08
août
2023
Cession de droits de propriété intellectuelle : si c’est gratuit, c’est notarié
Author:
teamtaomanews
Les droits de propriété intellectuelle peuvent faire l’objet d’une cession par contrat, que ce soit à titre onéreux ou bien à titre gratuit.
Après s’être prononcé en 2022 sur la cession d’une marque à titre gratuit (dont vous pouvez retrouver la news de TAoMA ici) [1], le Tribunal judiciaire de Paris semble confirmer son approche dans une ordonnance de référé rendue le 12 avril 2023 [2], s’agissant cette fois-ci de droits d’auteur.
Guerre et PI
Le demandeur est un ancien militaire de l’armée russe, qui a participé à l’invasion de l’Ukraine. Après avoir été blessé sur le front puis rapatrié en Russie, il a diffusé sur le réseau social VKontakte son témoignage intitulé « ZOV », qui signifie « l’appel ». Ce terme a notamment été peint sur des chars russes lors de l’invasion.
Ayant dû fuir la Russie pour la France, il a décidé de céder à titre gratuit et par acte sous seing privé ses droits d’auteur sur son manifeste à une association, en septembre 2022.
Cette association a elle-même conclu un contrat de cession de droits d’auteur avec la société d’édition Albin Michel, pour la publication de l’œuvre en format imprimé et électronique. Conformément à ce contrat, un livre intitulé « ZOV : L’homme qui a dit non à la guerre » a été publié en novembre 2022 en France.
L’association et la société d’édition ont alors été assignées devant le Tribunal judiciaire de Paris par l’ex militaire. Elles ont ensuite été assignées en référé pour que soit réalisé le placement sous séquestre conservatoire des recettes générées par l’ouvrage, dans l’attente du rendu d’une décision au fond.
Le sort de la cession gracieuse de droits de propriété intellectuelle à nouveau face aux juges
Rappelant les dispositions de l’article 931 du code civil (prévoyant que « tous actes portant donation entre vifs seront passés devant notaires dans la forme ordinaire des contrats ; et il en restera minute, sous peine de nullité »), le juge des référés a constaté que le contrat conclu entre l’ex militaire et l’association emporte « explicitement cession « gratuite » de droits d’auteurs », et qu’il est « donc possible que cet acte conclu sous seing privé soit nul ».
Le juge des référés ne peut rendre une décision sur le fond de l’affaire mais uniquement sur des mesures provisoires. Ainsi, il ne fait ici que « supposer » la nullité de l’acte laissant au juge du fond trancher la question.
Le séquestre provisoire des recettes issues du livre a en conséquence été ordonné, dans l’attente d’une décision au fond. Les juges du fond devraient, selon toute vraisemblance, prononcer la nullité de la cession des droits d’auteur à titre gratuit, qui aurait dû être réalisée par acte notarié pour pouvoir être valide.
Il est ainsi rappelé que la propriété intellectuelle, tant s’agissant de cession gracieuse de marque que de droit d’auteur, ne déroge pas aux règles du droit commun de la donation entre vifs.
La cession à titre gratuit de droits de propriété intellectuelle est juridiquement considérée comme une donation et doit être passée devant notaire, sous peine de nullité.
Cette solution réitérée semble sceller le sort de cette pratique répandue, notamment pour les cessions de marque.
Arthur Burger
Stagiaire juriste
Jean-Charles Nicollet
Associé – Conseil en Propriété Industrielle
[1] Tribunal judiciaire de Paris, 3e ch, 8 février 2022, n° 19/14142
[2] Tribunal judiciaire de Paris, 12 avril 2023, n° 23/50949
14
avril
2022
Prudence, la cession d’une marque à titre gratuit équivaut à une donation !
Author:
admingih092115
Le titulaire d’une marque a la faculté de transférer tout ou partie des droits qu’il détient sur celle-ci à un tiers, à travers la conclusion d’un contrat de cession. La cession peut être conclue à titre onéreux ou bien à titre gratuit.
Le jugement du tribunal judiciaire de Paris rendu le 8 février 2022[1] alerte les cocontractants sur les risques liés à une cession d’une marque à titre gratuit, très courante en pratique.
Dans cette affaire, deux associés ont déposé conjointement une marque de l’Union européenne ainsi que des dessins et modèles communautaires pour commercialiser des antennes. À la suite de la liquidation de leur société, l’un des deux titulaires a créé une nouvelle société, à qui il a cédé à titre gratuit ses droits sur la marque et les dessins et modèles, sans obtenir le consentement de son-ex associé.
Le co-titulaire des droits cédés l’a immédiatement assigné en nullité du contrat de cession, au motif que ce contrat, considéré comme une donation, aurait dû être constaté par acte notarié.
Le tribunal fonde sa décision sur l’article 931 du Code civil, qui prévoit que toutes les donations entre vifs (y inclus les personnes morales[2]) doivent être passées devant notaire, sous peine de nullité.
Il rappelle que le Code de la propriété intellectuelle ne déroge pas à ce formalisme et donc qu’en l’absence d’un droit spécial, il convient de prononcer la nullité du contrat de cession de marque et de modèle, qui n’avait pas été constaté par acte notarié.
Ainsi, la cession d’une marque à titre gratuit est considérée juridiquement comme une donation qui doit être passée devant notaire, sous peine de nullité.
Quelles sont les conséquences d’une telle annulation ?
Le contrat est considéré comme n’ayant jamais existé, de sorte que les parties doivent être remises dans l’état dans lequel elles se trouvaient avant sa conclusion[3].
Quelles sont les conséquences d’une qualification de la cession en donation ?
Qualifiée de donation, la cession de droits de marque à titre gratuit implique le paiement de droits de mutation dans les conditions de droit commun. Toutefois, l’exigibilité de ces droits varie en fonction du mode d’exploitation de la marque[4].
Dans l’hypothèse où la cession n’aurait pas été constatée par un acte notarié, la prudence est de mise, dans la mesure où cette situation peut entraîner des conséquences fiscales importantes de la part de l’administration (tel qu’un redressement fiscal).
Comment échapper au régime fiscal des donations ?
Afin d’éviter la constatation de la cession par un notaire et le paiement de droits de mutation, il est fréquent que le prix de cession soit fixé à un montant symbolique (par exemple d’un euro)[5].
Toutefois, l’administration peut considérer que la cession à un tel prix constitue un acte anormal de gestion dans le cas où la marque aurait été sous-évaluée, et requalifier l’acte en contrat à titre gratuit[6].
***
L’argument fondé sur l’irrespect de l’article 931 du code civil avait déjà été tenté par le passé[7] mais sans que les juridictions saisies n’aient à l’examiner, en présence d’irrecevabilités ou d’autres obstacles rendant inutile son examen. Le jugement du 8 février 2022 est donc particulièrement observé par les praticiens.
Pour l’heure, il semblerait qu’aucun appel n’a été formé à l’encontre de cette décision. Si la procédure en restait là ou si la solution du tribunal judiciaire était confirmée en appel, elle pourrait avoir des répercussions importantes pour la pratique, d’autant plus qu’elle s’applique à tous les droits de propriété intellectuelle.
Lire la décision sur Legalis
Margaux Maarek
Stagiaire
Jérémie Leroy-Ringuet
Avocate à la cour
[1] TJ Paris, 3e ch. 8 févr. 2022, n° 19/14142
[2] Cass. com., 7 mai 2019, n° 17-15621
[3] Cass. 1e civ. 16 juill. 1998 n° 96-18404 ; Cass. 3e civ. 2 oct. 2002 n° 01-02924
[4] Répertoire IP/IT et communication, propriété industrielle, régime fiscal, fiscalité des cessions de droits de propriété industrielle, Emmanuel CRUVELIER – Mise à jour décembre 2021.
[5] Fiche pratique n° 542 – Rédiger un contrat de cession de marque, Arnaud FOLLIARD-MONGUIRAL, Lexis 360, Mise à jour le 29 avril 2021
[6] Voir par exemple cour d’appel de Douai, 29 mars 2018, RG n° 17/00192 (pourvoi rejeté)
[7] Notamment, cour d’appel de Paris, 21 mai 1976, n° INPI B19760129 ; 29 janvier 2010, RG n° 08/21549
01
février
2022
La preuve par constat d’achat, oui ! Mais qui peut procéder à l’achat?
Author:
teamtaomanews
Dans notre newsletter du 12 janvier 2021, nous avions rappelé l’importance de la date choisie pour établir les constats d’huissier, lesquels permettent avant tout procès de démontrer la commercialisation d’un produit contrefaisant dans une boutique ou sur un site en ligne.
S’il est fréquent qu’un constat d’huissier soit fourni aux débats, il convient toutefois de s’interroger sur les liens éventuels de dépendance entre la personne qui assiste l’huissier de justice et le requérant.
En effet, dans un arrêt du 16 décembre 2021, la deuxième chambre civile de la Cour d’appel de Douai a rappelé les exigences d’indépendance entre le requérant et le tiers acheteur qui assiste l’huissier instrumentaire.
A l’origine de ce litige, une demande reconventionnelle en concurrence déloyale initiée par la société Vaillant contre la société Cartospé pour des actes de concurrence déloyale commis à son encontre et consistant à ne pas avoir respecté les normes relatives aux emballages.
Au soutien de sa demande, la société Vaillant a fourni un constat d’achat de deux lots de 10 emballages de la société Cartospé, effectué sur le site Internet de cette dernière et établi par huissier de justice à Paris en 2014.
Or, comme l’a relevé la Cour d’appel de Douai, il résulte du procès-verbal de l’huissier instrumentaire que la personne qui a procédé à l’achat de cartons est Mme X., alors élève-avocat du cabinet Linklaters lui-même avocat de la société Vaillant, requérante, laquelle n’a pas fait pas état de cette qualité lors de l’achat mais a au contraire, fait état de l’adresse d’une société de gestion immobilière située 32 rue de Malte à Paris 70011 ainsi que d’une adresse Gmail personnelle et non pas des coordonnées du cabinet Linklaters étant ajouté que l’huissier constatant ne mentionne pas plus la qualité de Mme X. Il en résulte que le constat d’achat du 26 mai 2014 n’a pas été réalisé par une personne indépendante de la partie requérante et doit être annulé de même que les actes subséquents des 13 et 26 juin 2014[1].
Rappelons que si l’huissier de justice se borne le plus souvent à constater l’achat de l’article litigieux par un tiers acheteur, ce dernier doit toutefois être indépendant de la partie requérante.
Cette condition d’indépendance a notamment été rappelée par la Cour de Cassation dans un arrêt du 25 janvier 2017[2].
A la lumière de l’article 6§1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et de l’article 9 du code de procédure civile, la Cour a rappelé que le droit à un procès équitable (…) commande que la personne qui assiste l’huissier instrumentaire lors de l’établissement d’un procès-verbal de constat soit indépendante de la partie requérante.
Ce nouvel arrêt vient renforcer les exigences d’indépendance entre le tiers acheteur et le requérant, démontrant de nouveau la grande sévérité des juges en matière de constats d’huissier.
Ainsi, si l’utilité des constats d’huissier n’est plus à démontrer en raison de leur force probante reconnue par les tribunaux, il convient toutefois d’être particulièrement vigilant sur le choix du tiers acheteur, sous peine de rejet de ce mode de preuve par les juridictions.
Gaëlle Bermejo
Juriste
[1] Cour d’appel de Douai, ch. 2 – sec. 1, arrêt du 16 décembre 2021 – Cartospé-Packaging / Cartonnage Vaillant & Astra Inks (arrêt)
[2] Cour de cassation, arrêt du 25 janvier 2017, pourvoi n° 15-25.210
27
juillet
2021
Mauvaise foi, donc mauvaise pioche pour MONOPOLY : nullité du dépôt à l’identique pour contourner l’obligation de prouver l’usage
Author:
jeremie
La société Hasbro est titulaire de la marque de l’Union européenne MONOPOLY au titre de laquelle elle a effectué plusieurs dépôts enregistrés en 1998, 2009 et 2010. En avril 2010, Hasbro a opéré une nouvelle demande de marque enregistrée en 2011 en classes 9, 16, 28 et 41 qui couvraient des produits et services en partie identiques à la demande de 2010.
Cette dernière marque a été attaquée en nullité par une société croate sur le fondement de l’article 52, paragraphe 1 sous b) du règlement n° 207/2009 alors applicable, en vertu duquel la nullité est déclarée lorsque le demandeur était de mauvaise foi au moment du dépôt.
Pour rappel, la cause de nullité basée sur la mauvaise foi s’applique « lorsqu’il ressort d’indices pertinents et concordants que le titulaire d’une marque de l’Union européenne a introduit la demande d’enregistrement de cette marque non pas dans le but de participer de manière loyale au jeu de la concurrence, mais avec l’intention de porter atteinte, d’une manière non conforme aux usages honnêtes, aux intérêts de tiers, ou avec l’intention d’obtenir, sans même viser un tiers en particulier, un droit exclusif à des fins autres que celle relevant des fonctions d’une marque, notamment de la fonction essentielle d’indication d’origine » (point 33).
Cette notion de mauvaise foi implique une motivation subjective de la personne présentant une demande d’enregistrement de marque, à savoir une intention malhonnête ou un autre motif dommageable qui suggère un comportement s’écartant des principes éthiques ou des usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale.
En résumé, cette intention du demandeur, au moment pertinent pour l’apprécier qui est celui du dépôt, est un élément subjectif qui doit être déterminé par référence aux circonstances objectives du cas d’espèce.
Concernant la charge de la preuve, la cour rappelle que « c’est au demandeur en nullité qui entend se fonder sur ce motif de nullité qu’est la mauvaise foi qu’il incombe d’établir les circonstances qui permettent de conclure que la demande d’enregistrement a été déposée de mauvaise foi, la bonne foi du déposant étant présumée jusqu’à preuve du contraire » (point 42). Cependant, lorsque l’EUIPO constate que les circonstances objectives du cas d’espèce invoquées par la demande en nullité sont susceptibles de conduire au renversement de la présomption de bonne foi du déposant, alors il appartient à ce dernier de fournir des explications plausibles concernant les objectifs et la logique commerciale poursuivis par la demande d’enregistrement en question (point 43).
La société requérante considérait que la demande était un dépôt réitéré des marques précédentes dans le but de contourner l’obligation de prouver l’usage réel de ces marques.
En effet, en vertu du droit européen des marques, il n’est pas nécessaire de prouver l’usage ou l’intention d’usage au moment du dépôt. Une fois la marque enregistrée, un délai de grâce de cinq ans est prévu avant que les propriétaires de marques ne soient tenus de prouver l’usage sérieux de leurs marques.
Devant l’EUIPO, Hasbro avait admis que l’un des avantages justifiant le dépôt de la marque contestée reposait sur le fait de ne pas avoir à apporter la preuve de l’usage sérieux de cette marque dans le cadre d’une procédure d’opposition.
De ce fait, la Chambre des Recours de l’EUIPO avait considéré que les éléments de preuve recueillis étaient de nature à démontrer que, pour les produits et les services couverts par la marque contestée qui étaient identiques aux produits et aux services couverts par les marques préalablement enregistrées, la requérante avait été de mauvaise foi lors du dépôt de la demande d’enregistrement de la marque contestée.
Cette analyse est confirmée dans son intégralité par le TUE dans sa décision du 21 avril 2021 (TUE, n° T-663/19, Arrêt du Tribunal, Hasbro, Inc. contre Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle, 21 avril 2021). Selon le Tribunal de l’Union européenne, le raisonnement suivi par l’EUIPO fait apparaître sans ambiguïté que c’est non pas le fait de réitérer le dépôt d’une marque de l’Union européenne qui a été considéré comme étant révélateur de la mauvaise foi, mais le fait que les éléments de l’espèce démontraient que cette dernière avait pour objectif de contourner une règle fondamentale du droit des marques de l’Union européenne, concernant la preuve de l’usage, pour en tirer profit au détriment de l’équilibre du régime.
Le TUE décide en tout état de cause que la marque contestée doit être annulée pour tous les produits et services identiques à ceux couverts par les marques antérieures.
Cet arrêt permet donc de rassurer les titulaires de marques européennes dans la mesure où il indique clairement que la réitération d’un dépôt de marques n’est pas interdite en soi, mais que la motivation du nouveau dépôt sera examinée à la loupe pour y déceler des preuves de mauvaise foi.
Lire la décision en ligne sur Eur-Lex
Jérémie LEROY-RINGUET
Avocat à la cour
Dorian SOUQUET
Stagiaire – Pôle CPI
05
juillet
2021
Le dernier Gang Bang à Paris
Plus question de Gang Bang à Paris pour l’INPI !
En effet, l’INPI a décidé le 10 novembre 2020 que la marque française déposée le 16 septembre 2011 sous le nom « GANG BANG A PARIS » était contraire à l’ordre public et aux bonnes mœurs.
Cette décision a pour particularité d’être l’une des toutes premières rendues par l’INPI en matière de nullité de marques depuis l’entrée en vigueur, le 1er avril 2020, de l’ordonnance du 13 novembre 2019.
L’affaire débute le 25 mai 2020, lorsqu’une société dépose une demande d’annulation de la marque « GANG BANG A PARIS ». La marque en question avait été enregistrée en 2012 pour des produits et services des classes 25, 35 et 41. Autrement dit, pour des produits vestimentaires, des services de publicité, de formation ou encore de divertissement. Rien à voir donc avec le registre pornographique.
La demande devant l’INPI s’articule autour de deux motifs :
Le fait que le signe soit contraire à l’ordre public ou que son usage soit légalement interdit
La nature trompeuse du signe vis-à-vis du public en raison de la présence des termes « A PARIS »
Il faut évacuer sur le champ la question du caractère trompeur de la marque, car il ne fait aucun doute que les produits et services proposés n’ont pas vocation à se prétendre d’origine parisienne. L’INPI ne s’y est pas trompé, et déclare que l’expression « A PARIS » au sein de la marque contestée « GANG BANG A PARIS » ne peut être appréhendé par le public « que comme une référence au lieu de réalisation de ce gang bang et non comme une indication quant à la provenance géographique des produits et services couverts par la marque ».
S’agissant en revanche de l’atteinte à l’ordre public et aux bonnes mœurs, l’INPI développe son raisonnement en définissant tout d’abord la notion d’ordre public et de bonnes mœurs. Celle-ci s’entend des « valeurs et normes sociales auxquelles la société adhère et qui visent à réguler les comportements susceptibles de contrevenir à l’ensemble des règles imposées tant par la législation que par la morale sociale ». Est comprise dans cette notion le respect des lois pénales réprimant les comportements discriminants, ainsi que les atteintes et offenses portées aux personnes, à leur dignité, honneur et considération.
Or, c’est bien là le cœur du problème ! Car le terme « GANG BANG » désigne une pratique sexuelle utilisée dans le milieu de la pornographie. Le terme nous vient des États Unis, et désignait au départ l’assassinat ou le passage à tabac d’un homme seul par les membres d’un gang adverse. L’image d’agresseurs en surnombre face à une victime isolée a été conservée lors du basculement du terme dans le lexique pornographique. S’il ne s’agit que d’une mise en scène sexuelle entre adultes consentants dans la sphère du X, le terme de « GANG BANG » désigne aussi un viol collectif.
L’INPI voit dans ce terme « une image violente et dégradante », mais cela ne suffit pas à annuler une marque sur le fondement de l’ordre public et des bonnes mœurs, encore faut-il cerner le public pertinent. A savoir, non seulement le public directement visé par les produits et services de la marque, mais également le public indirect, celui qui sera confronté au signe de manière incidente dans sa vie quotidienne, par exemple lors de campagnes publicitaires ou à l’occasion de la présentation de la marque dans des lieux de vente. Le public pertinent est par ailleurs constitué de personnes raisonnables, ayant un seuil moyen de sensibilité : ni jamais choqué, ni choqué pour un rien.
C’est là où le bât blesse, car le public pertinent de « GANG BANG A PARIS » est très large. Il est notamment constitué de mineurs susceptibles de chercher à comprendre le sens du nom de la marque qu’ils auront, par exemple, pu observer sur des vêtements. L’accès du jeune public à la marque est en outre contraire aux dispositions de l’article 227-24 du code pénal consacré à la mise en péril des mineurs.
L’INPI juge ainsi la marque contraire à l’ordre public et aux bonnes mœurs et en prononce la nullité, signant par là même le dernier Gang Bang à Paris.
Un point peut cependant prêter à interrogation. Étant donné que ces nouvelles demandes en nullité sur un motif absolu sont susceptibles d’être formées par toute personne, à tout moment…
Quid d’anciennes marques vestimentaires aux noms provocateurs ?
A l’instar de « la vie la pute », ou encore d’« à poil les salopes ! », marques de vêtements déposées respectivement en 2015 et 2011.
On peut se demander si les nouvelles compétences de l’INPI n’ont pas vocation, pour des marques déposées antérieurement à l’ordonnance de 2019, à créer une insécurité juridique dépendante de l’activisme des demandeurs.
Anne-Cécile Pasquet
Auditrice de justice
Baptiste Kuentzmann
Juriste
12
octobre
2020
Pas de marque pour Banksy!
Author:
teamtaomanews
« FLOWER THROWER » (Le lanceur de fleur) du célèbre artiste anonyme Banksy est sans doute l’une de ses œuvres les plus connues. Cette œuvre, qui avait été protégée à titre de marque auprès de l’Office de l’Union Européenne pour la Propriété Intellectuelle (EUIPO) vient d’être déclarée nulle sur le fondement de la mauvaise foi.
En effet, en 2014, la société Pest Control Office Limited, venant aux droits de l’artiste Banksy afin de masquer sa véritable identité, avait procédé au dépôt de la marque figurative du célèbre graffiti « FLOWER THROWER » pour divers produits et services, dont notamment les vêtements, les activités culturelles… :
(Marque de l’Union Européenne No. 12575155)
En 2019, la société britannique Full Color Black Limited, qui est spécialisée dans la fabrication de cartes de vœux et qui souhaitait utiliser l’œuvre pour ses produits, a introduit auprès de l’EUIPO une action en nullité contre cette marque sur le fondement de la mauvaise foi.
Pour rappel, le Règlement sur la marque de l’Union Européenne prévoit que la nullité d’une marque de l’Union européenne peut être déclarée, notamment, « lorsque le demandeur était de mauvaise foi lors du dépôt de la demande de marque » [1]. Selon la jurisprudence de l’Union Européenne, la mauvaise foi s’applique lorsqu’il « ressort d’indices pertinents et concordants que le titulaire d’une marque de l’Union Européenne a introduit la demande d’enregistrement de cette marque non pas dans le but de participer de manière loyale au jeu de la concurrence mais avec l’intention de porter atteinte, d’une manière non conforme aux usages honnêtes, aux intérêts de tiers, ou avec l’intention d’obtenir, sans même viser un tiers en particulier, un droit exclusif à des fins autres que celles relevant des fonctions d’une marque, notamment de la fonction essentielle d’indication d’origine » [2].
Or, en l’espèce, la société britannique Full Color Black Limited considérait que le dépôt de la marque reproduisant l’œuvre « FLOWER THROWER » avait été déposée de mauvaise foi dans la mesure où Banksy n’avait aucunement l’intention de l’utiliser en tant qu’indication d’origine des produits et services visés, mais pour contourner son incapacité à se prévaloir d’un autre droit de propriété intellectuelle, le droit d’auteur notamment, en raison de son anonymat.
En réponse, Banksy arguait notamment que le signe litigieux avait fait l’objet d’un commencement d’exploitation pour les produits en cause en 2019, via l’ouverture d’une boutique en ligne, bien que selon ses propres mots, rapportés dans un certain nombre de publications, une telle exploitation avait été réalisée dans le seul but de contourner l’obligation d’usage à laquelle était soumise sa marque de l’Union européenne.
Par décision du 14 septembre 2020, la Division de l’Annulation de l’EUIPO a reconnu que le dépôt de la marque reproduisant l’œuvre « FLOWER THROWER » avait été effectué de mauvaise foi et l’a, en conséquence, déclarée nulle.
Pour arriver à cette conclusion, l’EUIPO s’est notamment fondée sur deux éléments :
Banksy n’a, lors du dépôt, eu aucunement l’intention d’utiliser la marque en cause pour les produits et services visés. Les seuls usages identifiés ont été réalisés qu’une fois la procédure d’annulation initiée et ce, dans le but de contourner les exigences du droit des marques ;
Banksy, du fait de son anonymat, mais également d’autres circonstances indépendantes au droit des marques, ne peut valablement prétendre à la protection par le droit d’auteur. Le dépôt de la marque en cause a été réalisé avec pour seul objectif de s’approprier des droits sur un signe pour lequel Banksy ne pouvait se prévaloir des droits d’auteur.
Cette décision, tout en reprécisant la notion de « mauvaise foi » en matière de marque, vient donc rappeler qu’il est impératif d’avoir l’intention de faire usage de sa marque pour les produits et services visés et ce, conformément à la fonction d’indication d’origine.
Or, tel n’était pas le cas concernant la marque reproduisant l’œuvre « FLOWER THROWER » et, fort probablement, pour les autres marques déposées par la société liées à Banksy reproduisant ses autres œuvres, dont la plus célèbre n’est autre que « GIRL WITH BALLON » (Petite fille au ballon). Cette décision pourrait donc avoir de très lourdes conséquences sur les droits de Banksy sur ses œuvres.
Baptiste Kuentzmann
Juriste
[1] Article 59(1)(b) du Règlement (UE) 2017/1001 sur la marque de l’Union européenne « 1. La nullité de la marque de l’Union européenne est déclarée, sur demande présentée auprès de l’Office ou sur demande reconventionnelle dans une action en contrefaçon : b) lorsque le demandeur était de mauvaise foi lors du dépôt de la demande de marque »
[2] Cour de Justice de l’Union Européenne, affaire C-104/18 P, STYLO & KOTON (fig.), §46
23
avril
2020
Marques : de nouvelles actions disponibles devant l’INPI
Author:
teamtaomanews
Le droit des marques vient de connaître, sous l’impulsion du droit de l’Union européenne (UE), une réforme fondamentale dont le but est d’harmoniser les différents droits nationaux des Etats membres. Un des effets essentiels de l’entrée en vigueur de l’ordonnance n°2019-1169 du 13 novembre 2019 est que, depuis le 1er avril 2020, les procédures en annulation de marques françaises ou d’extensions françaises de marques internationales ont été considérablement simplifiées et rendues bien moins onéreuses.
Ces procédures sont celles en nullité pour motifs relatifs, notamment pour atteinte à un droit antérieur (le demandeur considère qu’il était le premier à « occuper le terrain »), ou pour motifs absolus (la marque est invalide, en soi, car descriptive ou contraire à l’ordre public) et celles en déchéance, notamment lorsque le titulaire n’utilise pas sa marque ou qu’elle est devenue le terme usuel pour désigner le produit (par exemple, la marque « Escalator » pour des escaliers mécaniques) :
Alors qu’auparavant les tribunaux judiciaires avaient compétence exclusive pour traiter ces demandes, avec pour conséquence l’application des règles du code de procédure civile et la représentation obligatoire par avocat, cette compétence est désormais partagée avec l’Institut national de la Propriété industrielle (INPI).
Cet article a pour objectif de présenter les nouvelles règles et les avantages de cette réforme.
1/ Où cela se passe-t-il, désormais, et que peut-on faire de nouveau ?
La réforme a transféré des compétences des juridictions judiciaires vers l’INPI, et a supprimé l’exigence d’intérêt à agir pour certaines actions, accroissant ainsi les possibilités d’obtenir la radiation d’une marque des registres. Parallèlement, la réforme octroie de nouvelles possibilités de défense au titulaire de la marque contestée contre l’auteur de la demande de nullité.
Les nouvelles règles de compétence : où agir ?
Les actions en déchéance pour non-usage, qui permettent d’obtenir la radiation des registres d’une marque enregistrée mais non utilisée par son titulaire, peuvent désormais être formées directement devant l’INPI alors qu’auparavant, elles ne pouvaient être engagées que devant celui des dix tribunaux compétents en matière de marques nationales correspondant au domicile du titulaire de la marque.
Il en va de même pour les actions en annulation pour motif relatif ou pour motif absolu.
Le tableau ci-après récapitule les nouvelles règles de compétence et celles restant inchangées :
Ces nouvelles règles de compétence pourront donner lieu à des stratégies contentieuses et des choix d’opportunité : si la compétence d’un tribunal judiciaire est recherchée, elle peut être obtenue en ajoutant dans l’assignation des demandes relatives à la contrefaçon ou bien en ajoutant au fondement de la marque antérieure celui d’un autre droit d’auteur antérieur : dans ce cas, la compétence judiciaire l’emporte sur la compétence de l’INPI.
Inversement, une partie qui souhaiterait faire des économies pourrait, si elle estime que c’est son intérêt, renoncer à ses demandes en contrefaçon et simplement demander l’annulation d’une marque directement devant l’INPI, s’épargnant ainsi des coûts procéduraux plus élevés devant une juridiction judiciaire.
Les nouvelles règles d’intérêt à agir : qui peut agir ?
Les stratégies contentieuses seront également influencées par le fait nouveau que la demande principale en déchéance, passant des juridictions judiciaires à l’INPI, n’est plus soumise à intérêt à agir : le demandeur qui veut obtenir la déchéance d’une marque qu’il estime non utilisée par son titulaire ne devra plus, par exemple, prouver qu’il dispose d’un droit antérieur sur un signe identique ou similaire et pour des produits identiques ou similaires à ceux dont il demande la déchéance.
Hormis les actions fondées sur un motif absolu et les actions en déchéance, toutes les autres actions et demandes, qu’elles soient formées devant l’INPI ou devant un juge, impliquent la démonstration d’un intérêt à agir, y compris la demande reconventionnelle en déchéance, c’est-à-dire la réplique faite par un défendeur au titulaire d’une marque qui agit en contrefaçon devant un tribunal :
En d’autres termes, une partie qui veut obtenir l’annulation d’une marque, sans disposer d’un droit antérieur ou en visant l’annulation totale de la marque (c’est-à-dire pour des produits et services qu’elle n’exploite pas elle-même), pourra désormais la demander devant l’INPI.
Les moyens de défense : que peut faire le titulaire de la marque contestée ?
En défense, le titulaire de la marque contestée peut soulever plusieurs moyens :
Il peut tout d’abord contester l’intérêt à agir du demandeur, lorsque celui-ci peut être requis.
Il peut ensuite soulever la prescription (mais seulement dans le cas de l’invocation d’une marque antérieure notoire) ou la forclusion par tolérance dans le cadre des actions en nullité pour droit antérieur.
Il peut également demander à ce que l’action soit déclarée irrecevable :
En l’absence de caractère distinctif de la marque antérieure au moment du dépôt de la marque contestée, même s’il a été acquis postérieurement ;
En l’absence de renommée de la marque antérieure au moment du dépôt de la marque contestée, quand le fondement invoqué est la marque renommée, même si la renommée a été acquise postérieurement.
Cette irrecevabilité ne présente aucun caractère automatique mais doit être soulevée en défense par le titulaire de la marque contestée.
Enfin et surtout, il peut exiger du demandeur à la nullité d‘une marque pour motif relatif qu’il prouve qu’il a fait un usage sérieux de sa marque antérieure au cours des cinq années qui précèdent la demande en nullité. En outre, si la marque antérieure a été enregistrée depuis plus de cinq ans à la date de dépôt ou de priorité de la marque contestée, il devra également rapporter la preuve d’un usage de cette marque antérieure dans les cinq ans précédant le dépôt ou la date de priorité de la marque contestée.
Dans une telle hypothèse, donc, le demandeur peut être contraint de prouver un usage de sa marque antérieure au cours de deux périodes de référence différentes, pouvant parfois se confondre ou se chevaucher.
Par exemple, si le titulaire d’une marque enregistrée en 2002 demande, le 15 mai 2020, la nullité d’une marque déposée le 15 juin 2012, le titulaire de la marque antérieure devra prouver, sur demande du défendeur, l’usage sérieux de sa marque entre le 15 mai 2015 et le 15 mai 2020 et entre le 15 juin 2007 et le 15 juin 2012. Si le dépôt de la marque antérieure est intervenu beaucoup moins longtemps avant celui de la marque postérieure, la période pour laquelle l’usage doit être prouvé est réduite d’autant.
Dans le cas d’une marque postérieure déposée le 15 avril 2019 et d’une demande en nullité déposée le 15 mai 2020, les périodes se chevauchent puisque la première est située entre le 15 mai 2015 et le 15 mai 2020 et la seconde entre le 15 avril 2014 et le 15 avril 2019 : il en résulte, en pratique, une « période continue » entre le 15 avril 2014 et le 15 mai 2020 :
L’ensemble de ces moyens fera l’objet d’une réponse dans la décision finale de l’INPI.
2/ Comment cela se passe-t-il et combien de temps peuvent durer ces procédures ?
Les règles procédurales applicables devant les juridictions judiciaires ne sont pas les mêmes que celles qui régissent les nouvelles actions ouvertes devant l’INPI. Elles devraient permettre un traitement plus rapide des procédures.
Introduction de l’action
L’action en nullité ou en déchéance devant l’INPI est initiée au moyen d’un formulaire en ligne identifiant :
La marque contestée,
Les droits antérieurs invoqués, dans le cas d’une demande de nullité pour motif relatif,
L’identité de la partie demanderesse
Et l’étendue de l’annulation demandée (tous les produits et services ou seulement certains d’entre eux).
Le demandeur doit joindre également la preuve du paiement de la redevance INPI dont le montant est de 600 euros (ce montant ne comprenant pas les honoraires de l’avocat ou du conseil en propriété industrielle), auxquels il faut éventuellement ajouter 150 euros par droit antérieur additionnel invoqué dans une action en annulation pour motif relatif. Aucun nouveau droit ne peut être invoqué postérieurement à l’introduction de l’action : il convient donc de bien réfléchir dès le début à la totalité des droits invocables. Il sera en revanche possible de retrancher certains de ces droits ainsi que certains des produits et services visés par la demande d’annulation, tout du long de la procédure.
Dans tous les cas, sauf celui de l’action en déchéance pour non-usage, pour lequel ce n’est pas obligatoire, le demandeur joint également des observations exposant les motifs de la demande d’annulation de tout ou partie de la marque (précisant par exemple en quoi la marque antérieure est similaire ou identique, quant à son signe et à ses produits et services, à la marque postérieure).
Enfin, l’action devant l’INPI ne peut être que soit une action en nullité soit une action en déchéance : il est impossible de cumuler les fondements au sein d’une seule et même action, alors que c’était possible jusque récemment devant les juridictions judiciaires, les plaideurs demandant indifféremment la nullité pour droits antérieurs et la déchéance pour non-usage, par exemple, et pas nécessairement l’une à titre subsidiaire de l’autre, sans que cela ne constitue une cause d’irrecevabilité.
Ce changement invite donc les demandeurs à concentrer leurs actions et à mieux définir leurs stratégies en amont, même si la réforme ne leur interdit pas de former deux actions parallèles sur deux fondements différents, d’autant plus que le coût de ces actions est très limité.
Déroulé de la procédure : la phase d’instruction
Une fois la demande envoyée, l’INPI dispose d’un mois pour examiner la recevabilité de l’action et pour notifier le titulaire de la marque contestée, ce qui déclenche une série de délais : un premier délai de deux mois pour que le titulaire communique ses premières observations en réponse, suivi de plusieurs délais d’un mois pour permettre aux parties d’échanger des observations écrites et des pièces, s’ils le souhaitent : deux jeux d’observations pour le demandeur et trois pour le titulaire, les dernières observations ne pouvant ni soulever de nouveaux moyens ni joindre de nouvelles preuves d’usage.
Si une des parties décide de ne pas ou ne plus faire usage de son droit de présenter des observations, la phase d’instruction peut se terminer rapidement – à cette réserve que le titulaire d’une marque dont la déchéance pour non-usage est demandée pourra toujours présenter deux jeux d’observations et de preuves d’usage, même en l’absence de réponse du demandeur.
À tout moment, chacune des parties, ou l’INPI lui-même, peut demander la tenue d’une audience orale qui interviendra à l’issue de la phase écrite.
Enfin, les parties peuvent suspendre à tout moment la procédure, d’un commun accord, pour trois périodes de quatre mois.
Décision et appel
La décision intervient dans les trois mois suivant la fin de la phase d’échanges entre les parties. L’absence de décision revient à une décision de rejet de l’action.
La procédure devant l’INPI peut donc théoriquement durer entre six mois et un an, si l’on imagine qu’aucune suspension n’est demandée.
La décision peut mettre à la charge de la partie perdante une partie ou la totalité des frais de la procédure, à la demande de la partie gagnante, mais seulement si l’action est totalement gagnée ou perdue : les frais demeurent à la charge de chacune des parties si, par exemple, la décision annule seulement une partie des produits et services visés par le demandeur.
En l’absence d’appel, la décision rendue par l’INPI est exécutoire. Si la marque est annulée en raison du droit antérieur du demandeur, l’annulation est rétroactive et prend effet à la date de son dépôt : elle est réputée n’avoir jamais existé.
L’annulation rétroactive a un effet sur les tiers (un effet « erga omnes ») : par exemple, si une action en contrefaçon a été initiée antérieurement par le titulaire de la marque annulée contre un tiers, l’action peut devenir sans objet.
A l’inverse, la déchéance prend effet à la date de la demande ou, sur requête du demandeur, à la date à laquelle est survenu le motif de déchéance.
La procédure d’appel
Une fois la décision rendue, les parties ont un mois (hors délais augmentés pour les DROM-COM et les parties résidant à l’étranger) pour faire appel devant celle des dix cours d’appel spécialisées qui est territorialement compétente, à savoir celle correspondant au domicile de la personne qui forme le recours (ou devant la cour d’appel de Paris pour les appelants résidant à l’étranger). La représentation par avocat y est obligatoire.
Contrairement aux appels contre les décisions relatives aux procédures d’opposition, celui contre les décisions relatives aux procédures en annulation est dévolutif : il est possible pour les parties de fournir de nouvelles pièces (y compris des preuves d’usage) et de soulever de nouveaux moyens.
La procédure d’appel en elle-même observe les délais habituels et la décision définitive devrait pouvoir être rendue environ un an après la saisine de la cour. La procédure d’appel durera donc davantage que la procédure devant l’INPI.
La voie du pourvoi en cassation est bien sûr ouverte, y compris au directeur de l’INPI, contre l’arrêt d’appel.
Au lieu de faire appel, est-il possible de redemander la même chose à l’INPI ?
Dans le cas où une marque aurait été validée à la suite d’une action en annulation, cette marque ne devient pas pour autant incontestable.
La règle est la suivante : lorsqu’une action en annulation est introduite 1° entre les mêmes parties ayant la même qualité, 2° avec le même objet et la même cause et 3° lorsqu’une décision définitive a déjà été rendue soit par l’INPI soit par une juridiction judiciaire, alors l’action est irrecevable (c’est le principe de l’autorité de la chose jugée).
A contrario de cette règle, il semble donc théoriquement possible, après une décision définitive validant une marque dont la nullité était demandée sur le fondement d’une marque antérieure, de former une nouvelle action en nullité sur le fondement d’un autre droit, par exemple, un nom de domaine, ou de former une action en déchéance pour non-usage ou pour perte du caractère distinctif.
De même, une action en déchéance ayant donné lieu à une décision de maintien de la marque contestée n’empêche pas de former une nouvelle action en déchéance ultérieurement, puisque la période de référence au cours de laquelle le titulaire doit avoir utilisé la marque ne sera pas la même et qu’il reste possible de déchoir de ses droits le titulaire qui a, par le passé, utilisé sa marque mais ne l’utilise plus.
Bien d’autres situations complexes pourront se produire et créer des difficultés dans le cadre de ces nouvelles actions.
En résumé, voici les avantages de ces nouvelles actions ouvertes depuis le 1er avril 2020 :
Le coût de l’introduction d’une action en annulation ou en déchéance est de seulement 600 euros hors honoraires d’avocat ou de CPI et, dans le cas de l’action en déchéance, il n’est même pas obligatoire de fournir des mémoires argumentatifs, ce qui diminue d’autant plus les coûts procéduraux ;
L’action en nullité, même pour motif relatif, est devenue imprescriptible depuis l’entrée en vigueur de la loi PACTE (sauf si le titulaire de la marque postérieure peut démontrer que le demandeur en a toléré l’usage de bonne foi pendant cinq ans) ;
L’action en déchéance et l’action en nullité pour motif absolu peuvent être introduites devant l’INPI par n’importe qui, même sans intérêt à agir ;
Les actions en nullité introduites devant l’INPI sont encadrées dans des délais relativement courts, les demandeurs pouvant ainsi obtenir une décision bien plus rapidement que devant les tribunaux ;
L’action en nullité pour atteinte à un droit antérieur peut être perçue comme une seconde chance pour les titulaires antérieurs qui n’auraient pas engagé de procédure d’opposition, dès lors que les coûts et modalités de ces deux procédures sont désormais très similaires.
TAoMA Partners, cabinet d’avocats et de conseils en propriété industrielle, est à votre disposition si vous souhaitez en savoir davantage ou profiter de ces nouvelles opportunités.
Malaurie Pantalacci
Conseil en propriété industrielle, Associée
Jérémie Leroy-Ringuet
Avocat à la cour
Remerciements à Blandine Lemoine, juriste et à Jean-Charles Nicollet, Conseil en propriété industrielle, Responsable du Pôle juridique CPI, pour leur aide à la préparation de cet article.
06
février
2020
Arrêt « Sky » : coup d’épée dans l’eau ?
Author:
teamtaomanews
Faute de forcer les titulaires à trancher dans les libellés de leurs marques, la CJUE a-t-elle porté un coup d’épée dans l’eau ?
L’opérateur britannique de télévision par satellite et câble Sky, titulaire de plusieurs marques éponymes, a agi au Royaume-Uni en contrefaçon de celles-ci à l’encontre du fournisseur de services Cloud SkyKick, qui avait déposé la marque « Skykick » et des variations de celle-ci. À titre reconventionnel, la startup a soutenu que l’enregistrement des marques invoquées par Sky était totalement ou partiellement nul aux motifs que i) les listes des produits et services désignés par ces marques manquaient de clarté et de précision et ii) les demandes d’enregistrement avaient été déposées de mauvaise foi. En effet, les marques avaient été déposées pour protéger des « logiciels », des « systèmes de communication » ainsi que des services de « télévision », lorsqu’en réalité une seule activité était envisagée : la vente d’un bouquet satellite.
D’un point de vue stratégique, l’enjeu de cette affaire est essentiel puisqu’il a trait à une problématique majeure en droit des marques. Il est effectivement important, au moment du dépôt d’une marque, d’avoir une vision tournée vers l’avenir et d’envisager si de nouveaux produits/services pourraient être commercialisés sous ce signe. Cependant, cette logique ne doit pas aboutir à accaparer des signes pour une liste de produits et services très large alors que leurs titulaires n’ont aucunement l’intention de les utiliser dans leur totalité.
Saisie du litige, la High Court of Justice (England and Wales) a décidé de surseoir à statuer et d’interroger à titre préjudiciel la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) sur plusieurs points.
Défaut de clarté et de précision des produits et services : cause de nullité absolue ?
Pour rappel, en 2012[1], la CJUE avait rendu un arrêt retentissant dans lequel elle avait jugé que le demandeur d’une marque devait désigner les produits et les services pour lesquels la protection de la marque est demandée avec suffisamment de clarté et de précision, faute de quoi sa demande devait être rejetée.
SkyKick tente alors de faire étendre cette logique aux marques enregistrées, mais la Cour estime qu’une marque de l’Union européenne ou une marque nationale « ne peut pas être déclarée totalement ou partiellement invalide au motif que les termes utilisés pour désigner les produits et services pour lesquels cette marque a été enregistrée manquent de clarté et de précision », cette exigence ne faisant pas partie de la liste exhaustive de causes de nullité absolue prévue par les textes.
Désignation d’un libellé trop large lors du dépôt : cause de nullité pour mauvaise foi ?
Si une marque peut être déclarée nulle lorsque le demandeur était de mauvaise foi lors du dépôt de la demande, cette notion n’est pas définie par les textes.
Les juges européens avaient déjà eu l’occasion de donner des pistes d’interprétation en estimant que la mauvaise foi est caractérisée lorsqu’il ressort d’indices pertinents et concordants que le titulaire d’une marque a introduit la demande d’enregistrement non pas dans le but de participer de manière loyale au jeu de la concurrence, mais avec l’intention de porter atteinte, d’une manière non conforme aux usages honnêtes, aux intérêts de tiers, ou avec l’intention d’obtenir, sans même viser un tiers en particulier, un droit exclusif à des fins autres que celles relevant des fonctions d’une marque, notamment de la fonction essentielle d’indication d’origine[2] (voir notre TAoMA News du 4 novembre 2019).
En ce qui concerne plus particulièrement le dépôt d’une marque sans aucune intention de l’utiliser pour les produits et services couverts par l’enregistrement, la CJUE a estimé qu’il est susceptible de constituer un acte de mauvaise foi, cette dernière pouvant n’entacher qu’une partie des produits et services visés au dépôt. Cependant, une telle mauvaise foi ne peut être établie que s’il existe des indices objectifs que le demandeur avait l’intention de porter atteinte aux intérêts de tiers d’une manière non conforme aux usages honnêtes ou d’obtenir un droit exclusif à des fins autres que celles relevant des fonctions d’une marque au moment du dépôt.
Enfin, la CJUE déclare que le droit de l’Union n’interdit pas à une disposition du droit national d’exiger du demandeur à l’enregistrement d’une marque qu’il déclare que sa marque est utilisée en relation avec les produits et services enregistrés, ou qu’il a une intention de bonne foi de le faire, tant qu’une violation de cette obligation n’entraine pas, en tant que telle, un motif de nullité d’une marque déjà enregistrée.
Bien que cet arrêt constitue un premier pas en avant vers un assainissement des registres des offices européens, encombrés de marques non utilisées, il ne marque pas le virage à 180° que certains attendaient et entérine une sorte de statu quo du système actuel de marques du droit de l’UE, laissant le lourd fardeau aux parties tierces de contester la bonne foi d’un titulaire.
Si le récent Paquet Marque – et sa transposition en droit français – ne remédie pas directement à cette problématique, en mettant un terme à la tarification unique du dépôt de marque (dont le coût ne variait pas entre une et trois classes), il pourrait inciter les déposants à réfléchir avant de déposer leurs marques pour de trop nombreux produits et services.
Référence et date : Cour de justice de l’Union européenne, 29 janvier 2020, dans l’affaire C‑371/18
Lire la décision sur Curia
Synthia TIENTCHEU TCHEUKO
Élève-avocate
Anita DELAAGE
Avocate
[1] CJUE, 19 juin 2012, C-307/10 « Chartered Institute of Patent Attorneys » dit arrêt IP Translator
[2] CJUE, 12 septembre 2019, C-104/18 « Koton Mağazacilik Tekstil Sanayi ve Ticaret/EUIPO »