Marques : de nouvelles actions disponibles devant l’INPI

Le droit des marques vient de connaître, sous l’impulsion du droit de l’Union européenne (UE), une réforme fondamentale dont le but est d’harmoniser les différents droits nationaux des Etats membres. Un des effets essentiels de l’entrée en vigueur de l’ordonnance n°2019-1169 du 13 novembre 2019 est que, depuis le 1er avril 2020, les procédures en annulation de marques françaises ou d’extensions françaises de marques internationales ont été considérablement simplifiées et rendues bien moins onéreuses.

Ces procédures sont celles en nullité pour motifs relatifs, notamment pour atteinte à un droit antérieur (le demandeur considère qu’il était le premier à « occuper le terrain »), ou pour motifs absolus (la marque est invalide, en soi, car descriptive ou contraire à l’ordre public) et celles en déchéance, notamment lorsque le titulaire n’utilise pas sa marque ou qu’elle est devenue le terme usuel pour désigner le produit (par exemple, la marque « Escalator » pour des escaliers mécaniques) :

Alors qu’auparavant les tribunaux judiciaires avaient compétence exclusive pour traiter ces demandes, avec pour conséquence l’application des règles du code de procédure civile et la représentation obligatoire par avocat, cette compétence est désormais partagée avec l’Institut national de la Propriété industrielle (INPI).

Cet article a pour objectif de présenter les nouvelles règles et les avantages de cette réforme.

 

 

1/ Où cela se passe-t-il, désormais, et que peut-on faire de nouveau ? 

La réforme a transféré des compétences des juridictions judiciaires vers l’INPI, et a supprimé l’exigence d’intérêt à agir pour certaines actions, accroissant ainsi les possibilités d’obtenir la radiation d’une marque des registres. Parallèlement, la réforme octroie de nouvelles possibilités de défense au titulaire de la marque contestée contre l’auteur de la demande de nullité.

 

  • Les nouvelles règles de compétence : où agir ?

Les actions en déchéance pour non-usage, qui permettent d’obtenir la radiation des registres d’une marque enregistrée mais non utilisée par son titulaire, peuvent désormais être formées directement devant l’INPI alors qu’auparavant, elles ne pouvaient être engagées que devant celui des dix tribunaux compétents en matière de marques nationales correspondant au domicile du titulaire de la marque.

Il en va de même pour les actions en annulation pour motif relatif ou pour motif absolu.

Le tableau ci-après récapitule les nouvelles règles de compétence et celles restant inchangées :

Ces nouvelles règles de compétence pourront donner lieu à des stratégies contentieuses et des choix d’opportunité : si la compétence d’un tribunal judiciaire est recherchée, elle peut être obtenue en ajoutant dans l’assignation des demandes relatives à la contrefaçon ou bien en ajoutant au fondement de la marque antérieure celui d’un autre droit d’auteur antérieur : dans ce cas, la compétence judiciaire l’emporte sur la compétence de l’INPI.

Inversement, une partie qui souhaiterait faire des économies pourrait, si elle estime que c’est son intérêt, renoncer à ses demandes en contrefaçon et simplement demander l’annulation d’une marque directement devant l’INPI, s’épargnant ainsi des coûts procéduraux plus élevés devant une juridiction judiciaire.

 

  • Les nouvelles règles d’intérêt à agir : qui peut agir ?

Les stratégies contentieuses seront également influencées par le fait nouveau que la demande principale en déchéance, passant des juridictions judiciaires à l’INPI, n’est plus soumise à intérêt à agir : le demandeur qui veut obtenir la déchéance d’une marque qu’il estime non utilisée par son titulaire ne devra plus, par exemple, prouver qu’il dispose d’un droit antérieur sur un signe identique ou similaire et pour des produits identiques ou similaires à ceux dont il demande la déchéance.

Hormis les actions fondées sur un motif absolu et les actions en déchéance, toutes les autres actions et demandes, qu’elles soient formées devant l’INPI ou devant un juge, impliquent la démonstration d’un intérêt à agir, y compris la demande reconventionnelle en déchéance, c’est-à-dire la réplique faite par un défendeur au titulaire d’une marque qui agit en contrefaçon devant un tribunal :

En d’autres termes, une partie qui veut obtenir l’annulation d’une marque, sans disposer d’un droit antérieur ou en visant l’annulation totale de la marque (c’est-à-dire pour des produits et services qu’elle n’exploite pas elle-même), pourra désormais la demander devant l’INPI.

 

  • Les moyens de défense : que peut faire le titulaire de la marque contestée ?

En défense, le titulaire de la marque contestée peut soulever plusieurs moyens :

Il peut tout d’abord contester l’intérêt à agir du demandeur, lorsque celui-ci peut être requis.

Il peut ensuite soulever la prescription (mais seulement dans le cas de l’invocation d’une marque antérieure notoire) ou la forclusion par tolérance dans le cadre des actions en nullité pour droit antérieur.

Il peut également demander à ce que l’action soit déclarée irrecevable :

  • En l’absence de caractère distinctif de la marque antérieure au moment du dépôt de la marque contestée, même s’il a été acquis postérieurement ;
  • En l’absence de renommée de la marque antérieure au moment du dépôt de la marque contestée, quand le fondement invoqué est la marque renommée, même si la renommée a été acquise postérieurement.

Cette irrecevabilité ne présente aucun caractère automatique mais doit être soulevée en défense par le titulaire de la marque contestée.

Enfin et surtout, il peut exiger du demandeur à la nullité d‘une marque pour motif relatif qu’il prouve qu’il a fait un usage sérieux de sa marque antérieure au cours des cinq années qui précèdent la demande en nullité. En outre, si la marque antérieure a été enregistrée depuis plus de cinq ans à la date de dépôt ou de priorité de la marque contestée, il devra également rapporter la preuve d’un usage de cette marque antérieure dans les cinq ans précédant le dépôt ou la date de priorité de la marque contestée.

Dans une telle hypothèse, donc, le demandeur peut être contraint de prouver un usage de sa marque antérieure au cours de deux périodes de référence différentes, pouvant parfois se confondre ou se chevaucher.

Par exemple, si le titulaire d’une marque enregistrée en 2002 demande, le 15 mai 2020, la nullité d’une marque déposée le 15 juin 2012, le titulaire de la marque antérieure devra prouver, sur demande du défendeur, l’usage sérieux de sa marque entre le 15 mai 2015 et le 15 mai 2020 et entre le 15 juin 2007 et le 15 juin 2012. Si le dépôt de la marque antérieure est intervenu beaucoup moins longtemps avant celui de la marque postérieure, la période pour laquelle l’usage doit être prouvé est réduite d’autant.

Dans le cas d’une marque postérieure déposée le 15 avril 2019 et d’une demande en nullité déposée le 15 mai 2020, les périodes se chevauchent puisque la première est située entre le 15 mai 2015 et le 15 mai 2020 et la seconde entre le 15 avril 2014 et le 15 avril 2019 : il en résulte, en pratique, une « période continue » entre le 15 avril 2014 et le 15 mai 2020 :

L’ensemble de ces moyens fera l’objet d’une réponse dans la décision finale de l’INPI.

 

 

 

2/ Comment cela se passe-t-il et combien de temps peuvent durer ces procédures ? 

Les règles procédurales applicables devant les juridictions judiciaires ne sont pas les mêmes que celles qui régissent les nouvelles actions ouvertes devant l’INPI. Elles devraient permettre un traitement plus rapide des procédures.

 

  • Introduction de l’action

L’action en nullité ou en déchéance devant l’INPI est initiée au moyen d’un formulaire en ligne identifiant :

  1. La marque contestée,
  2. Les droits antérieurs invoqués, dans le cas d’une demande de nullité pour motif relatif,
  3. L’identité de la partie demanderesse
  4. Et l’étendue de l’annulation demandée (tous les produits et services ou seulement certains d’entre eux).

Le demandeur doit joindre également la preuve du paiement de la redevance INPI dont le montant est de 600 euros (ce montant ne comprenant pas les honoraires de l’avocat ou du conseil en propriété industrielle), auxquels il faut éventuellement ajouter 150 euros par droit antérieur additionnel invoqué dans une action en annulation pour motif relatif. Aucun nouveau droit ne peut être invoqué postérieurement à l’introduction de l’action : il convient donc de bien réfléchir dès le début à la totalité des droits invocables. Il sera en revanche possible de retrancher certains de ces droits ainsi que certains des produits et services visés par la demande d’annulation, tout du long de la procédure.

Dans tous les cas, sauf celui de l’action en déchéance pour non-usage, pour lequel ce n’est pas obligatoire, le demandeur joint également des observations exposant les motifs de la demande d’annulation de tout ou partie de la marque (précisant par exemple en quoi la marque antérieure est similaire ou identique, quant à son signe et à ses produits et services, à la marque postérieure).

Enfin, l’action devant l’INPI ne peut être que soit une action en nullité soit une action en déchéance : il est impossible de cumuler les fondements au sein d’une seule et même action, alors que c’était possible jusque récemment devant les juridictions judiciaires, les plaideurs demandant indifféremment la nullité pour droits antérieurs et la déchéance pour non-usage, par exemple, et pas nécessairement l’une à titre subsidiaire de l’autre, sans que cela ne constitue une cause d’irrecevabilité.

Ce changement invite donc les demandeurs à concentrer leurs actions et à mieux définir leurs stratégies en amont, même si la réforme ne leur interdit pas de former deux actions parallèles sur deux fondements différents, d’autant plus que le coût de ces actions est très limité.

 

  • Déroulé de la procédure : la phase d’instruction

Une fois la demande envoyée, l’INPI dispose d’un mois pour examiner la recevabilité de l’action et pour notifier le titulaire de la marque contestée, ce qui déclenche une série de délais : un premier délai de deux mois pour que le titulaire communique ses premières observations en réponse, suivi de plusieurs délais d’un mois pour permettre aux parties d’échanger des observations écrites et des pièces, s’ils le souhaitent : deux jeux d’observations pour le demandeur et trois pour le titulaire, les dernières observations ne pouvant ni soulever de nouveaux moyens ni joindre de nouvelles preuves d’usage.

Si une des parties décide de ne pas ou ne plus faire usage de son droit de présenter des observations, la phase d’instruction peut se terminer rapidement – à cette réserve que le titulaire d’une marque dont la déchéance pour non-usage est demandée pourra toujours présenter deux jeux d’observations et de preuves d’usage, même en l’absence de réponse du demandeur.

À tout moment, chacune des parties, ou l’INPI lui-même, peut demander la tenue d’une audience orale qui interviendra à l’issue de la phase écrite.

Enfin, les parties peuvent suspendre à tout moment la procédure, d’un commun accord, pour trois périodes de quatre mois.

 

  • Décision et appel

La décision intervient dans les trois mois suivant la fin de la phase d’échanges entre les parties. L’absence de décision revient à une décision de rejet de l’action.

La procédure devant l’INPI peut donc théoriquement durer entre six mois et un an, si l’on imagine qu’aucune suspension n’est demandée.

La décision peut mettre à la charge de la partie perdante une partie ou la totalité des frais de la procédure, à la demande de la partie gagnante, mais seulement si l’action est totalement gagnée ou perdue : les frais demeurent à la charge de chacune des parties si, par exemple, la décision annule seulement une partie des produits et services visés par le demandeur.

En l’absence d’appel, la décision rendue par l’INPI est exécutoire. Si la marque est annulée en raison du droit antérieur du demandeur, l’annulation est rétroactive et prend effet à la date de son dépôt : elle est réputée n’avoir jamais existé.

L’annulation rétroactive a un effet sur les tiers (un effet « erga omnes ») : par exemple, si une action en contrefaçon a été initiée antérieurement par le titulaire de la marque annulée contre un tiers, l’action peut devenir sans objet.

A l’inverse, la déchéance prend effet à la date de la demande ou, sur requête du demandeur, à la date à laquelle est survenu le motif de déchéance.

 

  • La procédure d’appel

Une fois la décision rendue, les parties ont un mois (hors délais augmentés pour les DROM-COM et les parties résidant à l’étranger) pour faire appel devant celle des dix cours d’appel spécialisées qui est territorialement compétente, à savoir celle correspondant au domicile de la personne qui forme le recours (ou devant la cour d’appel de Paris pour les appelants résidant à l’étranger). La représentation par avocat y est obligatoire.

Contrairement aux appels contre les décisions relatives aux procédures d’opposition, celui contre les décisions relatives aux procédures en annulation est dévolutif : il est possible pour les parties de fournir de nouvelles pièces (y compris des preuves d’usage) et de soulever de nouveaux moyens.

La procédure d’appel en elle-même observe les délais habituels et la décision définitive devrait pouvoir être rendue environ un an après la saisine de la cour. La procédure d’appel durera donc davantage que la procédure devant l’INPI.

La voie du pourvoi en cassation est bien sûr ouverte, y compris au directeur de l’INPI, contre l’arrêt d’appel.

 

  • Au lieu de faire appel, est-il possible de redemander la même chose à l’INPI ?

Dans le cas où une marque aurait été validée à la suite d’une action en annulation, cette marque ne devient pas pour autant incontestable.

La règle est la suivante : lorsqu’une action en annulation est introduite 1° entre les mêmes parties ayant la même qualité, 2° avec le même objet et la même cause et 3° lorsqu’une décision définitive a déjà été rendue soit par l’INPI soit par une juridiction judiciaire, alors l’action est irrecevable (c’est le principe de l’autorité de la chose jugée).

A contrario de cette règle, il semble donc théoriquement possible, après une décision définitive validant une marque dont la nullité était demandée sur le fondement d’une marque antérieure, de former une nouvelle action en nullité sur le fondement d’un autre droit, par exemple, un nom de domaine, ou de former une action en déchéance pour non-usage ou pour perte du caractère distinctif.

De même, une action en déchéance ayant donné lieu à une décision de maintien de la marque contestée n’empêche pas de former une nouvelle action en déchéance ultérieurement, puisque la période de référence au cours de laquelle le titulaire doit avoir utilisé la marque ne sera pas la même et qu’il reste possible de déchoir de ses droits le titulaire qui a, par le passé, utilisé sa marque mais ne l’utilise plus.

Bien d’autres situations complexes pourront se produire et créer des difficultés dans le cadre de ces nouvelles actions.

 

En résumé, voici les avantages de ces nouvelles actions ouvertes depuis le 1er avril 2020 :

  • Le coût de l’introduction d’une action en annulation ou en déchéance est de seulement 600 euros hors honoraires d’avocat ou de CPI et, dans le cas de l’action en déchéance, il n’est même pas obligatoire de fournir des mémoires argumentatifs, ce qui diminue d’autant plus les coûts procéduraux ;
  • L’action en nullité, même pour motif relatif, est devenue imprescriptible depuis l’entrée en vigueur de la loi PACTE (sauf si le titulaire de la marque postérieure peut démontrer que le demandeur en a toléré l’usage de bonne foi pendant cinq ans) ;
  • L’action en déchéance et l’action en nullité pour motif absolu peuvent être introduites devant l’INPI par n’importe qui, même sans intérêt à agir ;
  • Les actions en nullité introduites devant l’INPI sont encadrées dans des délais relativement courts, les demandeurs pouvant ainsi obtenir une décision bien plus rapidement que devant les tribunaux ;
  • L’action en nullité pour atteinte à un droit antérieur peut être perçue comme une seconde chance pour les titulaires antérieurs qui n’auraient pas engagé de procédure d’opposition, dès lors que les coûts et modalités de ces deux procédures sont désormais très similaires.

TAoMA Partners, cabinet d’avocats et de conseils en propriété industrielle, est à votre disposition si vous souhaitez en savoir davantage ou profiter de ces nouvelles opportunités.

 

Malaurie Pantalacci
Conseil en propriété industrielle, Associée

Jérémie Leroy-Ringuet
Avocat à la cour

 

Remerciements à Blandine Lemoine, juriste et à Jean-Charles Nicollet, Conseil en propriété industrielle, Responsable du Pôle juridique CPI, pour leur aide à la préparation de cet article.