23
avril
2020
NOUVEAUTÉS DU PAQUET MARQUES : Dépôt, motifs de refus, renouvellement…
La France, par l’ordonnance n°2019-1169 du 13 novembre 2019 (1) et par le décret n°2019-1316 du 9 décembre 2019 (2), a enfin transposé la Directive européenne dite « Paquet Marques » du 16 décembre 2015 (3). Cette réforme modifie profondément le code de la propriété intellectuelle et touche l’ensemble du droit des marques. Nous vous présentons donc ci-dessous certaines de ces modifications concernant les conditions de dépôt et de renouvellement de la marque :
=> Abandon de la représentation graphique dans le dépôt
Afin de faire entrer le droit des marques dans le XXIème siècle et de tenir compte des nouvelles technologies, la condition de représentation graphique du signe, jusque-là exigée par le code de la propriété intellectuelle (CPI), est aujourd’hui abandonnée au profit d’une nouvelle formulation précisant que le signe « doit pouvoir être représenté dans le registre national des marques de manière à permettre à toute personne de déterminer précisément et clairement l’objet de la protection conférée à son titulaire ».
Plus précisément « la marque est représentée dans le registre national des marques sous une forme appropriée au moyen de la technologie communément disponible ».
Cette modification permet de faciliter le dépôt de certaines marques dont la représentation graphique pouvait être compliquée voire impossible. Elle ouvre ainsi la voie à de nouveaux moyens de représentation du signe, tels que des fichiers MP3, des fichiers vidéo, des enregistrements, etc… Ainsi, les marques sonores qui devaient faire l’objet d’une représentation graphique, par exemple par le biais d’une partition qui ne peut être lue que par les mélomanes, peut aujourd’hui être déposée via un fichier MP3. Cette absence d’obligation de représentation graphique permet donc de déposer plus facilement des signes plus atypiques tels que les marques sonores, les marques multimédias ou encore les marques de mouvements…
Toutefois, le signe doit toujours être représenté de façon claire, précise, distincte, facilement accessible, intelligible, durable et objective, ce qui implique que le moyen de représentation soit suffisamment adapté pour pouvoir déterminer clairement l’objet de la protection.
=> Obligation d’un libellé clair et précis
S’il a toujours été nécessaire que la marque désigne un libellé de produits et services clair, la réforme est allée encore plus loin sur ce point pour tenir compte notamment des dernières décisions de la Cour de Justice et plus particulièrement l’arrêt IP TRANSLATOR de 2012 (4).
Elle exige ainsi que le libellé revendiqué dans le dépôt soit rédigé de manière claire et précise et indique que les produits et services « sont désignés avec suffisamment de clarté et de précision pour permettre à toute personne de déterminer, sur cette seule base, l’étendue de la protection ».
La marque n’est dès lors protégée que pour les produits et services expressément cités dans le dépôt. Il n’est plus possible de se fonder sur les intitulés généraux des classes pour bénéficier d’une protection étendue à tous les produits ou services incluent dans ces classes.
Il est dès lors nécessaire d’être encore plus vigilant dans la rédaction du libellé afin de désigner de manière précise tous les produits et/ou services qui seront exploités à court ou moyen terme sous la marque.
=> Nouveaux motifs de refus d’enregistrement
La réforme a ajouté de nouveaux motifs de refus d’une demande de marque, par l’INPI, à ceux déjà prévus par les textes. Ainsi, ne peuvent être valablement enregistrés :
Des signes exclusivement constitués « par la forme ou une autre caractéristique du produit imposée par la nature même de ce produit, nécessaire à l’obtention d’un résultat technique ou qui confère à ce produit une valeur substantielle ». La référence à « une autre caractéristiques du produit » est nouvelle et élargit le motif de refus propre aux marques de forme qui peut désormais s’appliquer plus largement et à toute les marque et notamment à des marques atypiques dont le dépôt est facilité.
Une marque reprenant « des appellations d’origine et des indications géographiques, des mentions traditionnelles pour les vins et des spécialités traditionnelles garanties » protégées par la législation nationale, de l’Union Européenne ou par des accords internationaux.
Une marque consistant en la dénomination d’une variété végétale antérieure.
Une marque dont le dépôt a été effectué de mauvaise foi par le demandeur.
=> Modification du système de taxe
Si l’ancien système prévoyait un forfait unique pour le dépôt d’une marque d’une à trois classes, avec une taxe par classe supplémentaire à partir de la troisième classe, la réforme l’a abandonné au profit d’un système d’une taxe par classe.
Le même système a été adopté pour le renouvellement de la marque.
L’objectif premier de cette réforme vise à réduire le nombre de classes dans les dépôts afin notamment de désengorger les registres et que la marque ne désigne que les produits ou services pour lesquels elle sera véritablement utilisée. En effet, en pratique, la plupart des déposant n’ont besoin que d’une ou deux classes de produits et/ou services pour couvrir leur projet. Or, avec une taxe unique pour une à trois classes, ils avaient tendance à vouloir déposer leurs marques de manière plus large en désignant une classe supplémentaire pour laquelle aucun usage ne serait jamais fait.
=> Modification du délai de renouvellement
Auparavant, le renouvellement de la marque pouvait être effectué au plus tôt 6 mois avant la date d’expiration de la marque jusqu’au dernier jour du mois de sa date anniversaire. Un délai de grâce de six mois suivant l’expiration était accordé pour pouvoir procéder au renouvellement, malgré l’expiration de la marque, moyennant le paiement d’une surtaxe.
Désormais, le renouvellement de la marque peut se faire au plus tôt 1 an avant l’expiration de la marque et au plus tard le jour de sa date anniversaire. Le délai de grâce de 6 mois a été maintenu, toujours moyennant le paiement d’une surtaxe.
Toute l’équipe de TAoMA vous accompagne au quotidien dans la gestion de vos actifs de propriété intellectuelle et reste à votre disposition pour tout besoin !
Laura Fretaud
Juriste stagiaire
Muriel Holstein
Responsable du Pôle Administratif
(1) Ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019 relative aux marques de produits ou de services
(2) Décret n° 2019-1316 du 9 décembre 2019 relatif aux marques de produits ou de services
(3) Pour voir le texte
(4) CJUE, IP TRANSLATOR, 19 juin 2012, C307/1
23
avril
2020
Marques : de nouvelles actions disponibles devant l’INPI
Author:
teamtaomanews
Le droit des marques vient de connaître, sous l’impulsion du droit de l’Union européenne (UE), une réforme fondamentale dont le but est d’harmoniser les différents droits nationaux des Etats membres. Un des effets essentiels de l’entrée en vigueur de l’ordonnance n°2019-1169 du 13 novembre 2019 est que, depuis le 1er avril 2020, les procédures en annulation de marques françaises ou d’extensions françaises de marques internationales ont été considérablement simplifiées et rendues bien moins onéreuses.
Ces procédures sont celles en nullité pour motifs relatifs, notamment pour atteinte à un droit antérieur (le demandeur considère qu’il était le premier à « occuper le terrain »), ou pour motifs absolus (la marque est invalide, en soi, car descriptive ou contraire à l’ordre public) et celles en déchéance, notamment lorsque le titulaire n’utilise pas sa marque ou qu’elle est devenue le terme usuel pour désigner le produit (par exemple, la marque « Escalator » pour des escaliers mécaniques) :
Alors qu’auparavant les tribunaux judiciaires avaient compétence exclusive pour traiter ces demandes, avec pour conséquence l’application des règles du code de procédure civile et la représentation obligatoire par avocat, cette compétence est désormais partagée avec l’Institut national de la Propriété industrielle (INPI).
Cet article a pour objectif de présenter les nouvelles règles et les avantages de cette réforme.
1/ Où cela se passe-t-il, désormais, et que peut-on faire de nouveau ?
La réforme a transféré des compétences des juridictions judiciaires vers l’INPI, et a supprimé l’exigence d’intérêt à agir pour certaines actions, accroissant ainsi les possibilités d’obtenir la radiation d’une marque des registres. Parallèlement, la réforme octroie de nouvelles possibilités de défense au titulaire de la marque contestée contre l’auteur de la demande de nullité.
Les nouvelles règles de compétence : où agir ?
Les actions en déchéance pour non-usage, qui permettent d’obtenir la radiation des registres d’une marque enregistrée mais non utilisée par son titulaire, peuvent désormais être formées directement devant l’INPI alors qu’auparavant, elles ne pouvaient être engagées que devant celui des dix tribunaux compétents en matière de marques nationales correspondant au domicile du titulaire de la marque.
Il en va de même pour les actions en annulation pour motif relatif ou pour motif absolu.
Le tableau ci-après récapitule les nouvelles règles de compétence et celles restant inchangées :
Ces nouvelles règles de compétence pourront donner lieu à des stratégies contentieuses et des choix d’opportunité : si la compétence d’un tribunal judiciaire est recherchée, elle peut être obtenue en ajoutant dans l’assignation des demandes relatives à la contrefaçon ou bien en ajoutant au fondement de la marque antérieure celui d’un autre droit d’auteur antérieur : dans ce cas, la compétence judiciaire l’emporte sur la compétence de l’INPI.
Inversement, une partie qui souhaiterait faire des économies pourrait, si elle estime que c’est son intérêt, renoncer à ses demandes en contrefaçon et simplement demander l’annulation d’une marque directement devant l’INPI, s’épargnant ainsi des coûts procéduraux plus élevés devant une juridiction judiciaire.
Les nouvelles règles d’intérêt à agir : qui peut agir ?
Les stratégies contentieuses seront également influencées par le fait nouveau que la demande principale en déchéance, passant des juridictions judiciaires à l’INPI, n’est plus soumise à intérêt à agir : le demandeur qui veut obtenir la déchéance d’une marque qu’il estime non utilisée par son titulaire ne devra plus, par exemple, prouver qu’il dispose d’un droit antérieur sur un signe identique ou similaire et pour des produits identiques ou similaires à ceux dont il demande la déchéance.
Hormis les actions fondées sur un motif absolu et les actions en déchéance, toutes les autres actions et demandes, qu’elles soient formées devant l’INPI ou devant un juge, impliquent la démonstration d’un intérêt à agir, y compris la demande reconventionnelle en déchéance, c’est-à-dire la réplique faite par un défendeur au titulaire d’une marque qui agit en contrefaçon devant un tribunal :
En d’autres termes, une partie qui veut obtenir l’annulation d’une marque, sans disposer d’un droit antérieur ou en visant l’annulation totale de la marque (c’est-à-dire pour des produits et services qu’elle n’exploite pas elle-même), pourra désormais la demander devant l’INPI.
Les moyens de défense : que peut faire le titulaire de la marque contestée ?
En défense, le titulaire de la marque contestée peut soulever plusieurs moyens :
Il peut tout d’abord contester l’intérêt à agir du demandeur, lorsque celui-ci peut être requis.
Il peut ensuite soulever la prescription (mais seulement dans le cas de l’invocation d’une marque antérieure notoire) ou la forclusion par tolérance dans le cadre des actions en nullité pour droit antérieur.
Il peut également demander à ce que l’action soit déclarée irrecevable :
En l’absence de caractère distinctif de la marque antérieure au moment du dépôt de la marque contestée, même s’il a été acquis postérieurement ;
En l’absence de renommée de la marque antérieure au moment du dépôt de la marque contestée, quand le fondement invoqué est la marque renommée, même si la renommée a été acquise postérieurement.
Cette irrecevabilité ne présente aucun caractère automatique mais doit être soulevée en défense par le titulaire de la marque contestée.
Enfin et surtout, il peut exiger du demandeur à la nullité d‘une marque pour motif relatif qu’il prouve qu’il a fait un usage sérieux de sa marque antérieure au cours des cinq années qui précèdent la demande en nullité. En outre, si la marque antérieure a été enregistrée depuis plus de cinq ans à la date de dépôt ou de priorité de la marque contestée, il devra également rapporter la preuve d’un usage de cette marque antérieure dans les cinq ans précédant le dépôt ou la date de priorité de la marque contestée.
Dans une telle hypothèse, donc, le demandeur peut être contraint de prouver un usage de sa marque antérieure au cours de deux périodes de référence différentes, pouvant parfois se confondre ou se chevaucher.
Par exemple, si le titulaire d’une marque enregistrée en 2002 demande, le 15 mai 2020, la nullité d’une marque déposée le 15 juin 2012, le titulaire de la marque antérieure devra prouver, sur demande du défendeur, l’usage sérieux de sa marque entre le 15 mai 2015 et le 15 mai 2020 et entre le 15 juin 2007 et le 15 juin 2012. Si le dépôt de la marque antérieure est intervenu beaucoup moins longtemps avant celui de la marque postérieure, la période pour laquelle l’usage doit être prouvé est réduite d’autant.
Dans le cas d’une marque postérieure déposée le 15 avril 2019 et d’une demande en nullité déposée le 15 mai 2020, les périodes se chevauchent puisque la première est située entre le 15 mai 2015 et le 15 mai 2020 et la seconde entre le 15 avril 2014 et le 15 avril 2019 : il en résulte, en pratique, une « période continue » entre le 15 avril 2014 et le 15 mai 2020 :
L’ensemble de ces moyens fera l’objet d’une réponse dans la décision finale de l’INPI.
2/ Comment cela se passe-t-il et combien de temps peuvent durer ces procédures ?
Les règles procédurales applicables devant les juridictions judiciaires ne sont pas les mêmes que celles qui régissent les nouvelles actions ouvertes devant l’INPI. Elles devraient permettre un traitement plus rapide des procédures.
Introduction de l’action
L’action en nullité ou en déchéance devant l’INPI est initiée au moyen d’un formulaire en ligne identifiant :
La marque contestée,
Les droits antérieurs invoqués, dans le cas d’une demande de nullité pour motif relatif,
L’identité de la partie demanderesse
Et l’étendue de l’annulation demandée (tous les produits et services ou seulement certains d’entre eux).
Le demandeur doit joindre également la preuve du paiement de la redevance INPI dont le montant est de 600 euros (ce montant ne comprenant pas les honoraires de l’avocat ou du conseil en propriété industrielle), auxquels il faut éventuellement ajouter 150 euros par droit antérieur additionnel invoqué dans une action en annulation pour motif relatif. Aucun nouveau droit ne peut être invoqué postérieurement à l’introduction de l’action : il convient donc de bien réfléchir dès le début à la totalité des droits invocables. Il sera en revanche possible de retrancher certains de ces droits ainsi que certains des produits et services visés par la demande d’annulation, tout du long de la procédure.
Dans tous les cas, sauf celui de l’action en déchéance pour non-usage, pour lequel ce n’est pas obligatoire, le demandeur joint également des observations exposant les motifs de la demande d’annulation de tout ou partie de la marque (précisant par exemple en quoi la marque antérieure est similaire ou identique, quant à son signe et à ses produits et services, à la marque postérieure).
Enfin, l’action devant l’INPI ne peut être que soit une action en nullité soit une action en déchéance : il est impossible de cumuler les fondements au sein d’une seule et même action, alors que c’était possible jusque récemment devant les juridictions judiciaires, les plaideurs demandant indifféremment la nullité pour droits antérieurs et la déchéance pour non-usage, par exemple, et pas nécessairement l’une à titre subsidiaire de l’autre, sans que cela ne constitue une cause d’irrecevabilité.
Ce changement invite donc les demandeurs à concentrer leurs actions et à mieux définir leurs stratégies en amont, même si la réforme ne leur interdit pas de former deux actions parallèles sur deux fondements différents, d’autant plus que le coût de ces actions est très limité.
Déroulé de la procédure : la phase d’instruction
Une fois la demande envoyée, l’INPI dispose d’un mois pour examiner la recevabilité de l’action et pour notifier le titulaire de la marque contestée, ce qui déclenche une série de délais : un premier délai de deux mois pour que le titulaire communique ses premières observations en réponse, suivi de plusieurs délais d’un mois pour permettre aux parties d’échanger des observations écrites et des pièces, s’ils le souhaitent : deux jeux d’observations pour le demandeur et trois pour le titulaire, les dernières observations ne pouvant ni soulever de nouveaux moyens ni joindre de nouvelles preuves d’usage.
Si une des parties décide de ne pas ou ne plus faire usage de son droit de présenter des observations, la phase d’instruction peut se terminer rapidement – à cette réserve que le titulaire d’une marque dont la déchéance pour non-usage est demandée pourra toujours présenter deux jeux d’observations et de preuves d’usage, même en l’absence de réponse du demandeur.
À tout moment, chacune des parties, ou l’INPI lui-même, peut demander la tenue d’une audience orale qui interviendra à l’issue de la phase écrite.
Enfin, les parties peuvent suspendre à tout moment la procédure, d’un commun accord, pour trois périodes de quatre mois.
Décision et appel
La décision intervient dans les trois mois suivant la fin de la phase d’échanges entre les parties. L’absence de décision revient à une décision de rejet de l’action.
La procédure devant l’INPI peut donc théoriquement durer entre six mois et un an, si l’on imagine qu’aucune suspension n’est demandée.
La décision peut mettre à la charge de la partie perdante une partie ou la totalité des frais de la procédure, à la demande de la partie gagnante, mais seulement si l’action est totalement gagnée ou perdue : les frais demeurent à la charge de chacune des parties si, par exemple, la décision annule seulement une partie des produits et services visés par le demandeur.
En l’absence d’appel, la décision rendue par l’INPI est exécutoire. Si la marque est annulée en raison du droit antérieur du demandeur, l’annulation est rétroactive et prend effet à la date de son dépôt : elle est réputée n’avoir jamais existé.
L’annulation rétroactive a un effet sur les tiers (un effet « erga omnes ») : par exemple, si une action en contrefaçon a été initiée antérieurement par le titulaire de la marque annulée contre un tiers, l’action peut devenir sans objet.
A l’inverse, la déchéance prend effet à la date de la demande ou, sur requête du demandeur, à la date à laquelle est survenu le motif de déchéance.
La procédure d’appel
Une fois la décision rendue, les parties ont un mois (hors délais augmentés pour les DROM-COM et les parties résidant à l’étranger) pour faire appel devant celle des dix cours d’appel spécialisées qui est territorialement compétente, à savoir celle correspondant au domicile de la personne qui forme le recours (ou devant la cour d’appel de Paris pour les appelants résidant à l’étranger). La représentation par avocat y est obligatoire.
Contrairement aux appels contre les décisions relatives aux procédures d’opposition, celui contre les décisions relatives aux procédures en annulation est dévolutif : il est possible pour les parties de fournir de nouvelles pièces (y compris des preuves d’usage) et de soulever de nouveaux moyens.
La procédure d’appel en elle-même observe les délais habituels et la décision définitive devrait pouvoir être rendue environ un an après la saisine de la cour. La procédure d’appel durera donc davantage que la procédure devant l’INPI.
La voie du pourvoi en cassation est bien sûr ouverte, y compris au directeur de l’INPI, contre l’arrêt d’appel.
Au lieu de faire appel, est-il possible de redemander la même chose à l’INPI ?
Dans le cas où une marque aurait été validée à la suite d’une action en annulation, cette marque ne devient pas pour autant incontestable.
La règle est la suivante : lorsqu’une action en annulation est introduite 1° entre les mêmes parties ayant la même qualité, 2° avec le même objet et la même cause et 3° lorsqu’une décision définitive a déjà été rendue soit par l’INPI soit par une juridiction judiciaire, alors l’action est irrecevable (c’est le principe de l’autorité de la chose jugée).
A contrario de cette règle, il semble donc théoriquement possible, après une décision définitive validant une marque dont la nullité était demandée sur le fondement d’une marque antérieure, de former une nouvelle action en nullité sur le fondement d’un autre droit, par exemple, un nom de domaine, ou de former une action en déchéance pour non-usage ou pour perte du caractère distinctif.
De même, une action en déchéance ayant donné lieu à une décision de maintien de la marque contestée n’empêche pas de former une nouvelle action en déchéance ultérieurement, puisque la période de référence au cours de laquelle le titulaire doit avoir utilisé la marque ne sera pas la même et qu’il reste possible de déchoir de ses droits le titulaire qui a, par le passé, utilisé sa marque mais ne l’utilise plus.
Bien d’autres situations complexes pourront se produire et créer des difficultés dans le cadre de ces nouvelles actions.
En résumé, voici les avantages de ces nouvelles actions ouvertes depuis le 1er avril 2020 :
Le coût de l’introduction d’une action en annulation ou en déchéance est de seulement 600 euros hors honoraires d’avocat ou de CPI et, dans le cas de l’action en déchéance, il n’est même pas obligatoire de fournir des mémoires argumentatifs, ce qui diminue d’autant plus les coûts procéduraux ;
L’action en nullité, même pour motif relatif, est devenue imprescriptible depuis l’entrée en vigueur de la loi PACTE (sauf si le titulaire de la marque postérieure peut démontrer que le demandeur en a toléré l’usage de bonne foi pendant cinq ans) ;
L’action en déchéance et l’action en nullité pour motif absolu peuvent être introduites devant l’INPI par n’importe qui, même sans intérêt à agir ;
Les actions en nullité introduites devant l’INPI sont encadrées dans des délais relativement courts, les demandeurs pouvant ainsi obtenir une décision bien plus rapidement que devant les tribunaux ;
L’action en nullité pour atteinte à un droit antérieur peut être perçue comme une seconde chance pour les titulaires antérieurs qui n’auraient pas engagé de procédure d’opposition, dès lors que les coûts et modalités de ces deux procédures sont désormais très similaires.
TAoMA Partners, cabinet d’avocats et de conseils en propriété industrielle, est à votre disposition si vous souhaitez en savoir davantage ou profiter de ces nouvelles opportunités.
Malaurie Pantalacci
Conseil en propriété industrielle, Associée
Jérémie Leroy-Ringuet
Avocat à la cour
Remerciements à Blandine Lemoine, juriste et à Jean-Charles Nicollet, Conseil en propriété industrielle, Responsable du Pôle juridique CPI, pour leur aide à la préparation de cet article.
23
avril
2020
La lutte contre la contrefaçon aux temps du Coronavirus
Author:
teamtaomanews
ou : Comment défendre vos droits de propriété intellectuelle en période de confinement ?
Du fait de la crise sanitaire, les tribunaux sont fermés depuis mi-mars 2020, les actions judiciaires les plus courantes – y compris les actions en contrefaçon – ne peuvent pas être engagées et les actions en cours sont suspendues.
Ainsi, les outils judiciaires dont disposent les titulaires de droits de propriété intellectuelle (marques, dessins et modèles, brevets, droits d’auteur, etc.) pour lutter contre la contrefaçon sont devenus indisponibles et risquent de l’être encore pendant un certain temps à l’issue du confinement car l’activité des tribunaux ne redémarrera que progressivement.
Parallèlement, nous assistons à une multiplication des arnaques COVID et des contrefaçons en ligne.
Titulaires de droits, ne restez pas inactifs.
Il est possible d’agir sans attendre le déconfinement et la reprise de l’activité judiciaire. Il existe un ensemble d’outils alternatifs permettant de faire respecter vos droits et de tenter d’obtenir rapidement la cessation des actes de contrefaçon.
TAoMA a identifié quatre étapes préalables, allant de l’utile à l’indispensable :
La surveillance en ligne, pour repérer les actes contrefaisants
La surveillance douanière, pour faire surveiller les allées et venues des produits contrefaisants
L’utilisation de la technologie blockchain, pour authentifier les produits et prouver la contrefaçon repérée
Le constat d’huissier sur Internet, pour prouver la contrefaçon repérée
Ainsi que cinq actions disponibles :
La récupération de noms de domaine contrefaisants
Le signalement d’actes de contrefaçon à l’office européen de la propriété intellectuelle
Le signalement de contenu illicite sur les réseaux sociaux
La lettre de mise en demeure
La notification LCEN
LES ÉTAPES PRÉALABLES
La surveillance en ligne
Un titulaire de droits identifie souvent des actes de contrefaçon en surveillant lui-même l’activité de ses concurrents ou en jetant un œil aux principales plates-formes marchandes, voire en en découvrant de façon inopinée.
Il est toutefois indispensable d’adopter une stratégie systématique de surveillance active afin d’éviter de se retrouver prescrit ou forclos à agir en contrefaçon ou sur un autre fondement.
En ce qui concerne la contrefaçon en ligne, il existe des sociétés spécialisées, comme Safebrands et IP Twin, qui ont rendu certains de leurs services de surveillance provisoirement gratuits.
Ces sociétés proposent notamment les services suivants, pour le monde entier :
Surveillance des nouvelles occurrences de mots-clés dans les liens, pages de sites, metatags, etc.
Surveillance des réseaux sociaux
Surveillance des plates-formes de vente en ligne (Amazon, eBay, Rakuten…)
Surveillance des « adwords »
Surveillance de l’utilisation des logos
Ces sociétés remettent des rapports à intervalles plus ou moins fréquents, comprenant les données brutes collectées. L’analyse du caractère contrefaisant doit être réalisée par un avocat pour être fiable.
TAoMA Partners a également développé ses propres techniques de surveillance et d’identification et les utilise régulièrement au service de ses clients.
La surveillance douanière
La surveillance en ligne peut être utilement doublée par une surveillance « physique » par les douanes. Il est possible de mettre en place une surveillance douanière en en faisant la demande auprès des services des douanes au moyen d’un formulaire identifiant les droits des titulaires, incluant des photographies de produits authentiques et des conseils pour repérer les contrefaçons.
Cette surveillance est toujours disponible en ce moment, les douanes requérant que les demandes de surveillances soient pour l’instant envoyées exclusivement par e-mail.
Sans rentrer dans les détails, la saisie de marchandises contrefaisantes par les douanes donne lieu à une notification au titulaire des droits qui informe les douanes de son souhait, le cas échéant, de faire procéder à une destruction simplifiée des produits ou les informe que les produits ne sont pas contrefaisants.
L’utilisation de la technologie blockchain
Cette technologie réputée infalsifiable, utilisée par la cryptomonnaie Bitcoin, peut être adoptée par les titulaires de droits de propriété intellectuelle pour se protéger contre la contrefaçon.
Cette technologie intéresse tout particulièrement les acteurs du secteur du luxe mais pas exclusivement : elle pourrait s’appliquer aux produits culturels, technologiques ou autres.
Lors de l’achat d’un objet original, un QR code est émis et permet de produire un certificat d’authenticité numérique inscrit dans la blockchain. Il est ainsi possible à tout moment de vérifier si et de prouver que l’objet est authentique. Il peut également contenir l’historique des réparations autorisées et des reventes à d’autres propriétaires de l’objet et de son certificat. Les titulaires des marques peuvent également suivre, de façon anonymisée quant à leurs propriétaires, la vie de l’objet.
La blockchain peut également être utilisée, à la place des enveloppes Soleau, pour prouver une date de création et protéger un actif de propriété intellectuelle non enregistré, comme une œuvre d’art ou une œuvre littéraire, y compris aux différentes étapes de sa création, ce qui intéressera en particulier les producteurs audiovisuels. La date certaine enregistrée par l’inscription dans la blockchain peut en outre être réalisée par huissier, ce qui peut à terme renforcer le caractère probant vis-à-vis de juges pas nécessairement sensibilisés au fonctionnement de la blockchain.
Parmi les autres utilisations possibles, la victime d’actes de contrefaçon peut inscrire dans la blockchain des captures d’écran des actes contrefaisants et le code source des pages concernées. Néanmoins, pour les juges français, à ce stade, le constat d’huissier sur Internet semble le mode de preuve à privilégier.
Le constat d’huissier sur Internet
En matière de contrefaçon, la preuve est libre, ce qui veut dire que les titulaires de droits de propriété intellectuelle peuvent, par exemple, tenter de prouver la contrefaçon en produisant des captures d’écran du site contrefaisant.
Rappelons en outre que les tribunaux accordent de plus en plus de valeur aux pages archivées sur le site web.archive.org et que la date figurant sur ces pages archivées est considérée comme plus probante qu’une datation résultant d’un archivage personnel. Voir notre TAoMA news du 8 novembre 2019.
Mais ce type de document est bien sûr moins probant que des preuves établies par constat d’huissier.
Les huissiers de justice peuvent réaliser, depuis leur domicile ou leur étude, des constats sur Internet, en donnant ainsi une date certaine à la présence en ligne d’actes contrefaisants et en adoptant des techniques permettant d’écarter les doutes qui affectent l’enregistrement « artisanal » de pages web qu’effectuerait un titulaire de droit de propriété intellectuelle.
Le rôle de TAoMA est de travailler de concert avec l’huissier, afin que le constat réalisé réunisse l’ensemble des informations nécessaires pour apporter la preuve de la contrefaçon de manière efficace et exploitable.
Ces constats pourront, bien sûr, être utilisés dans un contentieux judiciaire futur ; mais ils sont également utiles pour mettre en œuvre certaines des actions disponibles en-dehors de toute procédure judiciaire.
LES ACTIONS DISPONIBLES
La récupération de noms de domaine contrefaisants
Les titulaires de marques constatent souvent qu’un tiers a inclus une de leurs marques au sein même d’un nom de domaine, de façon identique ou similaire (par exemple « channel-parfums.com »). Ce type d’atteinte aux droits de marque, appelé « cybersquatting », se multiplie en ce moment.
Plutôt que de requérir d’un juge qu’il ordonner le blocage du site, le titulaire peut choisir de demander la récupération du nom de domaine. Des demandes de récupération peuvent être adressées notamment :
Auprès de l’office mondial de la propriété intellectuelle (OMPI) pour les domaines en .com, .net et .org :
C’est la procédure « UDRP » (Uniform Domain-name Dispute-Resolution Policy)
Et auprès de l’Association française pour le nommage Internet en coopération (Afnic) :
C’est la procédure « Syreli »
En cas de succès, le nom de domaine litigieux pourra être supprimé ou transféré au requérant.
Le centre d’arbitrage de l’OMPI a annoncé être en état de traiter les demandes de récupération, même si l’on peut anticiper des délais accrus, la procédure habituelle prenant trois mois. L’Afnic a également informé qu’elle poursuivait son activité avec un délai de procédure inchangé de deux mois.
L’avantage majeur de ces procédures est que leur coût est très limité et qu’elles se déroulent en ligne. En cette période de confinement, les deux organismes ont en plus décidé d’autoriser l’envoi de notifications par les parties par voie électronique alors que la voie postale est exigée, en temps normal.
Dans certains cas, en fonction des faits, une alternative à ces procédures de récupération peut être trouvée dans la notification LCEN (voir plus bas).
Le signalement à l’EUIPO
L’Office de l’Union européenne pour la Propriété intellectuelle (EUIPO) a mis en place un outil destiné en particulier à signaler la contrefaçon touchant les objets essentiels de lutte contre le coronavirus (masques, médicaments, matériel médical…). Certains de ces produits médicaux reproduisent sans autorisation des marques appartenant à des titulaires n’ayant parfois rien à voir avec le secteur de la santé. Ainsi, un contrefacteur a utilisé une marque de Disney (« Frozen II ») et violé son droit d’auteur en proposant à la vente des masques de protection pour enfants « Reine des Neiges » qui ne respectent évidemment pas les normes de sécurité et mettent en danger les populations, en plus de nuire aux titulaires de droits.
L’outil lancé par l’EUIPO s’appelle IP Enforcement Portal (Portail de mise en œuvre des droits de propriété intellectuelle). Les titulaires de droits peuvent y échanger des informations sur l’étendue de leurs droits et sur les distributeurs autorisés, téléverser des photographies de produits authentiques et signaler les produits contrefaisants. La plateforme est gratuite et rend possible la mise en relation les titulaires de droits avec les autorités de poursuite dans chacun des pays de l’Union, ce qui permet, par exemple, à un titulaire français de signaler une contrefaçon à un magistrat bulgare ou suédois lorsque la contrefaçon en ligne ne s’adresse qu’aux internautes de ces pays.
Dans ce type de situation comportant un péril sanitaire, il n’est pas douteux que les autorités publiques mettent sans tarder en œuvre des mesures de protection des populations et donc, indirectement, de protection des droits des titulaires.
Mais même en-dehors de ces cas, il reste possible d’agir sans attendre. Deux mesures rapides et efficaces sont disponibles pour les titulaires de droit : la lettre de mise en demeure et la notification LCEN. Ces mesures visent à obtenir rapidement le retrait des pages contenant l’offre à la vente de produits ou de services contrefaisants. Un tel retrait n’empêche aucunement de réclamer des dommages-intérêts par la suite, une fois l’activité judiciaire rétablie.
Le signalement sur les réseaux sociaux
Les réseaux sociaux, mais aussi les grandes plates-formes de vente en ligne (Facebook, Amazon, Instagram, Twitter, LinkedIn, YouTube, etc.) prévoient en général leurs propres procédures de signalement de contenus litigieux (contrefaisants, diffamant, ou illégaux d’une manière générale).
Une infraction particulière aux réseaux sociaux est celle du « username squatting » ou des « faux comptes », soit l’utilisation d’une marque comme pseudo, par un tiers (par exemple, l’existence d’une page Facebook au nom d’une marque mais détenue par un fan ou par une personne moins bien intentionnée).
Pour résoudre ce problème, ou tout autre difficulté liée à la présence d’un contenu illicite, le titulaire est invité à fournir des informations dans des formulaires en ligne et de joindre des pièces justificatives qui dépendent à chaque fois du type d’atteinte repérée.
Par exemple, il est possible de signaler une atteinte à un droit de propriété intellectuelle sur YouTube sur cette page, une atteinte à un droit d’auteur sur LinkedIn sur celle-ci ou encore une usurpation d’identité sur Facebook à cette adresse. LinkedIn et Facebook permettent également, ainsi que d’autres réseaux, d’accéder à un formulaire de signalement via des boutons de commandes accompagnant chaque post.
L’avantage considérable de ces procédures internes est qu’elles sont rapides, gratuites et qu’elles peuvent permettre d’obtenir facilement des retraits de contenus au niveau mondial. Mais l’inconvénient est que l’appréciation de la légitimité de la notification est laissée entièrement à l’appréciation des réseaux sociaux, voire de robots aux raisonnements automatisés et parfois peu pertinents, comme par exemple Content ID, un robot qui repère les vidéos contrefaisants sur YouTube et dont le fonctionnement est décrié.
En cas d’échec, il reste toutefois possible d’utiliser les étapes de la lettre de mise en demeure et de la notification LCEN.
La lettre de mise en demeure
Il est d’usage, lorsqu’un titulaire de droits constate qu’un tiers fait usage de sa marque sans autorisation, plagie ses droits d’auteur ou imite le modèle d’un produit qu’il commercialise, d’envoyer avant toute procédure contentieuse une lettre d’avocat ayant pour objet de le mettre en demeure de cesser les actes contrefaisants, de retirer les produits de la vente, de modifier sa marque, etc. Au-delà de la rédaction de la lettre, le regard de l’avocat est essentiel, notamment pour deux raisons : pour évaluer la réalité de la contrefaçon et pour vérifier si la prescription n’est pas acquise (ce qui n’empêcherait pas d’envoyer la lettre mais diminuerait la position de force du titulaire de droits).
La lettre de mise en demeure peut tout à fait être envoyée en période de confinement. Tout d’abord, elle peut toujours être envoyée en recommandé avec accusé de réception dans la mesure où les services postaux fonctionnent toujours. De plus, La Poste propose un service d’envoi de lettres recommandées en ligne qui permet d’éviter à l’expéditeur de se déplacer au bureau de poste pour l’affranchir et l’envoyer. En pratique, l’expéditeur paye en ligne après avoir saisi les informations d’expédition et téléversé le courrier au format PDF. L’inconvénient est donc que le courrier n’est pas remis sous pli fermé à La Poste, mais cette dernière et ses employés sont tenus au secret des correspondances électroniques prévu par la loi. Le recours à un tel service n’est exclu ou fortement déconseillé que si le contenu de la lettre est particulièrement confidentiel ou bien si le courrier lui-même est confidentiel par application de la loi (comme un courrier couvert par le secret médical ou par le secret des avocats – ce qui n’est pas le cas pour une lettre envoyée par un avocat à la partie adverse).
Ensuite, en pratique, la lettre recommandée est doublée d’un envoi en lettre simple et par e-mail quand l’adresse e-mail est connue. Cela permet de s’assurer que le destinataire puisse prendre connaissance rapidement du document sans avoir à aller le retirer à La Poste.
Enfin, cette lettre, qui suffit parfois à obtenir le retrait des contrefaçons ou à voir satisfaites les autres demandes formulées, peut, en cas d’échec, être réutilisée dans le cadre d’une notification LCEN. Cette notification est aussi utile quand l’on ne dispose d’aucune information pour contacter le contrefacteur.
La notification LCEN
La notification LCEN tire son nom de la Loi pour la Confiance dans l’Economie Numérique du 21 juin 2004. Cette loi prévoit les formes dans lesquelles une personne qui estime que ses droits sont enfreints sur un site Internet peut obtenir la suppression du contenu illicite par l’hébergeur et non seulement par l’auteur du contenu.
Ce contenu peut être de diverses natures plus ou moins graves : divulgation de données personnelles, pédopornographie, apologie de crime contre l’humanité, propos injurieux ou diffamants, photographies volées (revenge porn), contrefaçon (texte, photographie, musique, film, marque, dessins et modèles, etc.). Il doit être manifestement illicite : la contrefaçon doit être flagrante et indiscutable. Ce caractère manifestement illicite est apprécié par l’avocat et l’envoi d’une notification LCEN alors que le caractère illicite est discutable ou improbable peut engager la responsabilité de l’auteur de la notification.
En pratique, le titulaire ou son avocat doit envoyer un premier courrier au contrefacteur (la lettre de mise en demeure peut ainsi être réutilisée, mais un simple e-mail suffit).
Cette notification est un courrier envoyé dans les mêmes conditions qu’une lettre de mise en demeure classique : c’est un courrier en recommandé avec accusé de réception doublé par une lettre simple et, quand c’est possible, par un e-mail.
Si l’étape de la lettre de mise en demeure a échoué, parce qu’il a été impossible de contacter directement l’auteur de la contrefaçon en l’absence d’informations ou parce que l’auteur de la contrefaçon n’a pas donné suite au courrier, il convient alors d’envoyer la notification LCEN à l’hébergeur du site, quand il s’agit d’une personne distincte de celle du contrefacteur. Son contact est censé figurer dans les mentions légales.
En l’absence, fautive, de ces mentions, certains sites permettent de rechercher qui est l’hébergeur d’un site Internet.
Voici quelques exemples pour y voir plus clair :
Le contenu d’une notification LCEN est encadré par la loi. Il conviendra, entre autres, d’y mentionner ou d’y adjoindre les éléments suivants :
Une copie de la pièce d’identité du titulaire des droits (un extrait K-Bis dans le cas d’une personne morale)
Un extrait K-Bis de l’hébergeur
La preuve que l’auteur de la notification (ou le client de l’avocat auteur de la notification) est bien titulaire des droits : par exemple, le certificat d’enregistrement de la marque ou une version numérique du livre dont est tiré un passage reproduit sans autorisation
Le fondement juridique qui permet au titulaire des droits de demander le retrait des pages web contrefaisantes : il s’agira des textes du code de la propriété intellectuelle et/ou de règlements européens conférant des droits aux auteurs et aux déposants de titres de propriété industrielle, ainsi que de l’article 6 de la LCEN
L’identification de la matérialité de la contrefaçon incluant l’adresse URL : le constat d’huissier sur Internet est la preuve la plus recommandée
La copie du courrier envoyé au contrefacteur ou la justification de l’impossibilité de le contacter
Etc.
=> Pourquoi une notification LCEN est-elle souvent efficace ?
Parce que l’absence de réaction rapide de la part de l’hébergeur engage sa responsabilité (y compris pénale, la contrefaçon étant un délit) et que les hébergeurs peuvent donc être assignés en justice ou faire l’objet de plaintes pénales même sans que le titulaire de droits n’ait à se préoccuper du contrefacteur lui-même. La totalité des condamnations pourrait donc être supportée par l’hébergeur.
Cet effet dissuasif est recherché par la loi en raison même du fait qu’il est facile, sur Internet, de dissimuler son identité et d’échapper aux poursuites. La LCEN a donc pour mission essentielle d’éviter qu’Internet soit une zone de non-droit, et ce même en période de confinement.
=> Quid quand le site est situé à l’étranger ?
Tout d’abord, un site « situé » à l’étranger, par exemple un site en .br ou en .cn, peut être soumis à la loi française et donc à la LCEN lorsqu’il s’adresse au public français. Cela peut être le cas, par exemple, s’il offre la livraison vers la France, s’il propose une version française de son interface ou encore si ses prix sont libellés en euros.
Dans ce cas, l’obtention de la suppression des produits ou des offres de services contrefaisants sera bien sûr plus difficile à obtenir mais n’est pas impossible. Ainsi, la notification LCEN adressée à l’hébergeur étranger peut préciser que le juge français pourrait ordonner la coupure de l’accès au site depuis la France, par l’intermédiaire des fournisseurs d’accès (FAI). Mais bien sûr, cette solution ne peut passer que par une décision de justice définitive et on doit se contenter de souhaiter que cette menace sera dissuasive, au stade de la notification LCEN.
De plus, si une marque est reprise dans un nom de domaine situé à l’étranger, la procédure de récupération UDRP est tout indiquée.
Enfin, une solution de pis-aller consister à effectuer un signalement aux moteurs de recherche référençant la page web contrefaisante. La loi américaine (le « DMCA ») oblige Google à supprimer de ses résultats de recherche des pages violant les règles de protection du copyright. Il est donc possible d’agir même lorsque la loi française n’est pas applicable.
Anne MESSAS
Avocate à la cour, Associée
Jérémie LEROY-RINGUET
Avocat à la Cour
22
avril
2020
Loi PACTE : la procédure d’opposition marque nouvelle génération
Nous l’attendions depuis plusieurs années et la France a enfin transposé la directive européenne 2015/2436 du 16 décembre 2015 rapprochant les législations des États membres sur les marques via la loi PACTE.
L’une des évolutions majeures du droit français porte sur la réforme de la procédure d’opposition devant l’INPI contre une demande de marque portant atteinte aux droits antérieurs d’un tiers. Cette opposition nouvelle génération ne s’applique que pour les marques françaises, ou internationales désignant la France, déposées à compter du 11 décembre 2019. Pour les marques déposées avant cette date, l’ancienne procédure reste applicable.
Nous vous proposons donc un petit comparatif entre la nouvelle et l’ancienne procédures d’opposition.
Fondements de l’opposition
L’ancienne procédure d’opposition se caractérisait par l’obligation de n’invoquer qu’un droit antérieur par procédure. Ainsi, si un titulaire souhaitait baser son opposition sur deux marques, il n’avait d’autre choix que de déposer deux oppositions.
La nouvelle procédure permet d’invoquer plusieurs droits antérieurs dans une seule et même opposition. De même, les droits antérieurs qui peuvent servir au soutien de la procédure ont été élargis.
Déroulement de la procédure
Si le délai pour former opposition reste de deux mois à compter de la publication de la marque litigieuse, il est désormais possible de déposer une opposition formelle. Le mémoire présentant les arguments au soutien de l’action devra être présenté dans le délai de 1 mois suivant l’expiration du délai d’opposition.
Le principe du contradictoire a également fait l’objet d’un renforcement puisque les parties peuvent échanger plusieurs jeux d’écritures pour faire valoir leurs arguments. En contrepartie, la procédure d’opposition est allongée et peut durer jusqu’à 10 mois avant le rendu de la décision définitive contre 6 mois maximum pour l’ancienne procédure.
Dans le cadre de sa défense, le déposant de la marque contestée peut exiger que l’opposant apporte la preuve de l’usage sérieux des marques antérieures invoquées qui ont été enregistrées depuis plus de 5 ans. Une telle possibilité était déjà offerte dans l’ancienne procédure d’opposition.
Cependant, l’INPI a aujourd’hui le pouvoir d’exercer un contrôle approfondi des preuves qui seront fournies par l’opposant. Il conviendra donc que ce dernier soit en mesure, avant l’engagement d’une procédure d’opposition sur la base d’une marque enregistrée depuis plus de 5 ans, d’apporter la preuve de l’usage sérieux de la marque pour tous les produits et/ou services invoqués dans le cadre de la procédure.
La procédure d’opposition nouvelle génération est donc un grand pas en avant pour les titulaires de droits antérieurs en leur offrant des fondements d’action plus larges et un principe du contradictoire renforcé. Le revers de la médaille est la nécessité de devoir démontrer l’usage sérieux de ses marques enregistrées depuis plus de 5 ans, à la demande du défendeur, pour tous les produits et/ou services invoqués au soutien de l’opposition.
Jean-Charles Nicollet
Conseil en Propriété Industrielle
Responsable du Pôle juridique CPI
21
avril
2020
Traitements de données personnelles et coronavirus : la CNIL et le CEPD se prononcent sur les bonnes pratiques
Author:
teamtaomanews
Dans le contexte de l’épidémie de Covid-19, le recours à de nouveaux traitements de données personnelles ayant pour objet de contrôler la diffusion du virus est observé de près. Certaines institutions ont d’emblée réagi en diffusant des conseils et en rappelant les bonnes pratiques à mettre en place pour protéger au mieux les données personnelles, sujet épidermique à l’heure actuelle.
À l’échelle européenne, le CEPD (Comité européen de la protection des données – entité regroupant les autorités de contrôle chargées de la protection des données personnelles au sein de l’UE, telles que la CNIL) a diffusé une annonce sur le traitement des données personnelles dans le contexte de l’épidémie, concentrée principalement sur quatre points :
Un rappel des principes fondamentaux assurant la licéité des traitements
Le CEPD rappelle notamment que, malgré le contexte actuel, les obligations incombant aux responsables de traitements (finalité déterminée, information transparente, claire et complète de la personne concernée, sécurité des données, etc.) restent d’actualité. En revanche, la licéité de ces traitements, y compris lorsqu’ils ont trait à des données « sensibles », peut reposer sur des bases juridiques autres que le consentement des personnes concernées.
Un focus sur les traitements effectués par les autorités publiques (ex: autorités sanitaires)
Du fait de leurs statuts, ces autorités devraient être en mesure d’opérer ces nouveaux traitements
Un focus sur les traitements réalisés par les employeurs
Les employeurs peuvent mettre en œuvre des traitements de données personnelles sur le fondement d’une obligation légale à laquelle ils sont soumis (ex : sécurité sur le lieu de travail) ou de l’intérêt public (ex : contrôle des maladies), et y inclure des données de santé pour cette dernière raison, ou si c’est justifié pour la sauvegarde des intérêts vitaux des personnes concernées.
Sur les modalités de traitement des données ainsi collectées, le CEPD s’en remet aux législations nationales, précisant toutefois que :
Seules les données nécessaires pour remplir leurs obligations et organiser le travail peuvent être collectées par les employeurs ;
La collecte d’informations relatives à la santé des employés ou des visiteurs ne peut être faite que dans le respect des principes de proportionnalité et de minimisation;
La possibilité de demander la réalisation de bilans de santé sur des employés n’est possible que dans la mesure où ils sont imposés par une obligation légale ;
La fourniture d’informations sur des cas de COVID-19 au sein de l’entreprise doit être limitée à ce qui est nécessaire. Dans les cas où il est nécessaire de révéler le nom de l’employé qui a contracté le virus (par exemple dans un contexte préventif), il doit être informé à l’avance et sa dignité et son intégrité doivent être protégées.
Un focus sur les traitements de données de géolocalisation des téléphones mobiles
Le CEPD rappelle que ces données ne peuvent en principe être utilisées qu’après anonymisation (ex : pour réaliser des cartographies) ou avec le consentement de la personne concernée.
À défaut, des dispositions législatives spécifiques pourront être adoptées pour permettre des traitements plus invasifs, tels que le « tracking », sous réserve de la mise en œuvre de garanties adéquates (notamment droit au recours auprès d’une juridiction nationale, caractère nécessaire, approprié, proportionné et limité dans le temps, respect la Charte des droits fondamentaux et la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales).
À l’échelle nationale, la CNIL a répondu aux sollicitations de professionnels et particuliers au sujet de la collecte et du traitement de données personnelles dans le but de de limiter la propagation du virus.
Elle dresse notamment une liste des comportements interdits et autorisés dans le cadre des relations de travail. Ainsi :
les employeurs doivent mettre en place des actions préventives, d’information et de formation afin de garantir la santé et la sécurité de leurs employés (ex : invitation à effectuer des remontées individuelles d’informations par les employés en cas d’éventuelle exposition au virus, possibilité de consigner la date et l’identité de l’employé qui signalerait une exposition).
Mais ils ne peuvent pas prendre des mesures susceptibles de porter atteinte au respect de la vie privée des personnes concernées, notamment par la collecte de données de santé qui iraient au-delà de la gestion des suspicions d’exposition au virus (ex: pas de relevés obligatoires quotidiens de température ou de questionnaires médicaux pour l’ensemble des employés).
Les employés doivent, quant à eux, informer leur employeur en cas de suspicion de contact avec le virus.
La CNIL a en outre donné des conseils sur la mise en place du télétravail et l’utilisation d’outils de visioconférence.
Parmi les mesures les plus significatives, on notera :
Pour les mesures de bases à prendre en cas de télétravail : la sécurisation des systèmes d’information (édition d’une charte de sécurité, installation de pares feux et d’antivirus, mise en place de VPN, utilisation de mécanismes d’authentification à double facteur, consultation des journaux d’accès, etc.) ;
Pour la visioconférence : privilégier les solutions qui protègent la vie privée, ne pas télécharger d’application de source inconnue, sécuriser le réseau wifi, limiter le nombre d’informations fournies lors de l’inscription, fermer l’application lorsqu’elle n’est pas utilisée.
Eugénie Lebelle
Elève-avocate
Anita Delaage
Avocate
Lire la déclaration du CEPD ou accéder à la page de la CNIL sur la COVID-19
14
avril
2020
Une nouvelle chance pour la marque de l’Union européenne « FACK JU GÖHTE »
Author:
teamtaomanews
Le signe verbal « FACK JU GÖHTE » peut être enregistré à titre de marque de l’Union Européenne selon l’arrêt de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) du 27 février 2020. Par cet arrêt, la CJUE annule ainsi la décision de l’Office de l’Union Européenne pour la Propriété Intellectuelle (EUIPO), confirmée par le Tribunal, selon laquelle cette demande de marque était contraire à l’Article 7, paragraphe 1, sous f) du Règlement n°207/2009 [1], soit contraire aux bonnes mœurs.
Comme évoqué dans le cadre de notre précédente news concernant les conclusions de l’Avocat général Bobek (lire notre TAoMA News du 18 juillet 2019), la société Constantin Film Produktion GmbH a déposé en 2015 une demande d’enregistrement de la marque verbale « FACK JU GÖHTE » auprès de l’EUIPO. Si ce signe est destiné à désigner divers produits et services de la vie quotidienne, il s’agit également du titre d’une comédie allemande ayant eu un succès retentissant dans les pays germanophones et connu plusieurs suites.
L’EUIPO, approuvé par le TUE, refusa l’enregistrement de ce signe verbal au motif que les premiers termes « FACK JU » étaient phonétiquement identiques à l’insulte anglaise « FUCK YOU » et que le signe pris dans son ensemble constituait donc une expression de mauvais goût, offensante et vulgaire par laquelle l’écrivain Johann Wolfgang Goethe était insulté à titre posthume [2] et ce, nonobstant les arguments du déposant quant au contexte entourant la sortie du film portant le même nom.
Constantin Film Porduktion GmbH saisit alors la CJUE d’un pourvoi dirigé contre cette dernière décision en alléguant, notamment, des erreurs dans l’interprétation et l’application de l’Article 7, paragraphe 1, sous f) du Règlement n°207/2009, qui exclut de l’enregistrement les marques « contraires à l’ordre public ou aux bonnes mœurs ».
Suivant le raisonnement de l’Avocat Général Bobek, la Cour annule par son arrêt du 27 février 2020 la décision du Tribunal et de l’EUIPO.
Selon la Cour, l’EUIPO et le TUE ont méconnu les standards que commande l’Article 7, paragraphe 1, sous f) du Règlement n°207/2009 et au regard desquels il est nécessaire de mettre en œuvre une analyse de l’ensemble des éléments propres à l’espèce afin de déterminer précisément la manière dont le public pertinent percevrait le signe en cause.
En effet, l’EUIPO, ainsi que le TUE, se sont fondés uniquement sur une appréciation abstraite de cette marque et de l’expression anglaise à laquelle la première partie de celle-ci est assimilée. Or, la Cour considère qu’ils auraient dû examiner avec plus d’attention le contexte social et les éléments factuels invoqués par le déposant et expliquer de manière plus concluante les raisons pour lesquelles ces éléments avaient été écartés de son analyse.
Parmi ces éléments factuels figuraient des indices plus que probants et notamment le grand succès cinématographique de la comédie portant le même nom et la circonstance que ce titre n’ait pas suscité de controverses auprès du public germanophone. De plus, le jeune public avait été autorisé à visualiser ce film lors de sa sortie et en était la cible première. Enfin l’Institut Goethe, qui est une référence dans la promotion de la langue allemande au niveau national et mondial, s’en est servi à des fins pédagogiques.
En outre, la Cour souligne le fait que la perception de l’expression anglaise « FUCK YOU » par le public germanophone n’est pas nécessairement la même que sa perception par le public anglophone. S’il est vrai que cette expression est notoirement connue auprès du public non-anglophone, son contenu sémantique peut être légèrement différent, voir amoindri dans une langue étrangère. Cela est d’autant plus vrai que dans le cas présent, la première partie de la demande de marque en cause ne consiste non pas en cette expression anglaise en tant que telle, mais dans sa retranscription phonétique en langue allemande, accompagnée de l’élément « Göhte ».
Au regard de l’ensemble de ces éléments, la Cour estime que l’EUIPO, ainsi que le Tribunal, se sont livrés à une interprétation et application erronées de l’Article 7, paragraphe 1, sous f), du Règlement n°207/2009, et annule, en conséquence, les décisions correspondantes.
Enfin, comme nous l’avions indiqué dans notre précédente TAoMA News, Constantin Film Produktion GmbH invoquait également la liberté d’expression en tant qu’élément à prendre en considération dans l’appréciation de l’Article 7, paragraphe 1, sous f), du Règlement n°207/2009. Si la Cour se montre moins affirmative que son homologue américain (la Cour Suprême des États-Unis a récemment jugé la loi américaine relative aux marques immorales, trompeuses ou scandaleuses comme contraire à la liberté d’expression garantie par la Constitution américaine, voir notre TAoMA News du 4 juillet 2019), elle concède, pour la première fois à notre connaissance, que la liberté d’expression doit être prise en compte lors de l’application de cette disposition du droit des marques afin de garantir le respect des libertés et des droits fondamentaux, conformément notamment à l’article 11 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne [3].
Le devenir de la demande de marque « FACK JU GÖHTE » est désormais entre les mains de l’EUIPO qui devra, pour la seconde fois, procéder à son examen. Forte d’enseignements, la décision de la Cour devrait sans doute influencer cette dernière et entraîner son enregistrement à titre de marque.
Baptiste Kuentzmann
Juriste
Lire la décision complète sur le site CURIA.
[1] Article 7, paragraphe 1, sous f) du Règlement n°207/2009 : « 1. Sont refusés à l’enregistrement : (…) f) les marques qui sont contraires à l’ordre public ou aux bonnes mœurs (…) » texte applicable au cas d’espèce aujourd’hui remplacé par le Règlement n° 2017/1001 ;
[2] Tribunal de l’Union Européenne du 24 janvier 2018, Constantin Film Produktion/EUIPO (Fack Ju Göthe), T-69/17 ; Décision de la cinquième chambre de recours de l’Office de l’Union Européenne pour la Propriété Intellectuelle (EUIPO) du 1er décembre 2016 (Fack Ju Göhte), R 2205/2015-5.
[3] Article 11 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne: « 1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontières. »
07
avril
2020
Impact de la déchéance pour non-usage sur une action en contrefaçon de la marque déchue
Author:
teamtaomanews
La marque semi-figurative SAINT GERMAIN a été enregistrée en France le 12 mai 2006 par la société AR pour désigner des boissons alcooliques, des cidres, des digestifs, des vins et des spiritueux. De son côté, la société la Cooper International Spirits distribuait, sous la dénomination « St-Germain », une liqueur fabriquée par la société St Dalfour et par les Etablissements Gabriel Boudier.
Le 8 juin 2012, la société AR a assigné ces trois sociétés en contrefaçon de marque devant le Tribunal de grande instance de Paris. Toutefois, dans une instance parallèle, le TGI de Nanterre a prononcé la déchéance de la marque semi-figurative SAINT GERMAIN de la société AR pour défaut d’usage, avec prise d’effet au 13 mai 2011, premier jour suivant la période de grâce. La titulaire déchue a néanmoins maintenu son action en contrefaçon pour les actes situés lors de la période antérieure à la déchéance, soit entre le 8 juin 2009 et le 13 mai 2011, période au cours de laquelle la marque n’était pas encore soumise à obligation d’usage.
L’ensemble de ses demandes a été rejeté par le Tribunal de grande instance de Paris en 2015 ; le jugement a été confirmé par la Cour d’appel de Paris le 13 septembre 2016. Cette dernière a en effet estimé que la société AR ne pouvait se prévaloir d’une atteinte portée à la marque SAINT GERMAIN, par un signe identique concurrent, alors même qu’elle ne présentait pas d’éléments probants permettant de témoigner d’une exploitation effective de ladite marque. Les juges du fond semblent donc avoir subordonné la potentielle condamnation pour contrefaçon à la preuve, ici manquante, que son titulaire l’exploitait, quand bien même la période quinquennale pour commencer l’usage de la marque courait encore.
Saisie d’un pourvoi, la Cour de cassation a décidé de surseoir à statuer et d’interroger à titre préjudiciel la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). En substance, la question préjudicielle posée était de savoir si le titulaire d’une marque entretemps déchue en raison du défaut d’usage sérieux de celle-ci conserve toutefois le droit de réclamer l’indemnisation du préjudice subi en raison de l’usage par un tiers – antérieurement à la date d’effet de la déchéance – d’un signe similaire créant une confusion avec sa marque.
L’indemnisation possible des préjudices antérieurs à la date d’effet de la déchéance pour non-usage
La Cour rappelle tout d’abord que, selon sa propre jurisprudence, le titulaire d’une marque non encore soumise à usage sérieux – donc avant la fin de la période quinquennale suivant son enregistrement – peut très bien agir en contrefaçon sur la base des produits et services désignés, sans avoir à prouver qu’il fait usage de sa marque (CJUE, 21 décembre 2016, Länsförsäkringar, C-654/15).
Or la situation est différente en l’espèce. La difficulté se situe précisément sur la portée des droits du titulaire sur la marque à l’expiration du délai de grâce, alors même que la déchéance a déjà été prononcée. En somme, une telle déchéance peut-elle avoir des incidences sur la possibilité du titulaire de se prévaloir, après l’expiration du délai de grâce, des atteintes portées à sa marque au cours de cette période ?
La CJUE répond par la positive, jugeant que les Etats membres ont « la faculté de permettre que le titulaire d’une marque déchu de ses droits à l’expiration du délai de cinq ans à compter de son enregistrement pour ne pas avoir fait de cette marque un usage sérieux dans l’État membre concerné pour les produits ou les services pour lesquels elle avait été enregistrée conserve le droit de réclamer l’indemnisation du préjudice subi en raison de l’usage, par un tiers, antérieurement à la date d’effet de la déchéance, d’un signe similaire pour des produits ou des services identiques ou similaires prêtant à confusion avec sa marque ».
En effet, elle rappelle que la directive 2008/95 avait laissé aux Etats membres la faculté de déterminer l’étendue des effets de la déchéance d’une marque et que le législateur français avait fait le choix de faire produire ces effets à compter de l’expiration du délai de grâce et non antérieurement à ce délai. La France n’a donc pas fait le choix de permettre au contrefacteur allégué de soulever l’exception de l’absence d’usage au cours de la période de grâce pour s’exonérer des actes de contrefaçon.
Aussi, le titulaire d’une marque déchu de ses droits pour défaut d’usage sérieux conserve le droit de réclamer l’indemnisation du préjudice subi en raison de l’usage, par un tiers, antérieurement à la date d’effet de la déchéance, d’un signe similaire créant un risque de confusion avec sa marque.
La prise en compte du défaut d’usage en période de grâce dans le calcul de l’indemnisation
La CJUE précise ensuite la portée de sa propre décision, en spécifiant que le défaut d’usage au cours de la période de grâce est tout de même un « élément important à prendre en compte pour déterminer l’existence et, le cas échéant, l’étendue du préjudice subi par le titulaire et, partant, le montant des dommages et intérêts que celui-ci peut éventuellement réclamer ».
Ainsi, le préjudice subi par le titulaire d’une marque qui ne l’utilise pas se résume à l’atteinte au droit de propriété et exclut l’indemnisation de gains manqués et de profits réalisés indûment. Le préjudice moral est tout aussi relatif.
Une telle prise en compte de l’absence d’usage prive le titulaire déchu de ses dernières munitions. Si le droit français lui permet de faire valoir sa marque pour les faits antérieurs à la date d’effet de la déchéance, il serait en effet malvenu que cela lui permette de réclamer d’importants dommages-intérêts. Cela reviendrait en effet à légitimer la pratique des « trademark trolls », ces titulaires de marques qui n’exploitent pas leurs portefeuilles et les utilisent uniquement pour soutirer de l’argent à des tiers souhaitant les utiliser, via des contrats de licence ou des actions en contrefaçon.
La précision de la CJUE est donc un tempérament important destiné à sanctionner de telles pratiques et à limiter l’effet de l’interprétation du droit de l’Union qu’elle a été invitée à faire : le titulaire d’une marque déchue peut demander réparation d’actes contrefaisant sa marque avant la date de prise d’effet de la déchéance mais, s’il ne l’exploitait pas, son indemnisation s’en trouvera limitée.
Synthia TIENTCHEU TCHEUKO
Élève-avocate
Jérémie LEROY-RINGUET
Avocat à la Cour
Référence et date : Cour de justice de l’Union européenne, 26 mars 2020, affaire C‑622/18
Lire la décision sur Curia