18
juillet
2024
Jugement éclair : pas de contrefaçon pour le sac DEMI-LUNE
Author:
TAoMA
Le 7 juin 2024, le Tribunal judiciaire de Paris a rendu une décision dans une affaire opposant la société Atelier de Production et de Création (APC) aux sociétés Monoprix et Monoprix Exploitation concernant des faits de contrefaçon de droit d’auteur, de modèle déposé, ainsi que des faits distincts de concurrence déloyale et parasitaire.
La société APC, ayant déposé le 14 octobre 2013 un modèle de sac nommé « DEMI-LUNE », qui a rencontré un grand succès en France et à l’étranger, a constaté que les sacs commercialisés par les sociétés Monoprix reproduisaient les caractéristiques originales et l’impression d’ensemble de ce sac, incluant « sa forme et ses proportions ainsi que celles de la bandoulière », mais reprenaient également l’empreinte de la personnalité de son auteur.
De plus, la société APC a affirmé, devant le Tribunal, que la commercialisation de ces copies serviles générait un risque de confusion, constituant ainsi des actes de concurrence déloyale.
En conséquence, la société APC a mené des opérations de saisie-contrefaçon et a fait assigner les sociétés Monoprix pour faire cesser la production et la commercialisation de ces produits et obtenir réparation des préjudices commerciaux subis.
LA DÉFENSE DES PARTIES MISES EN CAUSE
Les sociétés Monoprix ont contesté les accusations émises par la société APC en invoquant que :
– le modèle « DEMI-LUNE » déposé par la société APC et les produits qu’elles commercialisent comportent des différences importantes.
– le sac « DEMI-LUNE » n’est pas original au motif que les caractéristiques revendiquées sont inhérentes à la forme du sac et parfaitement connues dans cette industrie (notamment aux vus des antériorités).
– la vente d’un produit similaire n’est pas nécessairement constitutive d’un acte de concurrence déloyale en ce qu’ils visent des consommateurs différents et utilisent des canaux de distribution différents.
Modèle déposé par la société AP
Modèle antérieur
DÉCISION DU TRIBUNAL
Après avoir tranché sur la validité du modèle de sac « DEMI-LUNE » en faveur de la société APC, le Tribunal s’est penché sur la possible contrefaçon du modèle, la violation des droits d’auteur et la présence d’actes de concurrence déloyale et parasitaire.
Tout d’abord, il a conclu que la comparaison des modèles des deux parties n’indiquait aucune contrefaçon, ces derniers se distinguant par « des éléments visuellement importants ».
Ensuite, il a évalué que les caractéristiques revendiquées par la société demanderesse relevait d’un « travail stylistique de qualité mais non un effort créatif concrétisé par une apparence singulière qui viendrait révéler l’empreinte de la personnalité » et refuse donc la qualification d’œuvre originale protégée par le droit d’auteur pour le modèle de sac « DEMI-LUNE ».
Enfin, sur la question de la concurrence déloyale et parasitaire, le tribunal a admis une ressemblance élevée pour certains des modèles des sociétés Monoprix mais a refusé la qualification de copie servile. Il a ajouté, en outre, que les faits n’avaient pas été réitérés. À cet égard, il a admis une « absence de risque de confusion pour la clientèle entre les modèles « DEMI-LUNE » de la société APC et les modèles « DEMI-LUNE » des sociétés Monoprix » écartant ainsi la caractérisation d’acte de concurrence déloyale et parasitaire, la société APC n’ayant pas démontré des investissements significatifs ou une notoriété suffisante pour établir un acte de parasitisme.
Ce jugement du Tribunal judiciaire de Paris renforce ainsi les exigences de protection de création – une création peut valablement être protégée par le biais d’un dessin & modèle tout en se voyant refuser une protection au titre du droit d’auteur. De plus, le Tribunal éclaircit les limites des pratiques de concurrence au sein de l’industrie.
L’affaire n’était finalement pas dans le sac pour APC.
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Elsa OLCER
Juriste Stagiaire
Jean-Charles NICOLLET
Conseil en Propriété Industrielle Associé
(1) Tribunal judiciaire de Paris, 3e ch., 2e sect., 7 juin 2024, n° 21/15173
09
juillet
2024
Quand l’originalité devient flou, zoom sur le préjudice économique !
Les photographies peuvent faire l’objet d’une protection par le droit d’auteur, sur le fondement de l’article L. 112-2 du code de la propriété intellectuelle qui dispose que « Sont considérés notamment comme œuvres de l’esprit au sens du présent code : (…) 9° Les œuvres photographiques et celles réalisées à l’aide de techniques analogues à la photographie. ».
Cependant, pour bénéficier de cette protection, la photographie doit répondre à la condition jurisprudentielle d’originalité, comme le rappelle un jugement rendu par le Tribunal Judiciaire de Rennes le 6 mai 20241.
En l’espèce, un photographe professionnel avait photographié un bateau de croisière, « Le Chateaubriand », à la demande de son propriétaire. Des années plus tard, ce cliché a été utilisé sans son autorisation dans plusieurs articles publiés par le journal Ouest France.
Malgré une tentative de règlement amiable, le photographe avait assigné la société Ouest France pour contrefaçon de droit d’auteur, et subsidiairement, pour faute délictuelle (sur le fondement de l’article 1240 du code civil).
Le Tribunal conteste l’originalité de la photo afin de rejeter l’action en contrefaçon de droits d’auteur.
Le Tribunal judiciaire a étudié l’originalité de la photographie pour déterminer si elle pouvait bénéficier de la protection offerte par le droit d’auteur. A ce titre, il revenait au photographe de démontrer que sa création était le résultat d’un choix personnel et qu’elle portait ainsi l’empreinte de sa personnalité.
Après une analyse particulièrement minutieuse des choix opérés par le photographe, le Tribunal judiciaire de Rennes a conclu que, malgré les efforts entrepris pour capturer l’image, ceux-ci ne suffisent pas à établir l’originalité, puisqu’ils relèvent d’un savoir-faire technique. En effet, les choix du photographe, notamment l’attente de conditions météorologiques favorables ou le cadrage, sont jugés trop communs ou évidents pour conférer à la photographie un caractère unique ou original.
Par conséquent, la photographie n’a pas été jugée éligible à la protection par le droit d’auteur – faute d’originalité, et les demandes de contrefaçon à ce titre ont été rejetées.
Toutefois, le tribunal reconnaît un préjudice économique, réparé sur le fondement de la responsabilité civile.
Subsidiairement, le photographe invoquait un préjudice économique résultant de l’utilisation non consentie et non rémunérée de sa photographie.
Le Tribunal judiciaire a ainsi reconnu que le photographe avait subi un manque à gagner. En effet, en utilisant son travail sans consentement, ni compensation, le journal Ouest France lui a causé un préjudice économique, indépendamment de tout préjudice moral ou patrimonial.
Les juges du fond ont donc prononcé une indemnisation forfaitaire à hauteur de 1.500 € pour cet usage non autorisé, une somme fixée « au regard des redevances habituellement pratiquées en matière de photographie, s’agissant des quatre utilisations frauduleuses ». Ouest France a également été condamné à lui verser la somme de 3.000 v au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Cette décision rappelle, une fois de plus, les strictes conditions requises pour qu’une photographie soit protégée par le droit d’auteur. Mais elle admet qu’une autre voie d’indemnisation est possible pour les photographes : lorsque leurs clichés ne peuvent bénéficier de la protection par le droit d’auteur, ils ne peuvent pour autant être reproduits sans compensation !
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Laurine Janin-Reynaud
Avocat à la Cour
Associée
Juliette Danjean
Juriste stagiaire
1) TJ Rennes, 2e ch. civ., 6 mai 2024, n° 22/01433.
18
juin
2024
Le papier peint fonce droit dans le mur !
Par une décision en date du 25 avril 2024, le Tribunal judiciaire de Paris a reconnu l’existence de droits d’auteur sur différents motifs de papiers peints créés par une artiste plasticienne. Cela étant, malgré la reconnaissance de ces droits d’auteurs, l’artiste a été déboutée de son action en contrefaçon initiée à l’encontre d’une société hollandaise qui proposait un papier peint prétendument contrefaisant1.
Les motifs de papiers peints peuvent bénéficier d’une protection par le droit d’auteur sous réserve de leur originalité.
Conformément aux dispositions du Code la propriété intellectuelle2, une œuvre de l’esprit peut revêtir différentes formes, dont notamment « 7° Les œuvres de dessin, de peinture, d’architecture, de sculpture, de gravure, de lithographie (…) ». Néanmoins, pour que cette œuvre de l’esprit bénéficie d’une protection par le droit d’auteur, encore faut-il qu’elle soit originale.
En l’occurrence, Madame G, artiste plasticienne, a créé une collection de papiers peints parmi lesquels un décor mural intitulé « White Spirit ». Toutefois, Madame G a eu la désagréable surprise de constater que son distributeur proposait à la vente un papier peint blanc produit par la société hollandaise Eijffinger BV qui, selon elle, présentait notamment des ressemblances avec son modèle emblématique.
Sur cette base, elle a assigné la société Eijffinger BV, notamment en contrefaçon de droit d’auteur, devant le Tribunal judiciaire de Paris.
Classiquement, la société Eijffinger BV s’est défendu en invoquant le défaut d’originalité des motifs de papiers peints invoqués et, partant, l’absence de protection par le droit d’auteur.
Le Tribunal judiciaire de Paris rejette ce moyen de défense et considère que les motifs de papiers peints sont originaux. En particulier, il est jugé que l’artiste a superposé de manière arbitraire des formes ou modules graphiques monochromes découpées au cutter dans du papier, ce qui confère à l’ensemble une impression en trois dimensions.
Le Tribunal judiciaire de Paris ajoute que les caractéristiques telles que citées ci-dessus ne se réduisent pas à une simple idée ou à un simple savoir-faire mais traduisent manifestement l’empreinte de la personnalité de l’auteur : « l’illusion d’optique ainsi créée par la mise en relief des formes géométriques découpées et le jeu d’ombre portée évoquent la représentation d’une sculpture de papier, dans une esthétique qui s’avère singulière s’agissant d’une tapisserie murale ».
Le modèle de papier peint « White Spirit », se voit ainsi accorder une protection au titre du droit d’auteur.
La société Eijffinger BV ne se rend toutefois pas coupable d’actes de contrefaçon des motifs de papiers peints de Madame G
Si l’originalité des motifs de papiers peints est admise, il en va différemment de la contrefaçon de ces derniers par la société Eijffinger BV.
En effet, après une analyse détaillée des modèles en cause, le Tribunal judiciaire de Paris considère que les caractéristiques essentielles du modèle de papier peint « White Spirit » ne se retrouvent pas au sein des modèles argués de contrefaçon.
Selon le Tribunal judiciaire de Paris, les modèles litigieux ne représentent pas une superposition, sur différents niveaux, de formes ou modules graphiques découpés dans du papier et superposés pour restituer une impression visuelle de profondeur en trois dimensions.
Partant, la contrefaçon n’est pas caractérisée et Madame G est déboutée de ses demandes.
Il convient de noter que Madame G est également déboutée de ses autres demandes, notamment sur la base de la concurrence déloyale et du parasitisme. De même, Madame G se voit refuser une protection au titre du droit d’auteur de ses autres modèles eu-égard à leur absence d’originalité.
Cette décision rappelle, une fois de plus, les conditions de protection d’une œuvre quelle qu’elle soit, par le droit d’auteur. Toutefois, si cette protection est reconnue, encore faut-il que les actes de contrefaçon soient caractérisés, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.
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Baptiste Kuentzmann
Conseil en Propriété Industrielle
1) Tribunal judiciaire de Paris, 3ème chambre, 1ère section, 25 avril 2024, n° 23/04554
2) Article L112-2 du Code de la propriété intellectuelle
21
mai
2024
Le tabouret Tam Tam, une protection qui tient debout devant la Cour d’appel
Author:
TAoMA
Dans un arrêt du 22 février 2024, la Cour d’appel de Lyon a confirmé le caractère original du tabouret « TAM TAM » et condamné les sociétés LaFoir’Fouille et FF Digital en contrefaçon de droit d’auteur et en concurrence parasitaire.
La société Stamp, détentrice des droits d’auteur sur le célèbre tabouret « Tam Tam » conçu en 1968 par le designer Henry Massonnet, a assigné en contrefaçon de droit d’auteur et en concurrence déloyale les sociétés La Foir’Fouille et FF Digital pour avoir reproduit et commercialisé des modèles de tabourets reprenant les caractéristiques du tabouret « Tam Tam », et pour avoir réalisé une campagne publicitaire faisant directement écho à son produit.
En première instance, le Tribunal judiciaire de Lyon a reconnu le caractère original du tabouret « Tam Tam » et sa protection au titre du droit d’auteur. Toutefois, la société Stamp a été déboutée de ses demandes indemnitaires au titre de la contrefaçon, le Tribunal estimant que les preuves apportées n’étaient pas suffisantes pour établir l’imitation ou la reproduction des caractéristiques originales du tabouret par les défenderesses.
Après s’être ménagée de nouveaux moyens de preuves, la société Stamp a eu gain de cause en appel.
En effet, la Cour d’appel de Lyon a réaffirmé que le caractère original du tabouret « Tam Tam » tenait dans la combinaison spécifique de trois éléments :
• Sa forme en diabolo ;
• L’emploi de la matière plastique ;
• Les parties jumelles démontables et emboîtables.
Elle souligne que cette combinaison d’éléments ne répond pas à des contraintes techniques, et qu’au contraire, elle reflète bel et bien la personnalité de l’auteur.
Ainsi, sur la base des nouveaux éléments de preuves produites par l’appelante, elle condamne les sociétés La Foir’Fouille, FF Digital et Directusine (fabricante du produit) en contrefaçon de droit d’auteur.
S’agissant de la concurrence parasitaire, la Cour a jugé que la référence directe au tabouret « Tam Tam » dans le slogan publicitaire des intimées, constituait « l’une des déclinaisons les plus pures qui soient du comportement parasitaire ». En effet, les intimées utilisaient l’argument publicitaire suivant « 5 euros le tabouret, vous n’aurez qu’à dire que vous l’avez acheté dans une boutique design ».
Cet arrêt rappelle qu’il n’est pas possible de copier impunément les créations d’autrui, et personne n’en tombera de sa chaise.
Delphine Monfront
Avocate à la Cour
19
mars
2024
Packaging alimentaire et droit d’auteur : le Tribunal n’est pas emballé
Author:
TAoMA
Le 8 février 2024, le Tribunal judiciaire de Paris a rejeté l’action intentée par la société Aphinitea Corporation, sur les fondements de la contrefaçon de droit d’auteur et de la concurrence déloyale, contre la société First FFC en raison de la reproduction d’un modèle d’emballage alimentaire baptisé « Magnolia ».1
Un emballage alimentaire peut constituer une œuvre protégée par le droit d’auteur, sous réserve d’en démontrer l’originalité.
Tout d’abord, le tribunal rappelle à juste titre que la protection conférée par le droit d’auteur peut s’appliquer aux œuvres des arts appliqués à l’industrie, ce qui peut inclure des emballages alimentaires.
Cette reconnaissance de principe n’est pas nouvelle et a notamment été réitérée par la Cour d’appel de Rennes, le 5 décembre 2023. A cette occasion, la cour a confirmé la protection par le droit d’auteur d’un emballage de sel sous forme de pot transparent en prenant en considération l’ensemble des éléments constituant son identité visuelle, et notamment sa charte graphique spécifique composée d’une association de couleurs et d’éléments visuels.2
Dans le cadre de l’affaire « Magnolia », la société demanderesse a listé une série de caractéristiques prouvant, selon elle, l’originalité de l’emballage argué de contrefaçon, tout en se référant à une décision rendue par le même tribunal le 13 août 2021 ayant reconnu cette originalité.
La partie défenderesse a pour sa part exposé l’existence sur le marché de nombreux modèles similaires à l’emballage « Magnolia », lesquels s’inscrivent dans la continuité de l’art de l’origami et plus particulièrement du « tato » japonais (petite enveloppe en papier confectionnée en origami).
Tout en rappelant que l’antériorité n’est pas un critère retenu pour apprécier l’originalité d’une œuvre, le tribunal a toutefois considéré qu’en l’espèce, cette antériorité rendait impossible la démonstration de l’empreinte de la personnalité de l’auteur de l’emballage « Magnolia », lequel est donc dépourvu d’originalité.
En motivant sa décision de la sorte, le tribunal semble faire référence à la notion de « fonds commun de l’art », non protégé par le droit d’auteur, et considérer que l’emballage « Magnolia » n’est qu’une simple illustration de l’art ancestral de l’origami sans originalité propre.
Cette solution aurait pu être différente si l’emballage argué de contrefaçon avait présenté, comme dans l’affaire jugée par la Cour d’appel de Rennes, des éléments graphiques spécifiques en plus de sa seule forme.
Pour rejeter les demandes de la société Aphinitea Corporation fondées sur la concurrence déloyale et le parasitisme économique, le tribunal s’appuie également sur l’existence d’un nombre important d’antériorités semblables appartenant au fonds commun des origamis et permettant d’écarter tout risque de confusion entre les sociétés concurrentes, mais également tout savoir-faire ou effort déterminé de la part de la société Aphinitea Corporation.
Ce jugement nous rappelle également que la reconnaissance, dans une décision antérieure, de l’originalité d’une œuvre ne suffit pas à ce que celle-ci soit automatiquement retenue dans le cadre d’une nouvelle procédure portant sur des faits distincts.
En l’espèce, le Tribunal judiciaire de Paris était d’autant plus légitime à reconsidérer l’originalité de l’emballage « Magnolia » dans la mesure où, dans la procédure de 2021 invoquée par la société Aphinitea Corporation, la partie défenderesse n’avait pas comparu et n’avait donc pas contesté les droits qui lui étaient opposés.
Toutefois, le principe selon lequel chaque juridiction est « tenue de se déterminer d’après les circonstances particulières du procès et non par une motivation générale faisant référence à des causes déjà jugées » constitue une règle générale reconnue par la Cour de cassation et doit donc s’appliquer quelles que soient les circonstances dans lesquelles les décisions antérieures ont été rendues.3
Quels sont les autres modes de protection envisageables pour un emballage alimentaire ?
Cette décision du Tribunal judiciaire de Paris met en lumière la difficulté de démontrer l’originalité d’une œuvre d’art appliqué lorsque celle-ci n’est constituée que d’une forme, en particulier lorsqu’elle emprunte à une pratique artistique ancestrale telle que l’origami.
Aussi, pour assurer la protection de ce type de création, les ayants-droits peuvent opter pour d’autres modes de protection.
Le fondement de la concurrence déloyale et/ou parasitaire est, comme nous avons pu l’observer dans cette décision, lui aussi incertain et nécessite la démonstration d’un risque de confusion et/ou d’un savoir-faire, d’efforts ou d’investissements particuliers qui auraient été indûment accaparés par un concurrent.
De tels critères semblent très difficiles à réunir lorsqu’il peut être opposé à celui qui les invoque l’existence de nombreuses antériorités présentes sur le marché.
L’exploitant peut également être tenté d’opter pour le dépôt d’un modèle, mais il faudra alors veiller à respecter les critères de protection que sont :
– la nécessité que les caractéristiques du modèle ne soient pas imposées exclusivement par la fonction technique du produit ;
– la nouveauté, c’est-à-dire le fait que le modèle n’ait pas été divulgué avant son dépôt ;
– le caractère propre, c’est-à-dire le fait que le modèle provoque chez l’observateur averti une impression visuelle d’ensemble différente de celle produite par tout modèle divulgué antérieurement au dépôt.
C’est ainsi qu’en 2006, la Cour d’appel de Paris a pu confirmer la validité du modèle d’emballage de jambon de la marque Herta, sans pour autant retenir les actes de contrefaçon allégués par la société exploitant cette marque.4
Dans notre cas d’espèce, faute de nouveauté et de caractère propre, l’emballage « Magnolia » ne pourrait faire l’objet d’un dépôt à titre de modèle.
Enfin, le recours à une marque tridimensionnelle pour protéger une œuvre d’art appliqué pourrait être envisagé.
La jurisprudence a tendance à rappeler qu’en matière de distinctivité « les critères d’appréciation du caractère distinctif d’un signe constitué par l’apparence du produit lui-même sont en principe les mêmes que pour toutes les autres formes de marques ».5
Pour autant offices et juridictions imposent des conditions supplémentaires afin d’apprécier le caractère distinctif de ce type de marques.
L’enregistrement d’une marque tridimensionnelle sera tout d’abord refusé si celle-ci est constituée uniquement de « la forme d’un produit présentant une ou plusieurs caractéristiques d’utilisation essentielles et inhérentes à la fonction ou aux fonctions génériques de ce produit ».6
De même, une demande de marque tridimensionnelle sera rejetée si la forme déposée est nécessaire à l’obtention d’un résultat technique, comme ce fut le cas pour le Rubik’s Cube.7
Voir nos articles à ce sujet ici et ici.
Enfin, si la forme concernée confère au produit qu’elle désigne sa valeur substantielle, c’est-à-dire qu’elle joue un rôle déterminant dans le choix du consommateur d’acquérir ledit produit, alors elle ne pourra être déposée au titre d’une marque tridimensionnelle.8
En l’espèce, on pourrait s’interroger sur la recevabilité du dépôt de l’emballage « Magnolia » sous forme de marque tridimensionnelle, étant entendu que le motif de refus qui pourrait être opposé résiderait probablement dans le fait que sa forme est nécessaire à l’obtention d’un résultat technique, bien que d’autres formes permettraient d’aboutir au même résultat.
Conclusion
Au regard de la jurisprudence actuelle, la protection d’une simple forme qui, nonobstant une possible recherche esthétique, répond avant tout à une finalité technique semble délicate.
Les droits d’auteurs, des marques et des dessins et modèles nécessitent en effet soit une originalité esthétique marquée soit, à minima, un caractère distinctif permettant au public de percevoir une forme comme une indication d’origine, et non comme la représentation habituelle des produits pour lesquels elle est déposée.
Lorsque la forme est exclusivement ou, à tout le moins, majoritairement dictée par des considérations techniques, le dépôt d’un brevet ou d’un certificat d’invention peut sembler adéquat, mais encore faut-il répondre à une exigence d’innovation technique, ce qui n’est généralement pas le cas lorsqu’une forme constitue la reprise ou la modernisation d’un savoir-faire préexistant.
Quant au parasitisme économique, celui-ci nécessite la démonstration d’efforts, d’une renommée ou d’investissements dont tirerait parti l’entité parasitaire, supposant que l’agent économique concerné devra démontrer plus qu’une simple reprise à son compte d’un savoir-faire existant pour invoquer un tel moyen en défense de ses intérêts.
Une telle réticence des offices et des juridictions à accorder une protection aux formes fonctionnelles, dénuées d’éléments graphiques venant les habiller et ne représentant pas une innovation technique particulière, se comprend aisément au regard du principe de liberté du commerce et de l’industrie, lequel s’oppose à une privatisation des outils de production et de commerce les plus basiques afin de préserver une concurrence la plus libre possible.
Robin Antoniotti
Avocat
(1) Tribunal Judiciaire de Paris, 3e chambre 1re section, 8 février 2024, n° 22/02992
(2) Cour d’appel de Rennes, 1ère Chambre, 5 décembre 2023, n° 21/01537
(3) Cour de cassation, Chambre commerciale, 8 juillet 2014, n°13-16.714
(4) Cour d’appel de Paris, 4e chambre section b, 7 avril 2006
(5) Cour de Justice de l’Union Européenne, 16/06/2015, T-654/13, § 20
(6) Cour de Justice de l’Union Européenne, 18 septembre 2014, aff. C-205/13, Hauck
(7) Tribunal de l’Union Européenne, 24 octobre 2019, T‑601/17
(8) Cour de Justice de l’Union Européenne, 23 avril 2020, C-237/19, Gömböc Kutató
12
décembre
2023
Délai de prescription de l’action en contrefaçon : la Cour de cassation ne lâche pas la bride
Author:
TAoMA
Dans un arrêt du 15 novembre 2023, la Cour de cassation se prononce sur la question du point de départ du délai de prescription de l’action en contrefaçon en présence d’un délit continu.
En 1985, l’artiste Frédéric Jager avait conçu pour le Musée du cheval vivant aux Grandes écuries de Chantilly, une sculpture monumentale de trois mètres de hauteur représentant trois chevaux dans une demi-vasque circulaire intitulée « Fontaine aux chevaux » ou « La Prueva ».
Après avoir eu connaissance de l’existence de reproductions illicites de son œuvre, l’artiste a lancé une procédure afin de déterminer leur origine et localisation.
C’est ainsi qu’a été découverte une reproduction exposée dans le Potager des Princes à Chantilly. Son caractère contrefaisant a été définitivement reconnu par arrêt de la Cour d’appel de Paris du 17 décembre 2008.
En 2021, à la suite d’une tentative de règlement amiable infructueuse, l’artiste a finalement assigné la société le Potager des Princes et son gérant, en référé, afin de faire cesser le trouble manifestement illicite résultant de l’atteinte à ses droits de propriété intellectuelle.
Le juge des référés du tribunal judiciaire de Lille ayant fait droit à ses demandes, la société Le Potager des Princes a interjeté appel devant la Cour d’appel de Douai. La Cour a infirmé l’ordonnance du juge des référés et rejeté l’ensemble des demandes de l’artiste au motif que son action était prescrite.
C’est dans ce contexte que Frédéric Jager a formé un pourvoi devant la Cour de cassation.
Pour démontrer que l’action n’était pas prescrite, il a soutenu qu’en présence d’un délit continu (en l’occurrence constitué par la détention et l’exposition de l’exemplaire contrefait), le point de départ du délai de prescription se situait au jour de la cessation des actes contrefaisants.
La société Le Potager des Princes soutient quant à elle que le délai de prescription commençait à courir au jour où l’artiste a eu connaissance de la contrefaçon : au plus tard, le 15 octobre 2008. L’action était donc prescrite depuis le 16 octobre 2013.
En réponse, la Cour de cassation rappelle d’abord l’article 2224 du Code civil selon lequel « les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. »
La Cour reconnait que la présence de la statue litigieuse dans le Potager des Princes a été connue de l’artiste dès le dépôt du rapport d’expertise du 3 septembre 2004 et que son caractère contrefaisant a définitivement été reconnu par arrêt de la Cour d’appel de Paris du 17 décembre 2008.
Ainsi, elle fixe le point de départ du délai au 17 décembre 2008 ; son expiration est donc intervenue le 17 décembre 2013.
L’auteur est désormais impuissant pour faire cesser l’exposition de cette statue contrefaisante dans le Potager des Princes.
Une interrogation demeure : pourquoi la Cour a-t-elle privilégié comme point de départ du délai la date à laquelle le caractère contrefaisant de l’œuvre a été définitivement reconnu, et non la date à laquelle l’artiste a eu connaissance de son existence ?
En tous les cas, cette décision clarifie les règles relatives à la prescription en matière de contrefaçon en présence d’un délit continu et oblige les demandeurs à engager au plus vite leurs actions contentieuses.
Alain Hazan
Avocat associé
Delphine Monfront
Avocat à la Cour
26
septembre
2023
Andy Warhol, contrefacteur ? Débat sur la notion américaine de fair use et la transformation artistique
Author:
teamtaomanews
Dans une décision du 18 mai 2023[1], la Cour suprême des États-Unis a dû s’interroger sur l’appréciation du fair use, à propos d’une œuvre d’Andy Warhol réalisée à partir d’un portrait photographique de Prince et utilisée pour illustrer un article de presse.
Le conflit juridique autour des portraits de Prince
L’affaire trouve son origine en 1984, lorsque le magazine Vanity Fair sollicite Lynn Goldsmith, photographe de renom, pour que soient utilisée l’une de ses photographies du chanteur Prince et la confier à Andy Warhol, en vue de réaliser l’une de ses fameuses sérigraphies, en guise d’illustration d’un article consacré au chanteur.
Ce sont finalement pas moins de 13 déclinaisons coloriées de la photographie, qui ont été réalisées par le roi du pop art, sans l’accord de la photographe.
Peu après le décès de Prince en 2016, Vanity Fair a versé 10.000 dollars à la Fondation Warhol pour re-publier au sein de son magazine un nouvel article sur Prince, illustré d’une déclinaison orangée de la série de portraits de Prince réalisée par Andy Warhol. En revanche, Vanity Fair n’a pas contacté Lynn Goldsmith à cette occasion.
La photographe, a vainement tenté d’obtenir une indemnisation au titre de l’utilisation de sa photographie, auprès de la Fondation Warhol. Cette dernière a préféré porter l’affaire devant les tribunaux.
Violation du copyright ou exception de fair use ?
Si le copyright permet à un auteur de protéger son œuvre contre toute exploitation non-autorisée, le concept américain de fair use permet au juge d’apprécier en cas de litige, si l’utilisation d’une œuvre par un tiers est loyale ou non, ce qui lui permet d’échapper à toute condamnation en matière de contrefaçon.
Dans le cas d’espèce, c’est précisément ce que soutenait la Fondation Warhol pour considérer que l’utilisation de la photographie de Lynn Goldmsith ne constituait pas une violation du copyright.
La Cour d’appel a refusé de faire application de cette notion pour exonérer la Fondation Warhol, laquelle a formé un recours devant la Cour suprême. Elle repose et analyse les différents critères d’appréciation du fair use.
La Cour Suprême rejette l’application du fair use en raison d’une transformation de l’œuvre originale insuffisante
En l’espèce, même si la Cour Suprême revient en partie sur le raisonnement juridique de la Cour d’appel, elle refuse de considérer que la sérigraphie réalisée par Andy Warhol pouvait bénéficier de l’exception de faire use.
En l’espèce, la Cour Suprême se concentre sur le premier critère du fair use, à savoir le but et le caractère de cet usage : pour que ce critère soit rempli, elle rappelle que l’usage de l’œuvre originale par l’œuvre seconde doit être transformatif, c’est-à-dire que l’œuvre première doit être transformée par la création d’une nouvelle information.
Et la Cour Suprême estime que la série de portraits de Warhol ne constituait pas une transformation suffisante pour justifier le fair use.
Bien que les portraits soient immédiatement identifiables comme étant du style distinctif de Warhol, cela restait néanmoins objectivement un portrait de Prince ayant juste un style différent. La Cour ajoute que l’usage que pouvait faire Lynn Goldsmith de sa photographie, était le même que celui que la Fondation Andy Warhol pouvait faire des sérigraphies.
La Cour en conclut que les critères requis pour bénéficier de l’exception du fair use n’étaient pas remplis.
Autant dire que la technique bien connue d’Andy Warhol consistant à recoloriser des clichés existants n’est pas regardée comme un apport créatif significatif…
Juliette DANJEAN
Stagiaire pôle avocat
Alain HAZAN
Avocat associé
[1] Andy Warhol for the visual art, inc. v. Goldsmith Et Al.
26
septembre
2023
Ballade pour Adeline » ou la « Ballade de la vengeance » : quand une musique romantique est détournée
Author:
TAoMA
C’est une victoire pour le cartel mexicain « Narcos » : l’usage d’une musique douce pour mourir est bien autorisée ! (sous conditions)
Un compositeur français avait accordé l’exploitation de sa composition « Ballade pour Adeline » à une société française. Cette dernière a conclu un contrat de sous-édition avec une société américaine, qui a elle-même cédé ses droits, et notamment celui du droit d’adaptation au sein d’une œuvre cinématographique, aux sociétés de production américaines Narcos Mexico.
La série mondialement connue a alors utilisé le morceau afin d’illustrer une scène violente de l’épisode 10 de la saison 2.
Mécontent de voir son œuvre empreinte de douceur et de romantisme, associée à une scène de violence, le compositeur a assigné en justice les sociétés américaines pour atteinte au droit au respect de son œuvre et au droit de paternité sur le fondement de l’article 121-1 du Code de la propriété intellectuelle.
Dans une décision du 9 juin 2023, le Tribunal judiciaire de Paris rejette la demande fondée sur l’atteinte au respect de l’esprit sur son œuvre, mais confirme l’atteinte au respect de son nom.
L’atteinte au droit au respect de l’œuvre rejetée
La scène litigieuse représentait un meurtre de vengeance perpétré au moyen d’une batte de baseball, où l’on pouvait distinguer une vue du corps ensanglanté de la victime, le tout sur un fond musical de la « Ballade pour Adeline »
Le tribunal indique que l’usage de l’œuvre musicale pour illustrer « la représentation de la violence n’est en soi illicite que si l’esprit de l’œuvre y est incompatible, ce qui ne se présume pas ».
D’ailleurs, le compositeur ne démontre pas que l’usage du morceau est strictement limité au thème de « la tendresse », de « l’amour » ou de « la pureté » puisqu’au contraire, celui-ci a admis d’autres usages antérieurs de sa musique notamment pour illustrer une scène de suicide d’une mère dont son enfant serait témoin.
Le tribunal ajoute que la violence de la scène ne valorise ni n’encourage le crime, la violence ou la drogue mais incite le spectateur à réfléchir sur les conséquences de ce meurtre fait par vengeance.
La musique est utilisée comme un « accompagnement détaché de la scène », elle débute comme une musique d’ambiance devenant de plus en plus forte à l’approche de la scène qui, elle bascule dans l’horreur. Le décalage atténue « l’impact de la scène sur la perception de l’œuvre et l’association qui en résulte entre celle-ci et le sujet ».
En outre, le tribunal rejette la demande fondée sur l’atteinte à l’intégrité de l’œuvre estimant que le compositeur avait consenti par le contrat d’édition à la reproduction partielle de son œuvre, cette autorisation ne constituait pas une cession de droit moral.
L’atteinte au droit de la paternité retenue
Dans un second temps, le tribunal retient en revanche l’atteinte à la paternité de l’œuvre de l’article 121-1 du Code de la propriété intellectuelle, dans la mesure où le générique de l’épisode de la série ne mentionne ni l’œuvre jouée, ni son auteur, les sociétés américaines se contentant d’alléguer un simple usage dans la série.
Autre point à signaler dans cette décision : afin de déterminer le montant du préjudice, il fallait s’accorder sur le périmètre géographique de l’atteinte, ce qui a posé une difficulté.
En effet, le compositeur alléguait la compétence du juge français pour connaitre des atteintes résultant de la diffusion de l’épisode sur le territoire national et à l’étranger.
Il soutenait que le droit moral est un droit de la personnalité, permettant la réparation de l’ensemble du préjudice subi dans le monde entier, au lieu du domicile du compositeur.
Le tribunal a cependant refusé d’admettre cette position : il retient que l’atteinte au droit moral n’est pas attachée à un droit de la personnalité. Le lieu du dommage est alors celui où il se manifeste concrètement, ce qui limite l’appréciation du préjudice aux actes réalisés sur le territoire national.
Pour les juges, l’absence de « crédit » pour l’usage de son œuvre n’a causé qu’un préjudice moral « caractérisé par le simple désagrément de découvrir qu’une de ses prérogatives n’a pas été respectée par un tiers ».
Au regard de la très grande diffusion de l’œuvre en France mais aussi de la faible gravité du manquement, le préjudice est estimé à 1.000 euros.
Il faut donc retenir que l’usage d’une œuvre musicale pour illustrer une scène violente ne caractérise pas, en soi, une violation du droit moral. Seul un examen préalable de l’esprit de l’œuvre est nécessaire pour la déterminer.
Alain Hazan
Avocat Associé
Emeline Jet
Juriste
22
août
2023
La « Marianne asiatique » : Politique et street art ne font pas campagne commune
Author:
TAoMA
Combo, un street artist, est l’auteur de « La Marianne Asiatique », que l’on peut admirer sur un mur du Boulevard du Temple à Paris !
Cette œuvre de street art apparaît brièvement dans trois films de campagne de La France Insoumise, sans que l’auteur en ait donné l’autorisation. Il a fait assigner La France Insoumise et Jean Luc Mélenchon pour atteinte à ses droits moraux et patrimoniaux.
Le 21 janvier 2021, le tribunal judiciaire de Paris1 a reconnu que « La Marianne Asiatique » était une œuvre de l’esprit, protégée par le droit d’auteur. Néanmoins le juge a rejeté les demandes de l’auteur, tenant à la condamnation de La France Insoumise et de Jean Luc Mélenchon, considérant que la reproduction de l’œuvre relevait des exceptions de courte citation et de panorama. L’auteur a alors interjeté appel.
La Cour d’appel de Paris2 a infirmé la décision de première instance, considérant que les conditions des exceptions précitées n’étaient pas remplies !
Les œuvres de street art peuvent être protégées par le droit d’auteur
La Cour d’appel ne revient pas sur la question de la qualité d’œuvre de l’esprit de « La Marianne asiatique ». En effet, elle explique que « la cour fait sienne, par motifs adoptés, l’analyse des premiers juges qui ont reconnus à la fois que M. [V] démontrait être l’auteur de la fresque en litige et que cette fresque était, par son originalité, éligible à la protection par le droit d’auteur ».
Pas d’exception de courte citation et de panorama pour les films de campagne
En revanche, la Cour rejette le jugement de première instance en ce qu’il concerne l’application des exceptions de courte citation et de panoramas.
Concernant l’exception de courte citation, l’article L. 122-5 du code de la propriété intellectuelle dispose que « Lorsque l’œuvre a été divulguée, l’auteur ne peut interdire :
(…)
3° Sous réserve que soient indiqués clairement le nom de l’auteur et la source :
a) Les analyses et courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information de l’œuvre à laquelle elles sont incorporées».
Toutefois, dans ce cas, bien que la citation soit courte, la Cour relève que ni le nom de l’auteur (pourtant facilement identifiable, selon le raisonnement développé par les juges du fond), ni la source de la fresque, n’ont été indiquées.
S’agissant de l’exception de panorama, le 11° de l’article L. 122-5 du code de la propriété intellectuelle dispose que :
« Les reproductions et représentations d’œuvres architecturales et de sculptures, placées en permanence sur la voie publique, réalisées par des personnes physiques, à l’exclusion de tout usage à caractère commercial » sont autorisées.
Cependant, la cour considère que la fresque en question ne peut être considérée comme une œuvre architecturale ou sculpturale, et étant soumise à des aléas extérieurs, « (dégradations volontaires, effacement par le propriétaire du support, altérations du fait des intempéries…) », elle n’est pas non plus « placée en permanence sur la voie publique ». Les conditions n’étaient donc pas remplies.
Ainsi, ces exceptions ne pouvaient s’appliquer !
L’atteinte au droit moral de l’auteur retenue
En ce qui concerne le droit moral de l’auteur, la Cour a également reconnu une atteinte à la paternité et à l’intégrité de l’œuvre, rejetant l’argument de Monsieur Jean Luc Mélenchon selon lequel, l’œuvre de street art est soumise, en raison de sa « nature évolutive et éphémère », à de nombreuse atteinte à son intégrité.
D’une part, la Cour relève une absence de la mention du nom de l’auteur dans le film de campagne concluant à une atteinte à la paternité de l’auteur.
D’autre part, l’ajout non autorisé du signe LFI, l’intégration de l’œuvre non autorisée dans un support audiovisuel accompagné d’un message sonore et d’un titrage, ainsi que l’utilisation, sans le consentement de l’auteur « au soutien de l’action et des intérêts d’un parti et d’une personnalité politiques, (…) de nature à faire croire que l’auteur apportait à son appui ou son concours à la France insoumise », suffisent à démontrer une atteinte à l’intégrité de l’œuvre.
Ainsi, si le code de la propriété intellectuelle établit la possibilité d’accorder la protection du droit d’auteur à toute œuvre, sans égard à sa forme d’expression, son genre, son mérite ou sa destination, cet arrêt établit sans ambiguïté que les œuvres issues de l’art urbain, peuvent légitimement revendiquer la qualité d’œuvre de l’esprit, et surtout bénéficier d’une protection par le droit d’auteur en cas d’atteinte à ses droits moraux et patrimoniaux. À condition, bien sûr, de répondre au critère d’originalité !
Juliette Danjean
Juriste stagiaire
Jean-Charles Nicollet
Associé – Conseil en Propriété Industrielle
[1] TJ Paris, 21 janvier 2021, n° 20/08482
[2] CA Paris, pôle 5 ch. 1, 5 juill. 2023, n° 21/11317
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