11
juin
2024
« Cookie walls » : le CEPD apporte sa pierre à l’édifice
Le 17 avril 2024, le Comité Européen de Protection des Données (CEPD) a publié un rapport circonstancié s’agissant de la pratique croissante des « cookie walls », et plus particulièrement des « pay walls » utilisant le modèle « consentir ou payer ».1
Les « cookie walls » : une technique de monétisation des sites web et des plateformes.
Nous avons tous déjà été confrontés à ce choix cornélien en naviguant sur des sites d’actualités et autres médias en ligne : accepter des cookies de publicité comportementale ou souscrire un abonnement contre une somme plus ou moins modique.
Cette pratique s’est largement développée afin d’obtenir plus aisément le consentement aux cookies publicitaires de la part d’internautes désormais très accoutumés à la gratuité de contenus informationnels et récréatifs.
Ainsi, si les internautes disposent toujours de la possibilité de refuser ce type de cookies, l’alternative qui leur est proposée pourront les inciter à y consentir.
Le 19 juin 2020, le Conseil d’état s’est opposé à une interdiction générale des « cookies walls », optant pour une appréciation au cas par cas en fonction, notamment, de l’existence d’une alternative satisfaisante en cas de refus des cookies.2
Le 16 mai 2022, la CNIL a également eu l’occasion de se prononcer sur cette pratique, en posant certains critères d’appréciation.3
Ainsi, la Commission considère que l’internaute doit disposer d’une alternative réelle et équitable, afin de disposer d’un véritable choix au consentement des cookies.
S’agissant des « pay walls », l’existence d’un réel choix sera appréciée en fonction du tarif proposé à titre d’alternative, qui devra être raisonnable selon une appréciation au cas par cas.
Ainsi, à ce jour, la pratique des « pay walls » reste par principe licite sous réserve de ne pas s’apparenter à un simple prétexte en vue d’imposer l’acceptation des cookies.
Pour la CEPD, les grandes plateformes devraient proposer davantage d’alternatives.
Le 17 avril 2024, le CEPD a à son tour abordé la légitimité des « pay walls » comme fondement du traitement des données personnelles, à l’occasion d’un rapport publié en réponse aux interrogations soulevées par les autorités néerlandaise, norvégienne et hambourgeoise de protection des données
Selon Madame Anu Talus, présidente du CEPD, « les responsables de traitement doivent veiller à tout moment à éviter de transformer le droit fondamental à la protection des données en une fonctionnalité dont les individus doivent payer pour bénéficier ».
Partant de ce postulat, le CEPD indique que l’offre payante ne devrait pas être le seul choix par défaut du consommateur.
En effet, il a précisé que les plateformes ne seraient, dans la majorité des cas, pas en adéquation avec les critères du consentement libre s’ils ne proposaient qu’un choix dichotomique entre consentement pour la publicité comportementale ou paiement d’un prix, même faible.
Le comité a donc encouragé la mise en place d’une troisième voie sans frais et sans publicité ciblée, comme la publicité contextuelle, définie en fonction du contexte dans lequel le contenu publicitaire est inséré et non par le traitement de données collectées par le biais de cookies et traceurs.
A ce stade, l’avis du CEPD ne porte que sur les grandes plateformes en ligne au sens du Règlement (UE) 2022/0265 (dit, « DSA ») et les contrôleurs d’accès au sens du Règlement (UE) 2022/1965 (dit « DMA »), mais il est d’ores et déjà prévu que le Comité élabore, à l’avenir, des lignes directrices plus générales sur la pratique des « pay walls ».
Ces différents avis permettent de tracer les fondements d’un cadre de conformité, dans l’attente d’une législation dédiée et / ou d’un positionnement de la Cour de Justice de l’Union européenne.
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Robin Antoniotti
Avocat
(1) “Opinion 08/2024 on Valid Consent in the Context of Consent or Pay Models Implemented by Large Online Platforms”
(2) Conseil d’état, 19 juin 2020, Décision n°434684
(3) “Cookie walls : la Cnil publie ses premiers critères d’évaluation”
03
juillet
2020
« Cookiegate » : après la décision du Conseil d’État, où en sommes-nous ?
Author:
teamtaomanews
Edit : La CNIL a, suite à cette décision, modifié ses lignes directrices, précisant que la licéité des « cookie walls » doit s’apprécier au cas par cas et qu’en tout état de cause, l’information fournie à l’utilisateur devra clairement lui indiquer les conséquences de ses choix et notamment l’impossibilité d’accéder au contenu ou au service en l’absence de consentement
Cookies – « Cookie walls » – « Cookiegate » : De quoi parle-t-on ?
Il s’agit des cookies que la plupart d’entre nous acceptons mécaniquement parce que le bandeau barre la vue du site Internet. Ils sont destinés à suivre la navigation de l’internaute et à lui faciliter la visite mais, surtout, ils permettent aux éditeurs de proposer des publicités ciblées.
Le dépôt de cookies est un traitement de données personnelles pour lequel les éditeurs de sites doivent recueillir un consentement de l’internaute, clair, informé, spécifique et… libre.
Les éditeurs, en particulier de sites gratuits, considèrent les cookies comme indispensables à leur modèle économique, alors que l’association La Quadrature du Net les dénonce comme étant de la « surveillance publicitaire ».
L’expression « cookie walls » désigne le fait, pour un site internet ou une application mobile, de refuser d’afficher son contenu quand l’internaute n’accepte pas le dépôt de cookies.
C’est cette pratique que la CNIL a condamnée dans ses lignes directrices de juillet 2019 (ici) en se fondant sur l’avis du CEPD (Comité européen de la Protection des Données). L’idée est que si la conséquence du refus de cookies par l’internaute est le refus d’accès au contenu du site, le consentement donné manque singulièrement de liberté.
Enfin, le « Cookiegate », c’est la fronde que les éditeurs de sites Internet et professionnels des médias, de la publicité et du commerce en ligne, opposent à l’interdiction des cookie walls, au point d’avoir saisi le Conseil d’État aux fins d’annulation des lignes directrices de la CNIL.
Que dit le Conseil d’État dans sa décision du 19 juin 2020 ?
Il confirme l’essentiel des lignes directrices de la CNIL sur les points relatifs aux cookies et autres traceurs de connexion, mais il invalide spécifiquement la disposition prohibant de façon générale et absolue la pratique des « cookie walls ».
Cookies et traceurs : confirmation de la position de la CNIL
Dans les lignes directrices adoptées le 4 juillet 2019 – relatives à l’article 82 de la Loi « Informatiques et Libertés » qui transpose en droit français la directive 2002/58/CE « vie privée et communications électroniques » (dite « ePrivacy ») – la CNIL est venue renforcer les exigences en matière de validité du consentement et a formulé des recommandations qui sont confirmées par le Conseil d’État.
1/ Renforcement de l’exigence du consentement : acte positif, spécifique et indépendant pour chaque finalité
La simple poursuite de la navigation sur un site Internet ne peut plus être regardée comme une expression valide du consentement au dépôt de cookies. Il est nécessaire de mettre en place une action positive de l’internaute pour qu’il exprime son consentement.
Le consentement de l’utilisateur doit être précédé d’une information spécifique pour chacune des finalités poursuivies par le traitement de données. Cette information claire, complète et préalable, doit inclure notamment, l’identité du ou des responsables de traitement, ainsi que de la liste des destinataires ou des catégories de destinataires de ces données.
En ce sens, une liste exhaustive et régulièrement mise à jour des entités ayant recours à des traceurs, doit être mise à disposition de l’utilisateur directement lors du recueil de son consentement.
Dans cette lignée, le Conseil d’État, par une seconde décision du 19 juin 2020, rejette le recours dirigé contre la sanction de 50 millions d’euros infligée à Google par la CNIL (Conseil d’État, 19 juin 2020, Sanction infligée à Google par la CNIL). Le Conseil estime que le géant n’a pas délivré une information suffisamment claire et transparente aux utilisateurs du système d’exploitation Android et ne les a pas mis à même de donner un consentement libre et éclairé au traitement de leurs données personnelles aux fins de personnalisation des annonces publicitaires. Il juge par ailleurs que la sanction de 50 millions d’euros n’est pas disproportionnée.
2/ Preuve et retrait du consentement, durée des cookies
Le responsable de traitement doit être en mesure, à tout moment, de fournir la preuve du recueil valable du consentement de l’utilisateur.
Les utilisateurs doivent pouvoir aussi facilement refuser ou retirer leur consentement que le donner.
Les cookies et autres traceurs ne doivent pas avoir une durée de vie excédant 13 mois et les informations collectées par l’intermédiaire de ces traceurs ne doivent pas être conservées pendant une durée supérieure à 25 mois.
Les utilisateurs doivent être informés de l’existence et de la finalité des cookies et autres traceurs non soumis au consentement préalable.
L’annulation de la disposition relative aux « cookie walls »
Les requérantes ont reproché à la CNIL de faire une lecture erronée du RGPD. Pour elles, le visionnage d’annonces publicitaires est la contrepartie de l’accès à un contenu gratuit, ce qui doit autoriser les sites Internet à refuser d’afficher tout contenu en l’absence de consentement de l’internaute au dépôt de traceurs.
Qu’a répondu le Conseil d’État ?
Il importe d’être précis. Le Conseil d’État a reproché à la CNIL d’avoir tiré de la seule exigence d’un consentement libre, posée par le RGPD, une règle selon laquelle « la validité du consentement est soumise à la condition que la personne concernée ne subisse pas d’inconvénient majeur en cas d’absence ou de retrait de son consentement, un tel inconvénient majeur pouvant consister dans l’impossibilité d’accéder à un site Internet, en raison de la pratique des « cookie walls » :
« En déduisant pareille interdiction générale et absolue, la CNIL a excédé ce qu’elle peut légalement faire, dans le cadre d’un instrument de droit souple, édicté sur le fondement du 2° du I de l’article 8 de la loi du 6 janvier 1978 cité au point 3. Il s’ensuit que la délibération attaquée est, dans cette mesure, entachée d’illégalité. »
Le Conseil d’État condamne ainsi la CNIL à verser aux associations requérantes une somme globale de 3.000 euros.
Il est vrai qu’en théorie, les lignes directrices sont un instrument de droit souple, c’est-à-dire un acte ayant pour objectif d’influencer fortement les pratiques des opérateurs économiques, sans créer à leur charge ni droit ni obligation juridique.
S’il en résulte que la CNIL, dans des lignes directrices, ne peut interdire de manière générale et absolue la pratique des cookie walls, il n’est pas non plus dit que cette pratique est généralement autorisée. On peut, au contraire, envisager que les situations s’analyseront au cas par cas.
La CNIL a réagi par un communiqué (ici) précisant que « (…) le Conseil d’État a annulé la disposition des lignes directrices prohibant de façon générale et absolue la pratique des « cookie walls », en jugeant qu’une telle interdiction ne pouvait figurer dans un acte de droit souple. La CNIL prend acte de cette décision et ajustera en conséquence ses lignes directrices et sa future recommandation pour s’y conformer. »
Nous en saurons davantage à la rentrée car la CNIL envisage de faire connaître sa nouvelle recommandation en septembre 2020. Elle annonce aussi poursuivre le plan d’action cookies sur le ciblage publicitaire et maintient sa ligne de conduite tendant à « garantir aux internautes un plus haut degré de protection, le RGPD venant renforcer les exigences du consentement ».
Anne MESSAS
Avocate associée
Synthia TIENTCHEU TCHEUKO
Élève-avocate
Date et référence : Conseil d’État, 19 juin 2020, Lignes directrices de la Cnil relatives aux cookies et autres traceurs de connexion
Lire la décision sur le site du Conseil d’État