26
janvier
2021
Le casse-tête de la période de référence dans les actions en déchéance de marque
Author:
teamtaomanews
Dans un arrêt du 17 décembre 2020, la Cour de justice de l’Union européenne, saisie d’une question préjudicielle introduite par la Cour fédérale de justice allemande, vient préciser que la période de référence à prendre en compte lors d’une demande en déchéance de marque formulée reconventionnellement s’achève à la date de la présentation de cette demande reconventionnelle.
Cette décision intervient suite à l’action en contrefaçon de marque initiée par la société HUSQVARNA à l’encontre de la société LIDL.
La société HUSQVARNA fabrique des appareils et des outils de jardinage et d’aménagement paysager. Dans ce cadre, elle a déposé en 1997, la marque tridimensionnelle de l’Union européenne suivante, enregistrée le 26 janvier 2000 en classe 21 pour désigner des aspersoirs :
Courant 2014, elle constate la commercialisation par la société LIDL, d’un kit de tuyau d’arrosage qu’elle considère comme une contrefaçon de sa marque enregistrée.
Adoptant une défense assez classique en matière d’action en contrefaçon de marque, la société LIDL sollicite à titre reconventionnel la déchéance de la marque de l’Union européenne de la société HUSQVARNA du fait de son non-usage pendant une période ininterrompue de 5 ans.
Un débat s’ensuit relatif à la période de référence à prendre compte, et notamment, la date d’achèvement de la période à retenir.
La question préjudicielle a été posée à la Cour car la législation allemande prévoit que le délai d’usage de 5 ans doit être calculé en se plaçant à la date d’introduction de l’action, ou bien, lorsque la période de non-usage ne prend fin qu’en cours d’instance, à la date de la clôture de l’audience de plaidoirie.
La société HUSQVARNA parvenait à démontrer un usage de la marque en cause jusqu’à mai 2012. Ainsi, la date d’achèvement de la période d’usage à prendre en compte présentait un enjeu important pour la société HUSQVARNA, puisque selon la date retenue (qui pouvait être la date de l’introduction de l’action, soit 2015, ou la date de clôture de plaidoirie, soit octobre 2017), elle était susceptible de voir sa marque déchue.
Le tribunal de première instance rejette la demande reconventionnelle en déchéance de marque initiée par la société LIDL. Cette dernière interjette appel, et la juridiction de second degré infirme cette décision, et déclare la société HUSQVARNA déchue de ses droits en retenant comme date pertinente de fin de calcul de la période ininterrompue de 5 ans, celle de la dernière audience de plaidoirie et non la date d’introduction de la demande reconventionnelle.
Saisie d’un pourvoi en révision, la Cour fédérale de justice allemande interroge alors la Cour de justice de l’Union européenne, afin de savoir quelle est la date du terme à prendre en compte pour déterminer la période de non-usage ininterrompue de cinq ans.
La Cour de justice de l’Union européenne concède que le règlement 207/2009 applicable à cette affaire n’indique pas explicitement la date pertinente aux fins du calcul de la période de non-usage ininterrompue de cinq ans, mais considère assez logiquement qu’il découle de ces dispositions, qu’il s’agit de la date d’introduction de la demande reconventionnelle.
La Cour démontrant sa volonté d’harmonisation européenne affirme ainsi que c’est à compter de la date de la demande reconventionnelle en déchéance de marque que la période de non-usage ininterrompue de cinq de la marque est achevée et que la période de référence est constituée des cinq années antérieures à cette date.
Anne Laporte
Avocate
Arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne, 17 décembre 2020, C-607/19
07
avril
2020
Impact de la déchéance pour non-usage sur une action en contrefaçon de la marque déchue
Author:
teamtaomanews
La marque semi-figurative SAINT GERMAIN a été enregistrée en France le 12 mai 2006 par la société AR pour désigner des boissons alcooliques, des cidres, des digestifs, des vins et des spiritueux. De son côté, la société la Cooper International Spirits distribuait, sous la dénomination « St-Germain », une liqueur fabriquée par la société St Dalfour et par les Etablissements Gabriel Boudier.
Le 8 juin 2012, la société AR a assigné ces trois sociétés en contrefaçon de marque devant le Tribunal de grande instance de Paris. Toutefois, dans une instance parallèle, le TGI de Nanterre a prononcé la déchéance de la marque semi-figurative SAINT GERMAIN de la société AR pour défaut d’usage, avec prise d’effet au 13 mai 2011, premier jour suivant la période de grâce. La titulaire déchue a néanmoins maintenu son action en contrefaçon pour les actes situés lors de la période antérieure à la déchéance, soit entre le 8 juin 2009 et le 13 mai 2011, période au cours de laquelle la marque n’était pas encore soumise à obligation d’usage.
L’ensemble de ses demandes a été rejeté par le Tribunal de grande instance de Paris en 2015 ; le jugement a été confirmé par la Cour d’appel de Paris le 13 septembre 2016. Cette dernière a en effet estimé que la société AR ne pouvait se prévaloir d’une atteinte portée à la marque SAINT GERMAIN, par un signe identique concurrent, alors même qu’elle ne présentait pas d’éléments probants permettant de témoigner d’une exploitation effective de ladite marque. Les juges du fond semblent donc avoir subordonné la potentielle condamnation pour contrefaçon à la preuve, ici manquante, que son titulaire l’exploitait, quand bien même la période quinquennale pour commencer l’usage de la marque courait encore.
Saisie d’un pourvoi, la Cour de cassation a décidé de surseoir à statuer et d’interroger à titre préjudiciel la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). En substance, la question préjudicielle posée était de savoir si le titulaire d’une marque entretemps déchue en raison du défaut d’usage sérieux de celle-ci conserve toutefois le droit de réclamer l’indemnisation du préjudice subi en raison de l’usage par un tiers – antérieurement à la date d’effet de la déchéance – d’un signe similaire créant une confusion avec sa marque.
L’indemnisation possible des préjudices antérieurs à la date d’effet de la déchéance pour non-usage
La Cour rappelle tout d’abord que, selon sa propre jurisprudence, le titulaire d’une marque non encore soumise à usage sérieux – donc avant la fin de la période quinquennale suivant son enregistrement – peut très bien agir en contrefaçon sur la base des produits et services désignés, sans avoir à prouver qu’il fait usage de sa marque (CJUE, 21 décembre 2016, Länsförsäkringar, C-654/15).
Or la situation est différente en l’espèce. La difficulté se situe précisément sur la portée des droits du titulaire sur la marque à l’expiration du délai de grâce, alors même que la déchéance a déjà été prononcée. En somme, une telle déchéance peut-elle avoir des incidences sur la possibilité du titulaire de se prévaloir, après l’expiration du délai de grâce, des atteintes portées à sa marque au cours de cette période ?
La CJUE répond par la positive, jugeant que les Etats membres ont « la faculté de permettre que le titulaire d’une marque déchu de ses droits à l’expiration du délai de cinq ans à compter de son enregistrement pour ne pas avoir fait de cette marque un usage sérieux dans l’État membre concerné pour les produits ou les services pour lesquels elle avait été enregistrée conserve le droit de réclamer l’indemnisation du préjudice subi en raison de l’usage, par un tiers, antérieurement à la date d’effet de la déchéance, d’un signe similaire pour des produits ou des services identiques ou similaires prêtant à confusion avec sa marque ».
En effet, elle rappelle que la directive 2008/95 avait laissé aux Etats membres la faculté de déterminer l’étendue des effets de la déchéance d’une marque et que le législateur français avait fait le choix de faire produire ces effets à compter de l’expiration du délai de grâce et non antérieurement à ce délai. La France n’a donc pas fait le choix de permettre au contrefacteur allégué de soulever l’exception de l’absence d’usage au cours de la période de grâce pour s’exonérer des actes de contrefaçon.
Aussi, le titulaire d’une marque déchu de ses droits pour défaut d’usage sérieux conserve le droit de réclamer l’indemnisation du préjudice subi en raison de l’usage, par un tiers, antérieurement à la date d’effet de la déchéance, d’un signe similaire créant un risque de confusion avec sa marque.
La prise en compte du défaut d’usage en période de grâce dans le calcul de l’indemnisation
La CJUE précise ensuite la portée de sa propre décision, en spécifiant que le défaut d’usage au cours de la période de grâce est tout de même un « élément important à prendre en compte pour déterminer l’existence et, le cas échéant, l’étendue du préjudice subi par le titulaire et, partant, le montant des dommages et intérêts que celui-ci peut éventuellement réclamer ».
Ainsi, le préjudice subi par le titulaire d’une marque qui ne l’utilise pas se résume à l’atteinte au droit de propriété et exclut l’indemnisation de gains manqués et de profits réalisés indûment. Le préjudice moral est tout aussi relatif.
Une telle prise en compte de l’absence d’usage prive le titulaire déchu de ses dernières munitions. Si le droit français lui permet de faire valoir sa marque pour les faits antérieurs à la date d’effet de la déchéance, il serait en effet malvenu que cela lui permette de réclamer d’importants dommages-intérêts. Cela reviendrait en effet à légitimer la pratique des « trademark trolls », ces titulaires de marques qui n’exploitent pas leurs portefeuilles et les utilisent uniquement pour soutirer de l’argent à des tiers souhaitant les utiliser, via des contrats de licence ou des actions en contrefaçon.
La précision de la CJUE est donc un tempérament important destiné à sanctionner de telles pratiques et à limiter l’effet de l’interprétation du droit de l’Union qu’elle a été invitée à faire : le titulaire d’une marque déchue peut demander réparation d’actes contrefaisant sa marque avant la date de prise d’effet de la déchéance mais, s’il ne l’exploitait pas, son indemnisation s’en trouvera limitée.
Synthia TIENTCHEU TCHEUKO
Élève-avocate
Jérémie LEROY-RINGUET
Avocat à la Cour
Référence et date : Cour de justice de l’Union européenne, 26 mars 2020, affaire C‑622/18
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