26
septembre
2023
Ballade pour Adeline » ou la « Ballade de la vengeance » : quand une musique romantique est détournée
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admingih092115
C’est une victoire pour le cartel mexicain « Narcos » : l’usage d’une musique douce pour mourir est bien autorisée ! (sous conditions)
Un compositeur français avait accordé l’exploitation de sa composition « Ballade pour Adeline » à une société française. Cette dernière a conclu un contrat de sous-édition avec une société américaine, qui a elle-même cédé ses droits, et notamment celui du droit d’adaptation au sein d’une œuvre cinématographique, aux sociétés de production américaines Narcos Mexico.
La série mondialement connue a alors utilisé le morceau afin d’illustrer une scène violente de l’épisode 10 de la saison 2.
Mécontent de voir son œuvre empreinte de douceur et de romantisme, associée à une scène de violence, le compositeur a assigné en justice les sociétés américaines pour atteinte au droit au respect de son œuvre et au droit de paternité sur le fondement de l’article 121-1 du Code de la propriété intellectuelle.
Dans une décision du 9 juin 2023, le Tribunal judiciaire de Paris rejette la demande fondée sur l’atteinte au respect de l’esprit sur son œuvre, mais confirme l’atteinte au respect de son nom.
L’atteinte au droit au respect de l’œuvre rejetée
La scène litigieuse représentait un meurtre de vengeance perpétré au moyen d’une batte de baseball, où l’on pouvait distinguer une vue du corps ensanglanté de la victime, le tout sur un fond musical de la « Ballade pour Adeline »
Le tribunal indique que l’usage de l’œuvre musicale pour illustrer « la représentation de la violence n’est en soi illicite que si l’esprit de l’œuvre y est incompatible, ce qui ne se présume pas ».
D’ailleurs, le compositeur ne démontre pas que l’usage du morceau est strictement limité au thème de « la tendresse », de « l’amour » ou de « la pureté » puisqu’au contraire, celui-ci a admis d’autres usages antérieurs de sa musique notamment pour illustrer une scène de suicide d’une mère dont son enfant serait témoin.
Le tribunal ajoute que la violence de la scène ne valorise ni n’encourage le crime, la violence ou la drogue mais incite le spectateur à réfléchir sur les conséquences de ce meurtre fait par vengeance.
La musique est utilisée comme un « accompagnement détaché de la scène », elle débute comme une musique d’ambiance devenant de plus en plus forte à l’approche de la scène qui, elle bascule dans l’horreur. Le décalage atténue « l’impact de la scène sur la perception de l’œuvre et l’association qui en résulte entre celle-ci et le sujet ».
En outre, le tribunal rejette la demande fondée sur l’atteinte à l’intégrité de l’œuvre estimant que le compositeur avait consenti par le contrat d’édition à la reproduction partielle de son œuvre, cette autorisation ne constituait pas une cession de droit moral.
L’atteinte au droit de la paternité retenue
Dans un second temps, le tribunal retient en revanche l’atteinte à la paternité de l’œuvre de l’article 121-1 du Code de la propriété intellectuelle, dans la mesure où le générique de l’épisode de la série ne mentionne ni l’œuvre jouée, ni son auteur, les sociétés américaines se contentant d’alléguer un simple usage dans la série.
Autre point à signaler dans cette décision : afin de déterminer le montant du préjudice, il fallait s’accorder sur le périmètre géographique de l’atteinte, ce qui a posé une difficulté.
En effet, le compositeur alléguait la compétence du juge français pour connaitre des atteintes résultant de la diffusion de l’épisode sur le territoire national et à l’étranger.
Il soutenait que le droit moral est un droit de la personnalité, permettant la réparation de l’ensemble du préjudice subi dans le monde entier, au lieu du domicile du compositeur.
Le tribunal a cependant refusé d’admettre cette position : il retient que l’atteinte au droit moral n’est pas attachée à un droit de la personnalité. Le lieu du dommage est alors celui où il se manifeste concrètement, ce qui limite l’appréciation du préjudice aux actes réalisés sur le territoire national.
Pour les juges, l’absence de « crédit » pour l’usage de son œuvre n’a causé qu’un préjudice moral « caractérisé par le simple désagrément de découvrir qu’une de ses prérogatives n’a pas été respectée par un tiers ».
Au regard de la très grande diffusion de l’œuvre en France mais aussi de la faible gravité du manquement, le préjudice est estimé à 1.000 euros.
Il faut donc retenir que l’usage d’une œuvre musicale pour illustrer une scène violente ne caractérise pas, en soi, une violation du droit moral. Seul un examen préalable de l’esprit de l’œuvre est nécessaire pour la déterminer.
Alain Hazan
Avocat Associé
Emeline Jet
Juriste
21
septembre
2023
Toujours pas de fausse note pour Ed Sheeran, une nouvelle fois reconnu innocent de plagiat devant le tribunal fédéral de Manhattan
Un an après avoir été innocenté de plagiat pour son titre « Shape of You », par la Haute Cour de Justice britannique, Ed Sheeran revient sur les devants de la scène juridique !
Le célèbre musicien britannique était poursuivi par les héritiers de l’auteur-compositeur Ed Townsend, qui a créé ce titre classique de la soul Let’s Get It On en 1973 avec Marvin Gaye.
Selon eux, Thinking out Loud présentait des « similitudes frappantes et des éléments communs manifestes » avec leur titre, notamment sur la mélodie, l’harmonie et le rythme de la chanson et que par conséquent, il violait les droits d’auteur relatifs à la chanson.
Afin de prouver le contraire, Ed Sheeran a chanté, accompagné de sa guitare, les quatre accords clés de son morceau « Thinking out Loud », et assure que son inspiration vient plutôt du musicien irlandais Van Morrison.
Le 4 mai 2023, le tribunal de New York rejoue la même partition que son homologue britannique un an plus tôt, et indique que le tube du musicien avait été créé « de manière indépendante » et n’était pas une copie partielle de Let’s Get It On.
Ed Sheeran avait affirmé plus tôt qu’il quitterait l’industrie s’il perdait l’affaire : « Si cela arrive, j’ai fini, j’arrête ».
Nous voilà rassurez !
Emmeline Jet
Juriste
Baptiste Kuentzmann
Conseil en Propriété Industrielle
21
septembre
2023
Droit des marques : un duo explosif entre ROSALÍA et ROZALIYA
De LA FAMA, à DESPECHÁ, la chanteuse espagnole Rosalía ne cesse d’enchaîner les tubes. Toutefois, sur le terrain du droit des marques, le succès se fait attendre.
En effet, à l’instar d’autres chanteuses, Rosalía a cherché à protéger son nom de scène, notamment au niveau de l’Union Européenne. Trois marques ROSALÍA ont été déposées dans différentes classes de produits et services, afin de désigner son activité de chanteuse, mais également pour désigner des produits dérivés, comme des cosmétiques, vêtements…
Une de ces marques est contestée par la société bulgare Raphael Europe Ltd, titulaire de la marque ROZALIYA jewerly for enlightenment, protégée en classes 14 et 18. La société Raphael Europe Ltd invoque l’existence d’un risque de confusion et entre les marques ROSALÍA et ROZALIYA jewerly for enlightenment.
Si l’activité principale de la chanteuse espagnole n’est pas impactée (classes 9 et 41), des produits des classes 14 (bijoux) et 18 (sacs) sont contestés, ce qui crée un risque pour la commercialisation de produits dérivés.
Toutefois, la chanteuse espagnole bénéficie dans ce dossier d’une arme défensive redoutable, la marque antérieure invoquée par la société Raphael Europe Ltd est en effet soumise à obligation d’usage. Elle a ainsi attaqué la marque ROZALIYA jewerly for enlightenment en déchéance totale, dans le but d’éliminer cette antériorité.
La Chambre de l’Annulation n’a que partiellement accueilli son action en déchéance, aussi la chanteuse a formé un recours contre cette décision. La procédure est actuellement en cours.
La chanteuse espagnole dispose de plusieurs arguments susceptibles de jouer en sa faveur, comme la renommée de son nom de scène d’un point de vue conceptuel.
TAoMA Partners suit de près cette affaire dont la note finale devrait être jouée dans les mois à venir 🎶.
Nous pourrons ainsi nous replonger dans les problèmes d’homonymies que peuvent rencontrer certaines célébrités qui cherchent à protéger leur nom de scènes à titre de marque, à l’instar de la chanteuse Katy Perry, également présente dans notre focus spécial musique.
Baptiste Kuentzmann
Conseil en Propriété Industrielle
21
septembre
2023
La société de Katy Perry condamnée en Australie pour avoir contrefait la marque d’un homonyme de l’artiste
La société de la célèbre chanteuse américaine, de son vrai nom Katheryn Elizabeth Hudson, vient d’être condamnée par la Cour fédérale d’Australie dans un litige l’opposant à une homonyme le 21 avril 2023.
Katy Perry, rendue notamment célèbre à travers le monde grâce à sa chanson « I kissed a girl » en 2008, a créé la même année sa société « Kitty Purry ».
Lors de sa tournée intitulée Prismatic Tour en 2014 réalisée à l’occasion de la sortie de son album Prism, elle a vendu des vêtements sous la marque australienne Katy Perry, que ce soit aux au sein des salles de concert, dans des pop-up stores ou en en faisant la promotion sur ses réseaux sociaux. Cette marque avait été préalablement cédée en 2011 à une autre de ses sociétés, Killer Queen, qui avait accordé une licence pour l’usage de la marque à Kitty Purry.
L’artiste était par ailleurs personnellement impliquée dans l’approbation des designs, et un contrat avait été signé avec la société Bravado pour l’élaboration des designs et la vente des produits dérivés, société qui s’occupait déjà de la vente de ses produits depuis 2009.
Pour la créatrice de mode, sa victoire symbolise celle de David sur Goliath
Cependant, la créatrice de mode Australienne Katie Taylor commercialisait déjà des vêtements sous la marque Katie Perry, son nom de naissance. Cette dernière a alors attaqué en justice la chanteuse Katy Perry, ainsi que les sociétés Kitty Purry et Killer Queen, qui ont vainement tenté d’obtenir l’annulation de la marque de la créatrice par une demande reconventionnelle.
Si Katy Perry n’avait pas connaissance de la marque de son homonyme au moment où elle a développé la sienne, la juge relève qu’elle en avait néanmoins eu connaissance lorsqu’elle a commencé à l’utiliser en Australie. Katy Perry soutenait malgré tout qu’aucun risque de confusion n’était possible entre les deux marques et qu’elle pouvait alors entreprendre la vente de ses produits lors de sa tournée.
Bien qu’ayant reconnu que Katy Perry avait concouru à la violation de la marque de son homonyme, la juge a retenu que la chanteuse utilisait son nom de bonne foi, permettant de ce fait d’écarter sa condamnation.
En revanche, ce moyen de défense ne peut ni bénéficier à un tiers, ni à un licencié de la marque dans une telle situation. Sa société Kitty Purry a, elle, été reconnue coupable de contrefaçon de la marque Katie Perry.
Arthur Burger
Stagiaire Juriste
Alain Hazan
Avocat Associé
18
septembre
2023
Nouveau refus de protection de la marque figurative « Rubik’s Cube », jugée déceptive
Le record du monde de résolution du célèbre casse-tête a été une nouvelle fois battu, le 12 juin dernier, avec une résolution en 3,12 secondes.
Ce record s’accompagne d’un nouveau refus de protection, prononcé par l’EUIPO le 21 août 2023.
I – Refus de protection de la marque « Rubik’s Cube » en raison de sa forme nécessaire à l’obtention d’un résultat technique.
Le 24 octobre 2019, le Tribunal de l’Union Européenne (TUE) concluait une première saga jurisprudentielle en confirmant l’annulation de la marque figurative déposée par la société Rubik’s Brand Ltd et représentant le célèbre jouet, à l’égard des produits de la classe 28 (jeux, jouets, etc.)1.
A cette occasion, le TUE avait considéré que la marque était exclusivement constituée d’une forme nécessaire à l’obtention d’un résultat technique, constituant un motif de refus absolu par application de l’article 7 paragraphe 1 sous e) du Règlement 2017/10012.
Voir notre article à ce sujet ici.
Fin 2020, la société canadienne Spin Master Corp. annonçait avoir racheté Rubik’s Brand Ltd., et sa filiale britannique Spin Master Toys Uk Limited devenait titulaire de la marque tridimensionnelle suivante :
Peu après, Spin Master Toys Uk Limited essuyait un premier revers en voyant sa marque nouvellement acquise annulée par la Division d’annulation de l’EUIPO, par décision du 25 mars 2022 (n° C 7 527)3.
La solution retenue par l’Office est semblable à celle du TUE en octobre 2019, estimant que la marque contestée est composée exclusivement de la forme nécessaire à l’obtention d’un résultat technique.
La division d’annulation en a profité pour rappeler qu’une telle marque n’est pas éligible à l’enregistrement quand bien même le titulaire parviendrait à démontrer l’acquisition d’un caractère distinctif par l’usage.
Le titulaire de la marque a interjeté appel de cette décision, lequel est actuellement instruit par la Chambre des recours.
II – Nouveau refus de protection de la marque « Rubik’s Cube », cette fois-ci en raison de son caractère déceptif.
Parallèlement à son recours, Spin Master Toys Uk Limited s’est attelée au dépôt d’une nouvelle MUE représentant, une fois encore, le célèbre casse-tête :
Forte de sa mauvaise expérience avec la division d’annulation de l’EUIPO, la déposante a décidé de ruser en visant, dans le cadre de cette nouvelle demande d’enregistrement, les « jouets, jeux et articles de jeu ; tout ce qui précède à l’exclusion des produits ayant la forme d’un cube ».
Par ce stratagème, la déposante cherchait manifestement à contourner l’impossibilité de revendiquer l’enregistrement d’une forme exclusivement fonctionnelle.
Mais c’était sans compter l’opiniâtreté de l’Office qui a rejeté l’enregistrement de cette demande sur un autre fondement, celui de l’article 7 paragraphe 1 sous g) du Règlement 2017/10014, sanctionnant les dépôts de nature à tromper le public notamment sur la nature ou la qualité des produits visés5.
Ainsi, la démarche de Spin Master Toys Uk Limited n’était pas dénuée de sens, et lui a bien permis de contourner le motif absolu de refus opposé aux marques antérieures évoquées ci-avant.
Néanmoins, l’Office n’a pas été dupe et a bien cerné cette tentative de contournement de la règlementation et, pour ne pas tomber dans le « piège » du déposant, a décidé de fonder son rejet sur le caractère déceptif de ce dépôt.
On peut s’interroger sur le bien-fondé de cette décision : une marque prenant la forme d’un jouet doit-elle nécessairement proposer dans sa gamme le produit qui est représenté dans son signe, à défaut de quoi elle serait de nature à induire le public en erreur ?
Ou bien cette décision est-elle davantage motivée par la volonté de sanctionner une tentative de contournement qui, bien qu’audacieuse, n’en demeure pas moins quelque peu grossière ?
La décision de l’Office aurait-elle été la même si le signe retenu n’avait pas été aussi iconique que le Rubik’s Cube ?
La décision de l’Office est encore susceptible d’appel, ce casse-tête juridique n’est donc pas à l’abri d’un ultime rebondissement …
Robin Antoniotti
Avocat
(1) Arrêt du Tribunal de l’Union Européenne du 24 octobre 2019, T‑601/17 (lien)
(2) Article 7 paragraphe 1 sous e) du Règlement 2017/1001 : « 1. Sont refusés à l’enregistrement : […] e) les signes constitués exclusivement : i) par la forme, ou une autre caractéristique, imposée par la nature même du produit ; ii) par la forme, ou une autre caractéristique du produit, nécessaire à l’obtention d’un résultat technique ; iii) par la forme, ou une autre caractéristique du produit, qui donne une valeur substantielle au produit »
(3) Décision de la division d’annulation de l’EUIPO N° C 7 527 contre la marque de l’UE n° 5 696 232
(4) Refus d’enregistrement de la marque de l’Union Européenne n° 018847435
(5) Article 7 paragraphe 1 sous g) du Règlement 2017/1001 : « 1. Sont refusés à l’enregistrement : […] (g) les marques qui sont de nature à tromper le public, par exemple sur la nature, la qualité ou la provenance géographique du produit ou du service »
05
septembre
2023
Nouvelle décision d’adéquation concernant le transfert de données entre l’Union européenne et les États-Unis
Author:
admingih092115
La Commission européenne a adopté une nouvelle décision d’adéquation le 10 juillet 2023 relative au transfert de données personnelles entre l’Union Européenne et les Etats-Unis1.
Contexte
Cette décision intervient dans un contexte particulier aux termes duquel la Cour de Justice de l’Union européenne a invalidé par deux fois les accords passés entre les Etats-Unis et l’Union européenne relatifs à la protection des données personnelles (SAFE HARBOR2 et PRIVACY SHIELD3).
En réponse à ces invalidations, les Etats-Unis ont adopté en octobre dernier une nouvelle législation qui a été soumise à la Commission européenne pour validation.
Dans sa décision du 10 juillet 2023, cette dernière valide le Cadre de protection des données (ou « Data Privacy Framework ») mis en place par les Etats-Unis en considérant qu’il apporte un niveau de protection de données équivalent à celui de l’Union européenne4.
Les entreprises soumises au Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD) pourront désormais plus facilement transférer des données personnelles vers des entreprises américaines.
Les conditions posées par le Cadre de protection des données
Pour bénéficier des avantages offerts par le Data Privacy Framework, les entreprises américaines devront respecter plusieurs obligations, telles que par exemple :
la suppression des données lorsqu’elles ne sont plus nécessaires pour la finalité recherchée ;
l’établissement d’un droit d’accès aux données personnelles au profit des personnes concernées leur permettant de s’assurer de leur exactitude, de les corriger, sinon d’exiger leur effacement si elles sont fausses ou ont été collectées en violation des principes de collecte.
La nouvelle législation prévoit en outre un système d’auto-certification par lequel les entreprises américaines s’engagent à respecter les principes posés par le cadre de protection des données et à renouveler annuellement et publiquement leur certification.
L’Agence pour le commerce international, relevant du Ministère américain du commerce, tient à jour une liste d’entreprises se conformant à ce nouveau cadre légal. Plusieurs informations y sont répertoriées pour faciliter les requêtes des consommateurs directement auprès des responsables des traitements.
Les nouvelles garanties apportées aux résidents européens par cette nouvelle législation
Le Cadre de protection des données apporte un niveau de protection plus important au bénéfice des personnes dont les données personnelles sont transférées.
En effet, les citoyens de l’Union européenne bénéficieront désormais de voies de recours contre les entreprises américaines pour s’assurer du respect de leurs droits, grâce à des “mécanismes indépendants de règlement des litiges et d’un panel spécial d’arbitrage”.
Il est également prévu que les services de renseignement américain ne pourront accéder aux données personnelles que si cela est nécessaire et proportionné.
Le transfert de données auprès de sociétés américaines facilité – ce que cette décision change
Dans ce cadre, les entreprises européennes souhaitant transférer des données personnelles vers les entreprises américaines certifiées n’ont désormais plus à prévoir de garanties appropriées exigées par l’article 46 du RGPD, telles que le recours à des clauses, contractuelles types.
Ainsi, avant tout transfert de données aux Etats-Unis, les entreprises européennes devront s’assurer que les sociétés américaines à qui elles transfèrent des données personnelles disposent d’une certification.
Si tel n’est pas le cas, il faudra alors mettre en place des garanties appropriées et notamment avoir recours à des clauses contractuelles types de transfert de données, élaborées par la Commission européenne.
Un accord sous haute surveillance
La Commission européenne surveillera le respect de ce “Privacy Shield 2.0” par les entreprises américaines, tandis que la Commission fédérale du commerce des États-Unis supervisera le cadre de protection.
À peine adopté, des acteurs de l’Union européenne, soucieux de la protection des données à caractère personnel, ont déjà fait part de leur volonté de contester en justice ce nouveau cadre légal, à l’instar de Noyb, organisation à but non lucratif cofondée par l’avocat autrichien Max Schrems5.
Reste à savoir quel sera le sort réservé à ce troisième cadre régissant le transfert des données entre les Etats-Unis et l’Union européenne.
Arthur Burger
Stagiaire juriste
Margaux Maarek
Juriste
(1) https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/ip_23_3721 et https://commission.europa.eu/system/files/2023-07/Adequacy%20decision%20EU-US%20Data%20Privacy%20Framework_en.pdf
(2 CJUE, 6 octobre 2015, C-362/14, Maximillian Schrems contre Data Protection Commissioner
(3) https://www.cnil.fr/fr/definition/privacy-shield et CJUE, 16 juillet 2020 C-311/18 Facebook Ireland et Schrems
(4) https://www.cnil.fr/fr/transferts-de-donnees-vers-les-etats-unis-la-commission-europeenne-adopte-une-nouvelle-decision
(5) https://noyb.eu/fr/european-commission-gives-eu-us-data-transfers-third-round-cjeu
29
août
2023
Anonymisation et liberté de la presse : Le droit à l’oubli numérique devant la Grande Chambre de la CEDH
Author:
admingih092115
En 1994, le quotidien belge Le Soir a publié un article relatant plusieurs accidents de voitures mortels survenus récemment, dont l’un causé par une personne sous l’emprise de l’alcool. Son nom complet figurait dans l’article. En 2008, cet article a été archivé numériquement sur le site internet du quotidien.
Condamné à une peine de prison avec sursis suite à cet accident puis ayant bénéficié d’une décision de réhabilitation, l’auteur de l’accident a demandé le retrait de l’article accessible en ligne au journal, car ses (potentiels) patients pouvaient y accéder en cherchant son nom sur les moteurs de recherche. Le quotidien a refusé cette suppression.
Face à ce refus, le demandeur a assigné l’éditeur du journal en justice au motif que cette information librement accessible présentait un risque pour la constitution et la conservation de sa patientèle. Le journal a été condamné civilement par les juridictions belges à anonymiser, au nom du droit à l’oubli et de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme, l’article archivé.
Droit à l’oubli contre liberté d’expression et liberté de la presse
Contestant sa condamnation, l’éditeur du journal a alors saisi la Cour européenne des droits de l’Homme, en invoquant l’article 10 de la Convention qui protège la liberté d’expression et la liberté de la presse. Le requérant estimait que cette condamnation constituait “une ingérence qui n’était pas nécessaire dans une société démocratique”.
La Cour s’est prononcée le 04 juillet 20231 et constate que s’il y a bien une ingérence dans l’exercice des droits invoqués et protégés par l’article 10, les juridictions nationales ont procédé à une mise en balance des intérêts en présence. Ce faisant cette ingérence a été réduite au minimum en se résumant à une anonymisation de l’article “et peut passer pour nécessaire dans une société démocratique et proportionnée”.
La condamnation à anonymiser l’article ancien, dénué d’actualité, d’élément historique ou scientifique, et ne concernant pas une personne ayant une certaine notoriété, est ainsi la mesure la plus appropriée selon la Grande Chambre de la Cour. Elle vient préciser que cette notoriété doit s’apprécier au regard des circonstances de l’espèce en se plaçant à la date de la demande de droit à l’oubli. En l’espèce, le demandeur n’était aucunement connu, sa profession (médecin) était sans conséquence sur une possible notoriété, et l’affaire le concernant n’avait eu aucune résonance à l’époque des faits. Il s’était également écoulé plus de 20 ans entre la parution de l’article et la demande de retrait.
Le numérique a apporté la permanence de l’information accessible sur Internet
Au regard du temps écoulé, laisser l’article en accès libre avec le nom complet de l’auteur de l’accident contribuait à “créer un casier judiciaire virtuel”. Il y avait donc un risque de préjudice pour l’auteur de l’accident. Il suffisait de saisir son nom sur le moteur de recherche du site internet du journal pour que l’article apparaisse en première page (bien qu’en sixième position), en plus d’être référencé en tant que premier résultat sur Google. Par ailleurs, l’article archivé pouvait être consulté gratuitement.
Les acteurs de la presse doivent donc trouver un équilibre entre la création d’archives numériques, qui jouent un rôle dans la pérennisation de l’information, et le droit à l’oubli numérique qui, n’étant pas un droit autonome, se rattache à l’article 8 de la Convention et plus particulièrement au droit au respect de la réputation, et qui “ne peut concerner que certaines situations ou informations” selon la Cour. Ce peut être le cas des données sensibles (données de santé, orientation sexuelle…), pénales (tel qu’un casier judiciaire) ou relevant de la vie privée, si leur conservation n’apparait plus pertinente au regard du temps écoulé. Et ce en « l’absence d’actualité ou d’intérêt historique ou scientifique » de l’article de presse, ainsi qu’en l’absence de notoriété de la personne concernée.
Cette mise en balance des intérêts doit en outre inclure la question de l’accessibilité des archives, selon qu’elles soient mises en accès libre et gratuit ou restreintes sous la forme d’une consultation par abonnement. Et cela même si la consultation d’archives implique en principe une démarche positive de l’utilisateur souhaitant en prendre connaissance.
La Cour européenne des droits de l’Homme opère donc la mise en balance entre le droit à l’oubli numérique, qui relève du droit au respect de la vie privée et est à ce titre protégé par l’article 8 de la CEDH, et la préservation de l’intégrité des archives numériques de presse en vertu de la protection de la liberté d’expression.
Arthur Burger
Stagiaire juriste
Malaurie Pantalacci
Conseil en Propriété Industrielle associée
(1) https://hudoc.echr.coe.int/fre?i=001-225546
01
août
2023
Le pouvoir juridique des emojis : quand un 👍 conclut un contrat
Un cas récent et notable a mis en évidence une pratique contractuelle peu orthodoxe. La société canadienne SWT a prétendu avoir conclu un contrat d’achat à livraison différée avec la société agricole Achter Land & Cattle Ltd, dans lequel elle s’engageait à acheter 87 tonnes de lin métrique, la livraison étant prévue en novembre.
Néanmoins, Achter Land & Cattle Ltd n’a jamais livré ces 87 tonnes de lin ! En cause ? Le prétendu contrat résultait d’un document rédigé et signé par l’acheteur, ensuite transmis par SMS à Chris Achter, représentant de la société vendeuse. Ce dernier avait simplement répondu par un 👍. Malgré cette réaction positive, Achter, soutenant qu’aucun contrat n’avait été formellement conclu, n’a jamais honoré son engagement de vente.
Une approbation par 👍 validée par la Cour
La Cour du Banc du Roi pour la Saskatchewan a rendu un verdict le 8 juin 20231 : l’emoji 👍, utilisé en réponse au contrat, a été jugé suffisant pour une acceptation contractuelle valide ! Selon la Cour, ce processus qui comprenait l’envoi du contrat par SMS, suivi d’une approbation par emoji, respectait les normes contractuelles canadiennes.
Les justifications du jugement
Pour arriver à cette conclusion, le juge a considéré plusieurs éléments. Premièrement, compte tenu des relations commerciales existantes entre les parties, où l’acceptation de contrats a souvent été exprimée par des termes tels que « look good » ou « ok », un emoji « pouce en l’air » 👍 a été jugé admissible en tant qu’expression d’acceptation.
De plus, en vertu de la Loi de 2000 sur l’information et les documents électroniques, du Canada, le juge a considéré que le pouce levé pouvait être considéré comme un acte électronique exprimant l’acceptation d’une offre.
Ainsi, le contrat a été jugé signé grâce à l’utilisation de cet emoji. Achter Land & Cattle Ltd a contesté la formation du contrat, affirmant qu’il n’avait pas l’intention d’accepter l’offre lorsqu’il a envoyé le fameux émoji. Néanmoins, le juge, en prenant en compte le contexte global de l’affaire, a jugé autrement. En effet, il a considéré les relations commerciales préexistantes et stables entre les deux parties, ainsi que le fait que leurs termes contractuels n’ont jamais varié. Dans ce contexte, il a estimé que le consentement avait bien été donné, validant ainsi la formation du contrat.
Implications pour le droit français des contrats
Cette affaire ouvre une réflexion intéressante pour le droit français des contrats. Comme au Canada, le principe de base en France est le consensualisme, où un contrat est formé par le simple échange des volontés des parties.
Le Code civil français n’exige pas de formalisme spécifique pour la formation du contrat, sauf exceptions prévues par la loi. En principe, tant que l’offre et l’acceptation démontrent la volonté des parties de conclure, qu’elles soient expresses ou tacites, le contrat est considéré comme valablement formé.
La validité du contrat peut être remise en cause en cas de défaut de consentement, d’incapacité contractuelle ou si le contenu du contrat est illégal ou incertain2. Ainsi, peu importe la manière dont l’acceptation est communiquée à l’offreur, si le juge est convaincu que les parties ont donné leur consentement, le contrat doit être exécuté. Les emojis, bien que considérés comme des moyens d’expression informels, pourraient donc être pris en compte par les tribunaux français dans le cadre de litiges.
Juliette Danjean
Stagiaire juriste
Gaëlle Loinger-Benamran
Associée – Conseil en Propriété Industrielle
(1) South West Terminal Ltd. v Achter Land, 2023 SKKB 116 (CanLII)
(2) Article 1128 du code civil
18
juillet
2023
Nestlé & AMPC : 0% de contrefaçon mais 100% de cacao !
La société AMCP commercialise le chocolat qu’elle fabrique sous forme de tablettes de dégustation sous la marque « Encuentro », l’emballage de ces produits s’appelle « Encuentro 70% Haïti », représentant une cabosse de couleur orange à reflets jaune apposée sur un fond uni couvrant la quasi-totalité de l’emballage.
Elle reproche à la société Nestlé la contrefaçon de droit d’auteur sur ses emballages et la concurrence déloyale, pour avoir reproduit les caractéristiques essentielles de son packaging dans sa tablette de chocolat « Incoa ».
Tout en retenant l’originalité du packaging, le Tribunal judiciaire de Paris rejette pourtant ses demandes le 13 avril 2023[1]
Le tribunal retient l’originalité du packaging « Encuentro 70% Haïti »
Même si certains éléments sont dictés par la fonction technique de l’emballage, et d’autres banals, ces éléments, pris dans leur ensemble, attestent d’une opposition entre une étiquette à la typographie d’imprimerie traditionnelle et une représentation stylisée, sous forme d’aquarelle, d’une cabosse de cacao accentuant ses couleurs naturelles orangée ou violette.
Les emballages sont présentés de façon lisse, avec des couleurs vives et des effets de dégradés et de reflets.
Le tribunal retient que cette présentation véhicule une atmosphère artisanale et sobre d’authenticité et de qualité, combinée de façon originale, avec une représentation graphique colorée pouvant évoquer un élément passionnel et la gourmandise associée au produit.
Le tribunal rejette le fondement de la contrefaçon
Le tribunal est ferme et indique que les éléments l’ayant mené à reconnaître l’originalité du packaging du demandeur n’existent pas pour la tablette Incoa de la société Nestlé, dont la version de la cabosse de cacao est épurée, simple, droite et sans reflets.
Par ailleurs, le tribunal rejette le fondement de la concurrence déloyale car le consommateur du chocolat Encuentro d’attention élevée ne pourra pas confondre des produits qui se distinguent par leurs marques, leurs prix et leurs qualités, la faute n’est donc pas démontrée.
En effet, le public pertinent, au cas d’espèce acheteur du chocolat Encuentro, est considéré comme recherchant un produit de qualité gustative et par sa composition, il dépensera donc un prix élevé pour acheter du chocolat, la tablette Encuentro étant vendue au prix de 7 à 8 euros. Le chocolat Encuentro est un chocolat haut de gamme, ciblant un public d’amateurs ou de connaisseurs et distribué dans un réseau de commerce au détail et spécialisé.
Le consommateur est donc considéré comme disposant d’un niveau d’attention élevée.
Au contraire, la tablette Incoa est un chocolat industriel ciblant un large public et commercialisée dans un réseau étendu de magasins de grande surface.
Il est donc peu probable que le public pertinent soit en situation de confondre les deux produits.
Cette position est assez surprenante dans la mesure où les tablettes de chocolat sont un produit ordinaire dans la consommation quotidienne et à destination du grand public, le degré d’attention du consommateur devrait être qualifié de moyen, comme cela a été jugé à propos de boissons rafraichissantes[2] par exemple.
L’attention plus élevée du consommateur est généralement retenue lorsque les produits sont spécifiques et onéreux comme les vins de Champagne[3].
Ici, c’est sans doute la qualité certaine du chocolat qui en fait un produit cher conduisant donc à considérer le consommateur qui va l’acheter comme ayant un niveau d’attention élevée.
Enfin, les fondements de parasitisme et pratiques commerciales trompeuses sont également écartés.
Nestlé et son chocolat ont encore de beaux jours devant eux…
Des questions sur vos droits d’auteur et leur protection ? Les équipes de TAoMA sont à votre disposition pour en discuter !
Emeline JET
Elève-avocate
Jean-Charles Nicollet
Associé – Conseil en Propriété Industrielle
[1] TJ Paris, du 13 avril 2023 n°21/09930
[2] TUE, 23 février 2022 Ancor Group GmbH c/ EUIPO
[3] Tribunal judiciaire de Paris, 3e chambre, 1e section, 29 juillet 2021, RG n° 19/13569
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