30
janvier
2024
Prouver ses allégations devant une juridiction par un enregistrement clandestin ? Oui, mais.
Author:
TAoMA
C’est une décision qui a défrayé la chronique : l’Assemblée plénière de la Cour de cassation opère un revirement de jurisprudence et admet dans un arrêt du 22 décembre 20231, qu’un enregistrement obtenu à l’insu de la personne enregistrée peut constituer une preuve recevable devant la juridiction prud’homale.
Si certains commentaires ont pu laisser penser que cette décision consacrait la recevabilité des enregistrements clandestins, en réalité, ce n’est que sous certaines conditions.
L’employeur enregistre le salarié à son insu et n’a aucune autre preuve de la faute du salarié
Un salarié licencié pour faute grave conteste la mesure devant le Conseil de prud’hommes puis la Cour d’appel d’Orléans. L’employeur produit aux débats des enregistrements de deux entretiens au cours desquels le salarié tient des propos justifiant son licenciement, afin d’établir sa faute. Cependant, ces enregistrements avaient été réalisés à l’insu du salarié.
L’employeur ne peut pas prouver autrement la faute que par ces enregistrements.
Classiquement, la Cour d’appel d’Orléans considère que les enregistrements clandestins, sont irrecevables2. Elle en conclut que la faute n’est pas prouvée et que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse.
L’employeur forme alors un pourvoi en cassation et soulève la question de savoir si est recevable une preuve obtenue par l’enregistrement à l’insu du salarié de plusieurs entretiens entre ce dernier et son employeur.
La Cour de cassation décide que même en présence d’enregistrements clandestins la cour d’appel aurait dû procéder au contrôle de proportionnalité, et que pour cette raison elle a violé l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et l’article 9 du Code de procédure civile qu’en déclarant irrecevables ces pièces au motif qu’elles constituent des transcriptions d’enregistrements clandestins d’entretiens de sorte qu’elles ont été obtenues par un procédé déloyal,.
La Cour de cassation favorise ici le droit à la preuve, ouvre la voie à déclarer recevable une preuve illicite, mais pose la condition que cette preuve soit indispensable au succès de la prétention de celui qui s’en prévaut et que l’atteinte portée aux droits antinomiques en présence soit strictement proportionnée au but poursuivi3.
Le salarié enregistre l’employeur à son insu mais a d’autres moyens de preuve
Dans un arrêt du 17 janvier 20244 la Cour de cassation nuance sa position.
Un salarié saisit la juridiction prud’homale pour demander la résiliation de son contrat de travail, en invoquant un harcèlement moral son employeur. Pour le démontrer, il produit la retranscription de son entretien avec des membres du Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (« CHSCT »), chargés de l’enquête, qu’il avait enregistrés à leur insu.
La Cour de cassation écarte cet élément de preuve en relevant que :
• le constat d’absence de harcèlement moral établi par le CHSCT avait été fait en présence de l’inspecteur du travail et du médecin du travail, lesquels avaient été associés à l’enquête menée par le CHSCT ;
• les autres éléments de preuve produits par le salarié laissaient supposer l’existence d’un harcèlement moral.
Elle en conclut que la production de la retranscription de l’entretien n’était pas indispensable au soutien des demandes du salarié, l’enregistrement est donc écarté.
La Cour de cassation a ouvert la voie à la recevabilité de la preuve par enregistrement clandestin mais pose certaines conditions. Cet assouplissement considérable va sans doute conduire à une multiplication de cette pratique contraire au principe de loyauté de la preuve.
Les prochaines décisions préciseront sans doute davantage comment arbitrer entre le principe de loyauté de la preuve et le droit à la preuve.
Emeline JET
Juriste
TAoMA Partners vous accompagne dans vos actions judiciaires
Contactez-nous
1) Cour de cassation, assemblée plénière, 22 décembre 2023 n°20-20.648
2) CA Orléans, ch. soc., 28 juill. 2020, n° 18/00226
3) Com., 15 mai 2007, pourvoi n°06-10.606
4) Cass. Soc. 17 janvier 2024, n°22-17.474
05
décembre
2023
LA MAISON DU CHOCOLAT JUGÉE NON-DISTINCTIVE POUR DÉSIGNER DES PRODUITS ET SERVICES VIRTUELS EN LIEN AVEC LE CHOCOLAT
Le 5 octobre 2023, la chambre des recours de l’EUIPO a confirmé la décision de refus partiel de la demande de marque de l’Union européenne LA MAISON DU CHOCOLAT n°18719890, d’avoir considéré que le signe était descriptif et dépourvu de caractère distinctif notamment pour des produits et services virtuels en lien avec du chocolat1.
La société La Maison du chocolat, spécialisée dans la fabrication de confiseries et la transformation de cacao, a déposé la demande de marque de l’Union européenne LA MAISON DU CHOCOLAT n°18719890 le 21 juin 2022 pour désigner des produits et services en classes 9, 35 et 41 auprès de l’EUIPO.
Par une décision du 23 février 2023, l’examinateur a partiellement refusé cette demande de marque au motif que le signe LA MAISON DU CHOCOLAT serait (i) descriptif de l’espèce et (ii) dépourvu de caractère distinctif.
En effet, il estime que le consommateur français (public retenu comme pertinent) est susceptible de percevoir le signe comme « un magasin sous forme de boutique maison qui vend et/ou produit du chocolat », qui viendrait, de ce fait, décrire l’espèce des produits désignés.
L’Office a notamment refusé les produits et services suivants à l’enregistrement :
– Classe 9 : « Produits virtuels téléchargeables à savoir programmes informatiques en relation avec le cacao et préparations à base de cacao, cacao en poudre, pâtes à tartiner au cacao (…) »
– Classe 35 : « Services de magasin de vente au détail en ligne proposant des biens virtuels à savoir du cacao, du cacao en poudre, des pâtes à tartiner au cacao (…) » ;
– Classe 41 : « Services de divertissement, à savoir offre en ligne de biens virtuels, à savoir du cacao et des préparations à base de cacao, du cacao en poudre, des pâtes à tartiner au cacao (…) ; »
Toutefois, ladite demande a été accueillie pour des produits et services virtuels en lien avec la pâtisserie.
La société demanderesse a formé un recours contre cette décision devant la Chambre des recours de l’EUIPO qui a, par une décision du 5 octobre 2023, confirmé la décision de l’examinateur en rappelant et appliquant les dispositions de l’article 7 §1 b et c et §2 du Règlement sur la Marque de l’Union européenne (RMUE).
En effet, une marque doit être refusée dès lors qu’elle est :
– composée exclusivement de signes ou d’indications pouvant servir dans le commerce pour désigner l’espèce, la qualité etc … En l’espèce l’association des termes « LA MAISON DU » (qui forme à l’évidence une expression désignant une entreprise commerciale), au terme « CHOCOLAT » informe clairement les consommateurs sur l’espèce des produits et services en cause. Le consommateur percevra le signe comme un centre ou bâtiment qui fabrique/ produit/ vend du chocolat ou y trouver une expérience qui est liée au chocolat même, que cela soit dans le monde réel comme dans le monde virtuel.
– dépourvue de caractère distinctif, ne serait-ce que dans une partie de l’Union européenne. En l’espèce, la marque demandée sera considérée pas le public pertinent comme indiquant seulement que les produits et services proviennent d’une entreprise commerciale spécialisée dans le chocolat ce qui constitue un message laudatif vantant la spécialisation et le caractère unique de l’entreprise commerciale.
Dès lors, elle confirme que la demande de marque en cause est descriptive des produits et services objectés, quand bien même ces derniers soient virtuels et rejette le recours de la demanderesse. LA MAISON DU CHOCOLAT est donc enregistrée pour les produits et services restants et notamment ceux en lien avec la pâtisserie.
Ce n’est pas la première fois que la demanderesse se voit refuser l’une de ses demandes de marque à l’enregistrement pour défaut de caractère distinctif par l’Office. En effet, elle avait déjà cherché à déposer le signe LA MAISON DU CHOCOLAT en 2003 pour des produits et services en classes 30 (cacao, pâtisserie et confiserie, sauces (condiments)) et 43 (services de restauration (alimentation)) sans succès. La tentative pour des produits et services du monde virtuel se heurte finalement aux mêmes refus de l’Office.
L’Office adopte ainsi la même appréciation de la distinctivité pour les marques désignant des produits virtuels que pour les marques désignant des produits matériels. En effet, d’après la Chambre des recours, le caractère virtuel de ces produits ou services ne modifie pas la perception du signe, tant qu’ils ont un lien avec le chocolat ou le cacao.
Cette décision témoigne donc de la volonté de l’EUIPO d’adapter le droit des marques aux nouveaux enjeux du virtuel.
Margaux Maarek
Juriste
Mélissa Cassanet
Conseil en Propriété Industrielle Associée
(1) EUIPO, Chambre des recours, 5 octobre 2023, R 836/2023-2
14
avril
2022
Prudence, la cession d’une marque à titre gratuit équivaut à une donation !
Author:
TAoMA
Le titulaire d’une marque a la faculté de transférer tout ou partie des droits qu’il détient sur celle-ci à un tiers, à travers la conclusion d’un contrat de cession. La cession peut être conclue à titre onéreux ou bien à titre gratuit.
Le jugement du tribunal judiciaire de Paris rendu le 8 février 2022[1] alerte les cocontractants sur les risques liés à une cession d’une marque à titre gratuit, très courante en pratique.
Dans cette affaire, deux associés ont déposé conjointement une marque de l’Union européenne ainsi que des dessins et modèles communautaires pour commercialiser des antennes. À la suite de la liquidation de leur société, l’un des deux titulaires a créé une nouvelle société, à qui il a cédé à titre gratuit ses droits sur la marque et les dessins et modèles, sans obtenir le consentement de son-ex associé.
Le co-titulaire des droits cédés l’a immédiatement assigné en nullité du contrat de cession, au motif que ce contrat, considéré comme une donation, aurait dû être constaté par acte notarié.
Le tribunal fonde sa décision sur l’article 931 du Code civil, qui prévoit que toutes les donations entre vifs (y inclus les personnes morales[2]) doivent être passées devant notaire, sous peine de nullité.
Il rappelle que le Code de la propriété intellectuelle ne déroge pas à ce formalisme et donc qu’en l’absence d’un droit spécial, il convient de prononcer la nullité du contrat de cession de marque et de modèle, qui n’avait pas été constaté par acte notarié.
Ainsi, la cession d’une marque à titre gratuit est considérée juridiquement comme une donation qui doit être passée devant notaire, sous peine de nullité.
Quelles sont les conséquences d’une telle annulation ?
Le contrat est considéré comme n’ayant jamais existé, de sorte que les parties doivent être remises dans l’état dans lequel elles se trouvaient avant sa conclusion[3].
Quelles sont les conséquences d’une qualification de la cession en donation ?
Qualifiée de donation, la cession de droits de marque à titre gratuit implique le paiement de droits de mutation dans les conditions de droit commun. Toutefois, l’exigibilité de ces droits varie en fonction du mode d’exploitation de la marque[4].
Dans l’hypothèse où la cession n’aurait pas été constatée par un acte notarié, la prudence est de mise, dans la mesure où cette situation peut entraîner des conséquences fiscales importantes de la part de l’administration (tel qu’un redressement fiscal).
Comment échapper au régime fiscal des donations ?
Afin d’éviter la constatation de la cession par un notaire et le paiement de droits de mutation, il est fréquent que le prix de cession soit fixé à un montant symbolique (par exemple d’un euro)[5].
Toutefois, l’administration peut considérer que la cession à un tel prix constitue un acte anormal de gestion dans le cas où la marque aurait été sous-évaluée, et requalifier l’acte en contrat à titre gratuit[6].
***
L’argument fondé sur l’irrespect de l’article 931 du code civil avait déjà été tenté par le passé[7] mais sans que les juridictions saisies n’aient à l’examiner, en présence d’irrecevabilités ou d’autres obstacles rendant inutile son examen. Le jugement du 8 février 2022 est donc particulièrement observé par les praticiens.
Pour l’heure, il semblerait qu’aucun appel n’a été formé à l’encontre de cette décision. Si la procédure en restait là ou si la solution du tribunal judiciaire était confirmée en appel, elle pourrait avoir des répercussions importantes pour la pratique, d’autant plus qu’elle s’applique à tous les droits de propriété intellectuelle.
Lire la décision sur Legalis
Margaux Maarek
Stagiaire
Jérémie Leroy-Ringuet
Avocate à la cour
[1] TJ Paris, 3e ch. 8 févr. 2022, n° 19/14142
[2] Cass. com., 7 mai 2019, n° 17-15621
[3] Cass. 1e civ. 16 juill. 1998 n° 96-18404 ; Cass. 3e civ. 2 oct. 2002 n° 01-02924
[4] Répertoire IP/IT et communication, propriété industrielle, régime fiscal, fiscalité des cessions de droits de propriété industrielle, Emmanuel CRUVELIER – Mise à jour décembre 2021.
[5] Fiche pratique n° 542 – Rédiger un contrat de cession de marque, Arnaud FOLLIARD-MONGUIRAL, Lexis 360, Mise à jour le 29 avril 2021
[6] Voir par exemple cour d’appel de Douai, 29 mars 2018, RG n° 17/00192 (pourvoi rejeté)
[7] Notamment, cour d’appel de Paris, 21 mai 1976, n° INPI B19760129 ; 29 janvier 2010, RG n° 08/21549
01
février
2022
La preuve par constat d’achat, oui ! Mais qui peut procéder à l’achat?
Author:
teamtaomanews
Dans notre newsletter du 12 janvier 2021, nous avions rappelé l’importance de la date choisie pour établir les constats d’huissier, lesquels permettent avant tout procès de démontrer la commercialisation d’un produit contrefaisant dans une boutique ou sur un site en ligne.
S’il est fréquent qu’un constat d’huissier soit fourni aux débats, il convient toutefois de s’interroger sur les liens éventuels de dépendance entre la personne qui assiste l’huissier de justice et le requérant.
En effet, dans un arrêt du 16 décembre 2021, la deuxième chambre civile de la Cour d’appel de Douai a rappelé les exigences d’indépendance entre le requérant et le tiers acheteur qui assiste l’huissier instrumentaire.
A l’origine de ce litige, une demande reconventionnelle en concurrence déloyale initiée par la société Vaillant contre la société Cartospé pour des actes de concurrence déloyale commis à son encontre et consistant à ne pas avoir respecté les normes relatives aux emballages.
Au soutien de sa demande, la société Vaillant a fourni un constat d’achat de deux lots de 10 emballages de la société Cartospé, effectué sur le site Internet de cette dernière et établi par huissier de justice à Paris en 2014.
Or, comme l’a relevé la Cour d’appel de Douai, il résulte du procès-verbal de l’huissier instrumentaire que la personne qui a procédé à l’achat de cartons est Mme X., alors élève-avocat du cabinet Linklaters lui-même avocat de la société Vaillant, requérante, laquelle n’a pas fait pas état de cette qualité lors de l’achat mais a au contraire, fait état de l’adresse d’une société de gestion immobilière située 32 rue de Malte à Paris 70011 ainsi que d’une adresse Gmail personnelle et non pas des coordonnées du cabinet Linklaters étant ajouté que l’huissier constatant ne mentionne pas plus la qualité de Mme X. Il en résulte que le constat d’achat du 26 mai 2014 n’a pas été réalisé par une personne indépendante de la partie requérante et doit être annulé de même que les actes subséquents des 13 et 26 juin 2014[1].
Rappelons que si l’huissier de justice se borne le plus souvent à constater l’achat de l’article litigieux par un tiers acheteur, ce dernier doit toutefois être indépendant de la partie requérante.
Cette condition d’indépendance a notamment été rappelée par la Cour de Cassation dans un arrêt du 25 janvier 2017[2].
A la lumière de l’article 6§1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et de l’article 9 du code de procédure civile, la Cour a rappelé que le droit à un procès équitable (…) commande que la personne qui assiste l’huissier instrumentaire lors de l’établissement d’un procès-verbal de constat soit indépendante de la partie requérante.
Ce nouvel arrêt vient renforcer les exigences d’indépendance entre le tiers acheteur et le requérant, démontrant de nouveau la grande sévérité des juges en matière de constats d’huissier.
Ainsi, si l’utilité des constats d’huissier n’est plus à démontrer en raison de leur force probante reconnue par les tribunaux, il convient toutefois d’être particulièrement vigilant sur le choix du tiers acheteur, sous peine de rejet de ce mode de preuve par les juridictions.
Gaëlle Bermejo
Juriste
[1] Cour d’appel de Douai, ch. 2 – sec. 1, arrêt du 16 décembre 2021 – Cartospé-Packaging / Cartonnage Vaillant & Astra Inks (arrêt)
[2] Cour de cassation, arrêt du 25 janvier 2017, pourvoi n° 15-25.210
11
mai
2021
Action EUIPO remportée : comment obtenir le paiement des condamnations ?
Author:
teamtaomanews
Lorsqu’une partie remporte une procédure devant l’Office européen pour la Propriété intellectuelle (« EUIPO ») – qu’il s’agisse d’une opposition, d’une action en déchéance ou d’une action en nullité dont la décision est devenue définitive au stade de la première instance, ou de recours contre ces décisions devant la Chambre des recours – et que la décision ne fait plus l’objet de recours et devient définitive, la partie défaillante peut avoir à payer des frais de procédure.
Les règles relatives aux frais sont prévues à l’article 109 du Règlement sur la Marque de l’Union européenne (« RMUE ») : la partie perdante supporte les taxes acquittées par l’autre partie ainsi que les frais indispensables exposés, y compris les frais de représentant, de déplacement et de séjour.
Quelques remarques (pour plus de détails, se reporter à l’article intégral) :
En cas de pluralité de parties ayant remporté l’action ou le recours, la partie défaillante ne devra en indemniser qu’une seule (alinéa 2) sauf répartition expressément prévue par l’EUIPO (alinéa 3) ;
La partie qui retire son action ou sa demande de marque, ou qui ne renouvelle pas la marque contestée ou y renonce, supporte les frais (alinéa 4) ;
Les parties sont libres de s’entendre entre elles sur une répartition différente des coûts (alinéa 6) ;
Dans le cas où les parties succombent chacune sur un ou plusieurs chefs, il est d’usage que chaque partie supporte ses propres coûts.
Malheureusement (ou heureusement, selon le côté duquel penche la balance), le deuxième alinéa prévoit la fixation de montants maximaux. On les retrouve dans la Règle 94 du Règlement (CE) n° 2868/95 de la Commission du 13 décembre 1995 (modifié par des textes postérieurs) : dans le cadre d’une opposition, ils sont arrêtés à 300 euros ; dans le cadre d’une action en nullité ou en déchéance, à 450 euros ; et dans le cadre d’un recours, à 550 euros.
Les praticiens savent à quel point ces montants sont symboliques. Cela a en tout cas pour effet d’empêcher les « chasseurs de prime » de créer un business autour d’actions en déchéance intentées contre des marques clairement non utilisées et de demander ensuite l’indemnisation de frais de représentation considérables.
On notera que des règles similaires existent devant l’INPI (arrêté du 4 décembre 2020) et prévoient des montants maximaux de 700 euros pour la phase écrite, 100 euros pour la phase orale et 500 euros pour les frais de représentation, quelle que soit la procédure concernée. Il est impératif de demander dans ses observations à ce que l’autre partie y soit condamnée.
Comment obtenir le paiement de ces sommes ?
Si les avocats connaissent bien la manière dont on enclenche l’exécution forcée d’une décision de justice, afin notamment de récupérer les condamnations au titre de l’article 700, l’articulation entre une condamnation prononcée par un organisme européen non judiciaire (donc ni une juridiction étrangère à proprement parler, ni une juridiction judiciaire), rend nécessaires les lumières conjointes d’un Conseil en propriété industrielle et d’un avocat.
Tout d’abord, l’article 110 du RMUE prévoit que « toute décision définitive de l’Office qui fixe le montant des frais forme titre exécutoire ». On pourrait considérer que ce serait suffisant pour rendre applicable l’article L. 111-2 du Code des procédures civiles d’exécution selon lequel « le créancier muni d’un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible peut en poursuivre l’exécution forcée sur les biens de son débiteur, dans les conditions propres à chaque mesure d’exécution », d’autant plus que l’article 110 ajoute que « l’exécution forcée est régie par les règles de la procédure civile en vigueur dans l’État sur le territoire duquel elle a lieu. »
Mais la suite de l’article du RMUE prévoit des dispositions plus précises pour s’assurer du caractère exécutoire de la décision de l’EUIPO :
« Chaque État membre désigne une autorité unique chargée de la vérification de l’authenticité de la décision visée au paragraphe 1 et communique ses coordonnées à l’Office, à la Cour de justice et à la Commission. La formule exécutoire est annexée à la décision par cette autorité, sans autre formalité de contrôle que la vérification de l’authenticité de la décision. »
En d’autres termes, il existe en France une autorité dont la fonction est de confirmer le caractère exécutoire des décisions de l’EUIPO en leur octroyant par conséquent l’exequatur.
L’article L. 717-7 du Code de la propriété intellectuelle désigne l’INPI à ces fins :
« la formule exécutoire mentionnée à l’article 82 [devenu l’article 110 du RMUE] du règlement communautaire mentionné à l’article L. 717-1 est apposée par l’Institut national de la propriété industrielle. »
La première étape consiste donc à demander à l’INPI de rendre exécutoire la décision de l’EUIPO. La demande se fait via le portail e-Procédures de l’INPI.
Une fois la mention exécutoire apposée par l’INPI, c’est donc le droit national qui s’applique, à savoir les articles 502 et 503 du Code de procédure civile qui exigent une notification préalable à la personne contre laquelle la décision va être exécutée.
L’huissier de justice mandaté par la partie victorieuse devra ainsi procéder à la signification à partie de la décision de l’EUIPO contrôlée par l’INPI. Il pourra ensuite procéder aux actes d’exécution forcée si la partie défaillante ne s’acquitte pas volontairement. La plupart du temps on procédera à une saisie-attribution sur les comptes bancaires du débiteur.
Il reste bien sûr à évaluer, au cas par cas, l’opportunité de démarches si complexes pour seulement quelques centaines d’euros : récupérer ces condamnations peut s’avérer une opération économique défavorable, à moins d’avoir plusieurs décisions à faire exécuter contre la même personne, ou à moins que la partie victorieuse ne fasse du paiement des condamnations une question de principe.
Blandine Lemoine
Conseil en propriété industrielle
Jérémie Leroy-Ringuet
Avocat à la Cour
Abonnez-vous à la newsletter de TAoMA !
Cet article ne remplace pas une consultation auprès d’un CPI ou d’un avocat, indispensable à la bonne évaluation de vos droits et à la mise en œuvre d’une procédure régulière.
20
janvier
2021
Le fax de l’EUIPO ne répond plus
L’office européen a annoncé qu’il n’accepterait plus les communications par fax à compter du 1er mars 2021.
L’EUIPO se plaint en effet de « dysfonctionnement répétés » lors des transmissions effectuées par cet outil.
Il précise par ailleurs de nombreuses règles pratiques sur la communication électronique.
Ainsi condamné à rejoindre le Minitel au titre d’objet archéologique, le fax n’a pas encore annoncé s’il ferait appel.
12
janvier
2021
La preuve par constat d’huissier, oui ! Mais quand le faire réaliser ?
Author:
teamtaomanews
Si l’utilité des constats d’huissier n’est plus à démontrer en raison de leur force probante reconnue par les tribunaux, la Cour d’appel de Dijon vient de souligner l’importance de la date choisie pour les établir.
En effet, dans un arrêt du 10 décembre 2020, la deuxième chambre civile de la Cour d’appel de Dijon a jugé que des constats d’huissier formellement valides mais établis à des moments non pertinents n’avaient pas de force probante.
En l’espèce, un client, fournisseur en gros d’ingrédients et de matériels pour les pâtissiers et les chocolatiers, avait commandé la réalisation d’un site Internet à son prestataire. Les relations entre les parties s’étaient détériorées et le client avait saisi le Tribunal de commerce de Dijon pour demander réparation d’un manquement aux obligations contractuelles du prestataire, du fait de la livraison d’un site Internet non finalisé et présentant des dysfonctionnements.
Au soutien de sa demande, il avait fourni aux juges cinq constats d’huissiers.
Tout d’abord, la Cour d’appel rejette la demande du défendeur d’écarter des débats un des constats qui contenait des appréciations subjectives de la part de l’huissier. Selon la Cour, de telles considérations n’avaient pas pour conséquence de jeter le doute sur les constatations opérées. Si la Cour considère donc les constats comme formellement recevables, elle estime néanmoins qu’ils sont privés de force probante.
Les quatre premiers avaient été établis avant que le prestataire n’informe le client que les correctifs nécessaires avaient été apportés et que le site pouvait être mis en ligne ; ils ne rendaient donc compte que de versions intermédiaires du site Internet.
Le cinquième avait été réalisé quatorze mois après l’annonce par le défendeur que le site était prêt pour la mise en ligne et alors qu’une société tierce était intervenue entretemps, à la demande du client. Cela empêche, selon la Cour, d’établir un lien direct entre les dysfonctionnements constatés et l’intervention du défendeur, prestataire initial.
La Cour d’appel confirme ainsi la décision des juges de première instance qui avaient refusé de reconnaître la valeur légale de ces constats d’huissiers.
La tendance est donc à une grande sévérité des juges en matière de constats d’huissier, comme en avait précédemment témoigné une décision très contestée de la Cour de cassation rendue le 25 janvier 2017 (pourvoi n° 15-25.210) et dans laquelle les juges avaient refusé de reconnaître la force probante d’un procès-verbal de constat d’huissier, après avoir considéré que le tiers acheteur devait être indépendant du requérant, et que tel n’était pas le cas du stagiaire avocat.
Les juges de la Cour d’appel de Dijon estiment ainsi que ces constats à contre-temps sont dénués de force probante et reconnaissent que le caractère fonctionnel de la prestation, contesté par le demandeur, doit être apprécié uniquement au regard de la version finale du site Internet délivrée par le prestataire.
Cette position permet d’assurer la sécurité juridique des maîtres d’œuvre, leurs prestations ne pouvant être contestées par les clients qu’une fois exécutées et non au stade de versions en cours de développement.
Cette affaire témoigne une nouvelle fois de la nécessité de faire preuve de vigilance dans l’établissement des preuves : un constat d’huissier ? Oui ! Mais ni trop tôt, ni trop tard…
Lire la décision sur Legalis
Mathilde GENESTE
Élève-avocate
Jérémie LEROY-RINGUET
Avocat à la Cour
15
octobre
2020
Pas de rattrapage pour le licencié qui veut renouveler la marque objet de la licence
Author:
teamtaomanews
L’activité du licencié de marque repose par définition sur la marque, c’est dire l’importance pour lui que revêt le renouvellement de la marque, qui, pourtant, n’est souvent vu que comme une formalité rapidement traitée dans les contrats de licence.
Dans l’affaire jugée par le Tribunal de l’Union Européenne (TUE)(1) le 23 septembre 2020, la société licenciée n’a pu obtenir de procéder au renouvellement de la marque à la place du titulaire et a durement payé la négligence de ce dernier en perdant la marque objet de son activité.
Les praticiens connaissent la possibilité de rattraper un non-renouvellement de marque par la restitutio in integrum (restitution intégrale), elle est prévue par l’article 53(2) du Règlement sur la marque de l’Union Européenne qui prévoit que la demande de renouvellement peut être présentée à l’EUIPO dans les six mois avant la date d’expiration et jusqu’à six mois après cette date moyennant une surtaxe.
En l’espèce, le délai de grâce avait expiré le 22 janvier 2018 sans que le titulaire ne procède au renouvellement de la marque, la société licenciée avait alors déposé une requête fondée sur l’article 104 du règlement(3) qui prévoit la possibilité d’être rétabli dans le droit à demander le renouvellement, malgré l’expiration du délai, lorsque, ayant fait preuve de toute la vigilance nécessaire, le demandeur n’a pas été en mesure de respecter un délai à raison d’un empêchement qui a pour conséquence la perte d’un droit.
La requérante avait souligné que le titulaire avait méconnu son obligation contractuelle de l’informer de son intention de ne pas renouveler l’enregistrement. En conséquence, elle n’avait pas pu elle-même procéder au renouvellement à temps.
L’EUIPO ayant rejeté la demande, la licenciée a formé un recours devant le TUE en invoquant la violation des articles 53 et 104 du règlement ainsi que des principes généraux d’effectivité et de protection par les dispositions du droit de l’UE.
Dans sa décision, le Tribunal rejette les différents moyens soulevés et fait une application stricte de l’article 104. En l’occurrence, le Tribunal estime que le licencié n’était pas en mesure de déposer une telle requête puisqu’il ne pouvait être assimilé au titulaire et n’était pas non plus considéré comme une partie à la procédure de renouvellement comme le prévoient les dispositions applicables.
En l’espèce, le licencié ne disposait pas d’une autorisation du titulaire lui permettant de procéder au renouvellement avant l’expiration du délai. L’autorisation avait ici été donnée le 17 juillet 2018 par le titulaire pour déposer la requête en restitution mais le délai de renouvellement avait expiré depuis plusieurs mois, et par conséquent la procédure de renouvellement avait pris fin.
A contrario, un licencié peut déposer une telle demande tant qu’il a été autorisé à procéder au renouvellement par le titulaire avant l’expiration du délai de renouvellement.
Le recours à l’article 104 du règlement doit ainsi être vu comme une exception et ne peut permettre à un licencié de rattraper les négligences du titulaire ou sa décision de ne pas renouveler la marque serait ce au détriment du licencié.
De même, la restitutio in integrum n’est justifiée que lorsqu’un empêchement a fait obstacle au respect du délai. En l’espèce, la requérante invoquait l’absence d’autorisation du titulaire comme cause de l’inobservation de ce son délai, mais le TUE rejette cette excuse.
Le TUE rejette aussi l’excuse tirée du manquement du titulaire à l’obligation d’information du non-renouvellement. En effet, les relations entre un licencié et le titulaire d’une marque ou le non-respect de leurs obligations respectives relèvent d’un litige contractuel et ne peuvent jouer dans le déroulement des délais et des procédures devant l’EUIPO.
Enfin, le TUE ajoute que la protection conférée par la marque n’a pas vocation à conférer une protection illimitée à son titulaire, bien au contraire, le jeu du droit des marques permet de libérer les signes qui ne sont plus exploités afin favoriser la concurrence.
Le principe même du droit des marques est donc que la protection est conférée tant que la marque est renouvelée et c’est par l’acte de renouvellement que le titulaire confirme sa volonté de protection. A défaut de renouvellement la marque perd toute protection et dans le cas d’espèce, le licencié perd le fondement de son activité.
Nul doute que le licencié exercera un recours contre le titulaire de la marque qui engage ainsi sa responsabilité.
Mais pour éviter ce type de situation, on ne saurait que trop conseiller aux licenciés d’assurer aussi une surveillance des renouvellements de marque et de veiller le cas échéant à se faire autoriser avant l’expiration du délai à procéder au renouvellement.
Laura Frétaud
Stagiaire juriste
Anne Messas
Avocate associée
(1) Tribunal de l’Union Européenne 23 septembre 2020 T-557/19, EU:T:2020:450, Seven SpA / EUIPO
(2) Article 53 du Règlement 2017/1001 sur la marque de l’Union Européenne
(3) Article 104 du Règlement 2017/1001 sur la marque de l’Union Européenne
13
octobre
2020
Arrêt KISS contre MUSIKISS, pas de fausse note pour le titulaire des marques britanniques antérieures
Author:
teamtaomanews
A l’approche du Brexit, des questions peuvent se poser sur la validité d’avoir invoqué des marques britanniques dans les procédures européennes en cours et vice versa, sur l’application du droit de l’Union Européenne au Royaume-Uni.
L’équipe de TAoMA News fait un point sur la situation à l’occasion d’un arrêt intéressant rendu par le Tribunal de l’Union Européenne, le 23 septembre 2020, dans le cadre d’une opposition européenne basée (uniquement) sur 7 marques britanniques antérieures.
Dans cet arrêt, le titulaire des 7 marques semi-figuratives britanniques KISS a déposé une opposition à l’encontre de la demande de marque européenne MUSIKISS en 2014.
Devant le TUE, le déposant a invoqué, qu’en cas de Brexit sans accord, l’opposition devrait être rejetée car les marques antérieures britanniques ne bénéficieraient plus d’une protection en Union européenne.
Le TUE y répond en rappelant que les marques britanniques constituent une base valable de l’opposition puisque le droit de l’Union européenne continue de s’appliquer au Royaume-Uni jusqu’au 31 décembre 2020.
En effet, le Royaume-Uni a quitté l’Union Européenne le 31 janvier 2020. Toutefois, comme indiqué dans notre précédent article (Notre TAoMA News: « BREXIT et droits de propriété intellectuelle européens ») une période de transition a été mise en place jusqu’au 31 décembre 2020. Au cours de cette période, il est considéré que les marques européennes incluent toujours le Royaume-Uni et que les titulaires de marques britanniques peuvent défendre leur marques en Union européenne.
Cet arrêt vient donc confirmer ce principe et la bonne application des modalités prévues dans l’accord de retrait.
A cette occasion, le TUE rappelle d’ailleurs qu’un motif relatif d’opposition doit s’apprécier au moment du dépôt de la demande d’enregistrement qui fait l’objet de l’opposition.
Comme le Royaume-Uni faisait bien partie de l’Union Européenne à la date de dépôt de la marque MUSIKISS le 15 novembre 2013, le Brexit est donc sans incidence sur cette procédure, qui peut se poursuivre, pourrait-on dire, comme si le Brexit n’avait pas lieu.
Toutefois, la fin de la période de transition approchant, il conviendra d’accorder une vigilance particulière au choix des bases de vos futures oppositions européennes.
Toute l’équipe de TAoMA Partners est prête et reste à votre disposition pour vous accompagner dans la protection et la défense de vos marques en Union européenne et au Royaume-Uni.
Marion Mercadier
Juriste
Pour lire l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne
Load more
Loading...