14
mars
2023
Pas belle la vie pour l’exécuteur testamentaire de Jean Ferrat
Author:
admingih092115
La Cour de cassation est récemment venue clore un litige de longue date opposant l’exécuteur testamentaire de Jean Ferrat et l’éditeur d’un ouvrage biographique consacré au chanteur.
Dans cette affaire, l’exécuteur testamentaire de Jean Ferrat reprochait notamment à l’éditeur de reproduire plus de 130 extraits des chansons de l’artiste.
Une telle exploitation de l’œuvre du chanteur constituait selon le demandeur une contrefaçon de droits d’auteur ainsi qu’une atteinte à l’intégrité de l’œuvre musicale.
Le demandeur est débouté de l’intégralité de ses demandes par une décision de la Cour d’appel de Paris, confirmée par la Cour de cassation dans une décision du 8 février 20231.
En effet, cette dernière considérant que :
L’exception de courte citation doit être appliquée. Chacune des citations reproduites dans l’ouvrage servant l’analyse critique de l’œuvre de Jean Ferrat permettant au lecteur d’en comprendre le sens et l’engagement de l’artiste. Ces citations ne s’inscrivant pas dans une démarche commerciale ou publicitaire mais étant justifiées par le caractère pédagogique du livre en cause ;
Le texte et la musique d’une chanson relevant de genres différents et étant dissociables, le seul fait que le texte ait été séparé de la musique ne portait pas nécessairement atteinte au droit moral de l’auteur.
Une analyse critique d’une œuvre d’un auteur peut donc conduire à l’exception de courte citation, mettant en échec une action en contrefaçon, surtout si l’objectif est pédagogique.
Des questions sur vos droits d’auteur et leur protection ? Les équipes de TAoMA sont à votre disposition pour en discuter !
Émeline JET
Élève-avocate
Jade de Lumley Woodyear
Stagiaire juriste
Anne Laporte
Avocate
(1) 8 février 2023, Cour de cassation, Pourvoi n° 21-23.976 : pour lire la décision
31
janvier
2023
🕵️♂️ Fin de l’American Dream pour Mickey Mouse et Sherlock Holmes
Author:
admingih092115
L’heure de la retraite a ou va bientôt sonner pour certains de nos personnages de fiction préférés.
D’après la loi sur le droit d’auteur aux Etats-Unis, les droits de propriété intellectuelle sur les œuvres artistiques expirent 95 ans après la première publication.
Ainsi, ce 1er janvier 2023 il était l’occasion de compter ses trimestres pour les œuvres divulgués en 1927. Résultat, Les Archives de Sherlock Holmes contenant notamment des ouvrages tels que La Pierre de Mazarin, Le Vampire du Sussex ou encore Les Trois Pignons tombent dans le domaine public.
Contrairement à Sherlock Holmes, Mickey Mouse n’a pas fini de cotiser pour Walt Disney. En effet, le dessin originel de la souris date de 1928 et est encore protégé par le droit d’auteur pour une année. Même si la fin approche, Mickey restera protégé par le droit des marques, la firme pourra donc continuer de jouir de droit de propriété intellectuelle sur la souris.
Élémentaire mon cher Mickey !
Jade de Lumley Woodyear
Stagiaire juriste
Anne Laporte
Avocate
24
novembre
2022
Coup de projecteur sur l’originalité des photographies de plateau
Author:
admingih092115
Pour démontrer l’originalité d’une photographie, le critère des choix libres et arbitraires ne suffit pas. Encore faut-il que ces choix révèlent l’empreinte de la personnalité de l’auteur de la photographie.
Dans un arrêt du 25 octobre 2022, la Cour d’appel de Versailles est venue préciser la nature des critères à remplir pour démontrer l’originalité de la photographie de plateau.
Les photographies de plateau sont les photographies prises lors du tournage ou en dehors de celui-ci, destinées à assurer la promotion de l’œuvre cinématographique. Le rôle du photographe est alors de refléter fidèlement l’atmosphère du film.
Dans cette affaire, la société Diosphere Limited reproduisait, sur sa banque d’images en ligne, sept photographies représentant Jean-Paul Belmondo et le réalisateur Jean-Luc Godard sur le tournage du film « Pierrot le fou ».
Après avoir découvert cette reproduction, l’épouse et ayant-droit du photographe décédé, auteur des photographies litigieuses, assignait la société Diosphere Limited aux fins d’obtenir la réparation de son préjudice résultant de la violation de ses droits patrimoniaux et moraux d’auteur.
Par décision du 11 février 2021, le Tribunal judiciaire de Nanterre jugeait ses demandes irrecevables et, mécontente de ce verdict, l’épouse interjetait appel devant la Cour d’appel de Versailles, qui confirma la décision de première instance pour défaut d’originalité.
En effet, la Cour fait fi des descriptions détaillées par l’appelante des choix esthétiques et arbitraires de son défunt mari, et rappelle que :
« Le critère des choix, pour libres et arbitraires qu’ils soient, ne suffit pas à octroyer la protection du droit d’auteur. Ces choix doivent en outre révéler l’empreinte de la personnalité de l’auteur. »
Elle se fonde notamment sur la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne ayant défini les critères à prendre en compte afin de démontrer l’originalité des photographies réalistes : une photographie de portrait est susceptible d’être protégée dès lors qu’elle constitue une création intellectuelle de l’auteur reflétant la personnalité de ce dernier et se manifestant par des choix libres et créatifs de celui-ci lors de la réalisation de cette photographie1.
Reprenant les critères posés par la juridiction européenne, la Cour d’appel de Versailles en déduit que :
« si, certes le photographe a fait quelques choix de mise en scène, d’éclairage, de pose, de cadrage ou encore d’angles de prise de vue distincts de ceux du réalisateur du film, il ne dégage pas des photographies une impression visuelle différente de celle produite par les scènes filmées de sorte que l’impression d’ensemble reflète, voire accentue, les choix préexistants du réalisateur et non l’empreinte de la personnalité propre du photographe, qui n’est au demeurant nullement explicitée dans les éléments mis en avant par l’appelante. »
C’est également l’occasion pour la Cour de rappeler que l’originalité d’une œuvre de l’esprit constitue une condition de fond de sa protection au titre du droit d’auteur et non une condition de recevabilité.
Cet arrêt s’inscrit dans un courant jurisprudentiel pointilleux en matière de démonstration de l’originalité des photographies de plateau. Si ce genre photographique a pu jadis bénéficier de la protection offerte par le droit d’auteur2, cette tendance semble aujourd’hui en déclin.
Delphine Monfront
Juriste
(1) CJUE, 1er déc. 2010, C145/10 Eva Maria P. C/ Standard Verlags GmbH ;
(2) Par exemple : CA Paris, 15 novembre 2013, n°13/06792.
11
juillet
2022
Quand la comédie familiale tourne au drame pour les coauteurs d’une pièce de théâtre objet de multiples versions
Author:
admingih092115
La transformation des œuvres de l’esprit est source d’un contentieux judiciaire inépuisable. La Cour d’appel de Paris a récemment rappelé que les coauteurs d’une pièce de théâtre adaptée d’une œuvre composite, issue d’une œuvre préexistante, sont tenus de recueillir l’autorisation préalable de son auteur, peu importe que l’auteur de l’œuvre préexistante ait contribué à la création de la dernière version.
Un imbroglio juridique démêlé à la faveur de l’auteur de l’œuvre composite « Ma Belle-Mère, Mon Ex et Moi » !
– ACTE I –
La pièce « Ma Belle-Mère, Mon Ex et Moi » (V1) écrite en 2011 a fait l’objet en 2014 d’une seconde version, portant le même titre (V2). L’auteur de l’œuvre préexistante n’a pas participé à l’écriture de cette version mais indique « avoir consenti, une fois mis devant le fait accompli, au dépôt de celle-ci à la SACD (…) et à son exploitation ». En 2016, une troisième version voit le jour, intitulée « Ma Belle-Mère et Moi, 9 mois après » (V3), créée par trois coauteurs, dont l’auteur de l’œuvre initiale.
– ACTE II –
S’estimant lésé, l’auteur de la V2 qui n’a pas donné son autorisation préalable pour la création de la V3 a introduit une action en contrefaçon à l’encontre des coauteurs de cette dernière version. Les juges du fond ayant, en partie, accueilli cette demande (TGI de Paris, 11 octobre 2019, n°17/09967), la société de production et deux des trois coauteurs de la V3 ont interjeté appel de la décision.
– ACTE III –
Bien que la situation ne manque pas d’ironie, l’auteur de l’œuvre initiale ayant participé à la création de l’œuvre dans sa dernière version, la Cour d’appel de Paris est purement et simplement venue appliquer les principes du Code de la propriété intellectuelle protégeant les œuvres transformatrices et rappeler que le créateur d’une œuvre de l’esprit, fut-elle composite, jouit pleinement de ses droits d’auteur, comme tout auteur.
• Scène 1 : la V2 est une œuvre composite, dérivée de la V1
En application de l’article L. 113-2 du CPI aux termes duquel « est dite composite l’œuvre nouvelle à laquelle est incorporée une œuvre préexistante sans la collaboration de l’auteur de cette dernière » :
La Cour considère que l’auteur de la V2 démontre être à l’origine de choix arbitraires et d’apports originaux (portant sur 66% du texte global de la V1) révélant l’empreinte de sa personnalité notamment concernant : la trame de l’histoire relative à la grossesse des deux actrices, l’héritage conditionné à la naissance d’un enfant et plus généralement le caractère des personnages.
La Cour estime que la V2 « Ma Belle-Mère, Mon Ex et Moi » est donc une œuvre composite créée sans contribution de la part de l’auteur de l’œuvre préexistante, mais avec son autorisation, bénéficiant ainsi d’une protection au titre du droit d’auteur.
• Scène 2 : la V3 est une œuvre dérivée de la V2 et non de la V1
En application de l’article L. 113-4 du CPI aux termes duquel « l’œuvre composite est la propriété de l’auteur qui l’a réalisée, sous réserve des droits de l’auteur de l’œuvre préexistante » :
La Cour estime, à l’issue d’une analyse in concreto de la situation et d’un travail de comparaison, que la V3 se présente comme la suite logique et chronologique de la V2 et que les coauteurs de la V3 se sont manifestement inspirés des éléments clés de l’intrigue de la V2 et non de la version 1.
La Cour confirme que les coauteurs de la V3 auraient donc dû solliciter l’accord préalable de l’auteur de la V2 (ce qu’ils ont au demeurant tenté de faire, sans succès…).
– ACTE IV –
Les deux coauteurs de la V3 et la société de production, ont donc été condamné pour contrefaçon de droits d’auteur au paiement de la somme de 5.000 euros pour atteinte au droit moral de l’auteur de la V2 et de 20.000 euros en réparation de son préjudice matériel.
On notera que l’auteur de l’œuvre préexistante, mis devant le fait accompli pour autoriser l’œuvre dans sa version intermédiaire, n’est pas condamné pour son rôle mineur dans la création de la V3 : maigre consolation qui vient rappeler la force de la protection accordée par le droit d’auteur aux œuvres transformatrices.
– ACTE V –
Une affaire atypique en raison de la participation de l’auteur de l’œuvre préexistante à l’œuvre qualifiée de contrefaisante. Les droits de l’œuvre initiale ne l’emportent pas sur ceux de l’œuvre composite. La prudence est donc toujours de mise pour les créateurs qui entendent s’inspirer d’œuvres préexistantes.
Une affaire d’ex et de belles-mères qui n’a pas fini de faire parler…
Ludovic de Carne
Avocat à la Cour
11
juillet
2022
Pas de fausse note pour Ed Sheeran innocenté de plagiat devant la haute cour de justice britannique
Author:
admingih092115
« Shape of You », le hit d’Ed Sheeran à plus de 3 milliards de Stream sur Spotify, près de 6 milliards de vues sur YouTube depuis sa sortie en janvier 2017, est-il un plagiat de « Oh Why » ? C’est la question à laquelle a répondu la Haute Cour de Justice britannique dans un arrêt attendu du 6 avril 2022.
Samy Chokri et Ross O’Donoghue sont les auteurs d’une chanson intitulée « Oh Why » sortie en juin 2015. Estimant qu’une partie du refrain de « Shape of You », d’Ed Sheeran était un plagiat de leurs chansons, Samy Chokri et Ross O’Donoghue ont demandé à être crédités comme auteurs. En réponse, Ed Sheeran intente une action à leur encontre afin d’obtenir une déclaration de non-contrefaçon. Pour se défendre, Samy Chokri et Ross O’Donoghue forment une demande reconventionnelle en plagiat.
Aux termes d’une analyse argumentée, la Haute Cour de Justice conclut que la star britannique n’a pas copié la chanson « Oh Why ».
En effet, elle considère qu’il existe de très nombreuses différences entre les œuvres en cause, et qu’il n’est pas prouvé qu’Ed Sheeran ait eu accès à l’œuvre prétendument plagiée compte tenu de son « succès limité ». Dans ces conditions, elle en déduit que le chanteur pop n’a pas copié « délibérément » ni « inconsciemment » la chanson « Oh Why » et condamne les auteurs-compositeurs qui l’accusaient de plagiat à verser à Ed Sheeran plus d’un million d’euros d’indemnisation.
En souhaitant que le chanteur britannique connaisse la même issue dans la procédure en cours Outre-Atlantique aux termes de laquelle sa ballade « Thinking out Loud » est accusée de beaucoup trop s’inspirer de la chanson « Let’s Get it On » de Marvin Gaye.
Nathan Audinet
Stagiaire – Pôle avocats
Anne Laporte
Avocate à la cour
11
juillet
2022
Un blouson noir dans la tourmente : un designer attaque lego devant le tribunal de district du connecticut après la reproduction d’un blouson en cuir noir conçu par ses soins
Author:
admingih092115
Dans le cadre d’une collaboration, Netflix a récemment octroyé une licence au groupe Lego pour la création d’un set inspiré de la série de téléréalité Queer Eye, diffusée sur la plateforme de streaming.
Lego s’est toutefois vu attaquer en contrefaçon de droit d’auteur par le designer James Concannon en décembre dernier après la reproduction d’une de ses vestes sur l’une des figurines de ce set. La veste en question avait été offerte par le designer à Antoni Porowski, membre du casting de Queer Eye, et avait été portée par ce dernier lors du tournage de la série.
Revendication d’une violation du droit d’auteur portant sur le blouson
Selon le designer, aucune licence n’a été concédée à Netflix pour l’utilisation de sa veste dans son émission. Effet boule de neige, aucune autorisation n’a dès lors pu être donnée à Lego de reproduire son œuvre au sein du set en question et ainsi l’exploiter commercialement, qui plus est à titre gratuit. Concannon entend ainsi obtenir réparation pour la violation de son droit d’auteur.
Contrefaçon or not contrefaçon ? Concannon pourrait toutefois se prendre une veste, ses chances de succès étant plus qu’incertaines. En effet, quand bien même l’originalité de la veste serait démontrée, il appartiendra ensuite au designer de prouver que la version Lego de son œuvre est suffisamment similaire à la veste originale.
Existence d’une licence implicite ?
Par ailleurs, Lego affirme qu’en offrant la veste à Porowski, en sachant pertinemment qu’il la porterait sur le tournage, le designer aurait concédé une licence implicite à Netflix d’utiliser son œuvre dans son émission.
Qui de la brique ou du blouson aura le dernier mot, affaire à suivre…
Juliette Parisot
Stagiaire – Pôle CPI
Blandine Lemoine
Conseil en Propriété Industrielle
14
avril
2022
Prudence, la cession d’une marque à titre gratuit équivaut à une donation !
Author:
admingih092115
Le titulaire d’une marque a la faculté de transférer tout ou partie des droits qu’il détient sur celle-ci à un tiers, à travers la conclusion d’un contrat de cession. La cession peut être conclue à titre onéreux ou bien à titre gratuit.
Le jugement du tribunal judiciaire de Paris rendu le 8 février 2022[1] alerte les cocontractants sur les risques liés à une cession d’une marque à titre gratuit, très courante en pratique.
Dans cette affaire, deux associés ont déposé conjointement une marque de l’Union européenne ainsi que des dessins et modèles communautaires pour commercialiser des antennes. À la suite de la liquidation de leur société, l’un des deux titulaires a créé une nouvelle société, à qui il a cédé à titre gratuit ses droits sur la marque et les dessins et modèles, sans obtenir le consentement de son-ex associé.
Le co-titulaire des droits cédés l’a immédiatement assigné en nullité du contrat de cession, au motif que ce contrat, considéré comme une donation, aurait dû être constaté par acte notarié.
Le tribunal fonde sa décision sur l’article 931 du Code civil, qui prévoit que toutes les donations entre vifs (y inclus les personnes morales[2]) doivent être passées devant notaire, sous peine de nullité.
Il rappelle que le Code de la propriété intellectuelle ne déroge pas à ce formalisme et donc qu’en l’absence d’un droit spécial, il convient de prononcer la nullité du contrat de cession de marque et de modèle, qui n’avait pas été constaté par acte notarié.
Ainsi, la cession d’une marque à titre gratuit est considérée juridiquement comme une donation qui doit être passée devant notaire, sous peine de nullité.
Quelles sont les conséquences d’une telle annulation ?
Le contrat est considéré comme n’ayant jamais existé, de sorte que les parties doivent être remises dans l’état dans lequel elles se trouvaient avant sa conclusion[3].
Quelles sont les conséquences d’une qualification de la cession en donation ?
Qualifiée de donation, la cession de droits de marque à titre gratuit implique le paiement de droits de mutation dans les conditions de droit commun. Toutefois, l’exigibilité de ces droits varie en fonction du mode d’exploitation de la marque[4].
Dans l’hypothèse où la cession n’aurait pas été constatée par un acte notarié, la prudence est de mise, dans la mesure où cette situation peut entraîner des conséquences fiscales importantes de la part de l’administration (tel qu’un redressement fiscal).
Comment échapper au régime fiscal des donations ?
Afin d’éviter la constatation de la cession par un notaire et le paiement de droits de mutation, il est fréquent que le prix de cession soit fixé à un montant symbolique (par exemple d’un euro)[5].
Toutefois, l’administration peut considérer que la cession à un tel prix constitue un acte anormal de gestion dans le cas où la marque aurait été sous-évaluée, et requalifier l’acte en contrat à titre gratuit[6].
***
L’argument fondé sur l’irrespect de l’article 931 du code civil avait déjà été tenté par le passé[7] mais sans que les juridictions saisies n’aient à l’examiner, en présence d’irrecevabilités ou d’autres obstacles rendant inutile son examen. Le jugement du 8 février 2022 est donc particulièrement observé par les praticiens.
Pour l’heure, il semblerait qu’aucun appel n’a été formé à l’encontre de cette décision. Si la procédure en restait là ou si la solution du tribunal judiciaire était confirmée en appel, elle pourrait avoir des répercussions importantes pour la pratique, d’autant plus qu’elle s’applique à tous les droits de propriété intellectuelle.
Lire la décision sur Legalis
Margaux Maarek
Stagiaire
Jérémie Leroy-Ringuet
Avocate à la cour
[1] TJ Paris, 3e ch. 8 févr. 2022, n° 19/14142
[2] Cass. com., 7 mai 2019, n° 17-15621
[3] Cass. 1e civ. 16 juill. 1998 n° 96-18404 ; Cass. 3e civ. 2 oct. 2002 n° 01-02924
[4] Répertoire IP/IT et communication, propriété industrielle, régime fiscal, fiscalité des cessions de droits de propriété industrielle, Emmanuel CRUVELIER – Mise à jour décembre 2021.
[5] Fiche pratique n° 542 – Rédiger un contrat de cession de marque, Arnaud FOLLIARD-MONGUIRAL, Lexis 360, Mise à jour le 29 avril 2021
[6] Voir par exemple cour d’appel de Douai, 29 mars 2018, RG n° 17/00192 (pourvoi rejeté)
[7] Notamment, cour d’appel de Paris, 21 mai 1976, n° INPI B19760129 ; 29 janvier 2010, RG n° 08/21549
05
juillet
2021
Tintin et le temple de l’exception de parodie
Author:
teamtaomanews
L’artiste Xavier Marabout a réalisé des œuvres d’art mêlant l’univers du peintre Edward Hopper et celui de l’auteur de bande dessinée Hergé à travers la représentation du personnage de Tintin, placé dans des situations saugrenues. L’artiste a fait le choix de représenter le célèbre reporter accompagné de femmes dans des environnements austères, évoquant la mélancolie habituelle des œuvres de Hopper.
La société Moulinsart, titulaire exclusive des droits patrimoniaux de Hergé (à l’exception de l’édition des albums de bande dessinée) a constaté la vente et la commercialisation des œuvres, sur le site internet de Xavier Marabout, adaptant sans autorisation les personnages des Aventures de Tintin.
Cette dernière considérant ces actes comme contrefaisants a assigné Xavier Marabout en contrefaçon de droits d’auteur et en concurrence déloyale et parasitaire devant le Tribunal Judiciaire de Rennes (1).
La question principale abordée dans cette décision est de savoir si Xavier Marabout peut légitimement se prévaloir de l’exception de parodie. Et subsidiairement, s’il y a lieu de considérer que les actes en question sont parasitaires ou déloyaux.
Concernant la question de l’exception de parodie le Tribunal Judiciaire a rappelé le principe selon lequel lorsque l’œuvre a été divulguée, l’auteur ne peut interdire « 3° sous réserve que soient indiqués clairement le nom de l’auteur et la source ; 4° la parodie, le pastiche et la caricature, compte tenu des lois du genre ».
Xavier Marabout invoque cette exception au monopole du droit d’auteur de la société Moulinsart, sans pour autant contester avoir reproduit et adapté sans autorisation des éléments issus des Aventures de Tintin.
Dans un premier temps, le tribunal s’est livré à une analyse précise de chaque critère de l’exception de parodie :
La parodie doit permettre l’identification immédiate de l’œuvre parodiée, ce qui est le cas en l’espèce puisque les personnages de l’œuvre d’origine sont aisément identifiables.
L’œuvre parodique doit se distinguer de l’œuvre originale. En l’espèce, le choix du support – un tableau versus une bande dessinée – permet bien de distinguer l’œuvre parodique de l’œuvre originale.
L’intention humoristique doit être présente et reconnue par le public, l’austérité des œuvres de Hopper est ici plus animée et vient transcender l’impossibilité pour Tintin d’afficher ses sentiments dans des situations burlesques où des femmes aux allures de « bimbos » sont représentées. En outre, le nom des œuvres permet également de démontrer l’approche parodique de l’auteur avec un effet humoristique tel que « Moulinsart au soleil» ou « Lune de miel » faisant écho directement aux œuvres originales de Hergé.
Une absence de risque de confusion : La parodie exige une distanciation comique et un travestissement qui ne doit pas porter une atteinte disproportionnée aux œuvres de l’auteur. Les Aventures de Tintin ont connu une diffusion mondiale considérable par le nombre d’exemplaires vendus, que le public identifie aisément. Les travestissements opérés sont effectués sous forme de tableau permettant de distinguer la représentation classique sous vignette de bande dessinée habituelle de Hergé. Enfin, les inspirations de l’univers de Hopper étant indéniables par les environnements reproduits mais aussi par les titres des œuvres ne peuvent venir caractériser un risque de confusion quelconque.
Dans ces conditions, le Tribunal judiciaire en conclut que les œuvres de Xavier Marabout traduisent une forme d’hommage et accueille l’exception de parodie.
Le tribunal s’est ensuite concentré sur le fait de savoir si la démarche de Xavier Marabout ne s’inscrivait pas dans une démarche purement commerciale et mercantile, s’appropriant ainsi la valeur économique de l’œuvre de Hergé, portant de ce fait atteinte aux droits patrimoniaux de la société Moulinsart.
Faisant une appréciation très concrète des enjeux financiers en comparant les revenus générés par l’œuvre de Hergé et ceux découlant de l’exploitation des tableaux de Xavier Marabout les juges considèrent que les faits allégués de contrefaçon n’engendrent qu’une perte financière minime voire totalement hypothétique pour la société Moulinsart, qui ne peut dès lors s’opposer à la liberté de création.
En conséquence, le Tribunal judiciaire déboute la société Moulinsart de ses demandes au titre du droit d’auteurs en excluant toute faute constitutive de contrefaçon.
Pour ce qui est des demandes en concurrence déloyale ; le tribunal a noté que l’exception de parodie ne peut venir caractériser un comportement fautif parasitaire et que les activités commerciales d’exploitation des produits dérivés de l’œuvre de Tintin par la société Moulinsart ne s’adressent pas à la même clientèle que les œuvres réalisées par Xavier Marabout, et ne peuvent de ce fait constituer une concurrence déloyale.
Ainsi, cette décision parait cohérente et mesurée, notamment au regard des œuvres en question où l’empreinte de l’auteur par l’originalité de ses choix et références permettent de faire prévaloir la liberté d’expression des artistes.
Dorian Souquet
Juriste stagiaire
Anne Laporte
Avocate à la Cour
(1) Tribunal judiciaire de Rennes, 2e chambre civile, 10 Mai 2021, 17/04478 – Société Moulinsart c/ Xavier Marabout
25
mars
2021
Un pacte d’actionnaires peut emporter cession de droits d’auteur
Author:
teamtaomanews
La question de la titularité du droit d’auteur sur les inventions de salariés est récurrente en droit français. Le principe est que l’existence d’un simple contrat de travail n’emporte aucune dérogation au profit de l’employeur à la jouissance des droits de propriété intellectuelle de l’auteur salarié. Ainsi, en l’absence de cession de droits, le salarié ne transmet à son employeur aucune autorisation d’exploitation sur ses œuvres. Mais les choses se compliquent lorsque le salarié est également actionnaire et qu’un pacte d’actionnaire envisageait le sort des œuvres à naître.
La cour d’appel a eu l’occasion de se pencher sur ce problème dans un arrêt du 26 février 2021 relatif à des créations de mode. Le conflit opposait d’une part une société CYMBELINE FOREVER, venant aux droits de la société CYMBELINE, spécialisée dans la commercialisation de robes de mariées, et d’autre part l’ancienne directrice de collection salariée de CYMBELINE, dont le contrat de travail avait trouvé son terme mais qui était toujours actionnaire.
L’ancienne directrice reprochait à la société qui avait repris le fonds de commerce d’avoir commercialisé cinq modèles de robes de mariées créés après la fin de son contrat de travail et dont elle n’avait cédé les droits à personne.
La cour a considéré que l’ancienne directrice de collection prouvait bien sa qualité d’auteur mais qu’elle avait cédé les droits d’exploitation à la société et ne pouvait invoquer une atteinte à ses droits patrimoniaux ; que toutefois l’absence de son nom avait porté atteinte à son droit moral.
Les juges commencent donc par reconnaitre la qualité d’auteur à l’ancienne directrice de collection et l’originalité de ses créations, ce qui justifie, en l’absence de la mention de son nom, une condamnation pour atteinte au droit moral. Ils considèrent ensuite que la titularité des droits patrimoniaux revient à la société CYMBELINE. Pour statuer ainsi, la cour constate que l’ancienne salariée avait signé, en compagnie des fondateurs, un pacte d’actionnaires prévoyant que la pleine propriété des droits de propriété intellectuelle appartenait à la société, mais également que chacun des signataires s’interdisait « à l’avenir de déposer ou de protéger de quelque façon que ce soit, à son nom, directement, indirectement ou par personne interposée, tous droits intellectuels (brevets, marques…) nécessaires ou utiles à l’activité de la Société ». Tout signataire s’engageait également « à déposer et protéger lesdits droits exclusivement au nom de la Société afin que cette dernière puisse en jouir et en disposer librement comme propriétaire ». Ce pacte ayant été conclu pour toute la durée pendant laquelle les signataires sont titulaires de titres et, en tout état de cause, pour une durée de douze années minimum, l’ancienne directrice n’était donc pas en mesure de revendiquer les droits sur ses créations puisqu’elle a « cédé à la société Cymbeline les droits patrimoniaux d’auteur » sur les robes litigieuses. L’ancienne salariée est déboutée de ses demandes à ce titre.
La Cour considère qu’un pacte d’actionnaires contenant un engagement de chacun des associés de ne pas revendiquer la protection de ses créations pour son propre compte vaut preuve de la cession des droits patrimoniaux.
Il s’agit là d’une solution intéressante et très discutable, selon laquelle l’interprétation de la volonté des parties semble devoir l’emporter sur les dispositions légales relatives à la nullité de la cession globale des œuvres futures (Code de la propriété intellectuelle, article L. 131-1) et à l’obligation de constatation par écrit et de façon précise des contrats de transmission des droits d’auteur (article L. 131-2, certes non applicable à la date des faits, et L. 131-3). En effet, si le droit français exige en principe que le contrat de cession énumère précisément les droits cédés et les modes d’exploitation couverts, les juges ont, en l’espèce, considéré que les stipulations relativement sommaires du pacte d’associés valaient transmission.
Une telle solution, qui pourrait donner matière à pourvoi en cassation, invite en tout cas les créateurs actionnaires à surveiller avec toujours plus de vigilance les droits dont ils sont propriétaires, afin d’être en mesure d’en conserver la maîtrise à travers le temps.
Référence et date : Cour d’appel de Paris, pôle 5 – ch. 2, 26 février 2021, n°19/15130
Décision non publiée, communiquée sur demande à contact-avocat@taoma-partners.fr
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Jérémie LEROY-RINGUET
Avocat à la Cour
Mathilde GENESTE
Élève-avocate
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