05
septembre
2024
Tempête sous le K-WAY
Author:
TAoMA
Par une décision du 4 juillet 2024, la Division d’Opposition de l’Office de l’Union européenne pour la Propriété Intellectuelle (EUIPO) a accueilli favorablement l’opposition formée par K-Way S.p.A. contre la demande de marque de l’Union européenne figurative n°18 808 453, déposée par la société Ikara Pro-Sandiego SL pour des produits de la classe 25 (ie : vêtements de sport, tenues d’arts martiaux, et uniformes).
K-Way fonde son opposition sur sa marque figurative européenne no 11 396 521, renommée notamment dans le domaine des vêtements de sport et de loisirs en France, en Italie et au Benelux. K-Way s’appuie sur les articles 8(1)(b) et 8(5) du RMUE pour justifier de son opposition afin d’empêcher Ikara de profiter indûment de la réputation et de l’image solidement établie de la marque K-Way en Europe.
LES ARGUMENTS DE K-WAY
K-Way a basé son opposition sur le fait que la marque d’Ikara, bien que différente sur le plan verbal, présentait des similitudes notables dans ses éléments figuratifs, susceptibles de créer un lien dans l’esprit du public entre les deux marques.
K-Way a démontré que sa marque jouit d’une réputation solide, acquise par des décennies d’utilisation intensive, des investissements significatifs dans le marketing, et des collaborations de co-branding avec d’autres marques de renom.
Enfin, elle a soutenu que l’association visuelle entre les deux marques pourrait permettre à Ikara de tirer avantage de la réputation et du caractère distinctif de K-Way, créant ainsi un cas de parasitisme commercial.
LA DECISION DE L’EUIPO
La Division d’Opposition a d’abord reconnu la réputation de la marque K-Way, en particulier dans le domaine des vêtements de sport et de loisirs. Elle a également souligné que la protection accordée par l’article 8(5) du RMUE s’applique même en l’absence de confusion, si le public est susceptible de faire un lien entre les marques, lien qui pourrait porter atteinte à l’image ou à la réputation de la marque antérieure.
Après avoir examiné les éléments de preuve, l’EUIPO a conclu que, bien que les marques diffèrent sur le plan verbal, les similitudes figuratives étaient suffisamment significatives pour que le public puisse associer les deux marques. Cette association, selon la Division d’Opposition, risquait de conférer à Ikara un avantage commercial injuste en exploitant la notoriété de K-Way, sans cause légitime.
En conséquence, l’EUIPO a rejeté la demande de marque d’Ikara pour les produits contestés.
Cette décision réaffirme l’importance de la protection des marques de renom contre toute forme de parasitisme commercial et souligne que même une similitude faible, mais perceptible, entre deux marques peut suffire à établir un risque de préjudice ou d’avantage indu.
En protégeant sa marque, K-Way a réussi à garder sa réputation à l’abri des intempéries.
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Mélissa CASSANET
Conseil en Propriété Industrielle Associée
Elsa OLCER
Juriste Stagiaire
(1) EUIPO, Division d’Opposition, 4 juillet 2024, n° B 3 193 750
20
août
2024
Nettoyage de printemps : La Cour de cassation fait le ménage dans le parasitisme économique
La Chambre commerciale de la Cour de cassation a récemment rendu trois arrêts [1], le 26 juin 2024 qui précisent la notion de parasitisme économique.
Contexte et enjeux
La définition classique du parasitisme suppose qu’un opérateur se place dans le sillage d’un autre opérateur pour bénéficier indûment de ses efforts, de son savoir-faire, ou de ses investissements, sans en assumer les coûts ou risques.
Cette pratique porte atteinte au principe de loyauté de la concurrence et engage la responsabilité de son auteur en application de l’article 1240 du Code civil.
Mais il faut mettre en balance ce principe avec celui de la liberté du commerce et de l’industrie.
Cette action en responsabilité se différencie de la contrefaçon qui sanctionne une reproduction, imitation ou utilisation totale ou partielle d’un droit de propriété intellectuelle sans l’autorisation de son propriétaire.
La Cour de cassation précise les conditions pour que le parasitisme économique soit constitué:
L’opérateur économique s’est placé dans le sillage d’un autre afin de tirer indûment profit de ses efforts, de son savoir-faire, de la notoriété acquise ou des investissements consentis.
Il appartient à celui qui se prétend victime d’actes de parasitisme d’identifier la valeur économique individualisée qu’il invoque.
Le savoir-faire et les efforts humains et financiers peuvent caractériser une valeur économique individualisée mais celle-ci ne peut se déduire de la seule longévité et du succès de la commercialisation du produit
Les idées étant de libre parcours, le seul fait de reprendre, en le déclinant, un concept mis en œuvre par un concurrent n’est pas, en soi, un acte de parasitisme.
Maisons du Monde contre Auchan
Dans cette affaire, les sociétés Auchan ont commercialisé des tasses et des bols comportant des images de type « vintage », commandés auprès d’un fournisseur qui en avait fait concevoir les dessins par un prestataire. Soutenant que ces objets reproduisaient un décor créé par son bureau d’étude de style en 2010 et commercialisé sous forme de tableau sur support toile dénommé « Pub 50’s », Maison du Monde a assigné les sociétés du groupe et leur fournisseur en paiement de dommages et intérêts pour concurrence déloyale et parasitisme.
La Cour considère préalablement que :
Le tableau sur toile dénommé « Pub 50’s » commercialisé par la société Maison du Monde, était composé de différents clichés disponibles en droit libre sur internet ;
La Cour de cassation considère que les décors des tasses et bols commercialisés ne sont pas des copies serviles de ces clichés.
Puis, elle affirme que :
La toile « Pub 50’s » a été commercialisée sur une période limitée ;
La toile n’a jamais été mise en avant comme étant emblématique de la collection « vintage » ;
La société Maison du monde n’était pas la seule à exploiter ;
La toile n’était pas caractéristique de l’univers des produits de la société Maison du monde ;
La société a développé d’autres collections.
De plus, la styliste attestait qu’elle avait développé seule un décor constitué « d’images culte » évocatrices du style de vie américain des années cinquante, disponibles sur internet. La société Maison du monde n’avait alors aucun droit de propriété intellectuelle sur ces éléments de décor.
Enfin, le décor du tableau y figurant n’avait pas été décliné sur d’autres produits et qu’il constituait une combinaison banale d’images préexistantes qui n’avait jamais été mise en avant comme emblématique de l’univers de sa marque.
La Cour confirme donc l’absence de parasitisme, estimant que le décor incriminé ne constituait pas une valeur économique individualisée.
Décathlon contre Intersport
Les sociétés Décathlon ont commercialisé un masque intégral au tuba intégré appelé « Easybreath ». La société Intersport a acquis, auprès d’une société de droit allemand, des masques intégraux au tuba intégré référencés « Tecnopro ». Les sociétés Decathlon ont assigné les sociétés Intersport en concurrence déloyale et parasitisme.
A gauche: modèle commercialisé par Decathlon A droite: modèle commercialisé par Intersport
La chambre commerciale a confirmé l’analyse de la Cour d’appel qui avait retenu les critères suivants afin de cette valeur économique individualisée :
la grande notoriété du masque « Easybreath » de Decathlon ;
la réalité de son travail de conception et de développement sur trois ans pour un montant global de 350 000 euros ;
l’absence de produits équivalents au moment de son lancement ;
le caractère innovant de la démarche de Decathlon, ainsi que ses investissements publicitaires de plus de trois millions d’euros et un chiffre d’affaires de plus de 73 millions d’euros entre mai 2014 et novembre 2018 généré par la vente de ce produit.
Enfin, la Cour a reconnu que la reprise des caractéristiques esthétiques et fonctionnelles du masque était inspirée du produit de Décathlon, sans que les sociétés requérantes ne rapportent de justification de développement propre à leur produit.
Quelles sont les conséquences de ces arrêts ?
Ces arrêts réaffirment des principes bien établis tout en soulignant l’importance pour les entreprises de documenter leurs efforts d’innovation et la nécessité de démontrer une valeur économique individualisée pour caractériser un acte de parasitisme.
Finalement, rester dans le sillage d’un concurrent, c’est comme jouer avec le feu : risqué, mais attention à ne pas se brûler !
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Anne Messas
Avocate associée
Emeline Jet
Avocate à la Cour
[1] Cour de cassation, Chambre commerciale, 26 juin 2024 n°22-17.647 et n°22-21.497 ;
Cour de cassation, Chambre commerciale, 26 juin 2024 n°23-13.535
18
juillet
2024
Jugement éclair : pas de contrefaçon pour le sac DEMI-LUNE
Author:
TAoMA
Le 7 juin 2024, le Tribunal judiciaire de Paris a rendu une décision dans une affaire opposant la société Atelier de Production et de Création (APC) aux sociétés Monoprix et Monoprix Exploitation concernant des faits de contrefaçon de droit d’auteur, de modèle déposé, ainsi que des faits distincts de concurrence déloyale et parasitaire.
La société APC, ayant déposé le 14 octobre 2013 un modèle de sac nommé « DEMI-LUNE », qui a rencontré un grand succès en France et à l’étranger, a constaté que les sacs commercialisés par les sociétés Monoprix reproduisaient les caractéristiques originales et l’impression d’ensemble de ce sac, incluant « sa forme et ses proportions ainsi que celles de la bandoulière », mais reprenaient également l’empreinte de la personnalité de son auteur.
De plus, la société APC a affirmé, devant le Tribunal, que la commercialisation de ces copies serviles générait un risque de confusion, constituant ainsi des actes de concurrence déloyale.
En conséquence, la société APC a mené des opérations de saisie-contrefaçon et a fait assigner les sociétés Monoprix pour faire cesser la production et la commercialisation de ces produits et obtenir réparation des préjudices commerciaux subis.
LA DÉFENSE DES PARTIES MISES EN CAUSE
Les sociétés Monoprix ont contesté les accusations émises par la société APC en invoquant que :
– le modèle « DEMI-LUNE » déposé par la société APC et les produits qu’elles commercialisent comportent des différences importantes.
– le sac « DEMI-LUNE » n’est pas original au motif que les caractéristiques revendiquées sont inhérentes à la forme du sac et parfaitement connues dans cette industrie (notamment aux vus des antériorités).
– la vente d’un produit similaire n’est pas nécessairement constitutive d’un acte de concurrence déloyale en ce qu’ils visent des consommateurs différents et utilisent des canaux de distribution différents.
Modèle déposé par la société AP
Modèle antérieur
DÉCISION DU TRIBUNAL
Après avoir tranché sur la validité du modèle de sac « DEMI-LUNE » en faveur de la société APC, le Tribunal s’est penché sur la possible contrefaçon du modèle, la violation des droits d’auteur et la présence d’actes de concurrence déloyale et parasitaire.
Tout d’abord, il a conclu que la comparaison des modèles des deux parties n’indiquait aucune contrefaçon, ces derniers se distinguant par « des éléments visuellement importants ».
Ensuite, il a évalué que les caractéristiques revendiquées par la société demanderesse relevait d’un « travail stylistique de qualité mais non un effort créatif concrétisé par une apparence singulière qui viendrait révéler l’empreinte de la personnalité » et refuse donc la qualification d’œuvre originale protégée par le droit d’auteur pour le modèle de sac « DEMI-LUNE ».
Enfin, sur la question de la concurrence déloyale et parasitaire, le tribunal a admis une ressemblance élevée pour certains des modèles des sociétés Monoprix mais a refusé la qualification de copie servile. Il a ajouté, en outre, que les faits n’avaient pas été réitérés. À cet égard, il a admis une « absence de risque de confusion pour la clientèle entre les modèles « DEMI-LUNE » de la société APC et les modèles « DEMI-LUNE » des sociétés Monoprix » écartant ainsi la caractérisation d’acte de concurrence déloyale et parasitaire, la société APC n’ayant pas démontré des investissements significatifs ou une notoriété suffisante pour établir un acte de parasitisme.
Ce jugement du Tribunal judiciaire de Paris renforce ainsi les exigences de protection de création – une création peut valablement être protégée par le biais d’un dessin & modèle tout en se voyant refuser une protection au titre du droit d’auteur. De plus, le Tribunal éclaircit les limites des pratiques de concurrence au sein de l’industrie.
L’affaire n’était finalement pas dans le sac pour APC.
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Elsa OLCER
Juriste Stagiaire
Jean-Charles NICOLLET
Conseil en Propriété Industrielle Associé
(1) Tribunal judiciaire de Paris, 3e ch., 2e sect., 7 juin 2024, n° 21/15173
31
octobre
2023
Condamnation exemplaire pour un cas de parasitisme par la Cour d’appel dans le secteur de la parfumerie de luxe
Impossible d’échapper depuis 2009 à la communication publicitaire massive sur tous supports du parfum LA PETITE ROBE NOIRE, parfum créé par la société GUERLAIN en 2009 et de son iconique flacon « Coque d’or » créé par la maison BACCARAT en 1937.
Ayant constaté en 2015 la commercialisation par une société belge sur son site internet et sur d’autres sites de vente en ligne d’une collection de parfums à bas prix dénommée « LA PETITE FLEUR » et ses déclinaisons dont « LA PETITE FLEUR NOIRE », la société GUERLAIN, après avoir vainement tenté une approche amiable, a assigné la société belge devant le tribunal de commerce de Paris sur le fondement du parasitisme.
Le tribunal ayant suivi GUERLAIN sur toutes ses demandes, un appel est interjeté par la société belge. Peine perdue, le jugement est confirmé en tous ses points par la Cour d’appel de Paris qui retient sans ambigüité le parasitisme et confirme les lourdes condamnations prononcées en première instance.
La Cour retient les agissements de parasitisme en raison :
• De l’examen des parfums litigieux qui montre une inspiration à la fois du nom, de l’identité visuelle, de la forme en nœud papillon du flacon de la PETITE ROBE NOIRE de sorte que les éléments de ressemblance pris dans leur globalité traduisent la volonté de la société belge de se placer dans le sillage de GUERLAIN ;
• Du choix du nom de la gamme des parfums litigieux « LA PETITE FLEUR » construit de manière similaire au nom « LA PETITE ROBE NOIRE » ;
• De la reprise d’une silhouette féminine dessinée sans visage et portant une petite robe, choix effectué par GUERLAIN qui rompait avec les codes du secteur. Choix qui ne s’imposait pas en revanche pour la collection des parfums litigieux « LA PETITE FLEUR » qui aurait pu être associée à beaucoup d’autres visuels notamment floraux et donc autres qu’une silhouette féminine ;
• De la reprise de l’univers de Paris et de la Tour Eiffel ainsi que les couleurs rosés/violets présents dans toute la communication autour du parfum GUERLAIN ;
• De la reprise enfin du flacon « Coque d’Or » dans ses caractéristiques essentielles (même démarcation centrale, quatre pans inclinés vers le bas du flacon, chaque côté reprenant un pan plus haut que l’autre et un nœud papillon sur le dessus avec une légère courbe).
La Cour retient que ces similitudes ne sont pas fortuites et caractérisent le caractère intentionnel des captations.
Dès lors, la Cour retient que la société belge a réalisé des économies en profitant des lourds investissements engagés par GUERLAIN tant d’un point de vue créatif que commercial, ce qui a permis à la société belge de limiter ses propres frais de conception et de commercialisation et ainsi de proposer ses produits à des prix bien inférieurs à ceux de la société GUERLAIN ayant de surcroît un effet de dilution de l’image de GUERLAIN.
Concernant la réparation des agissements parasitaires, la Cour confirme les sévères sanctions prononcées par le tribunal en première instance :
• 594.000 euros au titre de la réparation du préjudice matériel correspondant à 1% des dépenses publicitaires engagées par GUERLAIN en France pour le seul parfum « LA PETITE ROBE NOIRE » ;
• 100.000 euros au titre du préjudice moral retenu au titre de la dilution de la notoriété de ses parfums et de l’atteinte à sa réputation et à son image de marque.
La Cour confirme également la publication judiciaire de la décision sur les deux sites de la société belge.
A retenir enfin dans cette affaire, la compétence territoriale du tribunal de commerce de Paris qui avait été contestée par la société belge en raison de sa nationalité.
La Cour d’appel de Paris rappelle en effet que le constat d’huissier du site internet de la société belge, dressé à la demande de la société GUERLAIN, faisait apparaître des produits accessibles en France et pouvant être commandés et livrés en France « de sorte que le fait dommageable et la matérialisation du dommage, à savoir la mise en vente de parfums litigieux, se produit notamment à Paris ».
****
La décision du Tribunal de commerce de Paris, confirmée ici par la Cour d’appel de Paris, rappelle que l’absence de droits privatifs n’empêche pas pour autant les victimes d’obtenir une réparation de leur préjudice.
Toutefois il ne doit pas être négligé de rapporter la preuve des agissements parasitaires. Dans le cas où ceux-ci sont commis par une société étrangère, le constat d’achat internet devra attester sans ambigüité que l’achat et la livraison sont possibles depuis et vers la France afin que les actes puissent être poursuivis sur notre territoire. A ne pas néglier non plus, la preuve du préjudice tant matériel que moral, une attestation du directeur financier et de la responsable marketing de l’entreprise victime étant parfaitement recevable.
Voici donc une fois encore posée le principe selon lequel l’absence de droits de propriété intellectuelle ne confère pas pour autant une liberté d’inspiration sans limite.
Juliette Biegala
Juriste
Malaurie Pantalacci
Conseil en Propriété Industrielle associée
21
janvier
2022
Parasitisme: Konbini « furious » de la reprise de son format « Fast & Curious »
Difficile de passer à côté des populaires interviews « Fast & Curious » du média Konbini lorsque l’on est présent sur les réseaux sociaux.
Ces vidéos de 2 minutes et 30 secondes présentent une personnalité qui répond, sur un rythme soutenu, à une série de questions sous la forme d’un choix entre deux propositions courtes. La popularité de ce format court et décalé n’a cessé d’augmenter depuis sa création en 2015.
Néanmoins, il n’est pas loisible aux tiers d’en reprendre les caractéristiques. C’est en tout cas ce qu’a décidé le tribunal judiciaire de Paris dans une décision du 1er juillet 2021.
Dans cette affaire, un candidat à une élection municipale, en campagne électorale, avait diffusé sur sa page Facebook une vidéo intitulée « Fast & Cabourg » dans laquelle il se prêtait au jeu de l’interview sous un format identique à celui imaginé par Konbini. Au regard de cette appropriation, la réaction de la société ne s’est pas fait attendre : elle a assigné le candidat sur le fondement du parasitisme afin d’obtenir des dommages et intérêts.
L’action de Konbini contre le candidat est recevable
Afin de se défendre, le candidat attaqué a d’abord tenté de soulever l’irrecevabilité de l’action de la demanderesse, aux motifs qu’il ne serait ni l’auteur, ni le producteur de la vidéo litigieuse, ni même l’administrateur de la page Facebook sur laquelle la vidéo a été postée. Selon lui, aucune action ne pouvait donc être dirigée à son encontre.
Le Tribunal considère que le candidat s’abstenant de désigner l’administrateur de la page Facebook ou l’auteur de la vidéo litigieuse ne démontrait pas que celle-ci aurait été produite par un tiers. Il en déduit ainsi que le candidat doit être regardé comme le producteur de la vidéo, et que l’action de Konbini est alors recevable.
Le format « Fast & Curious » n’est pas protégeable sur le fondement du droit d’auteur
Dans le cadre de son analyse au fond, le tribunal commence par s’interroger sur la protection du format « Fast & Curious » fondée sur le droit d’auteur, alors même que la société KONBINI ne formulait aucune demande sur le fondement de la contrefaçon dans le cadre de son action judiciaire. En effet, si la société KONBINI a pu revendiquer des droits d’auteur sur ce format dans son courrier de mise en demeure à l’attention du candidat interviewé, il a finalement abandonné cette revendication dans le cadre de son action judiciaire.
Dans sa décision, le tribunal commence par préciser la notion de « format » en décrivant ce support comme « le document qui définit précisément et de façon complète, en principe sous une forme écrite, le contenu d’un programme audiovisuel. Il a vocation à être décliné pour la réalisation des émissions ».
Ensuite, et bien que les formats audiovisuels ne soient pas listés explicitement par l’article L. 112-2 du Code de la propriété intellectuelle répertoriant les œuvres susceptibles de protection par le droit d’auteur, le tribunal vient rappeler, sans surprise, que ces types de créations sont susceptibles d’être protégées par le droit d’auteur dès lors qu’elles sont originales et portent l’empreinte de la personnalité de leur auteur.
Pour autant, dans le cas présent, le tribunal écarte la qualité d’œuvre au format « Fast & Curious », jugeant que la société KONBINI s’abstient de caractériser l’originalité du format en cause.
Cette décision ne dénie donc pas toute originalité au format « Fast & Curious » mais se contente d’écarter la protection par le droit d’auteur faute pour la société KONBINI de l’avoir revendiquée.
La protection du format sur le fondement du parasitisme
La notion de parasitisme, construite par la jurisprudence sur le fondement de l’article 1240 du Code civil, prend le relais. Une aubaine pour la demanderesse qui appuie sa demande de dommages et intérêts sur ce seul fondement.
Le tribunal constate ainsi que la vidéo litigieuse « reproduit à l’identique l’ensemble des caractéristiques du format, y compris ses aspects sonores et ses détails visuels ».
Il en conclut que le parasitisme est caractérisé, « au regard de l’absence de coût financier et d’effort de création personnelle du candidat, aux fins de promotion de sa candidature aux élections municipales ».
Il est intéressant de noter que les juges du fond refusent d’appliquer les deux exceptions soulevées par le candidat à l’élection municipale pour tenter d’échapper à sa responsabilité :
L’exception de parodie d’abord : le tribunal relève que cette exception est inapplicable en l’espèce, l’action n’étant pas fondée sur le droit d’auteur, et considère en tout état de cause que la vidéo litigeuse ne présente aucune différence perceptible avec l’œuvre d’origine et ne constitue donc pas une manifestation d’humour ou une raillerie ;
La liberté d’expression : le tribunal considère que la vidéo mettant en scène l’interview du candidat ne participe nullement à un débat d’intérêt général, les questions posées se bornant à interroger le candidat sur des expériences personnelles sans lien avec la politique et écarte ainsi l’exception de liberté d’expression. En tout état de cause, l’application d’une telle exception paraissait hasardeuse dans la mesure où la liberté d’expression touche plus au discours tenu qu’au format choisi pour le délivrer. Or, en l’occurrence, c’est bien le choix du format qui était reproché par la société KONBINI.
Pour toutes ces raisons, le tribunal conclut à la responsabilité du candidat et le condamne à des dommages et intérêts au titre du préjudice moral subi par la société KONBINI. On notera tout de même que cette décision refuse de prononcer une condamnation au titre du préjudice financier et d’image invoqué par la société KONBINI, considérant qu’aucun élément ne venait attester du dommage allégué.
Delphine MONFRONT
Élève-avocate
Anne LAPORTE
Avocate
Lire la décision sur Légifrance
05
juillet
2021
Tintin et le temple de l’exception de parodie
Author:
teamtaomanews
L’artiste Xavier Marabout a réalisé des œuvres d’art mêlant l’univers du peintre Edward Hopper et celui de l’auteur de bande dessinée Hergé à travers la représentation du personnage de Tintin, placé dans des situations saugrenues. L’artiste a fait le choix de représenter le célèbre reporter accompagné de femmes dans des environnements austères, évoquant la mélancolie habituelle des œuvres de Hopper.
La société Moulinsart, titulaire exclusive des droits patrimoniaux de Hergé (à l’exception de l’édition des albums de bande dessinée) a constaté la vente et la commercialisation des œuvres, sur le site internet de Xavier Marabout, adaptant sans autorisation les personnages des Aventures de Tintin.
Cette dernière considérant ces actes comme contrefaisants a assigné Xavier Marabout en contrefaçon de droits d’auteur et en concurrence déloyale et parasitaire devant le Tribunal Judiciaire de Rennes (1).
La question principale abordée dans cette décision est de savoir si Xavier Marabout peut légitimement se prévaloir de l’exception de parodie. Et subsidiairement, s’il y a lieu de considérer que les actes en question sont parasitaires ou déloyaux.
Concernant la question de l’exception de parodie le Tribunal Judiciaire a rappelé le principe selon lequel lorsque l’œuvre a été divulguée, l’auteur ne peut interdire « 3° sous réserve que soient indiqués clairement le nom de l’auteur et la source ; 4° la parodie, le pastiche et la caricature, compte tenu des lois du genre ».
Xavier Marabout invoque cette exception au monopole du droit d’auteur de la société Moulinsart, sans pour autant contester avoir reproduit et adapté sans autorisation des éléments issus des Aventures de Tintin.
Dans un premier temps, le tribunal s’est livré à une analyse précise de chaque critère de l’exception de parodie :
La parodie doit permettre l’identification immédiate de l’œuvre parodiée, ce qui est le cas en l’espèce puisque les personnages de l’œuvre d’origine sont aisément identifiables.
L’œuvre parodique doit se distinguer de l’œuvre originale. En l’espèce, le choix du support – un tableau versus une bande dessinée – permet bien de distinguer l’œuvre parodique de l’œuvre originale.
L’intention humoristique doit être présente et reconnue par le public, l’austérité des œuvres de Hopper est ici plus animée et vient transcender l’impossibilité pour Tintin d’afficher ses sentiments dans des situations burlesques où des femmes aux allures de « bimbos » sont représentées. En outre, le nom des œuvres permet également de démontrer l’approche parodique de l’auteur avec un effet humoristique tel que « Moulinsart au soleil» ou « Lune de miel » faisant écho directement aux œuvres originales de Hergé.
Une absence de risque de confusion : La parodie exige une distanciation comique et un travestissement qui ne doit pas porter une atteinte disproportionnée aux œuvres de l’auteur. Les Aventures de Tintin ont connu une diffusion mondiale considérable par le nombre d’exemplaires vendus, que le public identifie aisément. Les travestissements opérés sont effectués sous forme de tableau permettant de distinguer la représentation classique sous vignette de bande dessinée habituelle de Hergé. Enfin, les inspirations de l’univers de Hopper étant indéniables par les environnements reproduits mais aussi par les titres des œuvres ne peuvent venir caractériser un risque de confusion quelconque.
Dans ces conditions, le Tribunal judiciaire en conclut que les œuvres de Xavier Marabout traduisent une forme d’hommage et accueille l’exception de parodie.
Le tribunal s’est ensuite concentré sur le fait de savoir si la démarche de Xavier Marabout ne s’inscrivait pas dans une démarche purement commerciale et mercantile, s’appropriant ainsi la valeur économique de l’œuvre de Hergé, portant de ce fait atteinte aux droits patrimoniaux de la société Moulinsart.
Faisant une appréciation très concrète des enjeux financiers en comparant les revenus générés par l’œuvre de Hergé et ceux découlant de l’exploitation des tableaux de Xavier Marabout les juges considèrent que les faits allégués de contrefaçon n’engendrent qu’une perte financière minime voire totalement hypothétique pour la société Moulinsart, qui ne peut dès lors s’opposer à la liberté de création.
En conséquence, le Tribunal judiciaire déboute la société Moulinsart de ses demandes au titre du droit d’auteurs en excluant toute faute constitutive de contrefaçon.
Pour ce qui est des demandes en concurrence déloyale ; le tribunal a noté que l’exception de parodie ne peut venir caractériser un comportement fautif parasitaire et que les activités commerciales d’exploitation des produits dérivés de l’œuvre de Tintin par la société Moulinsart ne s’adressent pas à la même clientèle que les œuvres réalisées par Xavier Marabout, et ne peuvent de ce fait constituer une concurrence déloyale.
Ainsi, cette décision parait cohérente et mesurée, notamment au regard des œuvres en question où l’empreinte de l’auteur par l’originalité de ses choix et références permettent de faire prévaloir la liberté d’expression des artistes.
Dorian Souquet
Juriste stagiaire
Anne Laporte
Avocate à la Cour
(1) Tribunal judiciaire de Rennes, 2e chambre civile, 10 Mai 2021, 17/04478 – Société Moulinsart c/ Xavier Marabout
04
février
2021
Affaire Aya Nakamura : revers pour le styliste qui l’accusait de parasitisme
Author:
teamtaomanews
Un styliste explique avoir envoyé un moodboard (planche de tendances) comportant plusieurs styles vestimentaires à la chanteuse Aya Nakamura puis avoir réalisé avec elle une séance de photographies dans l’environnement esthétique et vestimentaire qu’il proposait. Or, à la sortie du clip de l’artiste illustrant le morceau « POOKIE », il a découvert que plusieurs tenues vestimentaires qu’elle arborait correspondaient aux styles qu’il lui avait proposés . Après une demande d’indemnisation infructueuse de 50.000 euros à la maison de production, il a décidé d’assigner la chanteuse pour des actes de parasitisme sur le fondement de l’article 1240 du Code civil.
Pour rappel, le parasitisme résulte d’agissements visant à s’approprier de façon injustifiée et sans contrepartie une valeur économique résultant d’un savoir-faire, de travaux ou d’investissements. Ainsi, il suppose la caractérisation d’une faute génératrice d’un préjudice.
Ce dernier point suffit à écarter la qualification de fait parasitaire dans ce litige. En effet, le juge constate que, si les tenues et postures proposées dans le moodboard ainsi que pour la séance photographique et pour le clip sont bien inspirées d’un univers commun, elles présentent de nettes différences (robe blanche fine décolletée versus combinaison épaisse boutonnée avec une lavallière de couleur blanc argenté / haut en fourrure rouge et orange versus vêtements rouges en cuir verni, etc.). Or le seul fait d’utiliser des tenues d’un style similaire de celui proposé par le demandeur ne suffit pas à établir une reprise constitutive d’une faute, d’autant qu’il n’a pas établi les conditions dans lesquelles il avait transmis son moodboard et organisé la séance de shooting. Aussi, rien ne permet de prouver qu’il n’a pas reçu de contrepartie pour son travail.
Par ailleurs, la juridiction a eu à se prononcer sur la demande de la célèbre chanteuse-compositrice qui reprochait notamment au styliste d’avoir exposé publiquement les différentes étapes de la procédure, notamment dans des posts sur les réseaux sociaux qui ont été largement relayés et repris par plusieurs journaux, ce qui lui aurait causé un préjudice.
Le tribunal estime que « cette publicité donnée sans justification par le demandeur à ses accusations à l’encontre de la défenderesse, procédant d’une intention manifeste de nuire, a nécessairement porté préjudice à la défenderesse en termes d’image et de réputation ».
Le tribunal relève ainsi le caractère fautif des accusations et de la publicité effectuée par le styliste dans l’affaire. Dans la mesure où cette faute a causé un préjudice moral à la chanteuse, particulièrement en termes de réputation et d’image, il est condamné à 5.000 euros de dommages-intérêts.
Sur le même thème : https://taoma-partners.fr/blog/2019/04/01/divulguer-cest-denigrer/
Thibault FELIX
Stagiaire Pôle Avocat
Anita DELAAGE
Avocate
Référence et date : Tribunal judiciaire de Paris, 15 janvier 2021, n° 19/07796
Décision non publiée, communiquée sur demande à contact-avocat@taoma-partners.fr