeuse dans la mesure où la liberté d’expression touche plus au discours tenu qu’au format choisi pour le délivrer. Or, en l’occurrence, c’est bien le choix du format qui était reproché par la société KONBINI.
Pour toutes ces raisons, le tribunal conclut à la responsabilité du candidat et le condamne à des dommages et intérêts au titre du préjudice moral subi par la société KONBINI. On notera tout de même que cette décision refuse de prononcer une condamnation au titre du préjudice financier et d’image invoqué par la société KONBINI, considérant qu’aucun élément ne venait attester du dommage allégué.
Delphine MONFRONT
Élève-avocate
Anne LAPORTE
Avocate
Lire la décision sur Légifrance
05
juillet
2021
Tintin et le temple de l’exception de parodie
Author:
teamtaomanews
L’artiste Xavier Marabout a réalisé des œuvres d’art mêlant l’univers du peintre Edward Hopper et celui de l’auteur de bande dessinée Hergé à travers la représentation du personnage de Tintin, placé dans des situations saugrenues. L’artiste a fait le choix de représenter le célèbre reporter accompagné de femmes dans des environnements austères, évoquant la mélancolie habituelle des œuvres de Hopper.
La société Moulinsart, titulaire exclusive des droits patrimoniaux de Hergé (à l’exception de l’édition des albums de bande dessinée) a constaté la vente et la commercialisation des œuvres, sur le site internet de Xavier Marabout, adaptant sans autorisation les personnages des Aventures de Tintin.
Cette dernière considérant ces actes comme contrefaisants a assigné Xavier Marabout en contrefaçon de droits d’auteur et en concurrence déloyale et parasitaire devant le Tribunal Judiciaire de Rennes (1).
La question principale abordée dans cette décision est de savoir si Xavier Marabout peut légitimement se prévaloir de l’exception de parodie. Et subsidiairement, s’il y a lieu de considérer que les actes en question sont parasitaires ou déloyaux.
Concernant la question de l’exception de parodie le Tribunal Judiciaire a rappelé le principe selon lequel lorsque l’œuvre a été divulguée, l’auteur ne peut interdire « 3° sous réserve que soient indiqués clairement le nom de l’auteur et la source ; 4° la parodie, le pastiche et la caricature, compte tenu des lois du genre ».
Xavier Marabout invoque cette exception au monopole du droit d’auteur de la société Moulinsart, sans pour autant contester avoir reproduit et adapté sans autorisation des éléments issus des Aventures de Tintin.
Dans un premier temps, le tribunal s’est livré à une analyse précise de chaque critère de l’exception de parodie :
La parodie doit permettre l’identification immédiate de l’œuvre parodiée, ce qui est le cas en l’espèce puisque les personnages de l’œuvre d’origine sont aisément identifiables.
L’œuvre parodique doit se distinguer de l’œuvre originale. En l’espèce, le choix du support – un tableau versus une bande dessinée – permet bien de distinguer l’œuvre parodique de l’œuvre originale.
L’intention humoristique doit être présente et reconnue par le public, l’austérité des œuvres de Hopper est ici plus animée et vient transcender l’impossibilité pour Tintin d’afficher ses sentiments dans des situations burlesques où des femmes aux allures de « bimbos » sont représentées. En outre, le nom des œuvres permet également de démontrer l’approche parodique de l’auteur avec un effet humoristique tel que « Moulinsart au soleil» ou « Lune de miel » faisant écho directement aux œuvres originales de Hergé.
Une absence de risque de confusion : La parodie exige une distanciation comique et un travestissement qui ne doit pas porter une atteinte disproportionnée aux œuvres de l’auteur. Les Aventures de Tintin ont connu une diffusion mondiale considérable par le nombre d’exemplaires vendus, que le public identifie aisément. Les travestissements opérés sont effectués sous forme de tableau permettant de distinguer la représentation classique sous vignette de bande dessinée habituelle de Hergé. Enfin, les inspirations de l’univers de Hopper étant indéniables par les environnements reproduits mais aussi par les titres des œuvres ne peuvent venir caractériser un risque de confusion quelconque.
Dans ces conditions, le Tribunal judiciaire en conclut que les œuvres de Xavier Marabout traduisent une forme d’hommage et accueille l’exception de parodie.
Le tribunal s’est ensuite concentré sur le fait de savoir si la démarche de Xavier Marabout ne s’inscrivait pas dans une démarche purement commerciale et mercantile, s’appropriant ainsi la valeur économique de l’œuvre de Hergé, portant de ce fait atteinte aux droits patrimoniaux de la société Moulinsart.
Faisant une appréciation très concrète des enjeux financiers en comparant les revenus générés par l’œuvre de Hergé et ceux découlant de l’exploitation des tableaux de Xavier Marabout les juges considèrent que les faits allégués de contrefaçon n’engendrent qu’une perte financière minime voire totalement hypothétique pour la société Moulinsart, qui ne peut dès lors s’opposer à la liberté de création.
En conséquence, le Tribunal judiciaire déboute la société Moulinsart de ses demandes au titre du droit d’auteurs en excluant toute faute constitutive de contrefaçon.
Pour ce qui est des demandes en concurrence déloyale ; le tribunal a noté que l’exception de parodie ne peut venir caractériser un comportement fautif parasitaire et que les activités commerciales d’exploitation des produits dérivés de l’œuvre de Tintin par la société Moulinsart ne s’adressent pas à la même clientèle que les œuvres réalisées par Xavier Marabout, et ne peuvent de ce fait constituer une concurrence déloyale.
Ainsi, cette décision parait cohérente et mesurée, notamment au regard des œuvres en question où l’empreinte de l’auteur par l’originalité de ses choix et références permettent de faire prévaloir la liberté d’expression des artistes.
Dorian Souquet
Juriste stagiaire
Anne Laporte
Avocate à la Cour
(1) Tribunal judiciaire de Rennes, 2e chambre civile, 10 Mai 2021, 17/04478 – Société Moulinsart c/ Xavier Marabout
04
février
2021
Affaire Aya Nakamura : revers pour le styliste qui l’accusait de parasitisme
Author:
teamtaomanews
Un styliste explique avoir envoyé un moodboard (planche de tendances) comportant plusieurs styles vestimentaires à la chanteuse Aya Nakamura puis avoir réalisé avec elle une séance de photographies dans l’environnement esthétique et vestimentaire qu’il proposait. Or, à la sortie du clip de l’artiste illustrant le morceau « POOKIE », il a découvert que plusieurs tenues vestimentaires qu’elle arborait correspondaient aux styles qu’il lui avait proposés . Après une demande d’indemnisation infructueuse de 50.000 euros à la maison de production, il a décidé d’assigner la chanteuse pour des actes de parasitisme sur le fondement de l’article 1240 du Code civil.
Pour rappel, le parasitisme résulte d’agissements visant à s’approprier de façon injustifiée et sans contrepartie une valeur économique résultant d’un savoir-faire, de travaux ou d’investissements. Ainsi, il suppose la caractérisation d’une faute génératrice d’un préjudice.
Ce dernier point suffit à écarter la qualification de fait parasitaire dans ce litige. En effet, le juge constate que, si les tenues et postures proposées dans le moodboard ainsi que pour la séance photographique et pour le clip sont bien inspirées d’un univers commun, elles présentent de nettes différences (robe blanche fine décolletée versus combinaison épaisse boutonnée avec une lavallière de couleur blanc argenté / haut en fourrure rouge et orange versus vêtements rouges en cuir verni, etc.). Or le seul fait d’utiliser des tenues d’un style similaire de celui proposé par le demandeur ne suffit pas à établir une reprise constitutive d’une faute, d’autant qu’il n’a pas établi les conditions dans lesquelles il avait transmis son moodboard et organisé la séance de shooting. Aussi, rien ne permet de prouver qu’il n’a pas reçu de contrepartie pour son travail.
Par ailleurs, la juridiction a eu à se prononcer sur la demande de la célèbre chanteuse-compositrice qui reprochait notamment au styliste d’avoir exposé publiquement les différentes étapes de la procédure, notamment dans des posts sur les réseaux sociaux qui ont été largement relayés et repris par plusieurs journaux, ce qui lui aurait causé un préjudice.
Le tribunal estime que « cette publicité donnée sans justification par le demandeur à ses accusations à l’encontre de la défenderesse, procédant d’une intention manifeste de nuire, a nécessairement porté préjudice à la défenderesse en termes d’image et de réputation ».
Le tribunal relève ainsi le caractère fautif des accusations et de la publicité effectuée par le styliste dans l’affaire. Dans la mesure où cette faute a causé un préjudice moral à la chanteuse, particulièrement en termes de réputation et d’image, il est condamné à 5.000 euros de dommages-intérêts.
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Thibault FELIX
Stagiaire Pôle Avocat
Anita DELAAGE
Avocate
Référence et date : Tribunal judiciaire de Paris, 15 janvier 2021, n° 19/07796
Décision non publiée, communiquée sur demande à contact-avocat@taoma-partners.fr