13
novembre
2019
Couverture des romans de Fred Vargas, une sombre histoire de droits d’auteur…
Author:
teamtaomanews
Depuis le départ, en 2014, de l’auteure Fred Vargas de la maison d’édition Viviane Hamy, au sein de laquelle ses romans étaient publiés dans la collection « Chemins Nocturnes », pour rejoindre Flammarion, une bataille judiciaire est née entre les deux maisons d’éditions.
En effet, selon l’ancienne éditrice de la romancière à succès, la maquette de la couverture du premier ouvrage publié chez son concurrent reprenait les codes de sa collection « Chemins Nocturnes » à savoir :
=> un encadrement de couleur blanche à bordure fine sur fond noir mat ;
=> le nom de l’auteur, en lettres blanches capitales, centré et placé sur entête de la couverture, surmonté d’une ligne blanche à bordure fine ;
=> un titre en lettre blanches capitales, centré, compris dans l’encadrement de couleur blanche à bordure fine, placé au-dessus d’une illustration ;
=> une illustration en noir et blanc, dans un style vaporeux et/ou lugubre centrée, comprise dans l’encadrement de couleur blanche à bordure fine, illustrant de manière originale le sujet du roman ;
=> un format semi-poche.
Or, elle estimait que ces caractéristiques étaient le résultat d’un parti pris esthétique ayant pour objectif de susciter un sentiment de confinement, d’incertitude, de perte de repère ou de réalité, permettant à la maquette d’accéder à une protection au titre du droit d’auteur.
Leur reprise était alors, aux dires des éditions Viviane Hamy, constitutive de contrefaçon, voire de concurrence déloyale et parasitisme.
Nous vous laissons apprécier les caractéristiques de chaque couverture, avant de vous dévoiler l’issue du litige…
Couverture d’un ouvrage de Fred Vargas paru aux éditions Viviane Hamy
Couverture du premier ouvrage de Fred Vargas paru aux éditions Flammarion
Exemple de couverture des éditions Gli Adelphi
Un jugement du tribunal de grande instance de Paris l’a déboutée de toutes ses prétentions. Elle a donc interjeté appel, mais la cour a fait sienne les conclusions des juges de première instance, en estimant que :
=> La maquette de couvertures des ouvrages de la collection « Chemins Nocturnes » n’étaient pas protégeables au titre du droit d’auteur.
En effet, elle remarque, d’une part, que tous les éléments opposés sont banals pour des illustrations de romans policiers, et n’expriment donc aucune originalité et, en tout état de cause, la demanderesse ne s’est pas attardée sur certaines caractéristiques notables de l’œuvre revendiquée (tels que la présence du titre de la collection et du logo en forme de chat stylisé) qui ne sont pas reproduites dans la maquette d’ouvrage des éditions Flammarion.
=> La concurrence déloyale et le parasitisme ne sont pas constitués, au motif qu’il n’existe aucun risque de confusion entre les deux maquettes de couverture (la seconde étant par ailleurs ouvertement inspirée de celle d’une autres maison d’édition, Gli Adelphi, qui avait cédé ses droits à Flammarion), du fait des différences évidentes entre ces dernières (notamment proportion de la couverture protégée par l’image, nombre de sous divisions du rectangle central, présence du logo et du nom de la collection, etc.). En outre, l’appelante n’est pas parvenue à apporter la preuve de ses investissements.
Le fait que des commentateurs aient pu noter une « certaine continuité » entre les ouvrages ne serait alors dû qu’au qu’à la grande notoriété de l’auteure.
Malgré cette victoire, il est notable que les couvertures des ouvrages suivants de Fred Vargas publiés chez Flammarion ont quelque peu évolué :
Enfin, on remarquera que la décision peut être rapprochée de litiges concernant la protection de maquettes de couverture de magazines, cas dans lesquels les juges estiment en général que pour être protégée, la couverture doit présenter « une physionomie propre traduisant un parti pris esthétique qui porte l’empreinte de la personnalité de son auteur »[1] ou être « constituée d’une maquette spécifique et constante, répondant à une charte graphique et typographique, constitue, dans la mesure où se trouve caractérisée l’originalité qui la qui la distingue de celle de ses concurrents, une œuvre de l’esprit susceptible de bénéficier de la protection instituée (au titre du droit d’auteur) »[2].
Willems Guiriaboye
Stagiaire
Anita Delaage
Avocate
Cour d’appel de Paris, Pôle 5 – Chambre 1, 24 septembre 2019, n°17/19205
Décision non publiée, communiquée sur demande à contact@taoma-partners.fr
[1] CA Paris, 21 sept. 2012, n°10/11630
[2] CA Paris, 21 févr. 2007, n°06/07885
08
novembre
2019
Force probante d’archive.org : Un pas en avant pour la « machine à revenir en arrière »
Internet Archive est un organisme à but non lucratif américain dédié à l’archivage du web.
Ses archives comprennent 330 milliards d’extraits de pages internet, mises à disposition du public sur le site Wayback Machine, mais également 20 millions de livres, 4,5 millions d’enregistrements audios, 4 millions de vidéos, 3 millions d’images et 200 000 logiciels (source : archive.org), dans son immense bibliothèque numérique.
La Wayback Machine (archive.org) permet de stocker tout ce qui se trouve sur internet. Elle donne la possibilité de remonter jusqu’en 1996 pour retrouver des extraits de sites internet disparus ou dont le contenu aurait (sans surprise) été modifié.
Cette machine à remonter le temps est un véritable atout en propriété intellectuelle lorsqu’il s’agit de fournir des preuves d’usage d’une marque, vérifier les précédentes exploitations d’un nom de domaine, prouver la divulgation d’un modèle ou encore constituer des preuves d’une atteinte à un droit par un tiers.
Les juridictions françaises se sont toujours montrées assez réticentes à accepter des preuves provenant de la Wayback Machine.
Mais une décision rendue par la Cour d’Appel de Paris le 4 octobre dernier [1], faisant suite à une précédente décision du 5 juillet [2], a confirmé une évolution vers la reconnaissance de la valeur probante des extraits de la Wayback Machine.
Dans cet arrêt, le titulaire d’un brevet intitulé « tête fonctionnelle pour placer et supprimer des pneus de véhicule » assigne une société britannique en contrefaçon de son brevet et en concurrence déloyale.
Il fait alors réaliser un constat par un huissier de justice et produit un extrait du site archive.org, contenant la preuve qu’au 11 juin 2013 la partie adverse présentait sur son site un produit mettant en œuvre son brevet.
La Cour d’Appel de Paris mentionne dans son arrêt qu’ « il ne peut être dénié toute force probante [à cet extrait], à défaut de tout élément contraire de nature à jeter un doute sur sa fiabilité ».
La reconnaissance de la force probante des extraits du site Wayback Machine est donc une excellente nouvelle pour les titulaires de droits !
Avec cette décision, la Cour d’Appel de Paris s’aligne donc sur la position de l’EUIPO, l’OMPI (dans le cadre des procédures UDRP), l’OEB et de l’INPI qui a eu plusieurs fois l’occasion de statuer sur l’acceptation des extraits du site Wayback Machine, dans le cadre de demandes de preuves d’usage dans des procédures d’opposition, par la formule suivante « que toutefois, la preuve de l’exploitation de la marque étant libre, il n’y a pas lieu de refuser ces éléments ».
Nous nous réjouissons donc de cette décision, et ce d’autant plus qu’Internet Archive a récemment annoncé l’arrivée de nouvelles fonctionnalités très intéressantes sur la Wayback Machine [3]!
Marion Mercadier
Juriste
[1] CA PARIS, 4 octobre 2019, RG n°17/10064, non publié
[2] CA Paris, 5 juillet 2019, n°17/03974, non publié
[3] “The Wayback Machine: Fighting Digital Extinction in New Ways”, Internet Archive Blog, 18 octobre 2019
06
novembre
2019
Revente de jeux vidéo dématérialisés sur Steam : une question loin d’être épuisée
Author:
teamtaomanews
Steam est la plus grande plateforme de distribution en ligne de contenus numériques, et notamment de jeux vidéo. Le 17 septembre 2019, le TGI de Paris a notamment considéré que la société américaine Valve, propriétaire de cette plateforme, n’avait pas respecté la loi en interdisant à ses utilisateurs de pouvoir revendre leurs jeux téléchargés, comme ils peuvent le faire au format physique.
L’association de consommateurs UFC-Que Choisir incriminait notamment la clause 1.C de l’accord de souscription Steam, selon laquelle aucun des utilisateurs de Steam « n’est autorisé à vendre ou facturer le droit d’utiliser des Souscriptions », c’est-à-dire du contenu hébergé sur la plateforme.
La décision du TGI de Paris est motivée par le principe de l’épuisement du droit de distribution consacré en droit de l’Union par la directive 2001/29/CE (sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information) et la directive 2009/24/CE (sur la protection juridique des programmes d’ordinateur), et en droit national par les articles L. 122-3-1 et L. 122-6, 3° du Code de la propriété intellectuelle (CPI).
Selon Valve, la règle de l’épuisement n’a pas vocation à s’appliquer aux œuvres dématérialisées mais aux seuls objets tangibles supports de l’œuvre mis en circulation par le titulaire de droit ou avec son accord, faisant valoir que l’article 4(2) de la directive 2001/29/CE renvoie au seul support physique de l’œuvre.
Cependant, pour le Tribunal, il ressort des textes précités et de la jurisprudence de la CJUE (arrêt du 3 juillet 2012, C-128/11, UsedSoft GmbH c/ Oracle International Corp.) qu’il importe peu que l’œuvre soit ou non incorporée dans un support matériel, qu’elle ait été transférée par une vente ou une autre modalité que la vente : l’épuisement du droit de distribution s’applique quel que soit le mode de distribution du jeu vidéo, comme celle consistant en la mise sur le marché par téléchargement.
En conséquence, le titulaire du droit en cause ne peut plus s’opposer à la revente de cette copie ou exemplaire même si l’achat initial est réalisé par voie de téléchargement. Et l’éditeur du logiciel ou ses ayants-droit ne peuvent plus s’opposer à la revente de cette copie ou exemplaire même si l’achat initial est réalisé par voie de téléchargement, nonobstant l’existence de dispositions contractuelles interdisant une cession ultérieure.
D’où il suit que le principe de l’épuisement, invoqué par l’UFC-Que Choisir à l’appui de sa demande au regard desdits textes, s’applique à la fourniture de contenus numériques dématérialisés telle que la fourniture de jeux vidéo en ligne, lesquels sont accessibles à distance via Internet et téléchargés sur l’ordinateur de celui qui l’utilise.
Sur son site, l’UFC-Que Choisir a déclaré qu’elle comptait faire respecter cette décision et l’élargir à d’autres plateformes. De son côté, Valve a annoncé faire appel de ce jugement. Avec un marché français des jeux dématérialisés estimé à plus d’1,8 milliard d’euros en 2018, l’enjeu est de taille : Round 2… Fight !
Alexis Valot
Juriste
Anne Messas
Avocate à la cour, associée
Lien vers la décision
04
novembre
2019
Marques et mauvaise foi : quand le Tribunal file un mauvais coton…
Author:
teamtaomanews
Une requérante titulaire de marques antérieures semi-figuratives KOTON, ayant effet sur le territoire de l’Union européenne, a formé opposition auprès de l’EUIPO contre l’enregistrement d’une demande de marque STYLO & KOTON déposée en classes 25, 35 et 39. Comme pour les marques antérieures, le terme KOTON comportait une fleur de coton dont les deux voyelles étaient stylisées.
Cette opposition n’a abouti qu’en classes 25 et 35 de sorte que la marque STYLO & KOTON a été enregistrée pour les services de la classe 39.
La requérante a alors déposé une demande en nullité de la même marque, non seulement pour les services de la classe 39, mais également pour des produits et des services des classes 25 et 35, sur le fondement du dépôt de mauvaise foi, au visa de l’article 52(1)(b) du Règlement n°207/2009, applicable en raison de la date de dépôt.
La division d’annulation puis la chambre de recours de l’EUIPO ayant rejeté la demande en nullité, la requérante saisit le Tribunal de l’Union européenne (« TUE »), lequel refuse également de considérer que le dépôt a été fait de mauvaise foi.
Le règlement (UE) n°2017/1001 du 14 juin 2017 (« RMUE »), qui a remplacé le règlement (CE) n°207/2009 du 26 février 2009, ne propose pas de définition de la mauvaise foi, se bornant à affecter de nullité le dépôt opéré par un demandeur « de mauvaise foi » (RMUE, art. 59(1)(b)).
La Cour de Justice de l’Union européenne (« CJUE ») s’est essayée à la définir, en particulier dans l’arrêt du 11 juin 2009 Chocoladefabriken Lindt & Spüngli (CJCE, 11 juin 2009, C-529/07, pt. 53) précisant que la mauvaise foi du déposant doit être appréciée globalement en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d’espèce et existant au moment du dépôt et notamment :
le fait que le demandeur sait ou doit savoir qu’un tiers utilise, dans au moins un État membre, un signe identique ou similaire pour un produit ou service identique ou similaire prêtant à confusion avec le signe dont l’enregistrement est demandé ;
l’intention du demandeur d’empêcher ce tiers de continuer à utiliser un tel signe ;
le degré de protection juridique dont jouissent le signe du tiers et le signe dont l’enregistrement est demandé.
La Cour vient ici préciser qu’il ne ressort pas de l’arrêt du 11 juin 2009, Chocoladefabriken Lindt & Sprüngli, que l’existence de la mauvaise foi peut uniquement être constatée dans l’hypothèse, qui était celle sur laquelle la Cour était alors interrogée, où il y a utilisation sur le marché intérieur d’un signe identique ou similaire pour des produits identiques ou similaires prêtant à confusion avec le signe dont l’enregistrement est demandé, lequel n’est qu’un facteur pertinent parmi d’autres à prendre en considération (pts. 51-55).
En suivant cette approche, le TUE s’est abstenu de prendre en considération, dans son appréciation globale, l’ensemble des circonstances factuelles pertinentes telles qu’elles se présentaient lors du dépôt de la demande, alors que ce moment était déterminant. Il aurait ainsi fallu tenir compte du fait que l’intervenant avait demandé l’enregistrement d’un signe comportant le mot stylisé « KOTON » en tant que marque de l’Union européenne non seulement pour les services de la classe 39, mais également pour des produits et des services des classes 25 et 35 qui correspondaient à ceux pour lesquels la requérante avait fait enregistrer des marques comportant ce mot stylisé (pts. 59-60).
Par ailleurs, le TUE n’a abordé qu’à titre surabondant le fait qu’il y avait eu des relations commerciales entre l’intervenant et la requérante et que celles-ci avaient été rompues par la requérante ; il s’est, en outre, abstenu d’examiner si la demande d’une marque contenant le mot stylisé « KOTON » pour des produits et des services des classes 25, 35 et 39 présentait une logique commerciale au regard des activités de l’intervenant (pt. 62).
La Cour ayant décidé d’annuler l’arrêt du TUE et la décision de la chambre de recours, il appartient à l’instance compétente de l’EUIPO de prendre une nouvelle décision en se fondant sur une appréciation globale qui tienne compte de la demande d’enregistrement de la marque contestée telle que déposée pour des produits et des services relevant non seulement de la classe 39, mais également des classes 25 et 35.
Alexis Valot
Juriste
Anne Messas
Avocate à la cour, associée
Lien vers la décision