10
février
2022
Biens, services et contenus numériques : satisfaits ou remboursés ?
Author:
teamtaomanews
Bonne nouvelle pour les geeks ! L’Ordonnance n°2021-1247 du 29 septembre 2021, entrée en vigueur le 1er janvier 2022, étend le domaine de la garantie légale de conformité aux biens contenant des éléments numériques ainsi qu’aux services et contenus numériques.
En parallèle, le vendeur professionnel serre les dents : cette extension s’accompagne d’un renforcement de ses obligations à l’égard du consommateur, notamment son obligation précontractuelle d’information.
À quoi s’applique cette garantie ?
Jusqu’alors, seuls les biens physiques et les contrats de vente bénéficiaient de la garantie légale de conformité. Désormais, sont susceptibles d’en bénéficier les contrats conclus entre un vendeur professionnel et un consommateur ayant pour objet la fourniture :
d’un bien comportant des éléments numériques comme un objet connecté telle qu’une montre intelligente.
d’un service numérique comme une application de réseau social ou une plateforme VOD.
d’un contenu numérique comme le téléchargement d’un fichier vidéo, d’un enregistrement audio ou un jeu numérique.
Comment appliquer la notion de conformité au e-commerce B2C ?
La garantie légale de conformité permet de s’assurer que le vendeur professionnel délivre un bien conforme au contrat ainsi qu’à l’usage qui en est attendu par le consommateur.
Le Code de la consommation liste les principaux critères de la conformité au contrat en matière de biens, services et contenus numériques[1] lesquels doivent notamment :
correspondre avec la description, au type, à la quantité et à la qualité notamment en ce qui concerne la fonctionnalité, la compatibilité, l’interopérabilité ou toute autre caractéristique prévue au contrat.
être propres à tout usage spécial recherché par le consommateur.
être délivrés avec tous les accessoires et les instructions d’installation.
être mis à jour conformément au contrat.
Attention aux données personnelles ! Professionnels responsables de traitement, soyez vigilants. Tout manquement dans le traitement des données personnelles peut être considéré comme un défaut de conformité du bien, du contenu ou du service fourni s’il entraîne le non-respect d’un ou de plusieurs critères de conformité[2].
Quelles sont les conséquences du défaut de conformité ?
En cas de non-conformité, le consommateur a le choix de la sentence à l’égard du professionnel :
Il peut faire procéder à une exécution forcée en nature et a le droit à la mise en conformité du bien par réparation ou remplacement ou, à défaut, à la réduction du prix ou à la résolution du contrat.
ou se prévaloir d’une exception d’inexécution c’est-à-dire qu’il a le droit de suspendre le paiement de tout ou partie du prix ou la remise de l’avantage prévu au contrat jusqu’à ce que le vendeur ait satisfait aux obligations qui lui incombe.
Quelle est la durée de la garantie légale de conformité ?
Les délais de la garantie légale de conformité étendue sont différents selon que le défaut de conformité affecte :
un bien comportant des éléments numériques pour lequel le délai de garantie est de 2 ans suivant l’achat, la réparation ou le remplacement du produit.
un contenu ou un service numérique pour lequel la durée de la garantie est de 2 ans pour une fourniture unique de contenus numériques, de la durée de l’abonnement pour les services continus.
Attention à la preuve ! Il existe un régime de présomption de défaut de conformité au bénéfice du consommateur. Pour l’objet connecté, les défauts de conformité qui apparaissent dans le délai de 2 ans sont présumés exister au moment de la délivrance du bien sauf incompatibilité avec la nature du bien. Pour les contenus ou services numériques cette présomption est fixée à 1 an.
Un renforcement des obligations du vendeur professionnel
Une obligation de motiver le refus
Le professionnel n’est pas dans l’obligation de se plier à la volonté du consommateur insatisfait, si la modalité choisie par ce dernier est impossible à réaliser ou qu’elle entraîne des coûts disproportionnés[3].
Mais alors le vendeur professionnel devra être en mesure de justifier les raisons de son refus par écrit, sur un support durable adressé au consommateur.
Une obligation précontractuelle d’information renforcée
Outre cette obligation de motivation, l’extension du régime de conformité légale renforce l’obligation précontractuelle d’information qui pèse sur tout professionnel.
Ainsi, lorsque le bien comporte un contenu ou un service numérique, le vendeur est tenu d’informer le consommateur de la disponibilité des mises à jour de sécurité nécessaires au maintien de la conformité du bien, du service ou contenu numérique et des conséquences liées à la non-installation.
Décharge de responsabilité en cas de défaut d’installation des mises à jour
En revanche, le professionnel ne sera pas responsable des défauts résultant de l’absence d’installation de mises à jour par le consommateur, à condition toutefois que ce dernier ait été dûment informé de leur disponibilité et des conséquences liées à la non-installation.
Le vendeur professionnel de biens, contenus ou services numériques doit donc rédiger ses Conditions Générales de Vente (CGV) avec précision et penser à y inclure une information sur la garantie légale de conformité, sa mise en œuvre et son contenu.
TAoMA Partners demeure à votre disposition pour vous accompagner dans la conformité de vos sites e-commerce et dans la rédaction et l’actualisation de vos Conditions Générales de Vente.
Ludovic de Carné
Avocat à la Cour
Delphine Monfront
Élève-Avocate
Abonnez-vous à la newsletter de TAoMA !
Cet article ne remplace pas une consultation auprès d’un CPI ou d’un avocat, indispensable à la bonne évaluation de vos besoins.
[1] Article L. 217-4 du Code de la consommation Ces critères de conformité au contrat sont complétés par une série de critères énumérés à l’article L. 217-5 du Code de la consommation : il est (i) propre à l’usage habituellement attendu d’un bien de même type, (ii) possède les qualités que le vendeur a présentées au consommateur sous forme d’échantillons ou de modèles, (iii) les éléments numériques qu’il comporte sont fournis selon la version la plus récente au moment de la conclusion du contrat, (iv) délivré avec tous les accessoires, (vi) fourni avec les mises à jour que le consommateur peut légitimement attendre, (vii) correspond à la quantité, à la qualité et aux autres caractéristiques que le consommateur peut légitimement attendre le pour des biens de même type.
[2] Article L. 217-6 du Code de la consommation.
[3] Article L. 217-12 du Code de la consommation.
26
janvier
2021
Le casse-tête de la période de référence dans les actions en déchéance de marque
Author:
teamtaomanews
Dans un arrêt du 17 décembre 2020, la Cour de justice de l’Union européenne, saisie d’une question préjudicielle introduite par la Cour fédérale de justice allemande, vient préciser que la période de référence à prendre en compte lors d’une demande en déchéance de marque formulée reconventionnellement s’achève à la date de la présentation de cette demande reconventionnelle.
Cette décision intervient suite à l’action en contrefaçon de marque initiée par la société HUSQVARNA à l’encontre de la société LIDL.
La société HUSQVARNA fabrique des appareils et des outils de jardinage et d’aménagement paysager. Dans ce cadre, elle a déposé en 1997, la marque tridimensionnelle de l’Union européenne suivante, enregistrée le 26 janvier 2000 en classe 21 pour désigner des aspersoirs :
Courant 2014, elle constate la commercialisation par la société LIDL, d’un kit de tuyau d’arrosage qu’elle considère comme une contrefaçon de sa marque enregistrée.
Adoptant une défense assez classique en matière d’action en contrefaçon de marque, la société LIDL sollicite à titre reconventionnel la déchéance de la marque de l’Union européenne de la société HUSQVARNA du fait de son non-usage pendant une période ininterrompue de 5 ans.
Un débat s’ensuit relatif à la période de référence à prendre compte, et notamment, la date d’achèvement de la période à retenir.
La question préjudicielle a été posée à la Cour car la législation allemande prévoit que le délai d’usage de 5 ans doit être calculé en se plaçant à la date d’introduction de l’action, ou bien, lorsque la période de non-usage ne prend fin qu’en cours d’instance, à la date de la clôture de l’audience de plaidoirie.
La société HUSQVARNA parvenait à démontrer un usage de la marque en cause jusqu’à mai 2012. Ainsi, la date d’achèvement de la période d’usage à prendre en compte présentait un enjeu important pour la société HUSQVARNA, puisque selon la date retenue (qui pouvait être la date de l’introduction de l’action, soit 2015, ou la date de clôture de plaidoirie, soit octobre 2017), elle était susceptible de voir sa marque déchue.
Le tribunal de première instance rejette la demande reconventionnelle en déchéance de marque initiée par la société LIDL. Cette dernière interjette appel, et la juridiction de second degré infirme cette décision, et déclare la société HUSQVARNA déchue de ses droits en retenant comme date pertinente de fin de calcul de la période ininterrompue de 5 ans, celle de la dernière audience de plaidoirie et non la date d’introduction de la demande reconventionnelle.
Saisie d’un pourvoi en révision, la Cour fédérale de justice allemande interroge alors la Cour de justice de l’Union européenne, afin de savoir quelle est la date du terme à prendre en compte pour déterminer la période de non-usage ininterrompue de cinq ans.
La Cour de justice de l’Union européenne concède que le règlement 207/2009 applicable à cette affaire n’indique pas explicitement la date pertinente aux fins du calcul de la période de non-usage ininterrompue de cinq ans, mais considère assez logiquement qu’il découle de ces dispositions, qu’il s’agit de la date d’introduction de la demande reconventionnelle.
La Cour démontrant sa volonté d’harmonisation européenne affirme ainsi que c’est à compter de la date de la demande reconventionnelle en déchéance de marque que la période de non-usage ininterrompue de cinq de la marque est achevée et que la période de référence est constituée des cinq années antérieures à cette date.
Anne Laporte
Avocate
Arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne, 17 décembre 2020, C-607/19
12
janvier
2021
La preuve par constat d’huissier, oui ! Mais quand le faire réaliser ?
Author:
teamtaomanews
Si l’utilité des constats d’huissier n’est plus à démontrer en raison de leur force probante reconnue par les tribunaux, la Cour d’appel de Dijon vient de souligner l’importance de la date choisie pour les établir.
En effet, dans un arrêt du 10 décembre 2020, la deuxième chambre civile de la Cour d’appel de Dijon a jugé que des constats d’huissier formellement valides mais établis à des moments non pertinents n’avaient pas de force probante.
En l’espèce, un client, fournisseur en gros d’ingrédients et de matériels pour les pâtissiers et les chocolatiers, avait commandé la réalisation d’un site Internet à son prestataire. Les relations entre les parties s’étaient détériorées et le client avait saisi le Tribunal de commerce de Dijon pour demander réparation d’un manquement aux obligations contractuelles du prestataire, du fait de la livraison d’un site Internet non finalisé et présentant des dysfonctionnements.
Au soutien de sa demande, il avait fourni aux juges cinq constats d’huissiers.
Tout d’abord, la Cour d’appel rejette la demande du défendeur d’écarter des débats un des constats qui contenait des appréciations subjectives de la part de l’huissier. Selon la Cour, de telles considérations n’avaient pas pour conséquence de jeter le doute sur les constatations opérées. Si la Cour considère donc les constats comme formellement recevables, elle estime néanmoins qu’ils sont privés de force probante.
Les quatre premiers avaient été établis avant que le prestataire n’informe le client que les correctifs nécessaires avaient été apportés et que le site pouvait être mis en ligne ; ils ne rendaient donc compte que de versions intermédiaires du site Internet.
Le cinquième avait été réalisé quatorze mois après l’annonce par le défendeur que le site était prêt pour la mise en ligne et alors qu’une société tierce était intervenue entretemps, à la demande du client. Cela empêche, selon la Cour, d’établir un lien direct entre les dysfonctionnements constatés et l’intervention du défendeur, prestataire initial.
La Cour d’appel confirme ainsi la décision des juges de première instance qui avaient refusé de reconnaître la valeur légale de ces constats d’huissiers.
La tendance est donc à une grande sévérité des juges en matière de constats d’huissier, comme en avait précédemment témoigné une décision très contestée de la Cour de cassation rendue le 25 janvier 2017 (pourvoi n° 15-25.210) et dans laquelle les juges avaient refusé de reconnaître la force probante d’un procès-verbal de constat d’huissier, après avoir considéré que le tiers acheteur devait être indépendant du requérant, et que tel n’était pas le cas du stagiaire avocat.
Les juges de la Cour d’appel de Dijon estiment ainsi que ces constats à contre-temps sont dénués de force probante et reconnaissent que le caractère fonctionnel de la prestation, contesté par le demandeur, doit être apprécié uniquement au regard de la version finale du site Internet délivrée par le prestataire.
Cette position permet d’assurer la sécurité juridique des maîtres d’œuvre, leurs prestations ne pouvant être contestées par les clients qu’une fois exécutées et non au stade de versions en cours de développement.
Cette affaire témoigne une nouvelle fois de la nécessité de faire preuve de vigilance dans l’établissement des preuves : un constat d’huissier ? Oui ! Mais ni trop tôt, ni trop tard…
Lire la décision sur Legalis
Mathilde GENESTE
Élève-avocate
Jérémie LEROY-RINGUET
Avocat à la Cour
08
novembre
2019
Force probante d’archive.org : Un pas en avant pour la « machine à revenir en arrière »
Internet Archive est un organisme à but non lucratif américain dédié à l’archivage du web.
Ses archives comprennent 330 milliards d’extraits de pages internet, mises à disposition du public sur le site Wayback Machine, mais également 20 millions de livres, 4,5 millions d’enregistrements audios, 4 millions de vidéos, 3 millions d’images et 200 000 logiciels (source : archive.org), dans son immense bibliothèque numérique.
La Wayback Machine (archive.org) permet de stocker tout ce qui se trouve sur internet. Elle donne la possibilité de remonter jusqu’en 1996 pour retrouver des extraits de sites internet disparus ou dont le contenu aurait (sans surprise) été modifié.
Cette machine à remonter le temps est un véritable atout en propriété intellectuelle lorsqu’il s’agit de fournir des preuves d’usage d’une marque, vérifier les précédentes exploitations d’un nom de domaine, prouver la divulgation d’un modèle ou encore constituer des preuves d’une atteinte à un droit par un tiers.
Les juridictions françaises se sont toujours montrées assez réticentes à accepter des preuves provenant de la Wayback Machine.
Mais une décision rendue par la Cour d’Appel de Paris le 4 octobre dernier [1], faisant suite à une précédente décision du 5 juillet [2], a confirmé une évolution vers la reconnaissance de la valeur probante des extraits de la Wayback Machine.
Dans cet arrêt, le titulaire d’un brevet intitulé « tête fonctionnelle pour placer et supprimer des pneus de véhicule » assigne une société britannique en contrefaçon de son brevet et en concurrence déloyale.
Il fait alors réaliser un constat par un huissier de justice et produit un extrait du site archive.org, contenant la preuve qu’au 11 juin 2013 la partie adverse présentait sur son site un produit mettant en œuvre son brevet.
La Cour d’Appel de Paris mentionne dans son arrêt qu’ « il ne peut être dénié toute force probante [à cet extrait], à défaut de tout élément contraire de nature à jeter un doute sur sa fiabilité ».
La reconnaissance de la force probante des extraits du site Wayback Machine est donc une excellente nouvelle pour les titulaires de droits !
Avec cette décision, la Cour d’Appel de Paris s’aligne donc sur la position de l’EUIPO, l’OMPI (dans le cadre des procédures UDRP), l’OEB et de l’INPI qui a eu plusieurs fois l’occasion de statuer sur l’acceptation des extraits du site Wayback Machine, dans le cadre de demandes de preuves d’usage dans des procédures d’opposition, par la formule suivante « que toutefois, la preuve de l’exploitation de la marque étant libre, il n’y a pas lieu de refuser ces éléments ».
Nous nous réjouissons donc de cette décision, et ce d’autant plus qu’Internet Archive a récemment annoncé l’arrivée de nouvelles fonctionnalités très intéressantes sur la Wayback Machine [3]!
Marion Mercadier
Juriste
[1] CA PARIS, 4 octobre 2019, RG n°17/10064, non publié
[2] CA Paris, 5 juillet 2019, n°17/03974, non publié
[3] “The Wayback Machine: Fighting Digital Extinction in New Ways”, Internet Archive Blog, 18 octobre 2019