23
juillet
2024
CHANEL N°5 vs. 5 – Une décision au parfum de surprise
Par une décision du 17 juin 20241, l’Office Européen de la Propriété Industrielle (ci-après EUIPO) a rejeté l’opposition formée par la Maison Chanel contre la demande de marque de l’Union européenne semi-figurative n°18872562, déposée pour des produits tels que des crèmes parfumées, des huiles essentielles ou des sérums de beauté en classe 3.
En effet, considérant que cette demande de marque risquait de créer un risque de confusion dans l’esprit du public avec ses célèbres marques antérieures françaises n° 98755754 et N°5 n°1293767, Chanel a formé opposition contre l’ensemble des produits désignés en classe 3. La maison de luxe a notamment invoqué la renommée et le degré de distinctivité élevé de ses marques antérieures au soutien de son opposition, en raison de leur utilisation longue et intensive.
Malgré la reconnaissance de l’identité des produits en comparaison et la similarité visuelle et phonétique des signes, l’Office européen ne reconnaît pas le risque de confusion.
L’Office estime de manière surprenante que les marques antérieures et N°5 de Chanel jouissent d’un caractère distinctif normal en ce qu’elles n’ont aucune signification pour les produits désignés en classe 3, au regard des preuves fournies par Chanel. Il est ainsi reproché à Chanel de ne pas avoir fourni de preuves suffisantes permettant de démontrer que ses marques antérieures ont un degré élevé de distinctivité et sont sérieusement utilisées pour les produits désignés.
L’examinateur considère en outre que les différences entre les signes sont « frappantes et seront facilement mémorisables ». Ces différences sont renforcées par le fait que ce sont des signes courts. En effet, il est de jurisprudence constante que de faibles différences au sein de signes courts sont plus facilement perceptibles par le public pertinent d’attention moyenne, donnant lieu à une impression générale différente.
En l’espèce, la représentation de la marque contestée combinant la lettre « n » avec le chiffre « 5 » en un seul élément graphique est jugée « inhabituelle » par l’Office. Cette singularité aurait donc un impact immédiat sur la perception des consommateurs, les guidant vers la conclusion que les produits en question ont une origine commerciale distincte.
Par conséquent, l’EUIPO rejette l’opposition dans son intégralité.
Cette décision révèle que les marques les plus prestigieuses ne sont pas exemptées de fournir une démonstration suffisante de la renommée et du degré élevé de distinctivité de leurs marques. La renommée et le caractère distinctif ne sont pas automatiquement reconnus et doivent être sérieusement prouvés par l’opposant.
Compte tenu de la teneur de cette décision, il existe de fortes chances que Chanel fasse appel.
Margaux Maarek
Juriste en Propriété industrielle
(1) EUIPO, décision d’opposition n° B 3 203 223 du 17 juin 2023
18
juillet
2024
Jugement éclair : pas de contrefaçon pour le sac DEMI-LUNE
Author:
TAoMA
Le 7 juin 2024, le Tribunal judiciaire de Paris a rendu une décision dans une affaire opposant la société Atelier de Production et de Création (APC) aux sociétés Monoprix et Monoprix Exploitation concernant des faits de contrefaçon de droit d’auteur, de modèle déposé, ainsi que des faits distincts de concurrence déloyale et parasitaire.
La société APC, ayant déposé le 14 octobre 2013 un modèle de sac nommé « DEMI-LUNE », qui a rencontré un grand succès en France et à l’étranger, a constaté que les sacs commercialisés par les sociétés Monoprix reproduisaient les caractéristiques originales et l’impression d’ensemble de ce sac, incluant « sa forme et ses proportions ainsi que celles de la bandoulière », mais reprenaient également l’empreinte de la personnalité de son auteur.
De plus, la société APC a affirmé, devant le Tribunal, que la commercialisation de ces copies serviles générait un risque de confusion, constituant ainsi des actes de concurrence déloyale.
En conséquence, la société APC a mené des opérations de saisie-contrefaçon et a fait assigner les sociétés Monoprix pour faire cesser la production et la commercialisation de ces produits et obtenir réparation des préjudices commerciaux subis.
LA DÉFENSE DES PARTIES MISES EN CAUSE
Les sociétés Monoprix ont contesté les accusations émises par la société APC en invoquant que :
– le modèle « DEMI-LUNE » déposé par la société APC et les produits qu’elles commercialisent comportent des différences importantes.
– le sac « DEMI-LUNE » n’est pas original au motif que les caractéristiques revendiquées sont inhérentes à la forme du sac et parfaitement connues dans cette industrie (notamment aux vus des antériorités).
– la vente d’un produit similaire n’est pas nécessairement constitutive d’un acte de concurrence déloyale en ce qu’ils visent des consommateurs différents et utilisent des canaux de distribution différents.
Modèle déposé par la société AP
Modèle antérieur
DÉCISION DU TRIBUNAL
Après avoir tranché sur la validité du modèle de sac « DEMI-LUNE » en faveur de la société APC, le Tribunal s’est penché sur la possible contrefaçon du modèle, la violation des droits d’auteur et la présence d’actes de concurrence déloyale et parasitaire.
Tout d’abord, il a conclu que la comparaison des modèles des deux parties n’indiquait aucune contrefaçon, ces derniers se distinguant par « des éléments visuellement importants ».
Ensuite, il a évalué que les caractéristiques revendiquées par la société demanderesse relevait d’un « travail stylistique de qualité mais non un effort créatif concrétisé par une apparence singulière qui viendrait révéler l’empreinte de la personnalité » et refuse donc la qualification d’œuvre originale protégée par le droit d’auteur pour le modèle de sac « DEMI-LUNE ».
Enfin, sur la question de la concurrence déloyale et parasitaire, le tribunal a admis une ressemblance élevée pour certains des modèles des sociétés Monoprix mais a refusé la qualification de copie servile. Il a ajouté, en outre, que les faits n’avaient pas été réitérés. À cet égard, il a admis une « absence de risque de confusion pour la clientèle entre les modèles « DEMI-LUNE » de la société APC et les modèles « DEMI-LUNE » des sociétés Monoprix » écartant ainsi la caractérisation d’acte de concurrence déloyale et parasitaire, la société APC n’ayant pas démontré des investissements significatifs ou une notoriété suffisante pour établir un acte de parasitisme.
Ce jugement du Tribunal judiciaire de Paris renforce ainsi les exigences de protection de création – une création peut valablement être protégée par le biais d’un dessin & modèle tout en se voyant refuser une protection au titre du droit d’auteur. De plus, le Tribunal éclaircit les limites des pratiques de concurrence au sein de l’industrie.
L’affaire n’était finalement pas dans le sac pour APC.
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Elsa OLCER
Juriste Stagiaire
Jean-Charles NICOLLET
Conseil en Propriété Industrielle Associé
(1) Tribunal judiciaire de Paris, 3e ch., 2e sect., 7 juin 2024, n° 21/15173
09
juillet
2024
Quand l’originalité devient flou, zoom sur le préjudice économique !
Les photographies peuvent faire l’objet d’une protection par le droit d’auteur, sur le fondement de l’article L. 112-2 du code de la propriété intellectuelle qui dispose que « Sont considérés notamment comme œuvres de l’esprit au sens du présent code : (…) 9° Les œuvres photographiques et celles réalisées à l’aide de techniques analogues à la photographie. ».
Cependant, pour bénéficier de cette protection, la photographie doit répondre à la condition jurisprudentielle d’originalité, comme le rappelle un jugement rendu par le Tribunal Judiciaire de Rennes le 6 mai 20241.
En l’espèce, un photographe professionnel avait photographié un bateau de croisière, « Le Chateaubriand », à la demande de son propriétaire. Des années plus tard, ce cliché a été utilisé sans son autorisation dans plusieurs articles publiés par le journal Ouest France.
Malgré une tentative de règlement amiable, le photographe avait assigné la société Ouest France pour contrefaçon de droit d’auteur, et subsidiairement, pour faute délictuelle (sur le fondement de l’article 1240 du code civil).
Le Tribunal conteste l’originalité de la photo afin de rejeter l’action en contrefaçon de droits d’auteur.
Le Tribunal judiciaire a étudié l’originalité de la photographie pour déterminer si elle pouvait bénéficier de la protection offerte par le droit d’auteur. A ce titre, il revenait au photographe de démontrer que sa création était le résultat d’un choix personnel et qu’elle portait ainsi l’empreinte de sa personnalité.
Après une analyse particulièrement minutieuse des choix opérés par le photographe, le Tribunal judiciaire de Rennes a conclu que, malgré les efforts entrepris pour capturer l’image, ceux-ci ne suffisent pas à établir l’originalité, puisqu’ils relèvent d’un savoir-faire technique. En effet, les choix du photographe, notamment l’attente de conditions météorologiques favorables ou le cadrage, sont jugés trop communs ou évidents pour conférer à la photographie un caractère unique ou original.
Par conséquent, la photographie n’a pas été jugée éligible à la protection par le droit d’auteur – faute d’originalité, et les demandes de contrefaçon à ce titre ont été rejetées.
Toutefois, le tribunal reconnaît un préjudice économique, réparé sur le fondement de la responsabilité civile.
Subsidiairement, le photographe invoquait un préjudice économique résultant de l’utilisation non consentie et non rémunérée de sa photographie.
Le Tribunal judiciaire a ainsi reconnu que le photographe avait subi un manque à gagner. En effet, en utilisant son travail sans consentement, ni compensation, le journal Ouest France lui a causé un préjudice économique, indépendamment de tout préjudice moral ou patrimonial.
Les juges du fond ont donc prononcé une indemnisation forfaitaire à hauteur de 1.500 € pour cet usage non autorisé, une somme fixée « au regard des redevances habituellement pratiquées en matière de photographie, s’agissant des quatre utilisations frauduleuses ». Ouest France a également été condamné à lui verser la somme de 3.000 v au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Cette décision rappelle, une fois de plus, les strictes conditions requises pour qu’une photographie soit protégée par le droit d’auteur. Mais elle admet qu’une autre voie d’indemnisation est possible pour les photographes : lorsque leurs clichés ne peuvent bénéficier de la protection par le droit d’auteur, ils ne peuvent pour autant être reproduits sans compensation !
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Laurine Janin-Reynaud
Avocat à la Cour
Associée
Juliette Danjean
Juriste stagiaire
1) TJ Rennes, 2e ch. civ., 6 mai 2024, n° 22/01433.
01
juillet
2024
Louis Vuitton remporte la victoire contre « Pooey Puitton » : Quand la parodie tourne mal !
Author:
TAoMA
Le 25 avril 20241, le Tribunal judiciaire de Paris a rendu une décision significative dans l’affaire opposant Louis Vuitton Malletier (LV) à MGA Entertainment et plusieurs autres sociétés concernant des faits de contrefaçon de marques et de parasitisme.
Louis Vuitton, célèbre pour ses produits de maroquinerie de luxe et ses accessoires, a découvert que des sacs commercialisés sous le nom de « Pooey Puitton » reproduisaient de manière illicite plusieurs éléments distinctifs de ses propres produits. Ces éléments incluaient notamment les motifs multicolores, les anses, les enchapes hexagonales, et les anneaux dorés, caractéristiques emblématiques de la marque Louis Vuitton. Ayant acquis ces produits dans un magasin Toys « R » Us et constaté leur vente sur divers sites marchands, LV a mené plusieurs saisies-contrefaçons et engagé une action en justice pour faire cesser ces agissements et obtenir réparation des préjudices subis.
La société LV a soutenu que les sacs « Pooey Puitton » reproduisaient des éléments distinctifs de ses produits protégés par des marques enregistrées. Elle a invoqué l’article 9 du Règlement (UE) 2017/1001 sur la marque de l’Union européenne, et l’article L. 717-1 du code de la propriété intellectuelle, affirmant que l’usage des signes litigieux sans son consentement tirait indûment profit de la renommée de ses marques et leur portait préjudice.
Que soutiennent les sociétés mises en cause ?
Les sociétés mises en cause ont contesté les accusations, soulignant les différences entre les produits litigieux et ceux de Louis Vuitton.
Elles ont argué :
– que les produits « Pooey Puitton » font partie d’une gamme appelée « Poopsie » destinée aux enfants, très éloignée des produits de luxe de Louis Vuitton ;
– que les différences visuelles, phonétiques et conceptuelles sont trop importantes pour créer un lien dans l’esprit du public de nature à constituer une atteinte à une marque renommée ;
– que la comparaison des signes et produits concernés ne révèle aucune similarité ;
– que les produits sont différents car ils n’ont pas la même nature, fonction et destination, la société LV ne fabriquant ni ne commercialisant aucun jeu ou jouet pour enfants ;
– que les modes de distribution sont différents,
– de même que les prix,
– que le public ciblé est l’enfant prescripteur d’achat.
Les défenderesses ont également soutenu que le produit « Pooey Puitton » relevait de la parodie, visant à faire un clin d’œil humoristique et non à imiter ou à tirer profit de la marque Louis Vuitton. Elles ont argué que la parodie est une forme d’expression reconnue, souvent utilisée pour se moquer de manière inoffensive, et non pour porter atteinte à la renommée ou au caractère distinctif d’une marque.
En complément, les défenderesses ont invoqué la liberté d’expression, affirmant qu’elles avaient le droit de créer et commercialiser des produits humoristiques. Elles ont soutenu que leur intention n’était pas de tromper les consommateurs ni de tirer indûment profit de la renommée de Louis Vuitton, mais simplement de jouer sur les mots et les images de manière créative.
Les arguments n’ont pas convaincu le Tribunal judiciaire de Paris
Après avoir aisément retenu la renommée des marques de Louis Vuitton, le Tribunal se penche sur l’évaluation de l’atteinte à leur renommée en évaluant (i) le préjudice porté au caractère distinctif de la marque, (ii) le préjudice porté à la renommée de la marque, et (iii) le profit indûment tiré de celle-ci.
Il en conclut que l’utilisation des signes contestés affaiblit le pouvoir distinctif des marques Louis Vuitton et nuit à leur renommée. Il souligne que les signes sont suffisamment similaires pour que le public concerné par le jouet « Pooey Puitton », incluant certains clients de la société Louis Vuitton, établisse un lien, même s’il existe une différence entre les produits en cause. Les marques de la demanderesse bénéficient d’une renommée exceptionnelle et d’un caractère distinctif très fort, ce qui rend probable ce rapprochement, même sans confusion directe.
Le Tribunal judiciaire de Paris a également évalué la perception du public pertinent, incluant à la fois les consommateurs de produits de luxe de Louis Vuitton et les acheteurs de jouets. Il a jugé que même si les acheteurs de jouets étaient principalement des enfants, les parents, en tant qu’acheteurs finaux, seraient sensibles à la similitude entre les signes et pourraient être influencés négativement par l’association des marques. Le tribunal a ainsi reconnu que l’atteinte à la renommée et au caractère distinctif de la marque Louis Vuitton s’appréciait par rapport à ses clients et non uniquement par rapport aux acheteurs des produits litigieux.
Ainsi, le Tribunal conclut que les produits « Pooey Puitton » tirent indûment profit de la renommée des marques Louis Vuitton car « il s’agit bien pour les défenderesses de tenter de se placer dans le sillage de la marque renommée afin de bénéficier, auprès du consommateur moyen des produits Pooey Puitton, normalement informé et raisonnablement attentif, c’est-à-dire principalement un adulte qui achète des jouets, du pouvoir d’attraction, de la réputation et du prestige des marques Louis Vuitton et d’exploiter sans compensation financière, dans le but purement commercial de faciliter leurs ventes, l’effort commercial déployé par la société LV pour créer et entretenir l’image de celle-ci » . Le fait d’associer un produit de luxe à une parodie scatologique a été jugé préjudiciable à l’image de raffinement et d’exclusivité de Louis Vuitton.
L’exception de parodie ne fonctionne pas non plus
Bien qu’il ait reconnu l’importance de la liberté d’expression et le droit à la parodie, le Tribunal a jugé que ces principes ne pouvaient justifier une atteinte aux droits de propriété intellectuelle de LV.
En particulier, le Tribunal judiciaire de Paris a estimé que l’usage des signes contestés par les défenderesses n’était pas justifié par un motif légitime. Bien que la parodie puisse être protégée, elle ne doit pas porter atteinte au caractère distinctif ou à la renommée d’une marque établie.
Enfin, il affirme que la liberté d’expression doit être équilibrée avec les droits de propriété intellectuelle. Cependant, dans ce cas, les droits de LV en tant que titulaire de marques renommées prévalent sur le droit des défenderesses à l’expression humoristique parodique.
En conclusion, le Tribunal a retenu que les marques de LV jouissaient d’une renommée exceptionnelle et que les défenderesses avaient indûment tiré profit de cette renommée à travers la contrefaçon et le parasitisme.
Ce jugement réaffirme ainsi l’aura incontestée et l’influence prééminente des marques Louis Vuitton sur le marché mondial !
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Gaelle Loinger
Conseil en Propriété Industrielle Associée
Emeline Jet
Avocate à la Cour
(1) Tribunal Judiciaire de Paris, 3e ch., 1re sect., 25 avril 2024, n°19/01735
27
juin
2024
Pour que Netflix reste chill en UE… elle doit prouver sa renommée !
L’EUIPO a tranché… ne créé pas de risque de confusion avec .
Bien que cette décision du 15 mai 2024 paraisse étonnante, le raisonnement de l’EUIPO est assez logique.
Les signes ne sont pas similaires selon l’EUIPO
Selon l’Office européen, les signes ne sont pas suffisamment similaires pour admettre l’opposition. Il considère que les signes sont assez différents visuellement, phonétiquement et conceptuellement pour le public pertinent. En effet, la seule terminaison -FLIX ne suffit pas à créer un risque de confusion compte tenu des premiers termes « NET » et « WEED » qui sont différents.
La renommée de Netflix au sein de l’Union Européenne n’est pas suffisamment prouvée
L’opposante savait qu’elle n’était pas très solide sur la similarité des signes. C’est pourquoi, elle a tenté d’invoquer la renommée de sa marque. Elle devait donc prouver cette renommée au sein de l’Union Européenne. Or, les pièces apportées par NETFLIX n’étaient pas suffisantes pour l’EUIPO.
D’abord, l’office a conclu à l’Inadmissibilité des preuves provenant du Royaume-Uni et des États-Unis. Il est rappelé que, conformément à l’article 8(5) du RMUE, les preuves de la renommée et de la distinctivité accrue doivent être pertinentes au moment de la décision et applicables dans l’Union européenne. Étant donné que le Royaume-Uni n’est plus membre de l’UE, les preuves relatives à ce territoire ne sont pas recevables. De même, les preuves provenant des États-Unis ne peuvent être utilisées pour démontrer la renommée au sein de l’UE.
Ensuite, l’office considère que les preuves apportées par NETFLIX pour démontrer la renommée dans l’UE sont insuffisantes. En l’occurrence, elle a présenté des statistiques impressionnantes à l’échelle mondiale, mais l’office considère que ces données n’étaient pas suffisamment spécifiques aux États membres de l’UE. Par exemple, les revenus et les abonnements présentés pour la région EMEA (Europe, Moyen-Orient et Afrique) n’étaient pas suffisamment détaillés pour extraire des données spécifiques à l’Europe.
Enfin, l’EUIPO conclut également à l’absence de preuves indépendantes et détaillées de la part de NETFLIX. Il a noté que de nombreuses preuves soumises par NETFLIX provenaient de ses propres publications et sites web, ce qui n’est pas suffisamment indépendant et objectif pour l’EUIPO. Les preuves fournies ne contenaient pas suffisamment de données indépendantes telles que des parts de marché spécifiques, des factures ou des informations précises sur la promotion et l’investissement dans l’UE.
Dans cette décision, l’Office rappelle qu’il est limité aux faits, preuves et arguments soumis par les parties et ne peut mener une enquête d’office. Par conséquent, les preuves doivent être claires et convaincantes pour conclure en toute sécurité que la marque est connue par une partie significative du public pertinent. Les éléments fournis par NETFLIX ne répondaient pas à cette exigence.
L’EUIPO doit tenir compte des raisonnements des offices nationaux lorsque les décisions sont comparables au cas d’espèce
L’Office soulève un dernier point intéressant dans sa décision. Bien qu’il n’est pas tenu par les décisions des offices nationaux, leur raisonnement et leur résultat doivent être dûment pris en compte, en particulier lorsque la décision a été prise dans l’État membre pertinent pour la procédure.
Toutefois, en l’espèce, les nombreuses décisions nationales citées par l’opposante ne sont pas comparables avec l’affaire en cause.
L’Office conclut donc en ces termes : « Malgré des décisions nationales antérieures et la reconnaissance de la marque « NETFLIX », il n’existe aucun risque de confusion entre « NETFLIX » et « WEEDFLIX WEEDFLIX » pour le public pertinent. Les différences visuelles, phonétiques et conceptuelles sont suffisamment marquées pour éviter toute confusion sur l’origine commerciale des produits et services ».
Partant, l’EUIPO rejette l’opposition de NETFLIX et le signeest enregistré.
Cette décision va certainement faire l’objet d’un recours devant le Tribunal de l’Union Européenne. NETFLIX n’est pas du genre à produire un seul épisode !
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Juliette DESCAMPS
Élève-Avocat
Malaurie PANTALACCI
Conseil en Propriété Industrielle Associée
18
juin
2024
Le papier peint fonce droit dans le mur !
Par une décision en date du 25 avril 2024, le Tribunal judiciaire de Paris a reconnu l’existence de droits d’auteur sur différents motifs de papiers peints créés par une artiste plasticienne. Cela étant, malgré la reconnaissance de ces droits d’auteurs, l’artiste a été déboutée de son action en contrefaçon initiée à l’encontre d’une société hollandaise qui proposait un papier peint prétendument contrefaisant1.
Les motifs de papiers peints peuvent bénéficier d’une protection par le droit d’auteur sous réserve de leur originalité.
Conformément aux dispositions du Code la propriété intellectuelle2, une œuvre de l’esprit peut revêtir différentes formes, dont notamment « 7° Les œuvres de dessin, de peinture, d’architecture, de sculpture, de gravure, de lithographie (…) ». Néanmoins, pour que cette œuvre de l’esprit bénéficie d’une protection par le droit d’auteur, encore faut-il qu’elle soit originale.
En l’occurrence, Madame G, artiste plasticienne, a créé une collection de papiers peints parmi lesquels un décor mural intitulé « White Spirit ». Toutefois, Madame G a eu la désagréable surprise de constater que son distributeur proposait à la vente un papier peint blanc produit par la société hollandaise Eijffinger BV qui, selon elle, présentait notamment des ressemblances avec son modèle emblématique.
Sur cette base, elle a assigné la société Eijffinger BV, notamment en contrefaçon de droit d’auteur, devant le Tribunal judiciaire de Paris.
Classiquement, la société Eijffinger BV s’est défendu en invoquant le défaut d’originalité des motifs de papiers peints invoqués et, partant, l’absence de protection par le droit d’auteur.
Le Tribunal judiciaire de Paris rejette ce moyen de défense et considère que les motifs de papiers peints sont originaux. En particulier, il est jugé que l’artiste a superposé de manière arbitraire des formes ou modules graphiques monochromes découpées au cutter dans du papier, ce qui confère à l’ensemble une impression en trois dimensions.
Le Tribunal judiciaire de Paris ajoute que les caractéristiques telles que citées ci-dessus ne se réduisent pas à une simple idée ou à un simple savoir-faire mais traduisent manifestement l’empreinte de la personnalité de l’auteur : « l’illusion d’optique ainsi créée par la mise en relief des formes géométriques découpées et le jeu d’ombre portée évoquent la représentation d’une sculpture de papier, dans une esthétique qui s’avère singulière s’agissant d’une tapisserie murale ».
Le modèle de papier peint « White Spirit », se voit ainsi accorder une protection au titre du droit d’auteur.
La société Eijffinger BV ne se rend toutefois pas coupable d’actes de contrefaçon des motifs de papiers peints de Madame G
Si l’originalité des motifs de papiers peints est admise, il en va différemment de la contrefaçon de ces derniers par la société Eijffinger BV.
En effet, après une analyse détaillée des modèles en cause, le Tribunal judiciaire de Paris considère que les caractéristiques essentielles du modèle de papier peint « White Spirit » ne se retrouvent pas au sein des modèles argués de contrefaçon.
Selon le Tribunal judiciaire de Paris, les modèles litigieux ne représentent pas une superposition, sur différents niveaux, de formes ou modules graphiques découpés dans du papier et superposés pour restituer une impression visuelle de profondeur en trois dimensions.
Partant, la contrefaçon n’est pas caractérisée et Madame G est déboutée de ses demandes.
Il convient de noter que Madame G est également déboutée de ses autres demandes, notamment sur la base de la concurrence déloyale et du parasitisme. De même, Madame G se voit refuser une protection au titre du droit d’auteur de ses autres modèles eu-égard à leur absence d’originalité.
Cette décision rappelle, une fois de plus, les conditions de protection d’une œuvre quelle qu’elle soit, par le droit d’auteur. Toutefois, si cette protection est reconnue, encore faut-il que les actes de contrefaçon soient caractérisés, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.
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Baptiste Kuentzmann
Conseil en Propriété Industrielle
1) Tribunal judiciaire de Paris, 3ème chambre, 1ère section, 25 avril 2024, n° 23/04554
2) Article L112-2 du Code de la propriété intellectuelle
11
juin
2024
« Cookie walls » : le CEPD apporte sa pierre à l’édifice
Le 17 avril 2024, le Comité Européen de Protection des Données (CEPD) a publié un rapport circonstancié s’agissant de la pratique croissante des « cookie walls », et plus particulièrement des « pay walls » utilisant le modèle « consentir ou payer ».1
Les « cookie walls » : une technique de monétisation des sites web et des plateformes.
Nous avons tous déjà été confrontés à ce choix cornélien en naviguant sur des sites d’actualités et autres médias en ligne : accepter des cookies de publicité comportementale ou souscrire un abonnement contre une somme plus ou moins modique.
Cette pratique s’est largement développée afin d’obtenir plus aisément le consentement aux cookies publicitaires de la part d’internautes désormais très accoutumés à la gratuité de contenus informationnels et récréatifs.
Ainsi, si les internautes disposent toujours de la possibilité de refuser ce type de cookies, l’alternative qui leur est proposée pourront les inciter à y consentir.
Le 19 juin 2020, le Conseil d’état s’est opposé à une interdiction générale des « cookies walls », optant pour une appréciation au cas par cas en fonction, notamment, de l’existence d’une alternative satisfaisante en cas de refus des cookies.2
Le 16 mai 2022, la CNIL a également eu l’occasion de se prononcer sur cette pratique, en posant certains critères d’appréciation.3
Ainsi, la Commission considère que l’internaute doit disposer d’une alternative réelle et équitable, afin de disposer d’un véritable choix au consentement des cookies.
S’agissant des « pay walls », l’existence d’un réel choix sera appréciée en fonction du tarif proposé à titre d’alternative, qui devra être raisonnable selon une appréciation au cas par cas.
Ainsi, à ce jour, la pratique des « pay walls » reste par principe licite sous réserve de ne pas s’apparenter à un simple prétexte en vue d’imposer l’acceptation des cookies.
Pour la CEPD, les grandes plateformes devraient proposer davantage d’alternatives.
Le 17 avril 2024, le CEPD a à son tour abordé la légitimité des « pay walls » comme fondement du traitement des données personnelles, à l’occasion d’un rapport publié en réponse aux interrogations soulevées par les autorités néerlandaise, norvégienne et hambourgeoise de protection des données
Selon Madame Anu Talus, présidente du CEPD, « les responsables de traitement doivent veiller à tout moment à éviter de transformer le droit fondamental à la protection des données en une fonctionnalité dont les individus doivent payer pour bénéficier ».
Partant de ce postulat, le CEPD indique que l’offre payante ne devrait pas être le seul choix par défaut du consommateur.
En effet, il a précisé que les plateformes ne seraient, dans la majorité des cas, pas en adéquation avec les critères du consentement libre s’ils ne proposaient qu’un choix dichotomique entre consentement pour la publicité comportementale ou paiement d’un prix, même faible.
Le comité a donc encouragé la mise en place d’une troisième voie sans frais et sans publicité ciblée, comme la publicité contextuelle, définie en fonction du contexte dans lequel le contenu publicitaire est inséré et non par le traitement de données collectées par le biais de cookies et traceurs.
A ce stade, l’avis du CEPD ne porte que sur les grandes plateformes en ligne au sens du Règlement (UE) 2022/0265 (dit, « DSA ») et les contrôleurs d’accès au sens du Règlement (UE) 2022/1965 (dit « DMA »), mais il est d’ores et déjà prévu que le Comité élabore, à l’avenir, des lignes directrices plus générales sur la pratique des « pay walls ».
Ces différents avis permettent de tracer les fondements d’un cadre de conformité, dans l’attente d’une législation dédiée et / ou d’un positionnement de la Cour de Justice de l’Union européenne.
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Robin Antoniotti
Avocat
(1) “Opinion 08/2024 on Valid Consent in the Context of Consent or Pay Models Implemented by Large Online Platforms”
(2) Conseil d’état, 19 juin 2020, Décision n°434684
(3) “Cookie walls : la Cnil publie ses premiers critères d’évaluation”
04
juin
2024
NUTELLA vs. MOZARTELLA : La bataille des tartines !
Le 5 avril 2024, la Division d’Opposition de l’Office de l’Union Européenne pour la Propriété Intellectuelle (EUIPO) a rejeté dans son intégralité l’opposition formée par la société Ferrero S.p.A., titulaire de la célèbre marque NUTELLA contre la demande de marque européenne MOZARTELLA, déposée par John Wambua1.
La société Ferrero S.p.A., s’est opposée à cette demande, en classes 29 et 30, en invoquant notamment l’article 8 paragraphe 5 du Règlement sur la marque de l’Union européenne, qui protège les marques de renommée de l’Union européenne tout comme les marques nationales jouissant d’une renommée au sein d’un État membre, et ce même en l’absence d’identité ou de similarité entre les produits et services désignés par les signes. Cette renommée permet au titulaire de la marque antérieure renommée de s’opposer à une demande de marque identique ou similaire dont « l’usage sans juste motif tirerait indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure ou leur porterait préjudice ».
Les marques NUTELLA jouissent d’une renommée en France et en Italie pour les pâtes à tartiner, désignées en classe 30
La renommée d’une marque implique qu’elle soit connue par une partie significative du public pertinent pour ses produits ou services. Dans le cas présent, la demande de marque contestée a été déposée le 02/12/2022, et l’opposante devait prouver que ses marques jouissaient déjà d’une renommée à cette date.
Les preuves doivent démontrer que cette renommée existait pour les produits spécifiques revendiqués, essentiellement les pâtes à tartiner contenant du cacao. Les documents soumis montrent un usage de la marque NUTELLA depuis 1965, avec une présence forte et continue sur le marché, des volumes de ventes élevés, et une publicité significative. Des enquêtes de marché et des articles de presse confirment la renommée de la marque, soutenue par des décisions judiciaires en France et en Italie.
Ainsi, la Division d’Opposition conclut que les marques antérieures jouissent d’une renommée en France et en Italie, pour les produits concernés, en classe 30.
Les signes sont visuellement et phonétiquement similaires à un faible degré, et ne partagent aucune similitude conceptuelle
La Division d’Opposition indique que la marque antérieure NUTELLA est distinctive et sans signification particulière. La demande contestée, quant à elle, distinctive pour le public pertinent, peut être associée aux termes « MOZARELLA/MOZARELLE » (un type de fromage) ou au compositeur Mozart.
La société Ferrero S.p.A. soutient qu’il existe des similitudes visuelles et auditives entre les signes en cause, en se fondant notamment sur des décisions antérieures de l’Office pour étayer ses arguments. La Division d’Opposition rappelle néanmoins qu’elle n’est pas liée par ses décisions antérieures, chaque cas devant être traité séparément et en tenant compte de ses particularités.
Selon l’Office, « visuellement et auditivement, les signes ont une longueur, un rythme et une intonation différents ; les marques antérieures sont composées de sept lettres tandis que le signe contesté est composé de dix lettres. Les signes coïncident dans leurs lettres finales « -TELLA ». Cependant, ils diffèrent dans les débuts plus visibles et audibles « NU » contre « MOZAR » qui sont composés de lettres complètement différentes et ont une longueur très différente. ». Ce raisonnnement se fonde notamment sur un jugement du Tribunal de l’Union Européenne selon lequel « le public n’est généralement pas conscient du nombre exact de lettres dans une marque verbale et, par conséquent, ne remarquera pas, dans la majorité des cas, que deux marques en conflit ont le même nombre de lettres ».
Par conséquent, contrairement aux arguments de l’opposant, les signes sont visuellement et phonétiquement similaires à un faible degré.
Conceptuellement, pour la partie du public qui associera le signe contesté au contenu sémantique susvisé, les signes ne sont pas conceptuellement similaires. Pour la partie du public qui n’associera pas le signe contesté à une signification, la comparaison conceptuelle n’est pas possible et l’aspect conceptuel n’influence pas l’évaluation de la similitude des signes.
La Division d’Opposition juge « peu probable » le lien mental entre les signes par le public pertinent
Les marques antérieures sont réputées, mais les signes présentent un faible degré de similitude visuelle et auditive.
Pour démontrer un risque de confusion, il faut établir que le public pertinent associera les signes en cause, « compte tenu de tous les facteurs pertinents » (le degré de similitude entre les signes, la force de la renommée de la marque antérieure, l’existence d’une probabilité de confusion de la part du public, etc.).
Pour établir un lien entre les marques, les sections pertinentes du public pour les produits et services doivent se chevaucher. Dans le cas présent, les produits appartiennent au même secteur de marché des denrées alimentaires et des boissons, mais les signes ont des différences frappantes, rendant improbable l’association par le public.
Ainsi, « malgré la similarité de marché et de distribution des produits alimentaires, les signes ont un faible degré de similitude visuelle et auditive, et une association conceptuelle n’est pas possible. La terminaison « TELLA » de « MOZARTELLA » ne sera pas perçue séparément ». Ainsi, l’opposition est rejetée car un lien mental entre les signes est improbable.
Il n’existe aucun risque de confusion entre les marques en cause, malgré la renommée dont jouissent les marques antérieures
Selon l’article 8(1)(b) du RMUE, un risque de confusion existe si le public peut croire que les produits ou services proviennent de la même entreprise ou d’entreprises liées.
Cette évaluation globale dépend de facteurs interdépendants tels que la similitude des signes, des produits et services, le caractère distinctif de la marque antérieure, et le public pertinent. La similitude est une condition préalable pour l’application des articles 8(1)(b) et 8(5) du RMUE. L’article 8(1)(b) nécessite un degré de similitude suffisant pour engendrer une confusion, tandis que l’article 8(5) exige seulement un lien entre les marques.
Dans ce cas, malgré une certaine renommée de la marque antérieure, les similitudes entre les signes sont jugées insuffisantes pour établir un lien ou un risque de confusion, conduisant au rejet de l’opposition en vertu de l’article 8(1)(b) du RMUE.
La décision souligne l’importance des différences distinctives dans l’évaluation de la similitude des marques et réaffirme que même des marques renommées ne peuvent pas toujours empêcher l’enregistrement de marques similaires, surtout lorsque les différences sont suffisantes pour éviter une confusion dans l’esprit du public.
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Gaëlle Bermejo
Conseil en Propriété Industrielle
(1) Décision de la Division d’Opposition, EUIPO, OPPOSITION Nо B 3 191 441, 05 avril 2024
28
mai
2024
Spoiler Alert ! L’immatriculation d’une société ne présume pas l’exploitation commerciale de sa dénomination sociale
Le jugement du tribunal judiciaire de Paris du 27 mars 20241 vient préciser les contours de l’usage dans la vie des affaires d’une dénomination sociale. La simple immatriculation d’une société est-elle, en soi, constitutive d’un usage dans la vie des affaires de sa dénomination sociale ?
L’usage dans la vie des affaires : une notion centrale en droit des marques
Lorsque le titulaire d’une marque n’a pas autorisé l’usage par un tiers, dans la vie des affaires, d’un signe identique ou similaire à celle-ci, et pour des produits ou services identiques ou similaires, alors il s’agit d’une contrefaçon2.
Une société ne peut donc pas faire usage d’une dénomination sociale identique ou similaire à une marque antérieure, si les produits ou services relatifs à son activité sont identiques ou similaires à celle-ci (sauf à prouver la renommée de cette marque, bien sûr). Or, en l’espèce, la marque antérieure portait sur le signe « Mix Beauty » et la dénomination sociale immatriculée postérieurement à son enregistrement portait sur un signe strictement identique.
Cependant, pour porter atteinte à la marque antérieure, l’usage de la dénomination sociale doit être réalisé « dans la vie des affaires ». Le tribunal judiciaire de Paris rappelle donc trois décisions fondamentales du Tribunal et de la Cour de justice de l’Union européenne précisant ces notions :
• « Faire usage » d’un signe signifie que son utilisation est faite dans le but de distinguer des produits ou des services. Ainsi, l’utilisation de la dénomination sociale doit porter atteinte, ou être susceptible de porter atteinte aux fonctions essentielles de la marque antérieure3.
• Les termes « usage dans la vie des affaires » ne sauraient être interprétés en ce sens qu’ils visent uniquement des relations immédiates entre un commerçant et un consommateur. Ainsi, il y a usage dans la vie des affaires lorsque l’opérateur économique concerné utilise cette dénomination sociale dans le cadre de sa propre communication commerciale4, ou lorsque cet usage se situe dans le contexte d’une activité commerciale visant un avantage économique5.
Le titulaire de la marque antérieure doit donc démontrer que l’usage de la dénomination sociale litigieuse est réalisé dans le contexte de la vie des affaires, et qu’en cela, il porte atteinte aux fonctions essentielles de la marque.
La simple immatriculation d’une société sous une certaine dénomination n’est pas une présomption d’usage dans la vie des affaires
En l’espèce, les demandeurs n’avaient produit qu’une seule pièce aux débats, à savoir l’extrait Kbis de la société Mix Beauty. Ce document ne fait qu’établir l’enregistrement de cette société sous la dénomination « Mix beauty » auprès du registre du commerce et des sociétés de Paris.
Or, pour le tribunal, ce seul document n’est pas suffisant pour prouver un usage dans la vie des affaires de la dénomination « Mix Beauty ». En effet, il considère que le seul fait d’immatriculer une société sous une certaine dénomination n’est pas, en lui-même, un usage de cette dénomination dans le but de distinguer des produits ou services. Par conséquent, cette seule immatriculation n’est pas susceptible de porter atteinte aux fonctions de la marque.
Le tribunal conclut en ces termes « il s’agit d’un acte dont l’effet est strictement juridique, qui ne caractérise pas en soi l’existence d’une activité, et il ne peut être présumé que, du seul fait qu’une société existe sous une dénomination, elle est exploitée sous cette même dénomination ». Les demandeurs avaient pourtant produit des attestations établissant des confusions entre les adresses, notamment par des candidats dans le cadre de campagnes de recrutement. Mais ce n’est pas suffisant pour les juges pour qui l’atteinte à la marque « Mix Beauty » n’est pas établie.
Ce jugement est l’occasion de rappeler un principe fondamental en matière de procédure civile ; le juge ne peut suppléer la carence des parties dans l’administration de la preuve des faits qu’elles allèguent. Il est donc opportun de produire un maximum de documents établissant un usage de la dénomination sociale dans la vie des affaires, tels que des documents commerciaux par exemple. Ou de mettre la société sous surveillance et d’attendre les premiers actes d’usage et les faire constater.
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Anne Messas
Avocate associée
Juliette Descamps
Élève-avocate
(1) TJ Paris, 3e ch., 3e. sect., 27 mars 2024, n°23/13398
(2) Article L 713-2 du code de la propriété intellectuelle
(3) CJUE, 25 juillet 2018, Mitsubishi, C-129/17, point 34
(4) CJUE, 16 juillet 2015, TOP Logistics e.a., C-379/14, points 40 et 41
(5) TUE, 3 mars 2016, Ugly Inc. c/ OHMI et Group Lottus Corp., T-778/14, point 28
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