26
septembre
2023
Andy Warhol, contrefacteur ? Débat sur la notion américaine de fair use et la transformation artistique
Author:
teamtaomanews
Dans une décision du 18 mai 2023[1], la Cour suprême des États-Unis a dû s’interroger sur l’appréciation du fair use, à propos d’une œuvre d’Andy Warhol réalisée à partir d’un portrait photographique de Prince et utilisée pour illustrer un article de presse.
Le conflit juridique autour des portraits de Prince
L’affaire trouve son origine en 1984, lorsque le magazine Vanity Fair sollicite Lynn Goldsmith, photographe de renom, pour que soient utilisée l’une de ses photographies du chanteur Prince et la confier à Andy Warhol, en vue de réaliser l’une de ses fameuses sérigraphies, en guise d’illustration d’un article consacré au chanteur.
Ce sont finalement pas moins de 13 déclinaisons coloriées de la photographie, qui ont été réalisées par le roi du pop art, sans l’accord de la photographe.
Peu après le décès de Prince en 2016, Vanity Fair a versé 10.000 dollars à la Fondation Warhol pour re-publier au sein de son magazine un nouvel article sur Prince, illustré d’une déclinaison orangée de la série de portraits de Prince réalisée par Andy Warhol. En revanche, Vanity Fair n’a pas contacté Lynn Goldsmith à cette occasion.
La photographe, a vainement tenté d’obtenir une indemnisation au titre de l’utilisation de sa photographie, auprès de la Fondation Warhol. Cette dernière a préféré porter l’affaire devant les tribunaux.
Violation du copyright ou exception de fair use ?
Si le copyright permet à un auteur de protéger son œuvre contre toute exploitation non-autorisée, le concept américain de fair use permet au juge d’apprécier en cas de litige, si l’utilisation d’une œuvre par un tiers est loyale ou non, ce qui lui permet d’échapper à toute condamnation en matière de contrefaçon.
Dans le cas d’espèce, c’est précisément ce que soutenait la Fondation Warhol pour considérer que l’utilisation de la photographie de Lynn Goldmsith ne constituait pas une violation du copyright.
La Cour d’appel a refusé de faire application de cette notion pour exonérer la Fondation Warhol, laquelle a formé un recours devant la Cour suprême. Elle repose et analyse les différents critères d’appréciation du fair use.
La Cour Suprême rejette l’application du fair use en raison d’une transformation de l’œuvre originale insuffisante
En l’espèce, même si la Cour Suprême revient en partie sur le raisonnement juridique de la Cour d’appel, elle refuse de considérer que la sérigraphie réalisée par Andy Warhol pouvait bénéficier de l’exception de faire use.
En l’espèce, la Cour Suprême se concentre sur le premier critère du fair use, à savoir le but et le caractère de cet usage : pour que ce critère soit rempli, elle rappelle que l’usage de l’œuvre originale par l’œuvre seconde doit être transformatif, c’est-à-dire que l’œuvre première doit être transformée par la création d’une nouvelle information.
Et la Cour Suprême estime que la série de portraits de Warhol ne constituait pas une transformation suffisante pour justifier le fair use.
Bien que les portraits soient immédiatement identifiables comme étant du style distinctif de Warhol, cela restait néanmoins objectivement un portrait de Prince ayant juste un style différent. La Cour ajoute que l’usage que pouvait faire Lynn Goldsmith de sa photographie, était le même que celui que la Fondation Andy Warhol pouvait faire des sérigraphies.
La Cour en conclut que les critères requis pour bénéficier de l’exception du fair use n’étaient pas remplis.
Autant dire que la technique bien connue d’Andy Warhol consistant à recoloriser des clichés existants n’est pas regardée comme un apport créatif significatif…
Juliette DANJEAN
Stagiaire pôle avocat
Alain HAZAN
Avocat associé
[1] Andy Warhol for the visual art, inc. v. Goldsmith Et Al.
26
septembre
2023
Ballade pour Adeline » ou la « Ballade de la vengeance » : quand une musique romantique est détournée
Author:
admingih092115
C’est une victoire pour le cartel mexicain « Narcos » : l’usage d’une musique douce pour mourir est bien autorisée ! (sous conditions)
Un compositeur français avait accordé l’exploitation de sa composition « Ballade pour Adeline » à une société française. Cette dernière a conclu un contrat de sous-édition avec une société américaine, qui a elle-même cédé ses droits, et notamment celui du droit d’adaptation au sein d’une œuvre cinématographique, aux sociétés de production américaines Narcos Mexico.
La série mondialement connue a alors utilisé le morceau afin d’illustrer une scène violente de l’épisode 10 de la saison 2.
Mécontent de voir son œuvre empreinte de douceur et de romantisme, associée à une scène de violence, le compositeur a assigné en justice les sociétés américaines pour atteinte au droit au respect de son œuvre et au droit de paternité sur le fondement de l’article 121-1 du Code de la propriété intellectuelle.
Dans une décision du 9 juin 2023, le Tribunal judiciaire de Paris rejette la demande fondée sur l’atteinte au respect de l’esprit sur son œuvre, mais confirme l’atteinte au respect de son nom.
L’atteinte au droit au respect de l’œuvre rejetée
La scène litigieuse représentait un meurtre de vengeance perpétré au moyen d’une batte de baseball, où l’on pouvait distinguer une vue du corps ensanglanté de la victime, le tout sur un fond musical de la « Ballade pour Adeline »
Le tribunal indique que l’usage de l’œuvre musicale pour illustrer « la représentation de la violence n’est en soi illicite que si l’esprit de l’œuvre y est incompatible, ce qui ne se présume pas ».
D’ailleurs, le compositeur ne démontre pas que l’usage du morceau est strictement limité au thème de « la tendresse », de « l’amour » ou de « la pureté » puisqu’au contraire, celui-ci a admis d’autres usages antérieurs de sa musique notamment pour illustrer une scène de suicide d’une mère dont son enfant serait témoin.
Le tribunal ajoute que la violence de la scène ne valorise ni n’encourage le crime, la violence ou la drogue mais incite le spectateur à réfléchir sur les conséquences de ce meurtre fait par vengeance.
La musique est utilisée comme un « accompagnement détaché de la scène », elle débute comme une musique d’ambiance devenant de plus en plus forte à l’approche de la scène qui, elle bascule dans l’horreur. Le décalage atténue « l’impact de la scène sur la perception de l’œuvre et l’association qui en résulte entre celle-ci et le sujet ».
En outre, le tribunal rejette la demande fondée sur l’atteinte à l’intégrité de l’œuvre estimant que le compositeur avait consenti par le contrat d’édition à la reproduction partielle de son œuvre, cette autorisation ne constituait pas une cession de droit moral.
L’atteinte au droit de la paternité retenue
Dans un second temps, le tribunal retient en revanche l’atteinte à la paternité de l’œuvre de l’article 121-1 du Code de la propriété intellectuelle, dans la mesure où le générique de l’épisode de la série ne mentionne ni l’œuvre jouée, ni son auteur, les sociétés américaines se contentant d’alléguer un simple usage dans la série.
Autre point à signaler dans cette décision : afin de déterminer le montant du préjudice, il fallait s’accorder sur le périmètre géographique de l’atteinte, ce qui a posé une difficulté.
En effet, le compositeur alléguait la compétence du juge français pour connaitre des atteintes résultant de la diffusion de l’épisode sur le territoire national et à l’étranger.
Il soutenait que le droit moral est un droit de la personnalité, permettant la réparation de l’ensemble du préjudice subi dans le monde entier, au lieu du domicile du compositeur.
Le tribunal a cependant refusé d’admettre cette position : il retient que l’atteinte au droit moral n’est pas attachée à un droit de la personnalité. Le lieu du dommage est alors celui où il se manifeste concrètement, ce qui limite l’appréciation du préjudice aux actes réalisés sur le territoire national.
Pour les juges, l’absence de « crédit » pour l’usage de son œuvre n’a causé qu’un préjudice moral « caractérisé par le simple désagrément de découvrir qu’une de ses prérogatives n’a pas été respectée par un tiers ».
Au regard de la très grande diffusion de l’œuvre en France mais aussi de la faible gravité du manquement, le préjudice est estimé à 1.000 euros.
Il faut donc retenir que l’usage d’une œuvre musicale pour illustrer une scène violente ne caractérise pas, en soi, une violation du droit moral. Seul un examen préalable de l’esprit de l’œuvre est nécessaire pour la déterminer.
Alain Hazan
Avocat Associé
Emeline Jet
Juriste
22
août
2023
La « Marianne asiatique » : Politique et street art ne font pas campagne commune
Author:
teamtaomanews
Combo, un street artist, est l’auteur de « La Marianne Asiatique », que l’on peut admirer sur un mur du Boulevard du Temple à Paris !
Cette œuvre de street art apparaît brièvement dans trois films de campagne de La France Insoumise, sans que l’auteur en ait donné l’autorisation. Il a fait assigner La France Insoumise et Jean Luc Mélenchon pour atteinte à ses droits moraux et patrimoniaux.
Le 21 janvier 2021, le tribunal judiciaire de Paris1 a reconnu que « La Marianne Asiatique » était une œuvre de l’esprit, protégée par le droit d’auteur. Néanmoins le juge a rejeté les demandes de l’auteur, tenant à la condamnation de La France Insoumise et de Jean Luc Mélenchon, considérant que la reproduction de l’œuvre relevait des exceptions de courte citation et de panorama. L’auteur a alors interjeté appel.
La Cour d’appel de Paris2 a infirmé la décision de première instance, considérant que les conditions des exceptions précitées n’étaient pas remplies !
Les œuvres de street art peuvent être protégées par le droit d’auteur
La Cour d’appel ne revient pas sur la question de la qualité d’œuvre de l’esprit de « La Marianne asiatique ». En effet, elle explique que « la cour fait sienne, par motifs adoptés, l’analyse des premiers juges qui ont reconnus à la fois que M. [V] démontrait être l’auteur de la fresque en litige et que cette fresque était, par son originalité, éligible à la protection par le droit d’auteur ».
Pas d’exception de courte citation et de panorama pour les films de campagne
En revanche, la Cour rejette le jugement de première instance en ce qu’il concerne l’application des exceptions de courte citation et de panoramas.
Concernant l’exception de courte citation, l’article L. 122-5 du code de la propriété intellectuelle dispose que « Lorsque l’œuvre a été divulguée, l’auteur ne peut interdire :
(…)
3° Sous réserve que soient indiqués clairement le nom de l’auteur et la source :
a) Les analyses et courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information de l’œuvre à laquelle elles sont incorporées».
Toutefois, dans ce cas, bien que la citation soit courte, la Cour relève que ni le nom de l’auteur (pourtant facilement identifiable, selon le raisonnement développé par les juges du fond), ni la source de la fresque, n’ont été indiquées.
S’agissant de l’exception de panorama, le 11° de l’article L. 122-5 du code de la propriété intellectuelle dispose que :
« Les reproductions et représentations d’œuvres architecturales et de sculptures, placées en permanence sur la voie publique, réalisées par des personnes physiques, à l’exclusion de tout usage à caractère commercial » sont autorisées.
Cependant, la cour considère que la fresque en question ne peut être considérée comme une œuvre architecturale ou sculpturale, et étant soumise à des aléas extérieurs, « (dégradations volontaires, effacement par le propriétaire du support, altérations du fait des intempéries…) », elle n’est pas non plus « placée en permanence sur la voie publique ». Les conditions n’étaient donc pas remplies.
Ainsi, ces exceptions ne pouvaient s’appliquer !
L’atteinte au droit moral de l’auteur retenue
En ce qui concerne le droit moral de l’auteur, la Cour a également reconnu une atteinte à la paternité et à l’intégrité de l’œuvre, rejetant l’argument de Monsieur Jean Luc Mélenchon selon lequel, l’œuvre de street art est soumise, en raison de sa « nature évolutive et éphémère », à de nombreuse atteinte à son intégrité.
D’une part, la Cour relève une absence de la mention du nom de l’auteur dans le film de campagne concluant à une atteinte à la paternité de l’auteur.
D’autre part, l’ajout non autorisé du signe LFI, l’intégration de l’œuvre non autorisée dans un support audiovisuel accompagné d’un message sonore et d’un titrage, ainsi que l’utilisation, sans le consentement de l’auteur « au soutien de l’action et des intérêts d’un parti et d’une personnalité politiques, (…) de nature à faire croire que l’auteur apportait à son appui ou son concours à la France insoumise », suffisent à démontrer une atteinte à l’intégrité de l’œuvre.
Ainsi, si le code de la propriété intellectuelle établit la possibilité d’accorder la protection du droit d’auteur à toute œuvre, sans égard à sa forme d’expression, son genre, son mérite ou sa destination, cet arrêt établit sans ambiguïté que les œuvres issues de l’art urbain, peuvent légitimement revendiquer la qualité d’œuvre de l’esprit, et surtout bénéficier d’une protection par le droit d’auteur en cas d’atteinte à ses droits moraux et patrimoniaux. À condition, bien sûr, de répondre au critère d’originalité !
Juliette Danjean
Juriste stagiaire
Jean-Charles Nicollet
Associé – Conseil en Propriété Industrielle
[1] TJ Paris, 21 janvier 2021, n° 20/08482
[2] CA Paris, pôle 5 ch. 1, 5 juill. 2023, n° 21/11317
08
août
2023
Cession de droits de propriété intellectuelle : si c’est gratuit, c’est notarié
Author:
teamtaomanews
Les droits de propriété intellectuelle peuvent faire l’objet d’une cession par contrat, que ce soit à titre onéreux ou bien à titre gratuit.
Après s’être prononcé en 2022 sur la cession d’une marque à titre gratuit (dont vous pouvez retrouver la news de TAoMA ici) [1], le Tribunal judiciaire de Paris semble confirmer son approche dans une ordonnance de référé rendue le 12 avril 2023 [2], s’agissant cette fois-ci de droits d’auteur.
Guerre et PI
Le demandeur est un ancien militaire de l’armée russe, qui a participé à l’invasion de l’Ukraine. Après avoir été blessé sur le front puis rapatrié en Russie, il a diffusé sur le réseau social VKontakte son témoignage intitulé « ZOV », qui signifie « l’appel ». Ce terme a notamment été peint sur des chars russes lors de l’invasion.
Ayant dû fuir la Russie pour la France, il a décidé de céder à titre gratuit et par acte sous seing privé ses droits d’auteur sur son manifeste à une association, en septembre 2022.
Cette association a elle-même conclu un contrat de cession de droits d’auteur avec la société d’édition Albin Michel, pour la publication de l’œuvre en format imprimé et électronique. Conformément à ce contrat, un livre intitulé « ZOV : L’homme qui a dit non à la guerre » a été publié en novembre 2022 en France.
L’association et la société d’édition ont alors été assignées devant le Tribunal judiciaire de Paris par l’ex militaire. Elles ont ensuite été assignées en référé pour que soit réalisé le placement sous séquestre conservatoire des recettes générées par l’ouvrage, dans l’attente du rendu d’une décision au fond.
Le sort de la cession gracieuse de droits de propriété intellectuelle à nouveau face aux juges
Rappelant les dispositions de l’article 931 du code civil (prévoyant que « tous actes portant donation entre vifs seront passés devant notaires dans la forme ordinaire des contrats ; et il en restera minute, sous peine de nullité »), le juge des référés a constaté que le contrat conclu entre l’ex militaire et l’association emporte « explicitement cession « gratuite » de droits d’auteurs », et qu’il est « donc possible que cet acte conclu sous seing privé soit nul ».
Le juge des référés ne peut rendre une décision sur le fond de l’affaire mais uniquement sur des mesures provisoires. Ainsi, il ne fait ici que « supposer » la nullité de l’acte laissant au juge du fond trancher la question.
Le séquestre provisoire des recettes issues du livre a en conséquence été ordonné, dans l’attente d’une décision au fond. Les juges du fond devraient, selon toute vraisemblance, prononcer la nullité de la cession des droits d’auteur à titre gratuit, qui aurait dû être réalisée par acte notarié pour pouvoir être valide.
Il est ainsi rappelé que la propriété intellectuelle, tant s’agissant de cession gracieuse de marque que de droit d’auteur, ne déroge pas aux règles du droit commun de la donation entre vifs.
La cession à titre gratuit de droits de propriété intellectuelle est juridiquement considérée comme une donation et doit être passée devant notaire, sous peine de nullité.
Cette solution réitérée semble sceller le sort de cette pratique répandue, notamment pour les cessions de marque.
Arthur Burger
Stagiaire juriste
Jean-Charles Nicollet
Associé – Conseil en Propriété Industrielle
[1] Tribunal judiciaire de Paris, 3e ch, 8 février 2022, n° 19/14142
[2] Tribunal judiciaire de Paris, 12 avril 2023, n° 23/50949
18
juillet
2023
Nestlé & AMPC : 0% de contrefaçon mais 100% de cacao !
La société AMCP commercialise le chocolat qu’elle fabrique sous forme de tablettes de dégustation sous la marque « Encuentro », l’emballage de ces produits s’appelle « Encuentro 70% Haïti », représentant une cabosse de couleur orange à reflets jaune apposée sur un fond uni couvrant la quasi-totalité de l’emballage.
Elle reproche à la société Nestlé la contrefaçon de droit d’auteur sur ses emballages et la concurrence déloyale, pour avoir reproduit les caractéristiques essentielles de son packaging dans sa tablette de chocolat « Incoa ».
Tout en retenant l’originalité du packaging, le Tribunal judiciaire de Paris rejette pourtant ses demandes le 13 avril 2023[1]
Le tribunal retient l’originalité du packaging « Encuentro 70% Haïti »
Même si certains éléments sont dictés par la fonction technique de l’emballage, et d’autres banals, ces éléments, pris dans leur ensemble, attestent d’une opposition entre une étiquette à la typographie d’imprimerie traditionnelle et une représentation stylisée, sous forme d’aquarelle, d’une cabosse de cacao accentuant ses couleurs naturelles orangée ou violette.
Les emballages sont présentés de façon lisse, avec des couleurs vives et des effets de dégradés et de reflets.
Le tribunal retient que cette présentation véhicule une atmosphère artisanale et sobre d’authenticité et de qualité, combinée de façon originale, avec une représentation graphique colorée pouvant évoquer un élément passionnel et la gourmandise associée au produit.
Le tribunal rejette le fondement de la contrefaçon
Le tribunal est ferme et indique que les éléments l’ayant mené à reconnaître l’originalité du packaging du demandeur n’existent pas pour la tablette Incoa de la société Nestlé, dont la version de la cabosse de cacao est épurée, simple, droite et sans reflets.
Par ailleurs, le tribunal rejette le fondement de la concurrence déloyale car le consommateur du chocolat Encuentro d’attention élevée ne pourra pas confondre des produits qui se distinguent par leurs marques, leurs prix et leurs qualités, la faute n’est donc pas démontrée.
En effet, le public pertinent, au cas d’espèce acheteur du chocolat Encuentro, est considéré comme recherchant un produit de qualité gustative et par sa composition, il dépensera donc un prix élevé pour acheter du chocolat, la tablette Encuentro étant vendue au prix de 7 à 8 euros. Le chocolat Encuentro est un chocolat haut de gamme, ciblant un public d’amateurs ou de connaisseurs et distribué dans un réseau de commerce au détail et spécialisé.
Le consommateur est donc considéré comme disposant d’un niveau d’attention élevée.
Au contraire, la tablette Incoa est un chocolat industriel ciblant un large public et commercialisée dans un réseau étendu de magasins de grande surface.
Il est donc peu probable que le public pertinent soit en situation de confondre les deux produits.
Cette position est assez surprenante dans la mesure où les tablettes de chocolat sont un produit ordinaire dans la consommation quotidienne et à destination du grand public, le degré d’attention du consommateur devrait être qualifié de moyen, comme cela a été jugé à propos de boissons rafraichissantes[2] par exemple.
L’attention plus élevée du consommateur est généralement retenue lorsque les produits sont spécifiques et onéreux comme les vins de Champagne[3].
Ici, c’est sans doute la qualité certaine du chocolat qui en fait un produit cher conduisant donc à considérer le consommateur qui va l’acheter comme ayant un niveau d’attention élevée.
Enfin, les fondements de parasitisme et pratiques commerciales trompeuses sont également écartés.
Nestlé et son chocolat ont encore de beaux jours devant eux…
Des questions sur vos droits d’auteur et leur protection ? Les équipes de TAoMA sont à votre disposition pour en discuter !
Emeline JET
Elève-avocate
Jean-Charles Nicollet
Associé – Conseil en Propriété Industrielle
[1] TJ Paris, du 13 avril 2023 n°21/09930
[2] TUE, 23 février 2022 Ancor Group GmbH c/ EUIPO
[3] Tribunal judiciaire de Paris, 3e chambre, 1e section, 29 juillet 2021, RG n° 19/13569
14
mars
2023
Pas belle la vie pour l’exécuteur testamentaire de Jean Ferrat
Author:
admingih092115
La Cour de cassation est récemment venue clore un litige de longue date opposant l’exécuteur testamentaire de Jean Ferrat et l’éditeur d’un ouvrage biographique consacré au chanteur.
Dans cette affaire, l’exécuteur testamentaire de Jean Ferrat reprochait notamment à l’éditeur de reproduire plus de 130 extraits des chansons de l’artiste.
Une telle exploitation de l’œuvre du chanteur constituait selon le demandeur une contrefaçon de droits d’auteur ainsi qu’une atteinte à l’intégrité de l’œuvre musicale.
Le demandeur est débouté de l’intégralité de ses demandes par une décision de la Cour d’appel de Paris, confirmée par la Cour de cassation dans une décision du 8 février 20231.
En effet, cette dernière considérant que :
L’exception de courte citation doit être appliquée. Chacune des citations reproduites dans l’ouvrage servant l’analyse critique de l’œuvre de Jean Ferrat permettant au lecteur d’en comprendre le sens et l’engagement de l’artiste. Ces citations ne s’inscrivant pas dans une démarche commerciale ou publicitaire mais étant justifiées par le caractère pédagogique du livre en cause ;
Le texte et la musique d’une chanson relevant de genres différents et étant dissociables, le seul fait que le texte ait été séparé de la musique ne portait pas nécessairement atteinte au droit moral de l’auteur.
Une analyse critique d’une œuvre d’un auteur peut donc conduire à l’exception de courte citation, mettant en échec une action en contrefaçon, surtout si l’objectif est pédagogique.
Des questions sur vos droits d’auteur et leur protection ? Les équipes de TAoMA sont à votre disposition pour en discuter !
Émeline JET
Élève-avocate
Jade de Lumley Woodyear
Stagiaire juriste
Anne Laporte
Avocate
(1) 8 février 2023, Cour de cassation, Pourvoi n° 21-23.976 : pour lire la décision
31
janvier
2023
🕵️♂️ Fin de l’American Dream pour Mickey Mouse et Sherlock Holmes
Author:
admingih092115
L’heure de la retraite a ou va bientôt sonner pour certains de nos personnages de fiction préférés.
D’après la loi sur le droit d’auteur aux Etats-Unis, les droits de propriété intellectuelle sur les œuvres artistiques expirent 95 ans après la première publication.
Ainsi, ce 1er janvier 2023 il était l’occasion de compter ses trimestres pour les œuvres divulgués en 1927. Résultat, Les Archives de Sherlock Holmes contenant notamment des ouvrages tels que La Pierre de Mazarin, Le Vampire du Sussex ou encore Les Trois Pignons tombent dans le domaine public.
Contrairement à Sherlock Holmes, Mickey Mouse n’a pas fini de cotiser pour Walt Disney. En effet, le dessin originel de la souris date de 1928 et est encore protégé par le droit d’auteur pour une année. Même si la fin approche, Mickey restera protégé par le droit des marques, la firme pourra donc continuer de jouir de droit de propriété intellectuelle sur la souris.
Élémentaire mon cher Mickey !
Jade de Lumley Woodyear
Stagiaire juriste
Anne Laporte
Avocate
24
novembre
2022
Coup de projecteur sur l’originalité des photographies de plateau
Author:
admingih092115
Pour démontrer l’originalité d’une photographie, le critère des choix libres et arbitraires ne suffit pas. Encore faut-il que ces choix révèlent l’empreinte de la personnalité de l’auteur de la photographie.
Dans un arrêt du 25 octobre 2022, la Cour d’appel de Versailles est venue préciser la nature des critères à remplir pour démontrer l’originalité de la photographie de plateau.
Les photographies de plateau sont les photographies prises lors du tournage ou en dehors de celui-ci, destinées à assurer la promotion de l’œuvre cinématographique. Le rôle du photographe est alors de refléter fidèlement l’atmosphère du film.
Dans cette affaire, la société Diosphere Limited reproduisait, sur sa banque d’images en ligne, sept photographies représentant Jean-Paul Belmondo et le réalisateur Jean-Luc Godard sur le tournage du film « Pierrot le fou ».
Après avoir découvert cette reproduction, l’épouse et ayant-droit du photographe décédé, auteur des photographies litigieuses, assignait la société Diosphere Limited aux fins d’obtenir la réparation de son préjudice résultant de la violation de ses droits patrimoniaux et moraux d’auteur.
Par décision du 11 février 2021, le Tribunal judiciaire de Nanterre jugeait ses demandes irrecevables et, mécontente de ce verdict, l’épouse interjetait appel devant la Cour d’appel de Versailles, qui confirma la décision de première instance pour défaut d’originalité.
En effet, la Cour fait fi des descriptions détaillées par l’appelante des choix esthétiques et arbitraires de son défunt mari, et rappelle que :
« Le critère des choix, pour libres et arbitraires qu’ils soient, ne suffit pas à octroyer la protection du droit d’auteur. Ces choix doivent en outre révéler l’empreinte de la personnalité de l’auteur. »
Elle se fonde notamment sur la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne ayant défini les critères à prendre en compte afin de démontrer l’originalité des photographies réalistes : une photographie de portrait est susceptible d’être protégée dès lors qu’elle constitue une création intellectuelle de l’auteur reflétant la personnalité de ce dernier et se manifestant par des choix libres et créatifs de celui-ci lors de la réalisation de cette photographie1.
Reprenant les critères posés par la juridiction européenne, la Cour d’appel de Versailles en déduit que :
« si, certes le photographe a fait quelques choix de mise en scène, d’éclairage, de pose, de cadrage ou encore d’angles de prise de vue distincts de ceux du réalisateur du film, il ne dégage pas des photographies une impression visuelle différente de celle produite par les scènes filmées de sorte que l’impression d’ensemble reflète, voire accentue, les choix préexistants du réalisateur et non l’empreinte de la personnalité propre du photographe, qui n’est au demeurant nullement explicitée dans les éléments mis en avant par l’appelante. »
C’est également l’occasion pour la Cour de rappeler que l’originalité d’une œuvre de l’esprit constitue une condition de fond de sa protection au titre du droit d’auteur et non une condition de recevabilité.
Cet arrêt s’inscrit dans un courant jurisprudentiel pointilleux en matière de démonstration de l’originalité des photographies de plateau. Si ce genre photographique a pu jadis bénéficier de la protection offerte par le droit d’auteur2, cette tendance semble aujourd’hui en déclin.
Delphine Monfront
Juriste
(1) CJUE, 1er déc. 2010, C145/10 Eva Maria P. C/ Standard Verlags GmbH ;
(2) Par exemple : CA Paris, 15 novembre 2013, n°13/06792.
11
juillet
2022
Quand la comédie familiale tourne au drame pour les coauteurs d’une pièce de théâtre objet de multiples versions
Author:
admingih092115
La transformation des œuvres de l’esprit est source d’un contentieux judiciaire inépuisable. La Cour d’appel de Paris a récemment rappelé que les coauteurs d’une pièce de théâtre adaptée d’une œuvre composite, issue d’une œuvre préexistante, sont tenus de recueillir l’autorisation préalable de son auteur, peu importe que l’auteur de l’œuvre préexistante ait contribué à la création de la dernière version.
Un imbroglio juridique démêlé à la faveur de l’auteur de l’œuvre composite « Ma Belle-Mère, Mon Ex et Moi » !
– ACTE I –
La pièce « Ma Belle-Mère, Mon Ex et Moi » (V1) écrite en 2011 a fait l’objet en 2014 d’une seconde version, portant le même titre (V2). L’auteur de l’œuvre préexistante n’a pas participé à l’écriture de cette version mais indique « avoir consenti, une fois mis devant le fait accompli, au dépôt de celle-ci à la SACD (…) et à son exploitation ». En 2016, une troisième version voit le jour, intitulée « Ma Belle-Mère et Moi, 9 mois après » (V3), créée par trois coauteurs, dont l’auteur de l’œuvre initiale.
– ACTE II –
S’estimant lésé, l’auteur de la V2 qui n’a pas donné son autorisation préalable pour la création de la V3 a introduit une action en contrefaçon à l’encontre des coauteurs de cette dernière version. Les juges du fond ayant, en partie, accueilli cette demande (TGI de Paris, 11 octobre 2019, n°17/09967), la société de production et deux des trois coauteurs de la V3 ont interjeté appel de la décision.
– ACTE III –
Bien que la situation ne manque pas d’ironie, l’auteur de l’œuvre initiale ayant participé à la création de l’œuvre dans sa dernière version, la Cour d’appel de Paris est purement et simplement venue appliquer les principes du Code de la propriété intellectuelle protégeant les œuvres transformatrices et rappeler que le créateur d’une œuvre de l’esprit, fut-elle composite, jouit pleinement de ses droits d’auteur, comme tout auteur.
• Scène 1 : la V2 est une œuvre composite, dérivée de la V1
En application de l’article L. 113-2 du CPI aux termes duquel « est dite composite l’œuvre nouvelle à laquelle est incorporée une œuvre préexistante sans la collaboration de l’auteur de cette dernière » :
La Cour considère que l’auteur de la V2 démontre être à l’origine de choix arbitraires et d’apports originaux (portant sur 66% du texte global de la V1) révélant l’empreinte de sa personnalité notamment concernant : la trame de l’histoire relative à la grossesse des deux actrices, l’héritage conditionné à la naissance d’un enfant et plus généralement le caractère des personnages.
La Cour estime que la V2 « Ma Belle-Mère, Mon Ex et Moi » est donc une œuvre composite créée sans contribution de la part de l’auteur de l’œuvre préexistante, mais avec son autorisation, bénéficiant ainsi d’une protection au titre du droit d’auteur.
• Scène 2 : la V3 est une œuvre dérivée de la V2 et non de la V1
En application de l’article L. 113-4 du CPI aux termes duquel « l’œuvre composite est la propriété de l’auteur qui l’a réalisée, sous réserve des droits de l’auteur de l’œuvre préexistante » :
La Cour estime, à l’issue d’une analyse in concreto de la situation et d’un travail de comparaison, que la V3 se présente comme la suite logique et chronologique de la V2 et que les coauteurs de la V3 se sont manifestement inspirés des éléments clés de l’intrigue de la V2 et non de la version 1.
La Cour confirme que les coauteurs de la V3 auraient donc dû solliciter l’accord préalable de l’auteur de la V2 (ce qu’ils ont au demeurant tenté de faire, sans succès…).
– ACTE IV –
Les deux coauteurs de la V3 et la société de production, ont donc été condamné pour contrefaçon de droits d’auteur au paiement de la somme de 5.000 euros pour atteinte au droit moral de l’auteur de la V2 et de 20.000 euros en réparation de son préjudice matériel.
On notera que l’auteur de l’œuvre préexistante, mis devant le fait accompli pour autoriser l’œuvre dans sa version intermédiaire, n’est pas condamné pour son rôle mineur dans la création de la V3 : maigre consolation qui vient rappeler la force de la protection accordée par le droit d’auteur aux œuvres transformatrices.
– ACTE V –
Une affaire atypique en raison de la participation de l’auteur de l’œuvre préexistante à l’œuvre qualifiée de contrefaisante. Les droits de l’œuvre initiale ne l’emportent pas sur ceux de l’œuvre composite. La prudence est donc toujours de mise pour les créateurs qui entendent s’inspirer d’œuvres préexistantes.
Une affaire d’ex et de belles-mères qui n’a pas fini de faire parler…
Ludovic de Carne
Avocat à la Cour
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