27
juillet
2021
Mauvaise foi, donc mauvaise pioche pour MONOPOLY : nullité du dépôt à l’identique pour contourner l’obligation de prouver l’usage
Author:
jeremie
La société Hasbro est titulaire de la marque de l’Union européenne MONOPOLY au titre de laquelle elle a effectué plusieurs dépôts enregistrés en 1998, 2009 et 2010. En avril 2010, Hasbro a opéré une nouvelle demande de marque enregistrée en 2011 en classes 9, 16, 28 et 41 qui couvraient des produits et services en partie identiques à la demande de 2010.
Cette dernière marque a été attaquée en nullité par une société croate sur le fondement de l’article 52, paragraphe 1 sous b) du règlement n° 207/2009 alors applicable, en vertu duquel la nullité est déclarée lorsque le demandeur était de mauvaise foi au moment du dépôt.
Pour rappel, la cause de nullité basée sur la mauvaise foi s’applique « lorsqu’il ressort d’indices pertinents et concordants que le titulaire d’une marque de l’Union européenne a introduit la demande d’enregistrement de cette marque non pas dans le but de participer de manière loyale au jeu de la concurrence, mais avec l’intention de porter atteinte, d’une manière non conforme aux usages honnêtes, aux intérêts de tiers, ou avec l’intention d’obtenir, sans même viser un tiers en particulier, un droit exclusif à des fins autres que celle relevant des fonctions d’une marque, notamment de la fonction essentielle d’indication d’origine » (point 33).
Cette notion de mauvaise foi implique une motivation subjective de la personne présentant une demande d’enregistrement de marque, à savoir une intention malhonnête ou un autre motif dommageable qui suggère un comportement s’écartant des principes éthiques ou des usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale.
En résumé, cette intention du demandeur, au moment pertinent pour l’apprécier qui est celui du dépôt, est un élément subjectif qui doit être déterminé par référence aux circonstances objectives du cas d’espèce.
Concernant la charge de la preuve, la cour rappelle que « c’est au demandeur en nullité qui entend se fonder sur ce motif de nullité qu’est la mauvaise foi qu’il incombe d’établir les circonstances qui permettent de conclure que la demande d’enregistrement a été déposée de mauvaise foi, la bonne foi du déposant étant présumée jusqu’à preuve du contraire » (point 42). Cependant, lorsque l’EUIPO constate que les circonstances objectives du cas d’espèce invoquées par la demande en nullité sont susceptibles de conduire au renversement de la présomption de bonne foi du déposant, alors il appartient à ce dernier de fournir des explications plausibles concernant les objectifs et la logique commerciale poursuivis par la demande d’enregistrement en question (point 43).
La société requérante considérait que la demande était un dépôt réitéré des marques précédentes dans le but de contourner l’obligation de prouver l’usage réel de ces marques.
En effet, en vertu du droit européen des marques, il n’est pas nécessaire de prouver l’usage ou l’intention d’usage au moment du dépôt. Une fois la marque enregistrée, un délai de grâce de cinq ans est prévu avant que les propriétaires de marques ne soient tenus de prouver l’usage sérieux de leurs marques.
Devant l’EUIPO, Hasbro avait admis que l’un des avantages justifiant le dépôt de la marque contestée reposait sur le fait de ne pas avoir à apporter la preuve de l’usage sérieux de cette marque dans le cadre d’une procédure d’opposition.
De ce fait, la Chambre des Recours de l’EUIPO avait considéré que les éléments de preuve recueillis étaient de nature à démontrer que, pour les produits et les services couverts par la marque contestée qui étaient identiques aux produits et aux services couverts par les marques préalablement enregistrées, la requérante avait été de mauvaise foi lors du dépôt de la demande d’enregistrement de la marque contestée.
Cette analyse est confirmée dans son intégralité par le TUE dans sa décision du 21 avril 2021 (TUE, n° T-663/19, Arrêt du Tribunal, Hasbro, Inc. contre Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle, 21 avril 2021). Selon le Tribunal de l’Union européenne, le raisonnement suivi par l’EUIPO fait apparaître sans ambiguïté que c’est non pas le fait de réitérer le dépôt d’une marque de l’Union européenne qui a été considéré comme étant révélateur de la mauvaise foi, mais le fait que les éléments de l’espèce démontraient que cette dernière avait pour objectif de contourner une règle fondamentale du droit des marques de l’Union européenne, concernant la preuve de l’usage, pour en tirer profit au détriment de l’équilibre du régime.
Le TUE décide en tout état de cause que la marque contestée doit être annulée pour tous les produits et services identiques à ceux couverts par les marques antérieures.
Cet arrêt permet donc de rassurer les titulaires de marques européennes dans la mesure où il indique clairement que la réitération d’un dépôt de marques n’est pas interdite en soi, mais que la motivation du nouveau dépôt sera examinée à la loupe pour y déceler des preuves de mauvaise foi.
Lire la décision en ligne sur Eur-Lex
Jérémie LEROY-RINGUET
Avocat à la cour
Dorian SOUQUET
Stagiaire – Pôle CPI
05
juillet
2021
Mauvaise foi lors du dépôt d’un prénom de renommée : les carottes sont cuites pour celui qui cherche à tirer profit d’une star de la cuisine !
Author:
teamtaomanews
Peut-on accaparer la renommée d’une célébrité en déposant une marque reprenant son prénom ?
Si la morale conduit à répondre par la négative, c’est également la position adoptée par le droit, du moins par le Tribunal de l’Union Européenne dans sa décision du 28 avril 2021.
France Agro, une société française spécialisée dans les produits alimentaires, avait déposé le 6 août 2015 la marque « Choumicha Saveurs » en classes 29, 30 et 31 (ce qui englobe les aliments, les épices ou encore, plus surprenant, les fourrages pour animaux).
Or, le choix du prénom « Choumicha » n’est pas anodin. Car s’il n’évoquera rien au consommateur français extérieur au monde de la gastronomie, aux oreilles du consommateur marocain, il raisonnera comme un véritable « Maïté ».
Car Choumicha Chafay, connue sous son seul prénom « Choumicha », est une animatrice vedette et une productrice d’émissions culinaires au Maroc. Sa renommée est toutefois bien plus large et s’étend à l’ensemble du public arabophone, y compris sur le territoire français et belge.
Choumicha, qui utilise déjà son prénom pour exploiter plusieurs marques au Maroc, et qui a par ailleurs cédé ce même prénom pour le dépôt de marques au sein de l’UE, a logiquement présenté le 14 février 2018 une demande de nullité de la marque « Choumicha Saveurs » pour dépôt de mauvaise foi.
Après avoir vu sa demande rejetée dans un premier temps par la division d’annulation de l’EUIPO, Choumicha a finalement obtenu gain de cause devant la chambre de recours. France Agro a alors saisi le Tribunal de l’UE afin d’obtenir l’annulation de cette décision.
Le Tribunal a rejeté ce recours en retenant la mauvaise foi manifeste de France Agro lors du dépôt de la marque « Choumicha Saveurs »(1).
En effet, en choisissant de déposer une marque incluant en tant qu’élément distinctif et dominant un prénom renommé, France Agro a créé une association dans l’esprit du public entre ses produits et la célèbre animatrice. France Agro ne pouvait en effet ignorer, en déposant une marque pour des produits alimentaires, la renommée que Choumicha avait justement acquise dans le domaine culinaire.
L’intention de la société requérante était donc « de porter atteinte, d’une manière non conforme aux usages honnêtes, aux intérêts d’un tiers particulier ».
Le Tribunal a retenu qu’en déposant la marque « Choumicha Saveurs » la société France Agro avait pour objectif de profiter de manière indue de la réputation de la célèbre animatrice tout en l’empêchant de tirer les bénéfices de l’exploitation de son propre prénom sur le territoire de l’Union. Il conclut à l’annulation intégrale de la marque, y compris pour des produits sans lien avec le domaine culinaire, l’intention frauduleuse de la déposante à l’égard d’un tiers particulier venant en vicier l’entier dépôt.
Ce n’est pas la première fois que le Tribunal de l’Union Européenne a l’occasion de se prononcer sur le dépôt d’une marque de mauvaise foi concernant le prénom d’une célébrité : la marque « Neymar » avait déjà été annulée en 2019 sur un fondement similaire.
La juridiction européenne reste ainsi vigilante sur les dérives possibles lors du dépôt de marques, particulièrement lorsqu’il s’agit de s’accaparer la renommée d’un autre.
Anne-Cécile Pasquet
Auditrice de justice
Baptiste Kuentzmann
Juriste
(1) TUE 28/04/2021, affaire T‑311/20
12
octobre
2020
Pas de marque pour Banksy!
Author:
teamtaomanews
« FLOWER THROWER » (Le lanceur de fleur) du célèbre artiste anonyme Banksy est sans doute l’une de ses œuvres les plus connues. Cette œuvre, qui avait été protégée à titre de marque auprès de l’Office de l’Union Européenne pour la Propriété Intellectuelle (EUIPO) vient d’être déclarée nulle sur le fondement de la mauvaise foi.
En effet, en 2014, la société Pest Control Office Limited, venant aux droits de l’artiste Banksy afin de masquer sa véritable identité, avait procédé au dépôt de la marque figurative du célèbre graffiti « FLOWER THROWER » pour divers produits et services, dont notamment les vêtements, les activités culturelles… :
(Marque de l’Union Européenne No. 12575155)
En 2019, la société britannique Full Color Black Limited, qui est spécialisée dans la fabrication de cartes de vœux et qui souhaitait utiliser l’œuvre pour ses produits, a introduit auprès de l’EUIPO une action en nullité contre cette marque sur le fondement de la mauvaise foi.
Pour rappel, le Règlement sur la marque de l’Union Européenne prévoit que la nullité d’une marque de l’Union européenne peut être déclarée, notamment, « lorsque le demandeur était de mauvaise foi lors du dépôt de la demande de marque » [1]. Selon la jurisprudence de l’Union Européenne, la mauvaise foi s’applique lorsqu’il « ressort d’indices pertinents et concordants que le titulaire d’une marque de l’Union Européenne a introduit la demande d’enregistrement de cette marque non pas dans le but de participer de manière loyale au jeu de la concurrence mais avec l’intention de porter atteinte, d’une manière non conforme aux usages honnêtes, aux intérêts de tiers, ou avec l’intention d’obtenir, sans même viser un tiers en particulier, un droit exclusif à des fins autres que celles relevant des fonctions d’une marque, notamment de la fonction essentielle d’indication d’origine » [2].
Or, en l’espèce, la société britannique Full Color Black Limited considérait que le dépôt de la marque reproduisant l’œuvre « FLOWER THROWER » avait été déposée de mauvaise foi dans la mesure où Banksy n’avait aucunement l’intention de l’utiliser en tant qu’indication d’origine des produits et services visés, mais pour contourner son incapacité à se prévaloir d’un autre droit de propriété intellectuelle, le droit d’auteur notamment, en raison de son anonymat.
En réponse, Banksy arguait notamment que le signe litigieux avait fait l’objet d’un commencement d’exploitation pour les produits en cause en 2019, via l’ouverture d’une boutique en ligne, bien que selon ses propres mots, rapportés dans un certain nombre de publications, une telle exploitation avait été réalisée dans le seul but de contourner l’obligation d’usage à laquelle était soumise sa marque de l’Union européenne.
Par décision du 14 septembre 2020, la Division de l’Annulation de l’EUIPO a reconnu que le dépôt de la marque reproduisant l’œuvre « FLOWER THROWER » avait été effectué de mauvaise foi et l’a, en conséquence, déclarée nulle.
Pour arriver à cette conclusion, l’EUIPO s’est notamment fondée sur deux éléments :
Banksy n’a, lors du dépôt, eu aucunement l’intention d’utiliser la marque en cause pour les produits et services visés. Les seuls usages identifiés ont été réalisés qu’une fois la procédure d’annulation initiée et ce, dans le but de contourner les exigences du droit des marques ;
Banksy, du fait de son anonymat, mais également d’autres circonstances indépendantes au droit des marques, ne peut valablement prétendre à la protection par le droit d’auteur. Le dépôt de la marque en cause a été réalisé avec pour seul objectif de s’approprier des droits sur un signe pour lequel Banksy ne pouvait se prévaloir des droits d’auteur.
Cette décision, tout en reprécisant la notion de « mauvaise foi » en matière de marque, vient donc rappeler qu’il est impératif d’avoir l’intention de faire usage de sa marque pour les produits et services visés et ce, conformément à la fonction d’indication d’origine.
Or, tel n’était pas le cas concernant la marque reproduisant l’œuvre « FLOWER THROWER » et, fort probablement, pour les autres marques déposées par la société liées à Banksy reproduisant ses autres œuvres, dont la plus célèbre n’est autre que « GIRL WITH BALLON » (Petite fille au ballon). Cette décision pourrait donc avoir de très lourdes conséquences sur les droits de Banksy sur ses œuvres.
Baptiste Kuentzmann
Juriste
[1] Article 59(1)(b) du Règlement (UE) 2017/1001 sur la marque de l’Union européenne « 1. La nullité de la marque de l’Union européenne est déclarée, sur demande présentée auprès de l’Office ou sur demande reconventionnelle dans une action en contrefaçon : b) lorsque le demandeur était de mauvaise foi lors du dépôt de la demande de marque »
[2] Cour de Justice de l’Union Européenne, affaire C-104/18 P, STYLO & KOTON (fig.), §46
06
février
2020
Arrêt « Sky » : coup d’épée dans l’eau ?
Author:
teamtaomanews
Faute de forcer les titulaires à trancher dans les libellés de leurs marques, la CJUE a-t-elle porté un coup d’épée dans l’eau ?
L’opérateur britannique de télévision par satellite et câble Sky, titulaire de plusieurs marques éponymes, a agi au Royaume-Uni en contrefaçon de celles-ci à l’encontre du fournisseur de services Cloud SkyKick, qui avait déposé la marque « Skykick » et des variations de celle-ci. À titre reconventionnel, la startup a soutenu que l’enregistrement des marques invoquées par Sky était totalement ou partiellement nul aux motifs que i) les listes des produits et services désignés par ces marques manquaient de clarté et de précision et ii) les demandes d’enregistrement avaient été déposées de mauvaise foi. En effet, les marques avaient été déposées pour protéger des « logiciels », des « systèmes de communication » ainsi que des services de « télévision », lorsqu’en réalité une seule activité était envisagée : la vente d’un bouquet satellite.
D’un point de vue stratégique, l’enjeu de cette affaire est essentiel puisqu’il a trait à une problématique majeure en droit des marques. Il est effectivement important, au moment du dépôt d’une marque, d’avoir une vision tournée vers l’avenir et d’envisager si de nouveaux produits/services pourraient être commercialisés sous ce signe. Cependant, cette logique ne doit pas aboutir à accaparer des signes pour une liste de produits et services très large alors que leurs titulaires n’ont aucunement l’intention de les utiliser dans leur totalité.
Saisie du litige, la High Court of Justice (England and Wales) a décidé de surseoir à statuer et d’interroger à titre préjudiciel la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) sur plusieurs points.
Défaut de clarté et de précision des produits et services : cause de nullité absolue ?
Pour rappel, en 2012[1], la CJUE avait rendu un arrêt retentissant dans lequel elle avait jugé que le demandeur d’une marque devait désigner les produits et les services pour lesquels la protection de la marque est demandée avec suffisamment de clarté et de précision, faute de quoi sa demande devait être rejetée.
SkyKick tente alors de faire étendre cette logique aux marques enregistrées, mais la Cour estime qu’une marque de l’Union européenne ou une marque nationale « ne peut pas être déclarée totalement ou partiellement invalide au motif que les termes utilisés pour désigner les produits et services pour lesquels cette marque a été enregistrée manquent de clarté et de précision », cette exigence ne faisant pas partie de la liste exhaustive de causes de nullité absolue prévue par les textes.
Désignation d’un libellé trop large lors du dépôt : cause de nullité pour mauvaise foi ?
Si une marque peut être déclarée nulle lorsque le demandeur était de mauvaise foi lors du dépôt de la demande, cette notion n’est pas définie par les textes.
Les juges européens avaient déjà eu l’occasion de donner des pistes d’interprétation en estimant que la mauvaise foi est caractérisée lorsqu’il ressort d’indices pertinents et concordants que le titulaire d’une marque a introduit la demande d’enregistrement non pas dans le but de participer de manière loyale au jeu de la concurrence, mais avec l’intention de porter atteinte, d’une manière non conforme aux usages honnêtes, aux intérêts de tiers, ou avec l’intention d’obtenir, sans même viser un tiers en particulier, un droit exclusif à des fins autres que celles relevant des fonctions d’une marque, notamment de la fonction essentielle d’indication d’origine[2] (voir notre TAoMA News du 4 novembre 2019).
En ce qui concerne plus particulièrement le dépôt d’une marque sans aucune intention de l’utiliser pour les produits et services couverts par l’enregistrement, la CJUE a estimé qu’il est susceptible de constituer un acte de mauvaise foi, cette dernière pouvant n’entacher qu’une partie des produits et services visés au dépôt. Cependant, une telle mauvaise foi ne peut être établie que s’il existe des indices objectifs que le demandeur avait l’intention de porter atteinte aux intérêts de tiers d’une manière non conforme aux usages honnêtes ou d’obtenir un droit exclusif à des fins autres que celles relevant des fonctions d’une marque au moment du dépôt.
Enfin, la CJUE déclare que le droit de l’Union n’interdit pas à une disposition du droit national d’exiger du demandeur à l’enregistrement d’une marque qu’il déclare que sa marque est utilisée en relation avec les produits et services enregistrés, ou qu’il a une intention de bonne foi de le faire, tant qu’une violation de cette obligation n’entraine pas, en tant que telle, un motif de nullité d’une marque déjà enregistrée.
Bien que cet arrêt constitue un premier pas en avant vers un assainissement des registres des offices européens, encombrés de marques non utilisées, il ne marque pas le virage à 180° que certains attendaient et entérine une sorte de statu quo du système actuel de marques du droit de l’UE, laissant le lourd fardeau aux parties tierces de contester la bonne foi d’un titulaire.
Si le récent Paquet Marque – et sa transposition en droit français – ne remédie pas directement à cette problématique, en mettant un terme à la tarification unique du dépôt de marque (dont le coût ne variait pas entre une et trois classes), il pourrait inciter les déposants à réfléchir avant de déposer leurs marques pour de trop nombreux produits et services.
Référence et date : Cour de justice de l’Union européenne, 29 janvier 2020, dans l’affaire C‑371/18
Lire la décision sur Curia
Synthia TIENTCHEU TCHEUKO
Élève-avocate
Anita DELAAGE
Avocate
[1] CJUE, 19 juin 2012, C-307/10 « Chartered Institute of Patent Attorneys » dit arrêt IP Translator
[2] CJUE, 12 septembre 2019, C-104/18 « Koton Mağazacilik Tekstil Sanayi ve Ticaret/EUIPO »
04
novembre
2019
Marques et mauvaise foi : quand le Tribunal file un mauvais coton…
Author:
teamtaomanews
Une requérante titulaire de marques antérieures semi-figuratives KOTON, ayant effet sur le territoire de l’Union européenne, a formé opposition auprès de l’EUIPO contre l’enregistrement d’une demande de marque STYLO & KOTON déposée en classes 25, 35 et 39. Comme pour les marques antérieures, le terme KOTON comportait une fleur de coton dont les deux voyelles étaient stylisées.
Cette opposition n’a abouti qu’en classes 25 et 35 de sorte que la marque STYLO & KOTON a été enregistrée pour les services de la classe 39.
La requérante a alors déposé une demande en nullité de la même marque, non seulement pour les services de la classe 39, mais également pour des produits et des services des classes 25 et 35, sur le fondement du dépôt de mauvaise foi, au visa de l’article 52(1)(b) du Règlement n°207/2009, applicable en raison de la date de dépôt.
La division d’annulation puis la chambre de recours de l’EUIPO ayant rejeté la demande en nullité, la requérante saisit le Tribunal de l’Union européenne (« TUE »), lequel refuse également de considérer que le dépôt a été fait de mauvaise foi.
Le règlement (UE) n°2017/1001 du 14 juin 2017 (« RMUE »), qui a remplacé le règlement (CE) n°207/2009 du 26 février 2009, ne propose pas de définition de la mauvaise foi, se bornant à affecter de nullité le dépôt opéré par un demandeur « de mauvaise foi » (RMUE, art. 59(1)(b)).
La Cour de Justice de l’Union européenne (« CJUE ») s’est essayée à la définir, en particulier dans l’arrêt du 11 juin 2009 Chocoladefabriken Lindt & Spüngli (CJCE, 11 juin 2009, C-529/07, pt. 53) précisant que la mauvaise foi du déposant doit être appréciée globalement en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d’espèce et existant au moment du dépôt et notamment :
le fait que le demandeur sait ou doit savoir qu’un tiers utilise, dans au moins un État membre, un signe identique ou similaire pour un produit ou service identique ou similaire prêtant à confusion avec le signe dont l’enregistrement est demandé ;
l’intention du demandeur d’empêcher ce tiers de continuer à utiliser un tel signe ;
le degré de protection juridique dont jouissent le signe du tiers et le signe dont l’enregistrement est demandé.
La Cour vient ici préciser qu’il ne ressort pas de l’arrêt du 11 juin 2009, Chocoladefabriken Lindt & Sprüngli, que l’existence de la mauvaise foi peut uniquement être constatée dans l’hypothèse, qui était celle sur laquelle la Cour était alors interrogée, où il y a utilisation sur le marché intérieur d’un signe identique ou similaire pour des produits identiques ou similaires prêtant à confusion avec le signe dont l’enregistrement est demandé, lequel n’est qu’un facteur pertinent parmi d’autres à prendre en considération (pts. 51-55).
En suivant cette approche, le TUE s’est abstenu de prendre en considération, dans son appréciation globale, l’ensemble des circonstances factuelles pertinentes telles qu’elles se présentaient lors du dépôt de la demande, alors que ce moment était déterminant. Il aurait ainsi fallu tenir compte du fait que l’intervenant avait demandé l’enregistrement d’un signe comportant le mot stylisé « KOTON » en tant que marque de l’Union européenne non seulement pour les services de la classe 39, mais également pour des produits et des services des classes 25 et 35 qui correspondaient à ceux pour lesquels la requérante avait fait enregistrer des marques comportant ce mot stylisé (pts. 59-60).
Par ailleurs, le TUE n’a abordé qu’à titre surabondant le fait qu’il y avait eu des relations commerciales entre l’intervenant et la requérante et que celles-ci avaient été rompues par la requérante ; il s’est, en outre, abstenu d’examiner si la demande d’une marque contenant le mot stylisé « KOTON » pour des produits et des services des classes 25, 35 et 39 présentait une logique commerciale au regard des activités de l’intervenant (pt. 62).
La Cour ayant décidé d’annuler l’arrêt du TUE et la décision de la chambre de recours, il appartient à l’instance compétente de l’EUIPO de prendre une nouvelle décision en se fondant sur une appréciation globale qui tienne compte de la demande d’enregistrement de la marque contestée telle que déposée pour des produits et des services relevant non seulement de la classe 39, mais également des classes 25 et 35.
Alexis Valot
Juriste
Anne Messas
Avocate à la cour, associée
Lien vers la décision