23
juillet
2024
CHANEL N°5 vs. 5 – Une décision au parfum de surprise
Par une décision du 17 juin 20241, l’Office Européen de la Propriété Industrielle (ci-après EUIPO) a rejeté l’opposition formée par la Maison Chanel contre la demande de marque de l’Union européenne semi-figurative n°18872562, déposée pour des produits tels que des crèmes parfumées, des huiles essentielles ou des sérums de beauté en classe 3.
En effet, considérant que cette demande de marque risquait de créer un risque de confusion dans l’esprit du public avec ses célèbres marques antérieures françaises n° 98755754 et N°5 n°1293767, Chanel a formé opposition contre l’ensemble des produits désignés en classe 3. La maison de luxe a notamment invoqué la renommée et le degré de distinctivité élevé de ses marques antérieures au soutien de son opposition, en raison de leur utilisation longue et intensive.
Malgré la reconnaissance de l’identité des produits en comparaison et la similarité visuelle et phonétique des signes, l’Office européen ne reconnaît pas le risque de confusion.
L’Office estime de manière surprenante que les marques antérieures et N°5 de Chanel jouissent d’un caractère distinctif normal en ce qu’elles n’ont aucune signification pour les produits désignés en classe 3, au regard des preuves fournies par Chanel. Il est ainsi reproché à Chanel de ne pas avoir fourni de preuves suffisantes permettant de démontrer que ses marques antérieures ont un degré élevé de distinctivité et sont sérieusement utilisées pour les produits désignés.
L’examinateur considère en outre que les différences entre les signes sont « frappantes et seront facilement mémorisables ». Ces différences sont renforcées par le fait que ce sont des signes courts. En effet, il est de jurisprudence constante que de faibles différences au sein de signes courts sont plus facilement perceptibles par le public pertinent d’attention moyenne, donnant lieu à une impression générale différente.
En l’espèce, la représentation de la marque contestée combinant la lettre « n » avec le chiffre « 5 » en un seul élément graphique est jugée « inhabituelle » par l’Office. Cette singularité aurait donc un impact immédiat sur la perception des consommateurs, les guidant vers la conclusion que les produits en question ont une origine commerciale distincte.
Par conséquent, l’EUIPO rejette l’opposition dans son intégralité.
Cette décision révèle que les marques les plus prestigieuses ne sont pas exemptées de fournir une démonstration suffisante de la renommée et du degré élevé de distinctivité de leurs marques. La renommée et le caractère distinctif ne sont pas automatiquement reconnus et doivent être sérieusement prouvés par l’opposant.
Compte tenu de la teneur de cette décision, il existe de fortes chances que Chanel fasse appel.
Margaux Maarek
Juriste en Propriété industrielle
(1) EUIPO, décision d’opposition n° B 3 203 223 du 17 juin 2023
18
juillet
2024
Jugement éclair : pas de contrefaçon pour le sac DEMI-LUNE
Author:
TAoMA
Le 7 juin 2024, le Tribunal judiciaire de Paris a rendu une décision dans une affaire opposant la société Atelier de Production et de Création (APC) aux sociétés Monoprix et Monoprix Exploitation concernant des faits de contrefaçon de droit d’auteur, de modèle déposé, ainsi que des faits distincts de concurrence déloyale et parasitaire.
La société APC, ayant déposé le 14 octobre 2013 un modèle de sac nommé « DEMI-LUNE », qui a rencontré un grand succès en France et à l’étranger, a constaté que les sacs commercialisés par les sociétés Monoprix reproduisaient les caractéristiques originales et l’impression d’ensemble de ce sac, incluant « sa forme et ses proportions ainsi que celles de la bandoulière », mais reprenaient également l’empreinte de la personnalité de son auteur.
De plus, la société APC a affirmé, devant le Tribunal, que la commercialisation de ces copies serviles générait un risque de confusion, constituant ainsi des actes de concurrence déloyale.
En conséquence, la société APC a mené des opérations de saisie-contrefaçon et a fait assigner les sociétés Monoprix pour faire cesser la production et la commercialisation de ces produits et obtenir réparation des préjudices commerciaux subis.
LA DÉFENSE DES PARTIES MISES EN CAUSE
Les sociétés Monoprix ont contesté les accusations émises par la société APC en invoquant que :
– le modèle « DEMI-LUNE » déposé par la société APC et les produits qu’elles commercialisent comportent des différences importantes.
– le sac « DEMI-LUNE » n’est pas original au motif que les caractéristiques revendiquées sont inhérentes à la forme du sac et parfaitement connues dans cette industrie (notamment aux vus des antériorités).
– la vente d’un produit similaire n’est pas nécessairement constitutive d’un acte de concurrence déloyale en ce qu’ils visent des consommateurs différents et utilisent des canaux de distribution différents.
Modèle déposé par la société AP
Modèle antérieur
DÉCISION DU TRIBUNAL
Après avoir tranché sur la validité du modèle de sac « DEMI-LUNE » en faveur de la société APC, le Tribunal s’est penché sur la possible contrefaçon du modèle, la violation des droits d’auteur et la présence d’actes de concurrence déloyale et parasitaire.
Tout d’abord, il a conclu que la comparaison des modèles des deux parties n’indiquait aucune contrefaçon, ces derniers se distinguant par « des éléments visuellement importants ».
Ensuite, il a évalué que les caractéristiques revendiquées par la société demanderesse relevait d’un « travail stylistique de qualité mais non un effort créatif concrétisé par une apparence singulière qui viendrait révéler l’empreinte de la personnalité » et refuse donc la qualification d’œuvre originale protégée par le droit d’auteur pour le modèle de sac « DEMI-LUNE ».
Enfin, sur la question de la concurrence déloyale et parasitaire, le tribunal a admis une ressemblance élevée pour certains des modèles des sociétés Monoprix mais a refusé la qualification de copie servile. Il a ajouté, en outre, que les faits n’avaient pas été réitérés. À cet égard, il a admis une « absence de risque de confusion pour la clientèle entre les modèles « DEMI-LUNE » de la société APC et les modèles « DEMI-LUNE » des sociétés Monoprix » écartant ainsi la caractérisation d’acte de concurrence déloyale et parasitaire, la société APC n’ayant pas démontré des investissements significatifs ou une notoriété suffisante pour établir un acte de parasitisme.
Ce jugement du Tribunal judiciaire de Paris renforce ainsi les exigences de protection de création – une création peut valablement être protégée par le biais d’un dessin & modèle tout en se voyant refuser une protection au titre du droit d’auteur. De plus, le Tribunal éclaircit les limites des pratiques de concurrence au sein de l’industrie.
L’affaire n’était finalement pas dans le sac pour APC.
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Elsa OLCER
Juriste Stagiaire
Jean-Charles NICOLLET
Conseil en Propriété Industrielle Associé
(1) Tribunal judiciaire de Paris, 3e ch., 2e sect., 7 juin 2024, n° 21/15173
09
juillet
2024
Quand l’originalité devient flou, zoom sur le préjudice économique !
Les photographies peuvent faire l’objet d’une protection par le droit d’auteur, sur le fondement de l’article L. 112-2 du code de la propriété intellectuelle qui dispose que « Sont considérés notamment comme œuvres de l’esprit au sens du présent code : (…) 9° Les œuvres photographiques et celles réalisées à l’aide de techniques analogues à la photographie. ».
Cependant, pour bénéficier de cette protection, la photographie doit répondre à la condition jurisprudentielle d’originalité, comme le rappelle un jugement rendu par le Tribunal Judiciaire de Rennes le 6 mai 20241.
En l’espèce, un photographe professionnel avait photographié un bateau de croisière, « Le Chateaubriand », à la demande de son propriétaire. Des années plus tard, ce cliché a été utilisé sans son autorisation dans plusieurs articles publiés par le journal Ouest France.
Malgré une tentative de règlement amiable, le photographe avait assigné la société Ouest France pour contrefaçon de droit d’auteur, et subsidiairement, pour faute délictuelle (sur le fondement de l’article 1240 du code civil).
Le Tribunal conteste l’originalité de la photo afin de rejeter l’action en contrefaçon de droits d’auteur.
Le Tribunal judiciaire a étudié l’originalité de la photographie pour déterminer si elle pouvait bénéficier de la protection offerte par le droit d’auteur. A ce titre, il revenait au photographe de démontrer que sa création était le résultat d’un choix personnel et qu’elle portait ainsi l’empreinte de sa personnalité.
Après une analyse particulièrement minutieuse des choix opérés par le photographe, le Tribunal judiciaire de Rennes a conclu que, malgré les efforts entrepris pour capturer l’image, ceux-ci ne suffisent pas à établir l’originalité, puisqu’ils relèvent d’un savoir-faire technique. En effet, les choix du photographe, notamment l’attente de conditions météorologiques favorables ou le cadrage, sont jugés trop communs ou évidents pour conférer à la photographie un caractère unique ou original.
Par conséquent, la photographie n’a pas été jugée éligible à la protection par le droit d’auteur – faute d’originalité, et les demandes de contrefaçon à ce titre ont été rejetées.
Toutefois, le tribunal reconnaît un préjudice économique, réparé sur le fondement de la responsabilité civile.
Subsidiairement, le photographe invoquait un préjudice économique résultant de l’utilisation non consentie et non rémunérée de sa photographie.
Le Tribunal judiciaire a ainsi reconnu que le photographe avait subi un manque à gagner. En effet, en utilisant son travail sans consentement, ni compensation, le journal Ouest France lui a causé un préjudice économique, indépendamment de tout préjudice moral ou patrimonial.
Les juges du fond ont donc prononcé une indemnisation forfaitaire à hauteur de 1.500 € pour cet usage non autorisé, une somme fixée « au regard des redevances habituellement pratiquées en matière de photographie, s’agissant des quatre utilisations frauduleuses ». Ouest France a également été condamné à lui verser la somme de 3.000 v au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Cette décision rappelle, une fois de plus, les strictes conditions requises pour qu’une photographie soit protégée par le droit d’auteur. Mais elle admet qu’une autre voie d’indemnisation est possible pour les photographes : lorsque leurs clichés ne peuvent bénéficier de la protection par le droit d’auteur, ils ne peuvent pour autant être reproduits sans compensation !
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Laurine Janin-Reynaud
Avocat à la Cour
Associée
Juliette Danjean
Juriste stagiaire
1) TJ Rennes, 2e ch. civ., 6 mai 2024, n° 22/01433.
01
juillet
2024
Louis Vuitton remporte la victoire contre « Pooey Puitton » : Quand la parodie tourne mal !
Author:
TAoMA
Le 25 avril 20241, le Tribunal judiciaire de Paris a rendu une décision significative dans l’affaire opposant Louis Vuitton Malletier (LV) à MGA Entertainment et plusieurs autres sociétés concernant des faits de contrefaçon de marques et de parasitisme.
Louis Vuitton, célèbre pour ses produits de maroquinerie de luxe et ses accessoires, a découvert que des sacs commercialisés sous le nom de « Pooey Puitton » reproduisaient de manière illicite plusieurs éléments distinctifs de ses propres produits. Ces éléments incluaient notamment les motifs multicolores, les anses, les enchapes hexagonales, et les anneaux dorés, caractéristiques emblématiques de la marque Louis Vuitton. Ayant acquis ces produits dans un magasin Toys « R » Us et constaté leur vente sur divers sites marchands, LV a mené plusieurs saisies-contrefaçons et engagé une action en justice pour faire cesser ces agissements et obtenir réparation des préjudices subis.
La société LV a soutenu que les sacs « Pooey Puitton » reproduisaient des éléments distinctifs de ses produits protégés par des marques enregistrées. Elle a invoqué l’article 9 du Règlement (UE) 2017/1001 sur la marque de l’Union européenne, et l’article L. 717-1 du code de la propriété intellectuelle, affirmant que l’usage des signes litigieux sans son consentement tirait indûment profit de la renommée de ses marques et leur portait préjudice.
Que soutiennent les sociétés mises en cause ?
Les sociétés mises en cause ont contesté les accusations, soulignant les différences entre les produits litigieux et ceux de Louis Vuitton.
Elles ont argué :
– que les produits « Pooey Puitton » font partie d’une gamme appelée « Poopsie » destinée aux enfants, très éloignée des produits de luxe de Louis Vuitton ;
– que les différences visuelles, phonétiques et conceptuelles sont trop importantes pour créer un lien dans l’esprit du public de nature à constituer une atteinte à une marque renommée ;
– que la comparaison des signes et produits concernés ne révèle aucune similarité ;
– que les produits sont différents car ils n’ont pas la même nature, fonction et destination, la société LV ne fabriquant ni ne commercialisant aucun jeu ou jouet pour enfants ;
– que les modes de distribution sont différents,
– de même que les prix,
– que le public ciblé est l’enfant prescripteur d’achat.
Les défenderesses ont également soutenu que le produit « Pooey Puitton » relevait de la parodie, visant à faire un clin d’œil humoristique et non à imiter ou à tirer profit de la marque Louis Vuitton. Elles ont argué que la parodie est une forme d’expression reconnue, souvent utilisée pour se moquer de manière inoffensive, et non pour porter atteinte à la renommée ou au caractère distinctif d’une marque.
En complément, les défenderesses ont invoqué la liberté d’expression, affirmant qu’elles avaient le droit de créer et commercialiser des produits humoristiques. Elles ont soutenu que leur intention n’était pas de tromper les consommateurs ni de tirer indûment profit de la renommée de Louis Vuitton, mais simplement de jouer sur les mots et les images de manière créative.
Les arguments n’ont pas convaincu le Tribunal judiciaire de Paris
Après avoir aisément retenu la renommée des marques de Louis Vuitton, le Tribunal se penche sur l’évaluation de l’atteinte à leur renommée en évaluant (i) le préjudice porté au caractère distinctif de la marque, (ii) le préjudice porté à la renommée de la marque, et (iii) le profit indûment tiré de celle-ci.
Il en conclut que l’utilisation des signes contestés affaiblit le pouvoir distinctif des marques Louis Vuitton et nuit à leur renommée. Il souligne que les signes sont suffisamment similaires pour que le public concerné par le jouet « Pooey Puitton », incluant certains clients de la société Louis Vuitton, établisse un lien, même s’il existe une différence entre les produits en cause. Les marques de la demanderesse bénéficient d’une renommée exceptionnelle et d’un caractère distinctif très fort, ce qui rend probable ce rapprochement, même sans confusion directe.
Le Tribunal judiciaire de Paris a également évalué la perception du public pertinent, incluant à la fois les consommateurs de produits de luxe de Louis Vuitton et les acheteurs de jouets. Il a jugé que même si les acheteurs de jouets étaient principalement des enfants, les parents, en tant qu’acheteurs finaux, seraient sensibles à la similitude entre les signes et pourraient être influencés négativement par l’association des marques. Le tribunal a ainsi reconnu que l’atteinte à la renommée et au caractère distinctif de la marque Louis Vuitton s’appréciait par rapport à ses clients et non uniquement par rapport aux acheteurs des produits litigieux.
Ainsi, le Tribunal conclut que les produits « Pooey Puitton » tirent indûment profit de la renommée des marques Louis Vuitton car « il s’agit bien pour les défenderesses de tenter de se placer dans le sillage de la marque renommée afin de bénéficier, auprès du consommateur moyen des produits Pooey Puitton, normalement informé et raisonnablement attentif, c’est-à-dire principalement un adulte qui achète des jouets, du pouvoir d’attraction, de la réputation et du prestige des marques Louis Vuitton et d’exploiter sans compensation financière, dans le but purement commercial de faciliter leurs ventes, l’effort commercial déployé par la société LV pour créer et entretenir l’image de celle-ci » . Le fait d’associer un produit de luxe à une parodie scatologique a été jugé préjudiciable à l’image de raffinement et d’exclusivité de Louis Vuitton.
L’exception de parodie ne fonctionne pas non plus
Bien qu’il ait reconnu l’importance de la liberté d’expression et le droit à la parodie, le Tribunal a jugé que ces principes ne pouvaient justifier une atteinte aux droits de propriété intellectuelle de LV.
En particulier, le Tribunal judiciaire de Paris a estimé que l’usage des signes contestés par les défenderesses n’était pas justifié par un motif légitime. Bien que la parodie puisse être protégée, elle ne doit pas porter atteinte au caractère distinctif ou à la renommée d’une marque établie.
Enfin, il affirme que la liberté d’expression doit être équilibrée avec les droits de propriété intellectuelle. Cependant, dans ce cas, les droits de LV en tant que titulaire de marques renommées prévalent sur le droit des défenderesses à l’expression humoristique parodique.
En conclusion, le Tribunal a retenu que les marques de LV jouissaient d’une renommée exceptionnelle et que les défenderesses avaient indûment tiré profit de cette renommée à travers la contrefaçon et le parasitisme.
Ce jugement réaffirme ainsi l’aura incontestée et l’influence prééminente des marques Louis Vuitton sur le marché mondial !
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Gaelle Loinger
Conseil en Propriété Industrielle Associée
Emeline Jet
Avocate à la Cour
(1) Tribunal Judiciaire de Paris, 3e ch., 1re sect., 25 avril 2024, n°19/01735