08
octobre
2024
Quand la mode fait jurisprudence : GANNI marche sur Steve Madden avec style
Le tribunal maritime et commercial de Copenhague vient de marquer un tournant dans la protection des créations de mode au Danemark.
Le 9 août 2024, le tribunal a rendu une décision favorable à la marque danoise GANNI en lui accordant la protection de ses droits d’auteur sur son célèbre modèle de chaussure Buckle Ballerina. Face à cette reconnaissance, la société américaine Steve Madden se voit désormais interdite de commercialiser la chaussure GRAND AVE, jugée trop similaire, sur le territoire danois.
Une décision remarquée pour le droit d’auteur dans la mode
En s’appuyant sur l’arrêt Cofemel de la Cour de justice de l’Union européenne (C-683/17), le tribunal a reconnu que le design de la Buckle Ballerina pouvait bénéficier de la protection du droit d’auteur en tant qu’œuvre d’art appliqué. Jusque-là, les tribunaux danois, même la Cour suprême, avaient été réticents à accorder ce statut aux créations de mode. Cette décision établit que l’assemblage unique des éléments de design — la forme fine et féminine, le bout pointu contrastant avec l’angularité de la semelle, les boucles et les rivets inspirés du style punk — constitue l’expression intellectuelle propre du designer de GANNI, Emmelie Karlström.
Steve Madden en difficulté face à la notoriété de GANNI
GANNI considérait le modèle GRAND AVE comme une copie quasi identique de la Buckle Ballerina. Le tribunal a donné raison à GANNI, soulignant que malgré les différences mineures entre les deux modèles, GRAND AVE donne une impression générale similaire à celle de la Buckle Ballerina.
Le tribunal a également souligné que même si Steve Madden bénéficiaiy d’une réputation internationale, la GRAND AVE n’a pas pu être conçue sans connaissance préalable du modèle de GANNI, qui jouit d’une exposition massive sur les réseaux sociaux et dans les magazines de mode tels que Vogue et Harper’s Bazaar. A cet égard, la plaignante avait également relevé l’existence de nombreuses vidéos TikTok expliquant pourquoi les clients devraient acheter les chaussures de GANNI alors qu’ils pouvaient acheter les modèles de Steve Madden « qui coûtent moitié moins cher ».
Conséquences pour la mode danoise et européenne
La décision pourrait bien encourager d’autres créateurs à revendiquer leurs droits d’auteur sur des créations de mode, traditionnellement plus difficiles à protéger. Cela renforce également le positionnement de GANNI comme une marque emblématique au Danemark et sur la scène internationale. Cette victoire pourrait dissuader d’autres marques de tenter des copies ou imitations, et invite les entreprises à prendre en compte le droit d’auteur comme moyen de protection dans leurs stratégies juridiques.
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Alain Hazan
Avocat associé
(1) Arrêt du tribunal maritime et commercial, Cas BS-25562/2024-SHR, 9 août 2024
01
juillet
2024
Louis Vuitton remporte la victoire contre « Pooey Puitton » : Quand la parodie tourne mal !
Author:
TAoMA
Le 25 avril 20241, le Tribunal judiciaire de Paris a rendu une décision significative dans l’affaire opposant Louis Vuitton Malletier (LV) à MGA Entertainment et plusieurs autres sociétés concernant des faits de contrefaçon de marques et de parasitisme.
Louis Vuitton, célèbre pour ses produits de maroquinerie de luxe et ses accessoires, a découvert que des sacs commercialisés sous le nom de « Pooey Puitton » reproduisaient de manière illicite plusieurs éléments distinctifs de ses propres produits. Ces éléments incluaient notamment les motifs multicolores, les anses, les enchapes hexagonales, et les anneaux dorés, caractéristiques emblématiques de la marque Louis Vuitton. Ayant acquis ces produits dans un magasin Toys « R » Us et constaté leur vente sur divers sites marchands, LV a mené plusieurs saisies-contrefaçons et engagé une action en justice pour faire cesser ces agissements et obtenir réparation des préjudices subis.
La société LV a soutenu que les sacs « Pooey Puitton » reproduisaient des éléments distinctifs de ses produits protégés par des marques enregistrées. Elle a invoqué l’article 9 du Règlement (UE) 2017/1001 sur la marque de l’Union européenne, et l’article L. 717-1 du code de la propriété intellectuelle, affirmant que l’usage des signes litigieux sans son consentement tirait indûment profit de la renommée de ses marques et leur portait préjudice.
Que soutiennent les sociétés mises en cause ?
Les sociétés mises en cause ont contesté les accusations, soulignant les différences entre les produits litigieux et ceux de Louis Vuitton.
Elles ont argué :
– que les produits « Pooey Puitton » font partie d’une gamme appelée « Poopsie » destinée aux enfants, très éloignée des produits de luxe de Louis Vuitton ;
– que les différences visuelles, phonétiques et conceptuelles sont trop importantes pour créer un lien dans l’esprit du public de nature à constituer une atteinte à une marque renommée ;
– que la comparaison des signes et produits concernés ne révèle aucune similarité ;
– que les produits sont différents car ils n’ont pas la même nature, fonction et destination, la société LV ne fabriquant ni ne commercialisant aucun jeu ou jouet pour enfants ;
– que les modes de distribution sont différents,
– de même que les prix,
– que le public ciblé est l’enfant prescripteur d’achat.
Les défenderesses ont également soutenu que le produit « Pooey Puitton » relevait de la parodie, visant à faire un clin d’œil humoristique et non à imiter ou à tirer profit de la marque Louis Vuitton. Elles ont argué que la parodie est une forme d’expression reconnue, souvent utilisée pour se moquer de manière inoffensive, et non pour porter atteinte à la renommée ou au caractère distinctif d’une marque.
En complément, les défenderesses ont invoqué la liberté d’expression, affirmant qu’elles avaient le droit de créer et commercialiser des produits humoristiques. Elles ont soutenu que leur intention n’était pas de tromper les consommateurs ni de tirer indûment profit de la renommée de Louis Vuitton, mais simplement de jouer sur les mots et les images de manière créative.
Les arguments n’ont pas convaincu le Tribunal judiciaire de Paris
Après avoir aisément retenu la renommée des marques de Louis Vuitton, le Tribunal se penche sur l’évaluation de l’atteinte à leur renommée en évaluant (i) le préjudice porté au caractère distinctif de la marque, (ii) le préjudice porté à la renommée de la marque, et (iii) le profit indûment tiré de celle-ci.
Il en conclut que l’utilisation des signes contestés affaiblit le pouvoir distinctif des marques Louis Vuitton et nuit à leur renommée. Il souligne que les signes sont suffisamment similaires pour que le public concerné par le jouet « Pooey Puitton », incluant certains clients de la société Louis Vuitton, établisse un lien, même s’il existe une différence entre les produits en cause. Les marques de la demanderesse bénéficient d’une renommée exceptionnelle et d’un caractère distinctif très fort, ce qui rend probable ce rapprochement, même sans confusion directe.
Le Tribunal judiciaire de Paris a également évalué la perception du public pertinent, incluant à la fois les consommateurs de produits de luxe de Louis Vuitton et les acheteurs de jouets. Il a jugé que même si les acheteurs de jouets étaient principalement des enfants, les parents, en tant qu’acheteurs finaux, seraient sensibles à la similitude entre les signes et pourraient être influencés négativement par l’association des marques. Le tribunal a ainsi reconnu que l’atteinte à la renommée et au caractère distinctif de la marque Louis Vuitton s’appréciait par rapport à ses clients et non uniquement par rapport aux acheteurs des produits litigieux.
Ainsi, le Tribunal conclut que les produits « Pooey Puitton » tirent indûment profit de la renommée des marques Louis Vuitton car « il s’agit bien pour les défenderesses de tenter de se placer dans le sillage de la marque renommée afin de bénéficier, auprès du consommateur moyen des produits Pooey Puitton, normalement informé et raisonnablement attentif, c’est-à-dire principalement un adulte qui achète des jouets, du pouvoir d’attraction, de la réputation et du prestige des marques Louis Vuitton et d’exploiter sans compensation financière, dans le but purement commercial de faciliter leurs ventes, l’effort commercial déployé par la société LV pour créer et entretenir l’image de celle-ci » . Le fait d’associer un produit de luxe à une parodie scatologique a été jugé préjudiciable à l’image de raffinement et d’exclusivité de Louis Vuitton.
L’exception de parodie ne fonctionne pas non plus
Bien qu’il ait reconnu l’importance de la liberté d’expression et le droit à la parodie, le Tribunal a jugé que ces principes ne pouvaient justifier une atteinte aux droits de propriété intellectuelle de LV.
En particulier, le Tribunal judiciaire de Paris a estimé que l’usage des signes contestés par les défenderesses n’était pas justifié par un motif légitime. Bien que la parodie puisse être protégée, elle ne doit pas porter atteinte au caractère distinctif ou à la renommée d’une marque établie.
Enfin, il affirme que la liberté d’expression doit être équilibrée avec les droits de propriété intellectuelle. Cependant, dans ce cas, les droits de LV en tant que titulaire de marques renommées prévalent sur le droit des défenderesses à l’expression humoristique parodique.
En conclusion, le Tribunal a retenu que les marques de LV jouissaient d’une renommée exceptionnelle et que les défenderesses avaient indûment tiré profit de cette renommée à travers la contrefaçon et le parasitisme.
Ce jugement réaffirme ainsi l’aura incontestée et l’influence prééminente des marques Louis Vuitton sur le marché mondial !
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Gaelle Loinger
Conseil en Propriété Industrielle Associée
Emeline Jet
Avocate à la Cour
(1) Tribunal Judiciaire de Paris, 3e ch., 1re sect., 25 avril 2024, n°19/01735
31
janvier
2023
LOUBOUTIN VS. AMAZON – Le géant de l’e-commerce à côté de ses pompes !
Ces dernières années, les titulaires de droits de marque, et particulièrement les grandes entreprises du luxe et de la mode font face à une recrudescence de la contrefaçon de leurs marques et produits sur les sites de places de marché. Perte importante de chiffre d’affaires et de compétitivité pour ces entreprises, elles subissent avant tout une atteinte à leurs droits de marque. La lutte contre la contrefaçon en ligne s’inscrit alors en priorité absolue pour ces grandes maisons qui ont adopté d’importantes stratégies de défense en ligne.
Elles iront d’abord rechercher la responsabilité dite « primaire » des contrefacteurs directs, à savoir les annonceurs, vendeurs tiers ou encore détenteurs de noms de domaine. Mais les titulaires rencontrent souvent des difficultés à remonter jusqu’à ces contrefacteurs, tant il est complexe de les identifier et de les localiser.
En outre, compte tenu de l’évolution des services proposés par les plateformes en ligne, il n’est plus possible de considérer qu’elles font preuve d’une totale neutralité, ce qui incite les titulaires de droit à engager leur responsabilité (directe et indirecte) lorsque des atteintes sont portées à une marque du fait des activités de ces plateformes et de celles de tiers sur leurs sites Internet.
C’est dans ce contexte que le chausseur français, Christian Louboutin, a formé deux recours au Luxembourg (affaire C-141/21) et en Belgique (C-184-21) contre le géant Amazon, lui reprochant des actes de contrefaçon caractérisés par la présence d’annonces relatives à des chaussures à semelles rouges publiées par des vendeurs tiers sur son site Internet, ainsi que le stockage et l’expédition de ces marchandises.
Les Cours nationales ont alors saisi la CJUE de deux questions préjudicielles portant sur l’interprétation de l’article 9, paragraphe 2 du Règlement 2017/1001, afin de savoir si l’exploitant d’une place de marché peut être tenu directement responsable de l’atteinte aux droits du titulaire d’une marque, qui résulte d’offres à la vente de produits contrefaisants émanant de vendeurs tiers, du stockage et de l’expédition de ces mêmes produits.
Elles s’interrogent particulièrement sur le point de savoir si, dans la perception d’un internaute normalement informé et raisonnablement attentif, cet exploitant a joué un rôle actif dans l’élaboration de cette publicité ou si celle-ci peut être perçue comme faisant partie de sa propre communication commerciale.
Dans sa décision du 22 décembre 2022, la Cour renvoie aux apports des arrêts L’Oréal C-324/09 du 12 juillet 2011 (C-324/09) et Coty Germany C-567/18 du 2 avril 2020 aux termes desquels elle avait considéré que les places de marché en cause n’avaient pas fait un usage des signes dans le cadre de leur propre communication commerciale et donc que leur responsabilité n’était pas susceptible d’être engagée.
La Cour rappelle ainsi que « faire usage », au sens du droit des marques, implique un comportement actif et une maîtrise, directe ou indirecte, de l’acte constituant l’usage.
Elle souligne néanmoins que les circonstances d’espèce de ces décisions sont différentes : l’exploitant ne faisait pas la promotion de ses propres produits sur son site Internet, il n’avait pas connaissance du caractère contrefaisant des produits et leur expédition était réalisée par des prestataires externes.
Pour déterminer si l’usage du signe contrefait correspondait à une communication commerciale d’Amazon pour son propre compte, la Haute cour estime qu’il convient d’identifier si l’annonce est susceptible de créer un lien entre les services offerts par la plateforme et le signe Louboutin : l’utilisateur étant alors susceptible de croire qu’Amazon commercialise en son nom et pour son propre compte le produit contrefaisant.
À ce titre, la Cour détaille les circonstances dans lesquelles un lien entre le signe contrefait et les services fournis par cette plateforme est susceptible d’être créé et renforcé aux yeux des utilisateurs :
• L’exploitant recourt à un mode de présentation uniforme de ses propres offres et de celles des vendeurs tiers sans distinction en fonction de leur origine, tout en faisant apparaître son propre logo ;
• La nature et l’ampleur des services fournis par l’exploitant permettent de caractériser son implication (traitement des questions des utilisateurs, stockage, expédition et gestion des retours).
Dans ces circonstances, la CJUE estime que l’exploitant d’une place de marché est susceptible d’être considéré comme faisant lui-même usage d’un signe identique à une marque de l’Union européenne pour des produits identiques proposés à la vente par des vendeurs tiers et par conséquent, d’être reconnu comme responsable direct d’actes de contrefaçon.
À ce stade, la Cour ne tranche pas le litige car il ne lui appartient pas de déterminer si Amazon a fait un usage contrefaisant des signes en cause.
Il incombera donc aux juridictions nationales Belge et Luxembourgeoise de se prononcer conformément à la position de la Cour.
Il s’agit, d’ores et déjà, d’une première victoire pour les titulaires de droit en matière de lutte contre la contrefaçon de marque. Reste à savoir si la jurisprudence future s’inscrira dans cette lignée.
Cette décision s’inscrit dans un contexte global de responsabilisation des plateformes au niveau européen et ouvre la voie vers une nouvelle jurisprudence en la matière.
En effet, après une évolution non-négligeable en matière de droit d’auteur par l’adoption de la directive (UE) 2019/790, le Parlement européen et le Conseil ont très récemment adopté le Règlement Digital Service Act (DSA), qui vient renforcer les obligations des plateformes en lignes et moteurs de recherche afin de lutter contre les contenus illicites et notamment contre la contrefaçon en ligne (remplace et modifie la directive 2000/31 sur le commerce électronique devenue dépassée).
Un changement de paradigme est en cours, tant d’un point de vue législatif que jurisprudentiel.
Margaux Maarek
Juriste
Sources :
• Décision du 22 décembre 2022
• https://www.village-justice.com/articles/nouvelle-saisine-cjue-amazon-est-responsable-pour-vente-sur-plateforme,39324.html
• https://www.actualitesdudroit.fr/browse/affaires/immateriel/39441/market-place-usage-d-un-signe-contrefaisant-sur-un-marche-en-ligne
• https://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf;jsessionid=DB78F7914456E863F6A501DDA16A86E4?text=&docid=268788&pageIndex=0&doclang=fr&mode=lst&dir=&occ=first&part=1&cid=17357
• https://entreprendre.service-public.fr/actualites/A16089
• https://blip.education/responsabilite-des-plateformes-en-cas-de-contrefacon-apports-des-conclusions-de-lavocat-general-dans-les-affaires-louboutin-contre-amazon-c-148-21-et-c-184-21-par-jerome-tassi
• https://curia.europa.eu/jcms/upload/docs/application/pdf/2022-12/cp220213fr.pdf
31
janvier
2023
Un contrat de franchise qui porte bien son nom
Dans l’univers du luxe, tout n’est pas calme et volupté.
La Cour d’appel de Paris a été témoin de cela dans une affaire qui met en jeu la diffusion des produits de la marque Elie Saab. Dans un arrêt du 9 novembre 2022 la Cour a rappelé que l’absence de remise d’un Document d’Information Précontractuelle (DIP) au franchisé, ne permet pas de caractériser automatiquement une réticence dolosive et un manquement contractuel de la part du franchiseur envers ses obligations précontractuelles.
Le DIP est la somme d’information obligatoirement communiquée par le franchiseur dans le cadre d’un contrat de franchise. Imposé par la loi Doubin depuis 1989, il doit être remis par le franchiseur à son franchisé au moins 20 jours avant la signature du contrat ou avant tout versement d’argent dans le cadre d’un précontrat de réservation de zone (Article L330-3 du Code de commerce).
Ce document a pour objectif de s’assurer que le franchisé signe le contrat de franchise en pleine connaissance de cause après avoir pris connaissance de toutes les informations nécessaires avant son plein engagement. Le franchiseur s’engage à fournir tout ce qui est nécessaire à la mise en place d’une collaboration basée sur la transparence et la sincérité.
Dans cette affaire, la société DJ Couture avait conclu un contrat de franchise avec la société SIM Licensing, en mars 2012 concédant l’exclusivité de la distribution de la marque Elie Saab sur une partie du territoire de la Suisse. Elle a résilié le contrat trois ans plus tard et a demandé la réparation du préjudice causé par la résiliation du contrat aux torts exclusifs du franchiseur.
Pour cela, elle s’est fondée entre autres, sur la réticence dolosive, et des manquements précontractuels du franchiseur pour s’être abstenu de la renseigner en toute loyauté et transparence sur les coûts réels des travaux d’aménagement de la boutique dont elle était la franchisée.
Par deux décisions du 31 octobre 2018 et 3 février 2020, le Tribunal de commerce de Paris a débouté la société DJ Couture de sa demande qui a été portée ensuite en appel.
La Cour a confirmé sur ce point la décision du Tribunal de commerce du 31 octobre 2018, en retenant que « si le franchiseur n’avait effectivement pas fourni de document d’information précontractuelle (DIP) comme l’impose la loi française choisie par les parties au contrat de franchise (…) la société DJ Couture ne démontre pas en quoi l’absence de ce document avait vicié son consentement ni de la réalité d’une réticence dolosive du franchiseur ou de grossières erreurs de sa part lors de la phase précontractuelle sans lesquelles la société DJ Couture n’aurait pas contracté »
Par cette décision, la Cour d’appel rappelle un principe constant1 : en l’absence de document d’information pré contractuelle ou si celui-ci est incomplet, la nullité du contrat n’est pas automatique. Pour l’obtenir, le franchisé doit prouver que son consentement a été vicié.
A contrario, le dol est retenu lors d’un mensonge délibéré, entrainant la nullité du contrat2.
Dans cet arrêt, la Cour relève que malgré l’absence de « DIP », il y a bien eu des échanges d’informations entre les Parties.
En effet, le franchiseur soumet aux débats des courriels où il communique des informations relatives au contrat de franchise qui permettraient au franchisé de développer au mieux sa franchise. Ces informations comprennent des exigences sur la taille recommandée du magasin, sur les frais de design, et, sur la base de son expérience, les coûts de décoration et du mobilier de la boutique, ainsi que sur le personnel nécessaire à la bonne tenue de la boutique.
Par ailleurs, le franchisé a obtenu, à l’occasion d’un rendez-vous demandé par lui auprès du franchiseur, des informations complémentaires sur le contrat de franchise.
Enfin, le franchisé n’a jamais fait lors de ces échanges « d’injonction de communiquer » des documents ou informations supplémentaires sur l’aménagement de la boutique.
La Cour retient que ces échanges ne démontrent pas de manœuvres dolosives de la part du franchiseur visant à dissimuler intentionnellement des informations, ni de déloyauté particulière pour la communication d’information dans le secteur confidentielle de la haute-couture.
La haute-couture peut Voguer tranquillement…
Emeline Jet
Elève-avocate
Anne Messas
Avocate
(1) Cass. com., 10 févr. 1998, n° 95-21.906 ; Cass. 1re civ., 3 nov. 2016, n° 15-24.886
(2) Cass. 1re civ., 3 nov. 2016, n° 15-24.886 : A titre d’exemple, il avait été décidé qu’en occultant les raisons de l’échec du précédent franchisé ainsi que les répercussions qui en ont découlé sur le secteur au regard de la réputation commerciale de l’enseigne, en procédant à une présentation erronée du réseau et en opérant une transmission erronée des chiffres prévisionnels, le franchiseur a enfreint son obligation de sincérité sur des données nécessairement déterminantes au regard du consentement du franchisé et que les informations transmises, par leur caractère erroné et dénué de sérieux, sont révélatrices de la volonté délibérée de la société SDAR de tromper le consentement de son cocontractant.
31
janvier
2023
Imiter n’est pas créer : Attention au boomerang !
Author:
TAoMA
Bijoux de fantaisie : la concurrence fait rage. En quelques années, le marché des bijoux de fantaisie s’est fortement développé et il peut parfois être difficile de se distinguer de la concurrence, en particulier compte-tenu de l’encombrement créatif dans le secteur. Cet encombrement créatif a joué en faveur de la société Atiwell, dans le cadre de l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris, le 2 novembre 20221.
La société Zag bijoux a assigné la société Atiwell le 26 avril 2019, pour des actes de concurrence déloyale et parasitaire liés à la commercialisation de bijoux en apparence identiques aux modèles de ses propres collections, mais de qualité médiocre et de moindre prix.
Le Tribunal de commerce de Bobigny a débouté la société Zag bijoux de ses demandes par jugement en date du 17 novembre 2020. En particulier, le Tribunal de commerce de Bobigny a considéré que les bijoux commercialisés par la société Zag Bijoux relevaient plus de la fantaisie commune que de produits originaux. Dans ce contexte, la société Atiwell pouvait s’en inspirer, sans contrevenir aux usages honnêtes et loyaux qui doivent présider à la vie des affaires.
Mécontente de cette décision, la société Zag Bijoux a porté l’affaire devant la Cour d’appel de Paris qui a confirmé le jugement.
En effet, et après une analyse minutieuse des modèles de bijoux de la société Zag bijoux, la Cour d’appel conclu qu’il existe des différences certaines entre les bijoux en cause et, par ailleurs, elle constate que de nombreux modèles de bijoux de la société Zag bijoux s’inscrivent dans la tendance du marché et, de surcroît, s’inspirent fortement de modèles protégés antérieurement au titre du droit des dessins et modèles, par d’autres concurrents.
La Cour en conclut que
• Il ne peut y avoir de risque de confusion entre les modèles de bijoux en cause, dès lors que la société Zag Bijoux s’est elle-même inspirée de modèles tombés dans le domaine public et/ou appartenant à la tendance actuelle du secteur. De même la Cour d’appel écarte également l’existence d’un effet de gamme sur cette base, puisque les éléments repris sont usuels et banals dans le secteur de la bijouterie ;
• La société Zag Bijoux ne justifie pas d’une valeur individualisée dont il résulterait des efforts créatifs, ainsi que des investissements. La concurrence déloyale et parasitaire est donc également rejetée par la Cour d’appel de Paris.
Cet arrêt, qui s’inscrit dans la jurisprudence actuelle, laisse entendre que les créations qui proviennent de l’imitation et/ou sont inspirées de la tendance du secteur ne peuvent pas être protégées par l’action en concurrence déloyale ou parasitaire. On doit préciser que ces créations ne seraient pas, a fortiori, protégées par le droit d’auteur.
Baptiste Kuentzmann
Conseil en Propriété Industrielle
(1) Cour d’appel de Paris, Pôle 5 chambre 1, 2 novembre 2022, n°21/00039 ;
14
novembre
2022
La forme du « Saddle bag » de Dior refusée à l’enregistrement pour absence de caractère distinctif
La protection par le droit des marques peut s’avérer très utile pour les entreprises du secteur de l’industrie du luxe notamment, en complément d’une protection par le droit des dessins et modèles.
En effet, lorsque l’apparence d’un produit présente une certaine particularité, il est possible pour son créateur de déposer une marque dite « bidimensionnelle » ou « tridimensionnelle » selon les cas. Cet outil juridique a l’avantage de conférer un droit de propriété intellectuelle illimité sur cette forme, sous réserve d’une exploitation sérieuse par son titulaire.
Toutefois, afin d’éviter d’octroyer un monopole sur une forme quelconque au détriment des concurrents, l’examen par les Offices d’une telle demande est soumis aux mêmes conditions que pour les autres catégories de marques et fait l’objet d’une appréciation stricte par les examinateurs. En effet, une marque de forme est notamment refusée à l’enregistrement si elle est :
Dépourvue de caractère distinctif 1. Le signe doit permettre d’identifier les produits ou services pour lesquels l’enregistrement est demandé et donc de les distinguer des entreprises concurrentes.
Constituée exclusivement par la forme/les caractéristiques du produit 2 :
• imposée par la nature de ce même produit ;
• nécessaire à l’obtention d’un résultat technique ;
• qui donne une valeur substantielle au produit.
Ces conditions constituent des motifs absolus de refus à l’enregistrement d’une marque. Dans une décision récente 3,, la chambre des recours de l’EUIPO s’est prononcée sur l’absence de distinctivité de la demande de marque 3D du « Saddle Bag » de Dior. Cette décision vient illustrer l’appréciation du caractère distinctif de cette typologie particulière de marque.
La société Christian Dior Couture a déposé une demande de marque 3D portant sur la forme de son célèbre « Saddle bag » – créé en 1999 par John Galliano – le 24 mars 2021, pour désigner des produits en classes 9 et 18. La marque demandée était notamment représentée comme suit au moment du dépôt :
Après avoir essuyé un premier refus partiel devant l’EUIPO le 11 novembre 2021 sur le fondement de l’Article 7 paragraphe 1, point b) du RMUE, la demanderesse a formé un recours en appel contre cette décision.
Une fois saisie, la chambre des recours a alors estimé que la marque demandée était dépourvue de caractère distinctif, dès lors qu’elle est constituée d’une combinaison d’éléments qui sont « typiques » des produits concernés en classe 18, à savoir les « Sacs, sacs à main, pochettes (maroquinerie), trousses de voyage (maroquinerie), trousses de toilette et de maquillage (vides) ». De ce fait elle a considéré que la marque 3D ne pouvait pas diverger, dans son ensemble et de manière significative, de la norme ou des habitudes du secteur de la maroquinerie.
Pour rappel, seule une marque qui, de manière significative, diverge de la norme ou des habitudes du secteur et, de ce fait, qui est susceptible de remplir sa fonction essentielle d’origine n’est pas dépourvue de caractère distinctif.
D’après l’Office, il est notoire que ce secteur soit caractérisé par une multitude et une abondance de formes auxquelles le public est régulièrement exposé. L’examinateur avait notamment considéré que le signe demandé était « la forme d’un sac à main, d’une sacoche, d’une housse, d’un étui, d’une pochette voire d’une trousse qui pourrait être fabriquée en cuir/peau d’animal ».
La forme du « Saddle bag » ne peut donc remplir sa fonction essentielle d’origine, à savoir celle d’identifier l’origine commerciale des produits en cause et notamment les articles de maroquinerie susmentionnés en classe 18, afin de les différencier des entreprises concurrentes.
En revanche, l’Office a annulé le refus pour les produits de la classe 9 (Lunettes de vue, etc) et certains produits de la classe 18 (Cuir et imitation du cuir; peaux d’animaux et fourrures, etc), considérant que ces produits ne prendraient pas la forme de la marque en cause ou une forme similaire.
Ainsi, la chambre des recours de l’EUIPO a confirmé la décision de l’examinateur et a refusé partiellement l’enregistrement de la marque 3D de Dior, portant sur la forme du « Saddle Bag » pour absence de caractère distinctif.
Ce n’est pas la première fois que Dior rencontre des difficultés pour obtenir la protection de la forme de son sac, puisque le 9 mars 2021, l’USPTO (l’Office américain des marques et des brevets) a refusé l’enregistrement de cette demande pour les mêmes motifs.
Ainsi, la protection des marques 3D n’est pas chose aisée pour les déposants et notamment pour les grandes maisons de luxe, afin de ne pas créer un monopole sur une forme et donc un avantage concurrentiel en faveur d’un seul opérateur économique.
Margaux Maarek
Juriste
(1) Article 7, paragraphe 1, point b), du Règlement sur la marque de l’Union européenne : « 1. Sont refusés à l’enregistrement : (…) (b) les marques qui sont dépourvues de caractère distinctif (…) » ;
(2) Article 7, paragraphe 1, point e), du Règlement sur la marque de l’Union européenne : « 1. Sont refusés à l’enregistrement : (…) (e) les signes constitués exclusivement : (i) par la forme, ou une autre caractéristique, imposée par la nature même du produit ; (ii) par la forme, ou une autre caractéristique du produit, nécessaire à l’obtention d’un résultat technique; (iii) par la forme, ou une autre caractéristique du produit, qui donne une valeur substantielle au produit ; (…) » ;
(3) EUIPO, Décision de la Deuxième chambre de recours du 7 septembre 2022, affaire R 32/2022-2 ;
14
avril
2022
Tendances de mode et constance jurisprudentielle
La cour d’appel de Paris vient de donner une nouvelle illustration de l’appréciation délicate de la contrefaçon en matière de créations dans le domaine de la mode, où la reconnaissance de l’originalité des œuvres se heurte au recours au « fonds commun » de la mode et à l’inscription dans des tendances saisonnières.
L’arrêt du 15 février 2022
L’affaire est classique : deux créatrices de bijoux se disputent un marché pour leurs créations. La première considère que la seconde a imité ses créations et l’assigne devant le tribunal judiciaire de Paris en contrefaçon de droits d’auteur et en concurrence déloyale. Le tribunal rejette les demandes et la cour d’appel confirme le jugement.
Sans rentrer dans les détails de l’espèce, impliquant également deux autres parties, on retiendra que la cour a considéré que les bijoux créés par la demanderesse, ne se différenciant des traditionnels bracelets brésiliens portés par « les hippies et les surfeurs » (mais aussi par certains avocats, comme la cour semble l’ignorer) que par l’utilisation de couleurs et de matières plus nobles et féminines, ne font que « revisiter » un genre et ne peuvent donc pas bénéficier de la protection du droit d’auteur.
La cour ajoute que d’autres créateurs participent à la « même tendance ‘bohème chic’ » puisant « à un fonds commun de l’accessoire de mode », ce qui caractérise une démarche relevant d’une « inspiration mutuelle entre créateurs ».
Par conséquent, s’il existe des ressemblances flagrantes entre les bijoux, le fait qu’ils s’inscrivent dans un même fonds commun exclut leur caractère original. La même raison justifie également, aux yeux de la cour, le rejet des demandes en concurrence déloyale puisque l’inscription dans un fonds commun exclut que les ressemblances soient liées à une volonté fautive de créer un risque de confusion – a fortiori en l’absence de notoriété des bijoux de la demanderesse.
Une « tendance » jurisprudentielle confirmée
Les créations appartenant au domaine de la mode ont un statut à part en droit d’auteur. Leurs créateurs doivent donc résoudre la quadrature du cercle en se distinguant (par l’empreinte de leur personnalité) tout en participant à un courant saisonnier destiné à engendrer ou participer à un succès commercial.
Si l’appréciation du caractère protégeable des œuvres peut être différente dans chaque espèce, la solution rappelée dans cet arrêt n’est pas nouvelle.
Ainsi, le simple fait de s’inscrire dans une tendance de mode n’empêche pas nécessairement de voir reconnue l’originalité des bijoux, vêtements ou accessoires, comme l’a retenu un arrêt de cassation déjà ancien : « s’il est exact que la contrefaçon de modèles d’industries saisonnières de l’habillement et de la parure ne saurait résulter de la seule ressemblance, dans leur ligne générale, entre le modèle prétendument contrefait et celui argué de contrefaçon, lorsque l’un et l’autre se situent dans une même tendance de la mode, il en est autrement lorsque l’article contrefait comporte des éléments spécifiques de nouveauté et d’originalité reproduits par le modèle contrefaisant » (Cass. crim., 29 janvier 1991, n° 90-81903).
Mais inversement, l’absence d’élément spécifique d’originalité indépendant de la reprise d’éléments provenant d’un fonds commun de la mode peut priver l’œuvre de protection. C’est ce qu’a rappelé la Cour de cassation en 2014, jugeant que la cour d’appel avait « souverainement estimé que l’ajout de semelles à picots qui s’inscrivait dans une tendance de la mode était insuffisant pour témoigner de l’empreinte de la personnalité de son auteur et que le modèle revendiqué n’était dès lors pas éligible à la protection conférée par le droit d’auteur » (Cass. civ. 1e, 20 mars 2014, n° 12-18518).
De récentes décisions de cours d’appel adoptent la même grille d’analyse et prennent en compte les éléments tendanciels de ce secteur commercial, souvent pour rejeter la protection par le droit d’auteur.
Par exemple, en matière de contrefaçon de droits d’auteur, une décision du 22 octobre 2019 (CA Paris, RG n° 17/20261) pour des blouson « bombers » et une décision du 16 novembre 2021 (CA Paris, RG n° 18/20990) pour des sacs à main. Et en matière de concurrence déloyale, une décision du 26 mars 2021 (CA Paris, RG n° 19/19593) pour des chaussures et une décision du 19 novembre 2020 (CA Versailles, RG n° 19/03448) pour des sacs à dos et cartables.
Les créateurs doivent donc être alertés sur la fragilité de leurs droits et sur la nécessité, pour les consolider, de se détacher autant que possible du « fonds commun », dès le processus de création : l’octroi de la protection par le droit d’auteur viendra alors récompenser la prise de risque économique qu’il y a à se démarquer d’une tendance saisonnière.
Décision commentée : Cour d’appel de Paris, pôle 5, chambre 1, 15 février 2022, RG n° 19-12641 (communiquée sur demande à contact-avocat@taoma-partners.fr)
Jérémie Leroy-Ringuet
Avocat à la cour
25
mars
2021
Un pacte d’actionnaires peut emporter cession de droits d’auteur
Author:
teamtaomanews
La question de la titularité du droit d’auteur sur les inventions de salariés est récurrente en droit français. Le principe est que l’existence d’un simple contrat de travail n’emporte aucune dérogation au profit de l’employeur à la jouissance des droits de propriété intellectuelle de l’auteur salarié. Ainsi, en l’absence de cession de droits, le salarié ne transmet à son employeur aucune autorisation d’exploitation sur ses œuvres. Mais les choses se compliquent lorsque le salarié est également actionnaire et qu’un pacte d’actionnaire envisageait le sort des œuvres à naître.
La cour d’appel a eu l’occasion de se pencher sur ce problème dans un arrêt du 26 février 2021 relatif à des créations de mode. Le conflit opposait d’une part une société CYMBELINE FOREVER, venant aux droits de la société CYMBELINE, spécialisée dans la commercialisation de robes de mariées, et d’autre part l’ancienne directrice de collection salariée de CYMBELINE, dont le contrat de travail avait trouvé son terme mais qui était toujours actionnaire.
L’ancienne directrice reprochait à la société qui avait repris le fonds de commerce d’avoir commercialisé cinq modèles de robes de mariées créés après la fin de son contrat de travail et dont elle n’avait cédé les droits à personne.
La cour a considéré que l’ancienne directrice de collection prouvait bien sa qualité d’auteur mais qu’elle avait cédé les droits d’exploitation à la société et ne pouvait invoquer une atteinte à ses droits patrimoniaux ; que toutefois l’absence de son nom avait porté atteinte à son droit moral.
Les juges commencent donc par reconnaitre la qualité d’auteur à l’ancienne directrice de collection et l’originalité de ses créations, ce qui justifie, en l’absence de la mention de son nom, une condamnation pour atteinte au droit moral. Ils considèrent ensuite que la titularité des droits patrimoniaux revient à la société CYMBELINE. Pour statuer ainsi, la cour constate que l’ancienne salariée avait signé, en compagnie des fondateurs, un pacte d’actionnaires prévoyant que la pleine propriété des droits de propriété intellectuelle appartenait à la société, mais également que chacun des signataires s’interdisait « à l’avenir de déposer ou de protéger de quelque façon que ce soit, à son nom, directement, indirectement ou par personne interposée, tous droits intellectuels (brevets, marques…) nécessaires ou utiles à l’activité de la Société ». Tout signataire s’engageait également « à déposer et protéger lesdits droits exclusivement au nom de la Société afin que cette dernière puisse en jouir et en disposer librement comme propriétaire ». Ce pacte ayant été conclu pour toute la durée pendant laquelle les signataires sont titulaires de titres et, en tout état de cause, pour une durée de douze années minimum, l’ancienne directrice n’était donc pas en mesure de revendiquer les droits sur ses créations puisqu’elle a « cédé à la société Cymbeline les droits patrimoniaux d’auteur » sur les robes litigieuses. L’ancienne salariée est déboutée de ses demandes à ce titre.
La Cour considère qu’un pacte d’actionnaires contenant un engagement de chacun des associés de ne pas revendiquer la protection de ses créations pour son propre compte vaut preuve de la cession des droits patrimoniaux.
Il s’agit là d’une solution intéressante et très discutable, selon laquelle l’interprétation de la volonté des parties semble devoir l’emporter sur les dispositions légales relatives à la nullité de la cession globale des œuvres futures (Code de la propriété intellectuelle, article L. 131-1) et à l’obligation de constatation par écrit et de façon précise des contrats de transmission des droits d’auteur (article L. 131-2, certes non applicable à la date des faits, et L. 131-3). En effet, si le droit français exige en principe que le contrat de cession énumère précisément les droits cédés et les modes d’exploitation couverts, les juges ont, en l’espèce, considéré que les stipulations relativement sommaires du pacte d’associés valaient transmission.
Une telle solution, qui pourrait donner matière à pourvoi en cassation, invite en tout cas les créateurs actionnaires à surveiller avec toujours plus de vigilance les droits dont ils sont propriétaires, afin d’être en mesure d’en conserver la maîtrise à travers le temps.
Référence et date : Cour d’appel de Paris, pôle 5 – ch. 2, 26 février 2021, n°19/15130
Décision non publiée, communiquée sur demande à contact-avocat@taoma-partners.fr
Retrouvez sous ce lien une autre actualité récente relative au droit de la mode et à la qualité d’auteur des salariés.
Jérémie LEROY-RINGUET
Avocat à la Cour
Mathilde GENESTE
Élève-avocate
23
mars
2021
Un employeur bien dans ses baskets de créateur
Author:
teamtaomanews
Selon une formule attribuée à Coco Chanel, « la mode se démode ; le style, jamais ». La mode se fait et se défait au gré des créations nouvelles. Les créateurs de ces réalisations ne se contentent pas de transformer des tissus en vêtements mais créent des objets qui ont un sens pour ceux qui les portent. Inspirée et créative, la mode n’est donc pas seulement une activité commerciale, mais une activité artistique à part entière, justifiant que les créateurs puissent être considérés comme des artistes.
Pour autant, la reconnaissance de la qualité d’auteur d’un styliste salarié n’est pas toujours évidente, notamment en cas de création collective. La Cour d’appel de Paris a eu l’occasion de le rappeler dans un arrêt rendu le 5 mars 2021 opposant la société COMPTOIR DES COTONNIERS à l’un de ses salariés.
Le salarié en cause revendiquait la création, en septembre 2014, d’une paire de baskets vintage dénommée « Slash », de sa semelle léopard et de son sac d’emballage. Les juges de première instance l’ont déclaré irrecevable à agir au titre du droit d’auteur faute pour lui de justifier être à l’origine de la création.
En seconde instance, la Cour rappelle qu’il incombe à celui qui entend se prévaloir du droit d’auteur de rapporter la preuve d’une création déterminée à une date certaine et de caractériser l’originalité de la création – l’existence d’un contrat de travail n’étant pas exclusive de cette protection.
En l’occurrence, si le salarié prétend être, depuis son recrutement, le seul styliste de la société en charge des accessoires, les juges constatent que son contrat de travail le rattache à une équipe créative et à une directrice artistique.
La cour examine avec une grande précision les pièces, et notamment les attestations produites aux débats et en déduit que l’autonomie créatrice du salarié était restreinte et que, bien qu’il ait réalisé seul le croquis de la basket, il a agi « sous la subordination » de la directrice en charge de définir et de mettre en œuvre la ligne stylistique.
La Cour observe ensuite que la basket a été présentée dans la presse comme une création de la directrice de style, sans que le salarié ne s’y oppose et sans que celui-ci ne s’oppose non plus au dépôt par son employeur auprès de l’INPI d’une demande de protection au titre des dessins et modèles.
Toutes ces observations réunies, le salarié est déclaré irrecevable en son action en contrefaçon.
La Cour d’appel, sans pour autant énoncer une solution nouvelle, rappelle donc qu’un salarié qui prend part à un processus collectif de création sous la supervision d’une directrice artistique peut ne pas être en mesure de revendiquer la qualité d’auteur s’il ne justifie pas qu’il disposait de libertés de choix esthétiques et de création ne faisant pas l’objet de restrictions et d’encadrement en raison du contrôle d’un supérieur.
Les juges précisent ainsi les contours de la distinction essentielle qui existe entre le fait de participer à un processus créatif et celui de le maîtriser.
Cette question du cumul des qualités d’auteur et de salarié est source de nombreux contentieux depuis des décennies. La présente décision s’inscrit dans une tendance jurisprudentielle qui restreint la possibilité pour des salariés d’obtenir la reconnaissance de leur qualité d’auteur et donc un complément de rémunération au titre de leurs droits patrimoniaux. Par exemple, dans l’arrêt Lavigne c. GIM (Cass. Soc. 19 oct. 2005, n°03-42.108) rendu en 2005 par la chambre sociale de la Cour de cassation, les juges avaient décidé d’appliquer la notion d’œuvre collective aux créations d’entreprise auxquels les salariés avaient participé et considéré que les droits issus de ces créations étaient nés directement sur la tête de l’entreprise – une qualification qui n’a toutefois pas été discutée dans l’arrêt commenté.
La jurisprudence invite donc à demeurer vigilant quant à la détermination au quotidien des droits des collaborateurs qui participent à des créations.
Référence et date : Cour d’appel de Paris, pôle 5, chambre 2, 5 mars 2021, n° 19/17254
Décision non publiée, communiquée sur demande à contact-avocat@taoma-partners.fr
Retrouvez sous ce lien une autre actualité récente relative au droit de la mode et à la qualité d’auteur des salariés.
Alain HAZAN
Avocat à la Cour – Associé
Mathilde GENESTE
Élève-Avocate