27
août
2024
Quand un couteau tranchant devient un dossier coupant : l’annulation épique de l’IG revendiquée par les couteliers de Thiers
Author:
TAoMA
Contexte du Litige
Le 6 septembre 2022, l’INPI a attribué l’indication géographique pour les produits industriels et artisanaux (IG) de la célèbre lame ornée d’une abeille à la candidature portée par l’Association Couteau Laguiole Aubrac Auvergne (CLAA) basée à Thiers, offrant ainsi cette protection à 94 communes réparties sur six départements, incluant Thiers (Puy-de-Dôme) et Laguiole (Aveyron).
Les artisans aveyronnais, notamment soutenus par la commune de Laguiole ont contesté cette IG, arguant que la zone retenue était trop large et non cohérente.
Pour leur défense, les couteliers de Thiers ont argué avoir historiquement soutenu la production des couteaux Laguiole, notamment en fournissant des pièces détachées pendant le déclin de la coutellerie à Laguiole entre 1950 et 1985.
Cependant, les couteliers de Laguiole avaient contesté cette délimitation, affirmant que la réputation du couteau ne pouvait être liée qu’à son lieu d’origine et à sa fabrication artisanale locale.
En effet , le cahier des charges de l’Indication Géographique « couteau de Laguiole » est strict, exigeant que toutes les entreprises membres du syndicat respectent des critères de fabrication rigoureux. Ce savoir-faire ancestral repose sur une attention particulière à chaque étape, notamment avec l’estampillage de chaque lame pour garantir la qualité de l’acier utilisé, et l’inscription en creux de la marque de l’entreprise sur la lame, sans recours au laser, en fin de production.
Arguments et décision de la Cour
La Cour d’appel Aix-en-Provence a relevé plusieurs points critiques dans le cahier des charges de l’IG, notamment :
1. Ambiguïté de la désignation : la Cour a jugé que le terme « Couteau Laguiole » est ambigu, désignant à la fois un modèle de couteau et une provenance géographique, ce qui pourrait induire le consommateur en erreur sur l’origine réelle du produit.
2. Représentativité contestée : la représentativité de l’Association CLAA a été remise en cause, notamment concernant le pourcentage d’entreprises et de salariés effectivement représentés dans la zone géographique concernée.
3. Zone géographique incohérente : la zone géographique définie, englobant des régions non contiguës et distantes, a été jugée inadaptée pour garantir l’authenticité et la réputation du produit associé à l’IG.
4. Précision du produit protégé : la définition du produit à protéger a été jugée insuffisamment précise, avec des termes flous et une absence de lien clair entre les produits décrits et la zone géographique concernée.
Le 11 juillet dernier, la Cour a finalement tranché en faveur des couteliers aveyronnais, annulant la décision de l’INPI et reconnaissant que la renommée des couteaux de Laguiole est indissociable de leur lieu de conception et de production d’origine1.
Conséquences
Cette annulation représente une victoire pour les requérants, qui ont également obtenu la condamnation de l’Association CLAA aux dépens ainsi qu’au paiement de la somme de 5 000 euros à chacun des plaignants en vertu de l’article 700 du Code de procédure civile.
En revanche, la question de la responsabilité de l’INPI notamment soulevée par la commune de Laguiole pour des manquements lors de l’homologation reste en suspens. La Cour ayant ordonné la réouverture des débats sur ce point, les parties concernées sont invitées à conclure sur la recevabilité de cette demande avant une nouvelle audience prévue pour le 3 février 2025.
Cette décision pourrait avoir un impact significatif sur la gestion des indications géographiques, notamment pour les produits industriels et artisanaux, en France, rappelant l’importance de la précision et de la rigueur dans la définition et l’homologation de telles protections juridiques.
Finalement, il faut croire que même les lames les plus tranchantes ne peuvent pas échapper aux mailles serrées de la justice !
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Gaëlle Bermejo
Conseil en Propriété Industrielle
(1) Arrêt de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence No. 2024/ 163, 11 juillet 2024
27
juillet
2021
Mauvaise foi, donc mauvaise pioche pour MONOPOLY : nullité du dépôt à l’identique pour contourner l’obligation de prouver l’usage
Author:
jeremie
La société Hasbro est titulaire de la marque de l’Union européenne MONOPOLY au titre de laquelle elle a effectué plusieurs dépôts enregistrés en 1998, 2009 et 2010. En avril 2010, Hasbro a opéré une nouvelle demande de marque enregistrée en 2011 en classes 9, 16, 28 et 41 qui couvraient des produits et services en partie identiques à la demande de 2010.
Cette dernière marque a été attaquée en nullité par une société croate sur le fondement de l’article 52, paragraphe 1 sous b) du règlement n° 207/2009 alors applicable, en vertu duquel la nullité est déclarée lorsque le demandeur était de mauvaise foi au moment du dépôt.
Pour rappel, la cause de nullité basée sur la mauvaise foi s’applique « lorsqu’il ressort d’indices pertinents et concordants que le titulaire d’une marque de l’Union européenne a introduit la demande d’enregistrement de cette marque non pas dans le but de participer de manière loyale au jeu de la concurrence, mais avec l’intention de porter atteinte, d’une manière non conforme aux usages honnêtes, aux intérêts de tiers, ou avec l’intention d’obtenir, sans même viser un tiers en particulier, un droit exclusif à des fins autres que celle relevant des fonctions d’une marque, notamment de la fonction essentielle d’indication d’origine » (point 33).
Cette notion de mauvaise foi implique une motivation subjective de la personne présentant une demande d’enregistrement de marque, à savoir une intention malhonnête ou un autre motif dommageable qui suggère un comportement s’écartant des principes éthiques ou des usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale.
En résumé, cette intention du demandeur, au moment pertinent pour l’apprécier qui est celui du dépôt, est un élément subjectif qui doit être déterminé par référence aux circonstances objectives du cas d’espèce.
Concernant la charge de la preuve, la cour rappelle que « c’est au demandeur en nullité qui entend se fonder sur ce motif de nullité qu’est la mauvaise foi qu’il incombe d’établir les circonstances qui permettent de conclure que la demande d’enregistrement a été déposée de mauvaise foi, la bonne foi du déposant étant présumée jusqu’à preuve du contraire » (point 42). Cependant, lorsque l’EUIPO constate que les circonstances objectives du cas d’espèce invoquées par la demande en nullité sont susceptibles de conduire au renversement de la présomption de bonne foi du déposant, alors il appartient à ce dernier de fournir des explications plausibles concernant les objectifs et la logique commerciale poursuivis par la demande d’enregistrement en question (point 43).
La société requérante considérait que la demande était un dépôt réitéré des marques précédentes dans le but de contourner l’obligation de prouver l’usage réel de ces marques.
En effet, en vertu du droit européen des marques, il n’est pas nécessaire de prouver l’usage ou l’intention d’usage au moment du dépôt. Une fois la marque enregistrée, un délai de grâce de cinq ans est prévu avant que les propriétaires de marques ne soient tenus de prouver l’usage sérieux de leurs marques.
Devant l’EUIPO, Hasbro avait admis que l’un des avantages justifiant le dépôt de la marque contestée reposait sur le fait de ne pas avoir à apporter la preuve de l’usage sérieux de cette marque dans le cadre d’une procédure d’opposition.
De ce fait, la Chambre des Recours de l’EUIPO avait considéré que les éléments de preuve recueillis étaient de nature à démontrer que, pour les produits et les services couverts par la marque contestée qui étaient identiques aux produits et aux services couverts par les marques préalablement enregistrées, la requérante avait été de mauvaise foi lors du dépôt de la demande d’enregistrement de la marque contestée.
Cette analyse est confirmée dans son intégralité par le TUE dans sa décision du 21 avril 2021 (TUE, n° T-663/19, Arrêt du Tribunal, Hasbro, Inc. contre Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle, 21 avril 2021). Selon le Tribunal de l’Union européenne, le raisonnement suivi par l’EUIPO fait apparaître sans ambiguïté que c’est non pas le fait de réitérer le dépôt d’une marque de l’Union européenne qui a été considéré comme étant révélateur de la mauvaise foi, mais le fait que les éléments de l’espèce démontraient que cette dernière avait pour objectif de contourner une règle fondamentale du droit des marques de l’Union européenne, concernant la preuve de l’usage, pour en tirer profit au détriment de l’équilibre du régime.
Le TUE décide en tout état de cause que la marque contestée doit être annulée pour tous les produits et services identiques à ceux couverts par les marques antérieures.
Cet arrêt permet donc de rassurer les titulaires de marques européennes dans la mesure où il indique clairement que la réitération d’un dépôt de marques n’est pas interdite en soi, mais que la motivation du nouveau dépôt sera examinée à la loupe pour y déceler des preuves de mauvaise foi.
Lire la décision en ligne sur Eur-Lex
Jérémie LEROY-RINGUET
Avocat à la cour
Dorian SOUQUET
Stagiaire – Pôle CPI