LOUBOUTIN VS. AMAZON – Le géant de l’e-commerce à côté de ses pompes !

Ces dernières années, les titulaires de droits de marque, et particulièrement les grandes entreprises du luxe et de la mode font face à une recrudescence de la contrefaçon de leurs marques et produits sur les sites de places de marché. Perte importante de chiffre d’affaires et de compétitivité pour ces entreprises, elles subissent avant tout une atteinte à leurs droits de marque. La lutte contre la contrefaçon en ligne s’inscrit alors en priorité absolue pour ces grandes maisons qui ont adopté d’importantes stratégies de défense en ligne.

Elles iront d’abord rechercher la responsabilité dite « primaire » des contrefacteurs directs, à savoir les annonceurs, vendeurs tiers ou encore détenteurs de noms de domaine. Mais les titulaires rencontrent souvent des difficultés à remonter jusqu’à ces contrefacteurs, tant il est complexe de les identifier et de les localiser.

En outre, compte tenu de l’évolution des services proposés par les plateformes en ligne, il n’est plus possible de considérer qu’elles font preuve d’une totale neutralité, ce qui incite les titulaires de droit à engager leur responsabilité (directe et indirecte) lorsque des atteintes sont portées à une marque du fait des activités de ces plateformes et de celles de tiers sur leurs sites Internet.

C’est dans ce contexte que le chausseur français, Christian Louboutin, a formé deux recours au Luxembourg (affaire C-141/21) et en Belgique (C-184-21) contre le géant Amazon, lui reprochant des actes de contrefaçon caractérisés par la présence d’annonces relatives à des chaussures à semelles rouges publiées par des vendeurs tiers sur son site Internet, ainsi que le stockage et l’expédition de ces marchandises.

Les Cours nationales ont alors saisi la CJUE de deux questions préjudicielles portant sur l’interprétation de l’article 9, paragraphe 2 du Règlement 2017/1001, afin de savoir si l’exploitant d’une place de marché peut être tenu directement responsable de l’atteinte aux droits du titulaire d’une marque, qui résulte d’offres à la vente de produits contrefaisants émanant de vendeurs tiers, du stockage et de l’expédition de ces mêmes produits.

Elles s’interrogent particulièrement sur le point de savoir si, dans la perception d’un internaute normalement informé et raisonnablement attentif, cet exploitant a joué un rôle actif dans l’élaboration de cette publicité ou si celle-ci peut être perçue comme faisant partie de sa propre communication commerciale.

Dans sa décision du 22 décembre 2022, la Cour renvoie aux apports des arrêts L’Oréal C-324/09 du 12 juillet 2011 (C-324/09) et Coty Germany C-567/18 du 2 avril 2020 aux termes desquels elle avait considéré que les places de marché en cause n’avaient pas fait un usage des signes dans le cadre de leur propre communication commerciale et donc que leur responsabilité n’était pas susceptible d’être engagée.

La Cour rappelle ainsi que « faire usage », au sens du droit des marques, implique un comportement actif et une maîtrise, directe ou indirecte, de l’acte constituant l’usage.

Elle souligne néanmoins que les circonstances d’espèce de ces décisions sont différentes : l’exploitant ne faisait pas la promotion de ses propres produits sur son site Internet, il n’avait pas connaissance du caractère contrefaisant des produits et leur expédition était réalisée par des prestataires externes.

Pour déterminer si l’usage du signe contrefait correspondait à une communication commerciale d’Amazon pour son propre compte, la Haute cour estime qu’il convient d’identifier si l’annonce est susceptible de créer un lien entre les services offerts par la plateforme et le signe Louboutin : l’utilisateur étant alors susceptible de croire qu’Amazon commercialise en son nom et pour son propre compte le produit contrefaisant.

À ce titre, la Cour détaille les circonstances dans lesquelles un lien entre le signe contrefait et les services fournis par cette plateforme est susceptible d’être créé et renforcé aux yeux des utilisateurs :
L’exploitant recourt à un mode de présentation uniforme de ses propres offres et de celles des vendeurs tiers sans distinction en fonction de leur origine, tout en faisant apparaître son propre logo ;
La nature et l’ampleur des services fournis par l’exploitant permettent de caractériser son implication (traitement des questions des utilisateurs, stockage, expédition et gestion des retours).
Dans ces circonstances, la CJUE estime que l’exploitant d’une place de marché est susceptible d’être considéré comme faisant lui-même usage d’un signe identique à une marque de l’Union européenne pour des produits identiques proposés à la vente par des vendeurs tiers et par conséquent, d’être reconnu comme responsable direct d’actes de contrefaçon.

À ce stade, la Cour ne tranche pas le litige car il ne lui appartient pas de déterminer si Amazon a fait un usage contrefaisant des signes en cause.

Il incombera donc aux juridictions nationales Belge et Luxembourgeoise de se prononcer conformément à la position de la Cour.

Il s’agit, d’ores et déjà, d’une première victoire pour les titulaires de droit en matière de lutte contre la contrefaçon de marque. Reste à savoir si la jurisprudence future s’inscrira dans cette lignée.

Cette décision s’inscrit dans un contexte global de responsabilisation des plateformes au niveau européen et ouvre la voie vers une nouvelle jurisprudence en la matière.

En effet, après une évolution non-négligeable en matière de droit d’auteur par l’adoption de la directive (UE) 2019/790, le Parlement européen et le Conseil ont très récemment adopté le Règlement Digital Service Act (DSA), qui vient renforcer les obligations des plateformes en lignes et moteurs de recherche afin de lutter contre les contenus illicites et notamment contre la contrefaçon en ligne (remplace et modifie la directive 2000/31 sur le commerce électronique devenue dépassée).

Un changement de paradigme est en cours, tant d’un point de vue législatif que jurisprudentiel.

Margaux Maarek
Juriste

Sources :

Décision du 22 décembre 2022
https://www.village-justice.com/articles/nouvelle-saisine-cjue-amazon-est-responsable-pour-vente-sur-plateforme,39324.html
https://www.actualitesdudroit.fr/browse/affaires/immateriel/39441/market-place-usage-d-un-signe-contrefaisant-sur-un-marche-en-ligne
https://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf;jsessionid=DB78F7914456E863F6A501DDA16A86E4?text=&docid=268788&pageIndex=0&doclang=fr&mode=lst&dir=&occ=first&part=1&cid=17357
https://entreprendre.service-public.fr/actualites/A16089
https://blip.education/responsabilite-des-plateformes-en-cas-de-contrefacon-apports-des-conclusions-de-lavocat-general-dans-les-affaires-louboutin-contre-amazon-c-148-21-et-c-184-21-par-jerome-tassi
https://curia.europa.eu/jcms/upload/docs/application/pdf/2022-12/cp220213fr.pdf