14
avril
2022
Prudence, la cession d’une marque à titre gratuit équivaut à une donation !
Author:
admingih092115
Le titulaire d’une marque a la faculté de transférer tout ou partie des droits qu’il détient sur celle-ci à un tiers, à travers la conclusion d’un contrat de cession. La cession peut être conclue à titre onéreux ou bien à titre gratuit.
Le jugement du tribunal judiciaire de Paris rendu le 8 février 2022[1] alerte les cocontractants sur les risques liés à une cession d’une marque à titre gratuit, très courante en pratique.
Dans cette affaire, deux associés ont déposé conjointement une marque de l’Union européenne ainsi que des dessins et modèles communautaires pour commercialiser des antennes. À la suite de la liquidation de leur société, l’un des deux titulaires a créé une nouvelle société, à qui il a cédé à titre gratuit ses droits sur la marque et les dessins et modèles, sans obtenir le consentement de son-ex associé.
Le co-titulaire des droits cédés l’a immédiatement assigné en nullité du contrat de cession, au motif que ce contrat, considéré comme une donation, aurait dû être constaté par acte notarié.
Le tribunal fonde sa décision sur l’article 931 du Code civil, qui prévoit que toutes les donations entre vifs (y inclus les personnes morales[2]) doivent être passées devant notaire, sous peine de nullité.
Il rappelle que le Code de la propriété intellectuelle ne déroge pas à ce formalisme et donc qu’en l’absence d’un droit spécial, il convient de prononcer la nullité du contrat de cession de marque et de modèle, qui n’avait pas été constaté par acte notarié.
Ainsi, la cession d’une marque à titre gratuit est considérée juridiquement comme une donation qui doit être passée devant notaire, sous peine de nullité.
Quelles sont les conséquences d’une telle annulation ?
Le contrat est considéré comme n’ayant jamais existé, de sorte que les parties doivent être remises dans l’état dans lequel elles se trouvaient avant sa conclusion[3].
Quelles sont les conséquences d’une qualification de la cession en donation ?
Qualifiée de donation, la cession de droits de marque à titre gratuit implique le paiement de droits de mutation dans les conditions de droit commun. Toutefois, l’exigibilité de ces droits varie en fonction du mode d’exploitation de la marque[4].
Dans l’hypothèse où la cession n’aurait pas été constatée par un acte notarié, la prudence est de mise, dans la mesure où cette situation peut entraîner des conséquences fiscales importantes de la part de l’administration (tel qu’un redressement fiscal).
Comment échapper au régime fiscal des donations ?
Afin d’éviter la constatation de la cession par un notaire et le paiement de droits de mutation, il est fréquent que le prix de cession soit fixé à un montant symbolique (par exemple d’un euro)[5].
Toutefois, l’administration peut considérer que la cession à un tel prix constitue un acte anormal de gestion dans le cas où la marque aurait été sous-évaluée, et requalifier l’acte en contrat à titre gratuit[6].
***
L’argument fondé sur l’irrespect de l’article 931 du code civil avait déjà été tenté par le passé[7] mais sans que les juridictions saisies n’aient à l’examiner, en présence d’irrecevabilités ou d’autres obstacles rendant inutile son examen. Le jugement du 8 février 2022 est donc particulièrement observé par les praticiens.
Pour l’heure, il semblerait qu’aucun appel n’a été formé à l’encontre de cette décision. Si la procédure en restait là ou si la solution du tribunal judiciaire était confirmée en appel, elle pourrait avoir des répercussions importantes pour la pratique, d’autant plus qu’elle s’applique à tous les droits de propriété intellectuelle.
Lire la décision sur Legalis
Margaux Maarek
Stagiaire
Jérémie Leroy-Ringuet
Avocate à la cour
[1] TJ Paris, 3e ch. 8 févr. 2022, n° 19/14142
[2] Cass. com., 7 mai 2019, n° 17-15621
[3] Cass. 1e civ. 16 juill. 1998 n° 96-18404 ; Cass. 3e civ. 2 oct. 2002 n° 01-02924
[4] Répertoire IP/IT et communication, propriété industrielle, régime fiscal, fiscalité des cessions de droits de propriété industrielle, Emmanuel CRUVELIER – Mise à jour décembre 2021.
[5] Fiche pratique n° 542 – Rédiger un contrat de cession de marque, Arnaud FOLLIARD-MONGUIRAL, Lexis 360, Mise à jour le 29 avril 2021
[6] Voir par exemple cour d’appel de Douai, 29 mars 2018, RG n° 17/00192 (pourvoi rejeté)
[7] Notamment, cour d’appel de Paris, 21 mai 1976, n° INPI B19760129 ; 29 janvier 2010, RG n° 08/21549
01
février
2022
La preuve par constat d’achat, oui ! Mais qui peut procéder à l’achat?
Author:
teamtaomanews
Dans notre newsletter du 12 janvier 2021, nous avions rappelé l’importance de la date choisie pour établir les constats d’huissier, lesquels permettent avant tout procès de démontrer la commercialisation d’un produit contrefaisant dans une boutique ou sur un site en ligne.
S’il est fréquent qu’un constat d’huissier soit fourni aux débats, il convient toutefois de s’interroger sur les liens éventuels de dépendance entre la personne qui assiste l’huissier de justice et le requérant.
En effet, dans un arrêt du 16 décembre 2021, la deuxième chambre civile de la Cour d’appel de Douai a rappelé les exigences d’indépendance entre le requérant et le tiers acheteur qui assiste l’huissier instrumentaire.
A l’origine de ce litige, une demande reconventionnelle en concurrence déloyale initiée par la société Vaillant contre la société Cartospé pour des actes de concurrence déloyale commis à son encontre et consistant à ne pas avoir respecté les normes relatives aux emballages.
Au soutien de sa demande, la société Vaillant a fourni un constat d’achat de deux lots de 10 emballages de la société Cartospé, effectué sur le site Internet de cette dernière et établi par huissier de justice à Paris en 2014.
Or, comme l’a relevé la Cour d’appel de Douai, il résulte du procès-verbal de l’huissier instrumentaire que la personne qui a procédé à l’achat de cartons est Mme X., alors élève-avocat du cabinet Linklaters lui-même avocat de la société Vaillant, requérante, laquelle n’a pas fait pas état de cette qualité lors de l’achat mais a au contraire, fait état de l’adresse d’une société de gestion immobilière située 32 rue de Malte à Paris 70011 ainsi que d’une adresse Gmail personnelle et non pas des coordonnées du cabinet Linklaters étant ajouté que l’huissier constatant ne mentionne pas plus la qualité de Mme X. Il en résulte que le constat d’achat du 26 mai 2014 n’a pas été réalisé par une personne indépendante de la partie requérante et doit être annulé de même que les actes subséquents des 13 et 26 juin 2014[1].
Rappelons que si l’huissier de justice se borne le plus souvent à constater l’achat de l’article litigieux par un tiers acheteur, ce dernier doit toutefois être indépendant de la partie requérante.
Cette condition d’indépendance a notamment été rappelée par la Cour de Cassation dans un arrêt du 25 janvier 2017[2].
A la lumière de l’article 6§1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et de l’article 9 du code de procédure civile, la Cour a rappelé que le droit à un procès équitable (…) commande que la personne qui assiste l’huissier instrumentaire lors de l’établissement d’un procès-verbal de constat soit indépendante de la partie requérante.
Ce nouvel arrêt vient renforcer les exigences d’indépendance entre le tiers acheteur et le requérant, démontrant de nouveau la grande sévérité des juges en matière de constats d’huissier.
Ainsi, si l’utilité des constats d’huissier n’est plus à démontrer en raison de leur force probante reconnue par les tribunaux, il convient toutefois d’être particulièrement vigilant sur le choix du tiers acheteur, sous peine de rejet de ce mode de preuve par les juridictions.
Gaëlle Bermejo
Juriste
[1] Cour d’appel de Douai, ch. 2 – sec. 1, arrêt du 16 décembre 2021 – Cartospé-Packaging / Cartonnage Vaillant & Astra Inks (arrêt)
[2] Cour de cassation, arrêt du 25 janvier 2017, pourvoi n° 15-25.210
11
mai
2021
Action EUIPO remportée : comment obtenir le paiement des condamnations ?
Author:
teamtaomanews
Lorsqu’une partie remporte une procédure devant l’Office européen pour la Propriété intellectuelle (« EUIPO ») – qu’il s’agisse d’une opposition, d’une action en déchéance ou d’une action en nullité dont la décision est devenue définitive au stade de la première instance, ou de recours contre ces décisions devant la Chambre des recours – et que la décision ne fait plus l’objet de recours et devient définitive, la partie défaillante peut avoir à payer des frais de procédure.
Les règles relatives aux frais sont prévues à l’article 109 du Règlement sur la Marque de l’Union européenne (« RMUE ») : la partie perdante supporte les taxes acquittées par l’autre partie ainsi que les frais indispensables exposés, y compris les frais de représentant, de déplacement et de séjour.
Quelques remarques (pour plus de détails, se reporter à l’article intégral) :
En cas de pluralité de parties ayant remporté l’action ou le recours, la partie défaillante ne devra en indemniser qu’une seule (alinéa 2) sauf répartition expressément prévue par l’EUIPO (alinéa 3) ;
La partie qui retire son action ou sa demande de marque, ou qui ne renouvelle pas la marque contestée ou y renonce, supporte les frais (alinéa 4) ;
Les parties sont libres de s’entendre entre elles sur une répartition différente des coûts (alinéa 6) ;
Dans le cas où les parties succombent chacune sur un ou plusieurs chefs, il est d’usage que chaque partie supporte ses propres coûts.
Malheureusement (ou heureusement, selon le côté duquel penche la balance), le deuxième alinéa prévoit la fixation de montants maximaux. On les retrouve dans la Règle 94 du Règlement (CE) n° 2868/95 de la Commission du 13 décembre 1995 (modifié par des textes postérieurs) : dans le cadre d’une opposition, ils sont arrêtés à 300 euros ; dans le cadre d’une action en nullité ou en déchéance, à 450 euros ; et dans le cadre d’un recours, à 550 euros.
Les praticiens savent à quel point ces montants sont symboliques. Cela a en tout cas pour effet d’empêcher les « chasseurs de prime » de créer un business autour d’actions en déchéance intentées contre des marques clairement non utilisées et de demander ensuite l’indemnisation de frais de représentation considérables.
On notera que des règles similaires existent devant l’INPI (arrêté du 4 décembre 2020) et prévoient des montants maximaux de 700 euros pour la phase écrite, 100 euros pour la phase orale et 500 euros pour les frais de représentation, quelle que soit la procédure concernée. Il est impératif de demander dans ses observations à ce que l’autre partie y soit condamnée.
Comment obtenir le paiement de ces sommes ?
Si les avocats connaissent bien la manière dont on enclenche l’exécution forcée d’une décision de justice, afin notamment de récupérer les condamnations au titre de l’article 700, l’articulation entre une condamnation prononcée par un organisme européen non judiciaire (donc ni une juridiction étrangère à proprement parler, ni une juridiction judiciaire), rend nécessaires les lumières conjointes d’un Conseil en propriété industrielle et d’un avocat.
Tout d’abord, l’article 110 du RMUE prévoit que « toute décision définitive de l’Office qui fixe le montant des frais forme titre exécutoire ». On pourrait considérer que ce serait suffisant pour rendre applicable l’article L. 111-2 du Code des procédures civiles d’exécution selon lequel « le créancier muni d’un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible peut en poursuivre l’exécution forcée sur les biens de son débiteur, dans les conditions propres à chaque mesure d’exécution », d’autant plus que l’article 110 ajoute que « l’exécution forcée est régie par les règles de la procédure civile en vigueur dans l’État sur le territoire duquel elle a lieu. »
Mais la suite de l’article du RMUE prévoit des dispositions plus précises pour s’assurer du caractère exécutoire de la décision de l’EUIPO :
« Chaque État membre désigne une autorité unique chargée de la vérification de l’authenticité de la décision visée au paragraphe 1 et communique ses coordonnées à l’Office, à la Cour de justice et à la Commission. La formule exécutoire est annexée à la décision par cette autorité, sans autre formalité de contrôle que la vérification de l’authenticité de la décision. »
En d’autres termes, il existe en France une autorité dont la fonction est de confirmer le caractère exécutoire des décisions de l’EUIPO en leur octroyant par conséquent l’exequatur.
L’article L. 717-7 du Code de la propriété intellectuelle désigne l’INPI à ces fins :
« la formule exécutoire mentionnée à l’article 82 [devenu l’article 110 du RMUE] du règlement communautaire mentionné à l’article L. 717-1 est apposée par l’Institut national de la propriété industrielle. »
La première étape consiste donc à demander à l’INPI de rendre exécutoire la décision de l’EUIPO. La demande se fait via le portail e-Procédures de l’INPI.
Une fois la mention exécutoire apposée par l’INPI, c’est donc le droit national qui s’applique, à savoir les articles 502 et 503 du Code de procédure civile qui exigent une notification préalable à la personne contre laquelle la décision va être exécutée.
L’huissier de justice mandaté par la partie victorieuse devra ainsi procéder à la signification à partie de la décision de l’EUIPO contrôlée par l’INPI. Il pourra ensuite procéder aux actes d’exécution forcée si la partie défaillante ne s’acquitte pas volontairement. La plupart du temps on procédera à une saisie-attribution sur les comptes bancaires du débiteur.
Il reste bien sûr à évaluer, au cas par cas, l’opportunité de démarches si complexes pour seulement quelques centaines d’euros : récupérer ces condamnations peut s’avérer une opération économique défavorable, à moins d’avoir plusieurs décisions à faire exécuter contre la même personne, ou à moins que la partie victorieuse ne fasse du paiement des condamnations une question de principe.
Blandine Lemoine
Conseil en propriété industrielle
Jérémie Leroy-Ringuet
Avocat à la Cour
Abonnez-vous à la newsletter de TAoMA !
Cet article ne remplace pas une consultation auprès d’un CPI ou d’un avocat, indispensable à la bonne évaluation de vos droits et à la mise en œuvre d’une procédure régulière.
20
janvier
2021
Le fax de l’EUIPO ne répond plus
L’office européen a annoncé qu’il n’accepterait plus les communications par fax à compter du 1er mars 2021.
L’EUIPO se plaint en effet de « dysfonctionnement répétés » lors des transmissions effectuées par cet outil.
Il précise par ailleurs de nombreuses règles pratiques sur la communication électronique.
Ainsi condamné à rejoindre le Minitel au titre d’objet archéologique, le fax n’a pas encore annoncé s’il ferait appel.
12
janvier
2021
La preuve par constat d’huissier, oui ! Mais quand le faire réaliser ?
Author:
teamtaomanews
Si l’utilité des constats d’huissier n’est plus à démontrer en raison de leur force probante reconnue par les tribunaux, la Cour d’appel de Dijon vient de souligner l’importance de la date choisie pour les établir.
En effet, dans un arrêt du 10 décembre 2020, la deuxième chambre civile de la Cour d’appel de Dijon a jugé que des constats d’huissier formellement valides mais établis à des moments non pertinents n’avaient pas de force probante.
En l’espèce, un client, fournisseur en gros d’ingrédients et de matériels pour les pâtissiers et les chocolatiers, avait commandé la réalisation d’un site Internet à son prestataire. Les relations entre les parties s’étaient détériorées et le client avait saisi le Tribunal de commerce de Dijon pour demander réparation d’un manquement aux obligations contractuelles du prestataire, du fait de la livraison d’un site Internet non finalisé et présentant des dysfonctionnements.
Au soutien de sa demande, il avait fourni aux juges cinq constats d’huissiers.
Tout d’abord, la Cour d’appel rejette la demande du défendeur d’écarter des débats un des constats qui contenait des appréciations subjectives de la part de l’huissier. Selon la Cour, de telles considérations n’avaient pas pour conséquence de jeter le doute sur les constatations opérées. Si la Cour considère donc les constats comme formellement recevables, elle estime néanmoins qu’ils sont privés de force probante.
Les quatre premiers avaient été établis avant que le prestataire n’informe le client que les correctifs nécessaires avaient été apportés et que le site pouvait être mis en ligne ; ils ne rendaient donc compte que de versions intermédiaires du site Internet.
Le cinquième avait été réalisé quatorze mois après l’annonce par le défendeur que le site était prêt pour la mise en ligne et alors qu’une société tierce était intervenue entretemps, à la demande du client. Cela empêche, selon la Cour, d’établir un lien direct entre les dysfonctionnements constatés et l’intervention du défendeur, prestataire initial.
La Cour d’appel confirme ainsi la décision des juges de première instance qui avaient refusé de reconnaître la valeur légale de ces constats d’huissiers.
La tendance est donc à une grande sévérité des juges en matière de constats d’huissier, comme en avait précédemment témoigné une décision très contestée de la Cour de cassation rendue le 25 janvier 2017 (pourvoi n° 15-25.210) et dans laquelle les juges avaient refusé de reconnaître la force probante d’un procès-verbal de constat d’huissier, après avoir considéré que le tiers acheteur devait être indépendant du requérant, et que tel n’était pas le cas du stagiaire avocat.
Les juges de la Cour d’appel de Dijon estiment ainsi que ces constats à contre-temps sont dénués de force probante et reconnaissent que le caractère fonctionnel de la prestation, contesté par le demandeur, doit être apprécié uniquement au regard de la version finale du site Internet délivrée par le prestataire.
Cette position permet d’assurer la sécurité juridique des maîtres d’œuvre, leurs prestations ne pouvant être contestées par les clients qu’une fois exécutées et non au stade de versions en cours de développement.
Cette affaire témoigne une nouvelle fois de la nécessité de faire preuve de vigilance dans l’établissement des preuves : un constat d’huissier ? Oui ! Mais ni trop tôt, ni trop tard…
Lire la décision sur Legalis
Mathilde GENESTE
Élève-avocate
Jérémie LEROY-RINGUET
Avocat à la Cour
15
octobre
2020
Pas de rattrapage pour le licencié qui veut renouveler la marque objet de la licence
Author:
teamtaomanews
L’activité du licencié de marque repose par définition sur la marque, c’est dire l’importance pour lui que revêt le renouvellement de la marque, qui, pourtant, n’est souvent vu que comme une formalité rapidement traitée dans les contrats de licence.
Dans l’affaire jugée par le Tribunal de l’Union Européenne (TUE)(1) le 23 septembre 2020, la société licenciée n’a pu obtenir de procéder au renouvellement de la marque à la place du titulaire et a durement payé la négligence de ce dernier en perdant la marque objet de son activité.
Les praticiens connaissent la possibilité de rattraper un non-renouvellement de marque par la restitutio in integrum (restitution intégrale), elle est prévue par l’article 53(2) du Règlement sur la marque de l’Union Européenne qui prévoit que la demande de renouvellement peut être présentée à l’EUIPO dans les six mois avant la date d’expiration et jusqu’à six mois après cette date moyennant une surtaxe.
En l’espèce, le délai de grâce avait expiré le 22 janvier 2018 sans que le titulaire ne procède au renouvellement de la marque, la société licenciée avait alors déposé une requête fondée sur l’article 104 du règlement(3) qui prévoit la possibilité d’être rétabli dans le droit à demander le renouvellement, malgré l’expiration du délai, lorsque, ayant fait preuve de toute la vigilance nécessaire, le demandeur n’a pas été en mesure de respecter un délai à raison d’un empêchement qui a pour conséquence la perte d’un droit.
La requérante avait souligné que le titulaire avait méconnu son obligation contractuelle de l’informer de son intention de ne pas renouveler l’enregistrement. En conséquence, elle n’avait pas pu elle-même procéder au renouvellement à temps.
L’EUIPO ayant rejeté la demande, la licenciée a formé un recours devant le TUE en invoquant la violation des articles 53 et 104 du règlement ainsi que des principes généraux d’effectivité et de protection par les dispositions du droit de l’UE.
Dans sa décision, le Tribunal rejette les différents moyens soulevés et fait une application stricte de l’article 104. En l’occurrence, le Tribunal estime que le licencié n’était pas en mesure de déposer une telle requête puisqu’il ne pouvait être assimilé au titulaire et n’était pas non plus considéré comme une partie à la procédure de renouvellement comme le prévoient les dispositions applicables.
En l’espèce, le licencié ne disposait pas d’une autorisation du titulaire lui permettant de procéder au renouvellement avant l’expiration du délai. L’autorisation avait ici été donnée le 17 juillet 2018 par le titulaire pour déposer la requête en restitution mais le délai de renouvellement avait expiré depuis plusieurs mois, et par conséquent la procédure de renouvellement avait pris fin.
A contrario, un licencié peut déposer une telle demande tant qu’il a été autorisé à procéder au renouvellement par le titulaire avant l’expiration du délai de renouvellement.
Le recours à l’article 104 du règlement doit ainsi être vu comme une exception et ne peut permettre à un licencié de rattraper les négligences du titulaire ou sa décision de ne pas renouveler la marque serait ce au détriment du licencié.
De même, la restitutio in integrum n’est justifiée que lorsqu’un empêchement a fait obstacle au respect du délai. En l’espèce, la requérante invoquait l’absence d’autorisation du titulaire comme cause de l’inobservation de ce son délai, mais le TUE rejette cette excuse.
Le TUE rejette aussi l’excuse tirée du manquement du titulaire à l’obligation d’information du non-renouvellement. En effet, les relations entre un licencié et le titulaire d’une marque ou le non-respect de leurs obligations respectives relèvent d’un litige contractuel et ne peuvent jouer dans le déroulement des délais et des procédures devant l’EUIPO.
Enfin, le TUE ajoute que la protection conférée par la marque n’a pas vocation à conférer une protection illimitée à son titulaire, bien au contraire, le jeu du droit des marques permet de libérer les signes qui ne sont plus exploités afin favoriser la concurrence.
Le principe même du droit des marques est donc que la protection est conférée tant que la marque est renouvelée et c’est par l’acte de renouvellement que le titulaire confirme sa volonté de protection. A défaut de renouvellement la marque perd toute protection et dans le cas d’espèce, le licencié perd le fondement de son activité.
Nul doute que le licencié exercera un recours contre le titulaire de la marque qui engage ainsi sa responsabilité.
Mais pour éviter ce type de situation, on ne saurait que trop conseiller aux licenciés d’assurer aussi une surveillance des renouvellements de marque et de veiller le cas échéant à se faire autoriser avant l’expiration du délai à procéder au renouvellement.
Laura Frétaud
Stagiaire juriste
Anne Messas
Avocate associée
(1) Tribunal de l’Union Européenne 23 septembre 2020 T-557/19, EU:T:2020:450, Seven SpA / EUIPO
(2) Article 53 du Règlement 2017/1001 sur la marque de l’Union Européenne
(3) Article 104 du Règlement 2017/1001 sur la marque de l’Union Européenne
13
octobre
2020
Arrêt KISS contre MUSIKISS, pas de fausse note pour le titulaire des marques britanniques antérieures
Author:
teamtaomanews
A l’approche du Brexit, des questions peuvent se poser sur la validité d’avoir invoqué des marques britanniques dans les procédures européennes en cours et vice versa, sur l’application du droit de l’Union Européenne au Royaume-Uni.
L’équipe de TAoMA News fait un point sur la situation à l’occasion d’un arrêt intéressant rendu par le Tribunal de l’Union Européenne, le 23 septembre 2020, dans le cadre d’une opposition européenne basée (uniquement) sur 7 marques britanniques antérieures.
Dans cet arrêt, le titulaire des 7 marques semi-figuratives britanniques KISS a déposé une opposition à l’encontre de la demande de marque européenne MUSIKISS en 2014.
Devant le TUE, le déposant a invoqué, qu’en cas de Brexit sans accord, l’opposition devrait être rejetée car les marques antérieures britanniques ne bénéficieraient plus d’une protection en Union européenne.
Le TUE y répond en rappelant que les marques britanniques constituent une base valable de l’opposition puisque le droit de l’Union européenne continue de s’appliquer au Royaume-Uni jusqu’au 31 décembre 2020.
En effet, le Royaume-Uni a quitté l’Union Européenne le 31 janvier 2020. Toutefois, comme indiqué dans notre précédent article (Notre TAoMA News: « BREXIT et droits de propriété intellectuelle européens ») une période de transition a été mise en place jusqu’au 31 décembre 2020. Au cours de cette période, il est considéré que les marques européennes incluent toujours le Royaume-Uni et que les titulaires de marques britanniques peuvent défendre leur marques en Union européenne.
Cet arrêt vient donc confirmer ce principe et la bonne application des modalités prévues dans l’accord de retrait.
A cette occasion, le TUE rappelle d’ailleurs qu’un motif relatif d’opposition doit s’apprécier au moment du dépôt de la demande d’enregistrement qui fait l’objet de l’opposition.
Comme le Royaume-Uni faisait bien partie de l’Union Européenne à la date de dépôt de la marque MUSIKISS le 15 novembre 2013, le Brexit est donc sans incidence sur cette procédure, qui peut se poursuivre, pourrait-on dire, comme si le Brexit n’avait pas lieu.
Toutefois, la fin de la période de transition approchant, il conviendra d’accorder une vigilance particulière au choix des bases de vos futures oppositions européennes.
Toute l’équipe de TAoMA Partners est prête et reste à votre disposition pour vous accompagner dans la protection et la défense de vos marques en Union européenne et au Royaume-Uni.
Marion Mercadier
Juriste
Pour lire l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne
23
avril
2020
NOUVEAUTÉS DU PAQUET MARQUES : Dépôt, motifs de refus, renouvellement…
La France, par l’ordonnance n°2019-1169 du 13 novembre 2019 (1) et par le décret n°2019-1316 du 9 décembre 2019 (2), a enfin transposé la Directive européenne dite « Paquet Marques » du 16 décembre 2015 (3). Cette réforme modifie profondément le code de la propriété intellectuelle et touche l’ensemble du droit des marques. Nous vous présentons donc ci-dessous certaines de ces modifications concernant les conditions de dépôt et de renouvellement de la marque :
=> Abandon de la représentation graphique dans le dépôt
Afin de faire entrer le droit des marques dans le XXIème siècle et de tenir compte des nouvelles technologies, la condition de représentation graphique du signe, jusque-là exigée par le code de la propriété intellectuelle (CPI), est aujourd’hui abandonnée au profit d’une nouvelle formulation précisant que le signe « doit pouvoir être représenté dans le registre national des marques de manière à permettre à toute personne de déterminer précisément et clairement l’objet de la protection conférée à son titulaire ».
Plus précisément « la marque est représentée dans le registre national des marques sous une forme appropriée au moyen de la technologie communément disponible ».
Cette modification permet de faciliter le dépôt de certaines marques dont la représentation graphique pouvait être compliquée voire impossible. Elle ouvre ainsi la voie à de nouveaux moyens de représentation du signe, tels que des fichiers MP3, des fichiers vidéo, des enregistrements, etc… Ainsi, les marques sonores qui devaient faire l’objet d’une représentation graphique, par exemple par le biais d’une partition qui ne peut être lue que par les mélomanes, peut aujourd’hui être déposée via un fichier MP3. Cette absence d’obligation de représentation graphique permet donc de déposer plus facilement des signes plus atypiques tels que les marques sonores, les marques multimédias ou encore les marques de mouvements…
Toutefois, le signe doit toujours être représenté de façon claire, précise, distincte, facilement accessible, intelligible, durable et objective, ce qui implique que le moyen de représentation soit suffisamment adapté pour pouvoir déterminer clairement l’objet de la protection.
=> Obligation d’un libellé clair et précis
S’il a toujours été nécessaire que la marque désigne un libellé de produits et services clair, la réforme est allée encore plus loin sur ce point pour tenir compte notamment des dernières décisions de la Cour de Justice et plus particulièrement l’arrêt IP TRANSLATOR de 2012 (4).
Elle exige ainsi que le libellé revendiqué dans le dépôt soit rédigé de manière claire et précise et indique que les produits et services « sont désignés avec suffisamment de clarté et de précision pour permettre à toute personne de déterminer, sur cette seule base, l’étendue de la protection ».
La marque n’est dès lors protégée que pour les produits et services expressément cités dans le dépôt. Il n’est plus possible de se fonder sur les intitulés généraux des classes pour bénéficier d’une protection étendue à tous les produits ou services incluent dans ces classes.
Il est dès lors nécessaire d’être encore plus vigilant dans la rédaction du libellé afin de désigner de manière précise tous les produits et/ou services qui seront exploités à court ou moyen terme sous la marque.
=> Nouveaux motifs de refus d’enregistrement
La réforme a ajouté de nouveaux motifs de refus d’une demande de marque, par l’INPI, à ceux déjà prévus par les textes. Ainsi, ne peuvent être valablement enregistrés :
Des signes exclusivement constitués « par la forme ou une autre caractéristique du produit imposée par la nature même de ce produit, nécessaire à l’obtention d’un résultat technique ou qui confère à ce produit une valeur substantielle ». La référence à « une autre caractéristiques du produit » est nouvelle et élargit le motif de refus propre aux marques de forme qui peut désormais s’appliquer plus largement et à toute les marque et notamment à des marques atypiques dont le dépôt est facilité.
Une marque reprenant « des appellations d’origine et des indications géographiques, des mentions traditionnelles pour les vins et des spécialités traditionnelles garanties » protégées par la législation nationale, de l’Union Européenne ou par des accords internationaux.
Une marque consistant en la dénomination d’une variété végétale antérieure.
Une marque dont le dépôt a été effectué de mauvaise foi par le demandeur.
=> Modification du système de taxe
Si l’ancien système prévoyait un forfait unique pour le dépôt d’une marque d’une à trois classes, avec une taxe par classe supplémentaire à partir de la troisième classe, la réforme l’a abandonné au profit d’un système d’une taxe par classe.
Le même système a été adopté pour le renouvellement de la marque.
L’objectif premier de cette réforme vise à réduire le nombre de classes dans les dépôts afin notamment de désengorger les registres et que la marque ne désigne que les produits ou services pour lesquels elle sera véritablement utilisée. En effet, en pratique, la plupart des déposant n’ont besoin que d’une ou deux classes de produits et/ou services pour couvrir leur projet. Or, avec une taxe unique pour une à trois classes, ils avaient tendance à vouloir déposer leurs marques de manière plus large en désignant une classe supplémentaire pour laquelle aucun usage ne serait jamais fait.
=> Modification du délai de renouvellement
Auparavant, le renouvellement de la marque pouvait être effectué au plus tôt 6 mois avant la date d’expiration de la marque jusqu’au dernier jour du mois de sa date anniversaire. Un délai de grâce de six mois suivant l’expiration était accordé pour pouvoir procéder au renouvellement, malgré l’expiration de la marque, moyennant le paiement d’une surtaxe.
Désormais, le renouvellement de la marque peut se faire au plus tôt 1 an avant l’expiration de la marque et au plus tard le jour de sa date anniversaire. Le délai de grâce de 6 mois a été maintenu, toujours moyennant le paiement d’une surtaxe.
Toute l’équipe de TAoMA vous accompagne au quotidien dans la gestion de vos actifs de propriété intellectuelle et reste à votre disposition pour tout besoin !
Laura Fretaud
Juriste stagiaire
Muriel Holstein
Responsable du Pôle Administratif
(1) Ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019 relative aux marques de produits ou de services
(2) Décret n° 2019-1316 du 9 décembre 2019 relatif aux marques de produits ou de services
(3) Pour voir le texte
(4) CJUE, IP TRANSLATOR, 19 juin 2012, C307/1
23
avril
2020
La lutte contre la contrefaçon aux temps du Coronavirus
Author:
teamtaomanews
ou : Comment défendre vos droits de propriété intellectuelle en période de confinement ?
Du fait de la crise sanitaire, les tribunaux sont fermés depuis mi-mars 2020, les actions judiciaires les plus courantes – y compris les actions en contrefaçon – ne peuvent pas être engagées et les actions en cours sont suspendues.
Ainsi, les outils judiciaires dont disposent les titulaires de droits de propriété intellectuelle (marques, dessins et modèles, brevets, droits d’auteur, etc.) pour lutter contre la contrefaçon sont devenus indisponibles et risquent de l’être encore pendant un certain temps à l’issue du confinement car l’activité des tribunaux ne redémarrera que progressivement.
Parallèlement, nous assistons à une multiplication des arnaques COVID et des contrefaçons en ligne.
Titulaires de droits, ne restez pas inactifs.
Il est possible d’agir sans attendre le déconfinement et la reprise de l’activité judiciaire. Il existe un ensemble d’outils alternatifs permettant de faire respecter vos droits et de tenter d’obtenir rapidement la cessation des actes de contrefaçon.
TAoMA a identifié quatre étapes préalables, allant de l’utile à l’indispensable :
La surveillance en ligne, pour repérer les actes contrefaisants
La surveillance douanière, pour faire surveiller les allées et venues des produits contrefaisants
L’utilisation de la technologie blockchain, pour authentifier les produits et prouver la contrefaçon repérée
Le constat d’huissier sur Internet, pour prouver la contrefaçon repérée
Ainsi que cinq actions disponibles :
La récupération de noms de domaine contrefaisants
Le signalement d’actes de contrefaçon à l’office européen de la propriété intellectuelle
Le signalement de contenu illicite sur les réseaux sociaux
La lettre de mise en demeure
La notification LCEN
LES ÉTAPES PRÉALABLES
La surveillance en ligne
Un titulaire de droits identifie souvent des actes de contrefaçon en surveillant lui-même l’activité de ses concurrents ou en jetant un œil aux principales plates-formes marchandes, voire en en découvrant de façon inopinée.
Il est toutefois indispensable d’adopter une stratégie systématique de surveillance active afin d’éviter de se retrouver prescrit ou forclos à agir en contrefaçon ou sur un autre fondement.
En ce qui concerne la contrefaçon en ligne, il existe des sociétés spécialisées, comme Safebrands et IP Twin, qui ont rendu certains de leurs services de surveillance provisoirement gratuits.
Ces sociétés proposent notamment les services suivants, pour le monde entier :
Surveillance des nouvelles occurrences de mots-clés dans les liens, pages de sites, metatags, etc.
Surveillance des réseaux sociaux
Surveillance des plates-formes de vente en ligne (Amazon, eBay, Rakuten…)
Surveillance des « adwords »
Surveillance de l’utilisation des logos
Ces sociétés remettent des rapports à intervalles plus ou moins fréquents, comprenant les données brutes collectées. L’analyse du caractère contrefaisant doit être réalisée par un avocat pour être fiable.
TAoMA Partners a également développé ses propres techniques de surveillance et d’identification et les utilise régulièrement au service de ses clients.
La surveillance douanière
La surveillance en ligne peut être utilement doublée par une surveillance « physique » par les douanes. Il est possible de mettre en place une surveillance douanière en en faisant la demande auprès des services des douanes au moyen d’un formulaire identifiant les droits des titulaires, incluant des photographies de produits authentiques et des conseils pour repérer les contrefaçons.
Cette surveillance est toujours disponible en ce moment, les douanes requérant que les demandes de surveillances soient pour l’instant envoyées exclusivement par e-mail.
Sans rentrer dans les détails, la saisie de marchandises contrefaisantes par les douanes donne lieu à une notification au titulaire des droits qui informe les douanes de son souhait, le cas échéant, de faire procéder à une destruction simplifiée des produits ou les informe que les produits ne sont pas contrefaisants.
L’utilisation de la technologie blockchain
Cette technologie réputée infalsifiable, utilisée par la cryptomonnaie Bitcoin, peut être adoptée par les titulaires de droits de propriété intellectuelle pour se protéger contre la contrefaçon.
Cette technologie intéresse tout particulièrement les acteurs du secteur du luxe mais pas exclusivement : elle pourrait s’appliquer aux produits culturels, technologiques ou autres.
Lors de l’achat d’un objet original, un QR code est émis et permet de produire un certificat d’authenticité numérique inscrit dans la blockchain. Il est ainsi possible à tout moment de vérifier si et de prouver que l’objet est authentique. Il peut également contenir l’historique des réparations autorisées et des reventes à d’autres propriétaires de l’objet et de son certificat. Les titulaires des marques peuvent également suivre, de façon anonymisée quant à leurs propriétaires, la vie de l’objet.
La blockchain peut également être utilisée, à la place des enveloppes Soleau, pour prouver une date de création et protéger un actif de propriété intellectuelle non enregistré, comme une œuvre d’art ou une œuvre littéraire, y compris aux différentes étapes de sa création, ce qui intéressera en particulier les producteurs audiovisuels. La date certaine enregistrée par l’inscription dans la blockchain peut en outre être réalisée par huissier, ce qui peut à terme renforcer le caractère probant vis-à-vis de juges pas nécessairement sensibilisés au fonctionnement de la blockchain.
Parmi les autres utilisations possibles, la victime d’actes de contrefaçon peut inscrire dans la blockchain des captures d’écran des actes contrefaisants et le code source des pages concernées. Néanmoins, pour les juges français, à ce stade, le constat d’huissier sur Internet semble le mode de preuve à privilégier.
Le constat d’huissier sur Internet
En matière de contrefaçon, la preuve est libre, ce qui veut dire que les titulaires de droits de propriété intellectuelle peuvent, par exemple, tenter de prouver la contrefaçon en produisant des captures d’écran du site contrefaisant.
Rappelons en outre que les tribunaux accordent de plus en plus de valeur aux pages archivées sur le site web.archive.org et que la date figurant sur ces pages archivées est considérée comme plus probante qu’une datation résultant d’un archivage personnel. Voir notre TAoMA news du 8 novembre 2019.
Mais ce type de document est bien sûr moins probant que des preuves établies par constat d’huissier.
Les huissiers de justice peuvent réaliser, depuis leur domicile ou leur étude, des constats sur Internet, en donnant ainsi une date certaine à la présence en ligne d’actes contrefaisants et en adoptant des techniques permettant d’écarter les doutes qui affectent l’enregistrement « artisanal » de pages web qu’effectuerait un titulaire de droit de propriété intellectuelle.
Le rôle de TAoMA est de travailler de concert avec l’huissier, afin que le constat réalisé réunisse l’ensemble des informations nécessaires pour apporter la preuve de la contrefaçon de manière efficace et exploitable.
Ces constats pourront, bien sûr, être utilisés dans un contentieux judiciaire futur ; mais ils sont également utiles pour mettre en œuvre certaines des actions disponibles en-dehors de toute procédure judiciaire.
LES ACTIONS DISPONIBLES
La récupération de noms de domaine contrefaisants
Les titulaires de marques constatent souvent qu’un tiers a inclus une de leurs marques au sein même d’un nom de domaine, de façon identique ou similaire (par exemple « channel-parfums.com »). Ce type d’atteinte aux droits de marque, appelé « cybersquatting », se multiplie en ce moment.
Plutôt que de requérir d’un juge qu’il ordonner le blocage du site, le titulaire peut choisir de demander la récupération du nom de domaine. Des demandes de récupération peuvent être adressées notamment :
Auprès de l’office mondial de la propriété intellectuelle (OMPI) pour les domaines en .com, .net et .org :
C’est la procédure « UDRP » (Uniform Domain-name Dispute-Resolution Policy)
Et auprès de l’Association française pour le nommage Internet en coopération (Afnic) :
C’est la procédure « Syreli »
En cas de succès, le nom de domaine litigieux pourra être supprimé ou transféré au requérant.
Le centre d’arbitrage de l’OMPI a annoncé être en état de traiter les demandes de récupération, même si l’on peut anticiper des délais accrus, la procédure habituelle prenant trois mois. L’Afnic a également informé qu’elle poursuivait son activité avec un délai de procédure inchangé de deux mois.
L’avantage majeur de ces procédures est que leur coût est très limité et qu’elles se déroulent en ligne. En cette période de confinement, les deux organismes ont en plus décidé d’autoriser l’envoi de notifications par les parties par voie électronique alors que la voie postale est exigée, en temps normal.
Dans certains cas, en fonction des faits, une alternative à ces procédures de récupération peut être trouvée dans la notification LCEN (voir plus bas).
Le signalement à l’EUIPO
L’Office de l’Union européenne pour la Propriété intellectuelle (EUIPO) a mis en place un outil destiné en particulier à signaler la contrefaçon touchant les objets essentiels de lutte contre le coronavirus (masques, médicaments, matériel médical…). Certains de ces produits médicaux reproduisent sans autorisation des marques appartenant à des titulaires n’ayant parfois rien à voir avec le secteur de la santé. Ainsi, un contrefacteur a utilisé une marque de Disney (« Frozen II ») et violé son droit d’auteur en proposant à la vente des masques de protection pour enfants « Reine des Neiges » qui ne respectent évidemment pas les normes de sécurité et mettent en danger les populations, en plus de nuire aux titulaires de droits.
L’outil lancé par l’EUIPO s’appelle IP Enforcement Portal (Portail de mise en œuvre des droits de propriété intellectuelle). Les titulaires de droits peuvent y échanger des informations sur l’étendue de leurs droits et sur les distributeurs autorisés, téléverser des photographies de produits authentiques et signaler les produits contrefaisants. La plateforme est gratuite et rend possible la mise en relation les titulaires de droits avec les autorités de poursuite dans chacun des pays de l’Union, ce qui permet, par exemple, à un titulaire français de signaler une contrefaçon à un magistrat bulgare ou suédois lorsque la contrefaçon en ligne ne s’adresse qu’aux internautes de ces pays.
Dans ce type de situation comportant un péril sanitaire, il n’est pas douteux que les autorités publiques mettent sans tarder en œuvre des mesures de protection des populations et donc, indirectement, de protection des droits des titulaires.
Mais même en-dehors de ces cas, il reste possible d’agir sans attendre. Deux mesures rapides et efficaces sont disponibles pour les titulaires de droit : la lettre de mise en demeure et la notification LCEN. Ces mesures visent à obtenir rapidement le retrait des pages contenant l’offre à la vente de produits ou de services contrefaisants. Un tel retrait n’empêche aucunement de réclamer des dommages-intérêts par la suite, une fois l’activité judiciaire rétablie.
Le signalement sur les réseaux sociaux
Les réseaux sociaux, mais aussi les grandes plates-formes de vente en ligne (Facebook, Amazon, Instagram, Twitter, LinkedIn, YouTube, etc.) prévoient en général leurs propres procédures de signalement de contenus litigieux (contrefaisants, diffamant, ou illégaux d’une manière générale).
Une infraction particulière aux réseaux sociaux est celle du « username squatting » ou des « faux comptes », soit l’utilisation d’une marque comme pseudo, par un tiers (par exemple, l’existence d’une page Facebook au nom d’une marque mais détenue par un fan ou par une personne moins bien intentionnée).
Pour résoudre ce problème, ou tout autre difficulté liée à la présence d’un contenu illicite, le titulaire est invité à fournir des informations dans des formulaires en ligne et de joindre des pièces justificatives qui dépendent à chaque fois du type d’atteinte repérée.
Par exemple, il est possible de signaler une atteinte à un droit de propriété intellectuelle sur YouTube sur cette page, une atteinte à un droit d’auteur sur LinkedIn sur celle-ci ou encore une usurpation d’identité sur Facebook à cette adresse. LinkedIn et Facebook permettent également, ainsi que d’autres réseaux, d’accéder à un formulaire de signalement via des boutons de commandes accompagnant chaque post.
L’avantage considérable de ces procédures internes est qu’elles sont rapides, gratuites et qu’elles peuvent permettre d’obtenir facilement des retraits de contenus au niveau mondial. Mais l’inconvénient est que l’appréciation de la légitimité de la notification est laissée entièrement à l’appréciation des réseaux sociaux, voire de robots aux raisonnements automatisés et parfois peu pertinents, comme par exemple Content ID, un robot qui repère les vidéos contrefaisants sur YouTube et dont le fonctionnement est décrié.
En cas d’échec, il reste toutefois possible d’utiliser les étapes de la lettre de mise en demeure et de la notification LCEN.
La lettre de mise en demeure
Il est d’usage, lorsqu’un titulaire de droits constate qu’un tiers fait usage de sa marque sans autorisation, plagie ses droits d’auteur ou imite le modèle d’un produit qu’il commercialise, d’envoyer avant toute procédure contentieuse une lettre d’avocat ayant pour objet de le mettre en demeure de cesser les actes contrefaisants, de retirer les produits de la vente, de modifier sa marque, etc. Au-delà de la rédaction de la lettre, le regard de l’avocat est essentiel, notamment pour deux raisons : pour évaluer la réalité de la contrefaçon et pour vérifier si la prescription n’est pas acquise (ce qui n’empêcherait pas d’envoyer la lettre mais diminuerait la position de force du titulaire de droits).
La lettre de mise en demeure peut tout à fait être envoyée en période de confinement. Tout d’abord, elle peut toujours être envoyée en recommandé avec accusé de réception dans la mesure où les services postaux fonctionnent toujours. De plus, La Poste propose un service d’envoi de lettres recommandées en ligne qui permet d’éviter à l’expéditeur de se déplacer au bureau de poste pour l’affranchir et l’envoyer. En pratique, l’expéditeur paye en ligne après avoir saisi les informations d’expédition et téléversé le courrier au format PDF. L’inconvénient est donc que le courrier n’est pas remis sous pli fermé à La Poste, mais cette dernière et ses employés sont tenus au secret des correspondances électroniques prévu par la loi. Le recours à un tel service n’est exclu ou fortement déconseillé que si le contenu de la lettre est particulièrement confidentiel ou bien si le courrier lui-même est confidentiel par application de la loi (comme un courrier couvert par le secret médical ou par le secret des avocats – ce qui n’est pas le cas pour une lettre envoyée par un avocat à la partie adverse).
Ensuite, en pratique, la lettre recommandée est doublée d’un envoi en lettre simple et par e-mail quand l’adresse e-mail est connue. Cela permet de s’assurer que le destinataire puisse prendre connaissance rapidement du document sans avoir à aller le retirer à La Poste.
Enfin, cette lettre, qui suffit parfois à obtenir le retrait des contrefaçons ou à voir satisfaites les autres demandes formulées, peut, en cas d’échec, être réutilisée dans le cadre d’une notification LCEN. Cette notification est aussi utile quand l’on ne dispose d’aucune information pour contacter le contrefacteur.
La notification LCEN
La notification LCEN tire son nom de la Loi pour la Confiance dans l’Economie Numérique du 21 juin 2004. Cette loi prévoit les formes dans lesquelles une personne qui estime que ses droits sont enfreints sur un site Internet peut obtenir la suppression du contenu illicite par l’hébergeur et non seulement par l’auteur du contenu.
Ce contenu peut être de diverses natures plus ou moins graves : divulgation de données personnelles, pédopornographie, apologie de crime contre l’humanité, propos injurieux ou diffamants, photographies volées (revenge porn), contrefaçon (texte, photographie, musique, film, marque, dessins et modèles, etc.). Il doit être manifestement illicite : la contrefaçon doit être flagrante et indiscutable. Ce caractère manifestement illicite est apprécié par l’avocat et l’envoi d’une notification LCEN alors que le caractère illicite est discutable ou improbable peut engager la responsabilité de l’auteur de la notification.
En pratique, le titulaire ou son avocat doit envoyer un premier courrier au contrefacteur (la lettre de mise en demeure peut ainsi être réutilisée, mais un simple e-mail suffit).
Cette notification est un courrier envoyé dans les mêmes conditions qu’une lettre de mise en demeure classique : c’est un courrier en recommandé avec accusé de réception doublé par une lettre simple et, quand c’est possible, par un e-mail.
Si l’étape de la lettre de mise en demeure a échoué, parce qu’il a été impossible de contacter directement l’auteur de la contrefaçon en l’absence d’informations ou parce que l’auteur de la contrefaçon n’a pas donné suite au courrier, il convient alors d’envoyer la notification LCEN à l’hébergeur du site, quand il s’agit d’une personne distincte de celle du contrefacteur. Son contact est censé figurer dans les mentions légales.
En l’absence, fautive, de ces mentions, certains sites permettent de rechercher qui est l’hébergeur d’un site Internet.
Voici quelques exemples pour y voir plus clair :
Le contenu d’une notification LCEN est encadré par la loi. Il conviendra, entre autres, d’y mentionner ou d’y adjoindre les éléments suivants :
Une copie de la pièce d’identité du titulaire des droits (un extrait K-Bis dans le cas d’une personne morale)
Un extrait K-Bis de l’hébergeur
La preuve que l’auteur de la notification (ou le client de l’avocat auteur de la notification) est bien titulaire des droits : par exemple, le certificat d’enregistrement de la marque ou une version numérique du livre dont est tiré un passage reproduit sans autorisation
Le fondement juridique qui permet au titulaire des droits de demander le retrait des pages web contrefaisantes : il s’agira des textes du code de la propriété intellectuelle et/ou de règlements européens conférant des droits aux auteurs et aux déposants de titres de propriété industrielle, ainsi que de l’article 6 de la LCEN
L’identification de la matérialité de la contrefaçon incluant l’adresse URL : le constat d’huissier sur Internet est la preuve la plus recommandée
La copie du courrier envoyé au contrefacteur ou la justification de l’impossibilité de le contacter
Etc.
=> Pourquoi une notification LCEN est-elle souvent efficace ?
Parce que l’absence de réaction rapide de la part de l’hébergeur engage sa responsabilité (y compris pénale, la contrefaçon étant un délit) et que les hébergeurs peuvent donc être assignés en justice ou faire l’objet de plaintes pénales même sans que le titulaire de droits n’ait à se préoccuper du contrefacteur lui-même. La totalité des condamnations pourrait donc être supportée par l’hébergeur.
Cet effet dissuasif est recherché par la loi en raison même du fait qu’il est facile, sur Internet, de dissimuler son identité et d’échapper aux poursuites. La LCEN a donc pour mission essentielle d’éviter qu’Internet soit une zone de non-droit, et ce même en période de confinement.
=> Quid quand le site est situé à l’étranger ?
Tout d’abord, un site « situé » à l’étranger, par exemple un site en .br ou en .cn, peut être soumis à la loi française et donc à la LCEN lorsqu’il s’adresse au public français. Cela peut être le cas, par exemple, s’il offre la livraison vers la France, s’il propose une version française de son interface ou encore si ses prix sont libellés en euros.
Dans ce cas, l’obtention de la suppression des produits ou des offres de services contrefaisants sera bien sûr plus difficile à obtenir mais n’est pas impossible. Ainsi, la notification LCEN adressée à l’hébergeur étranger peut préciser que le juge français pourrait ordonner la coupure de l’accès au site depuis la France, par l’intermédiaire des fournisseurs d’accès (FAI). Mais bien sûr, cette solution ne peut passer que par une décision de justice définitive et on doit se contenter de souhaiter que cette menace sera dissuasive, au stade de la notification LCEN.
De plus, si une marque est reprise dans un nom de domaine situé à l’étranger, la procédure de récupération UDRP est tout indiquée.
Enfin, une solution de pis-aller consister à effectuer un signalement aux moteurs de recherche référençant la page web contrefaisante. La loi américaine (le « DMCA ») oblige Google à supprimer de ses résultats de recherche des pages violant les règles de protection du copyright. Il est donc possible d’agir même lorsque la loi française n’est pas applicable.
Anne MESSAS
Avocate à la cour, Associée
Jérémie LEROY-RINGUET
Avocat à la Cour
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