14
octobre
2024
Urgence face à l’émergence des Deepfakes
Author:
TAoMA
Dans un rapport publié le 9 juillet 2024, le Copyright Office des États-Unis préconise l’adoption d’une nouvelle loi fédérale pour encadrer l’utilisation des répliques numériques (Deepfakes) générées par l’intelligence artificielle (IA)1.
Cette recommandation intervient dans un contexte où la technologie permet de recréer des voix ou des images humaines de manière incroyablement réaliste, soulevant de nombreuses inquiétudes.
UNE RÉPONSE NÉCESSAIRE FACE AUX PROGRÈS DE L’IA
Bien que les Deepfakes ne soient pas nouveaux, les récentes avancées en intelligence artificielle ont facilité leur diffusion à grande échelle. L’exemple emblématique cité est celui de la chanson « Heart on My Sleeve », qui imitait parfaitement les voix de Drake et The Weeknd sans leur autorisation, et qui a cumulé des millions d’écoutes avant d’être retirée des plateformes.
À l’origine de vidéos innocentes comme celles de célébrités « chantant » ou « jouant » dans des contextes fictifs, ces outils ne se limitent pas à des usages innocents. Ils sont de plus en plus détournés à des fins nuisibles, ce qui met en lumière les lacunes actuelles de notre cadre juridique. Des voix ou des images de personnalités publiques sont imitées pour influencer les électeurs, promouvoir des produits sans consentement, ou encore créer des vidéos pornographiques.
Devant la montée en puissance de ces dérives, le Copyright Office considère que les lois existantes ne sont plus en mesure d’offrir une protection suffisante contre l’utilisation non autorisée de l’image ou de la voix de toute personne, qu’il s’agisse de personnalités publiques comme des artistes, politiciens ou de particuliers. L’agence recommande donc l’adoption d’une nouvelle loi fédérale spécifiquement dédiée à cette problématique.
UN CADRE JURIDIQUE INADEQUAT FACE AUX REPLIQUES NUMERIQUES
Le rapport souligne que le cadre juridique actuel aux États-Unis est insuffisant pour répondre à la menace que représentent ces répliques numériques non autorisées. Malgré l’existence de lois sur les droits à la vie privée et à la publicité, l’absence d’une législation fédérale spécifique rend difficile l’application de sanctions contre les créateurs de Deepfakes. Seuls quelques États ont pris des mesures, tandis que les victimes de Deepfakes se retrouvent souvent sans recours.
Face à ces défis croissants, les législateurs se mobilisent. Le Congrès a ainsi commencé à examiner plusieurs projets de loi, dont le NO AI FRAUD Act et le NO FAKES Act, qui visent à combler ces lacunes. Ces propositions prévoient une protection juridique contre l’utilisation non autorisée de répliques numériques réalistes, y compris des voix ou des images générées par IA, avec des sanctions sévères pour les contrevenants.
Les Deepfakes représentent un équilibre délicat entre innovation technologique et protection des droits individuels. Si ces répliques peuvent avoir des fins créatives, comme ressusciter des artistes décédés ou permettre à des personnes handicapées de retrouver leur voix, elles sont également utilisées à des fins malveillantes. L’impact sur les artistes, les créateurs, et plus largement sur le public, est considérable.
Au-delà des impacts individuels, l’usage malveillant des Deepfakes menace également des institutions fondamentales. La création de contenu trompeur compromet la confiance du public dans les médias et les processus démocratiques. Par exemple, des voix clonées de politiciens ont été utilisées dans des tentatives de manipulation électorale. Les conséquences de telles actions sur la démocratie et la liberté d’expression sont graves, et les experts craignent que la technologie des Deepfakes ne rende bientôt impossible la distinction entre le vrai et le faux.
Le rapport analyse en détail les limites des cadres juridiques actuels face à cette nouvelle problématique. Au niveau des États, les droits à la vie privée et à l’image offrent une protection variable et fragmentée. Au niveau fédéral, ni le droit d’auteur, ni les lois sur la concurrence déloyale ou les communications ne sont pleinement adaptés.
Conscient de l’ampleur du phénomène, le Copyright Office appelle à une réponse rapide à l’échelle fédérale pour mieux encadrer ces répliques numériques. Sans un recours solide à l’échelle nationale, leur diffusion non autorisée menace de causer des préjudices importants, non seulement dans les domaines du divertissement et de la politique, mais aussi pour les simples particuliers.
VERS UNE MEILLEURE PROTECTION DES INDIVIDUS A L’ERE DU NUMERIQUE
Cette recommandation s’inscrit dans une réflexion plus large sur la régulation de l’IA aux États-Unis. Si elle aboutissait, cette nouvelle loi fédérale marquerait un tournant décisif dans la protection des individus face aux risques croissants liés aux Deepfakes et à l’IA. Elle garantirait une protection homogène à l’échelle nationale tout en laissant aux États la possibilité de renforcer ces mesures par des protections locales adaptées.
Le rapport du Copyright Office devrait alimenter les débats au Congrès, où plusieurs propositions législatives, telles que le NO AI FRAUD Act et le NO FAKES Act, sont déjà à l’étude. La question centrale reste de savoir comment le législateur américain parviendra à concilier la nécessité de protéger les individus et la vie privée, avec les impératifs d’innovation technologique et de liberté d’expression.
Alors que les États-Unis tâtonnent encore pour adapter leur législation face à ces nouvelles menaces, l’Union européenne a pris une longueur d’avance en adoptant le Règlement (UE) 2024/16892, qui impose des règles harmonisées pour encadrer les systèmes d’intelligence artificielle. Ce texte vise à assurer la sécurité des citoyens tout en protégeant leurs droits fondamentaux, sans pour autant freiner l’innovation.
Contrairement aux approches fragmentées des États-Unis, qui s’appuient sur des initiatives législatives spécifiques, l’UE a opté pour un cadre global. Ce règlement impose des exigences strictes en matière de transparence, de gestion des risques, et de surveillance des systèmes IA à haut risque, comme les technologies de Deepfakes. L’objectif est clair : protéger les citoyens tout en maintenant un équilibre entre la créativité technologique et la liberté d’expression.
En conclusion, l’émergence des Deepfakes présente des défis inédits pour la protection des droits individuels à l’ère numérique. Si la technologie ouvre des horizons créatifs fascinants, elle comporte également des dangers considérables pour la vie privée, la sécurité, voire les institutions. Les initiatives législatives proposées par le Copyright Office aux États-Unis et le cadre réglementaire européen sur l’intelligence artificielle sont des réponses cruciales à ces enjeux. À mesure que l’IA continue de se développer, il devient impératif de trouver un juste équilibre entre l’innovation et la protection des droits fondamentaux.
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Elsa OLCER
Juriste Stagiaire
Jean-Charles NICOLLET
Conseil en Propriété Industrielle Associé
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1) https://www.copyright.gov/ai/Copyright-and-Artificial-Intelligence-Part-1-Digital-Replicas-Report.pdf
08
octobre
2024
Quand la mode fait jurisprudence : GANNI marche sur Steve Madden avec style
Le tribunal maritime et commercial de Copenhague vient de marquer un tournant dans la protection des créations de mode au Danemark.
Le 9 août 2024, le tribunal a rendu une décision favorable à la marque danoise GANNI en lui accordant la protection de ses droits d’auteur sur son célèbre modèle de chaussure Buckle Ballerina. Face à cette reconnaissance, la société américaine Steve Madden se voit désormais interdite de commercialiser la chaussure GRAND AVE, jugée trop similaire, sur le territoire danois.
Une décision remarquée pour le droit d’auteur dans la mode
En s’appuyant sur l’arrêt Cofemel de la Cour de justice de l’Union européenne (C-683/17), le tribunal a reconnu que le design de la Buckle Ballerina pouvait bénéficier de la protection du droit d’auteur en tant qu’œuvre d’art appliqué. Jusque-là, les tribunaux danois, même la Cour suprême, avaient été réticents à accorder ce statut aux créations de mode. Cette décision établit que l’assemblage unique des éléments de design — la forme fine et féminine, le bout pointu contrastant avec l’angularité de la semelle, les boucles et les rivets inspirés du style punk — constitue l’expression intellectuelle propre du designer de GANNI, Emmelie Karlström.
Steve Madden en difficulté face à la notoriété de GANNI
GANNI considérait le modèle GRAND AVE comme une copie quasi identique de la Buckle Ballerina. Le tribunal a donné raison à GANNI, soulignant que malgré les différences mineures entre les deux modèles, GRAND AVE donne une impression générale similaire à celle de la Buckle Ballerina.
Le tribunal a également souligné que même si Steve Madden bénéficiaiy d’une réputation internationale, la GRAND AVE n’a pas pu être conçue sans connaissance préalable du modèle de GANNI, qui jouit d’une exposition massive sur les réseaux sociaux et dans les magazines de mode tels que Vogue et Harper’s Bazaar. A cet égard, la plaignante avait également relevé l’existence de nombreuses vidéos TikTok expliquant pourquoi les clients devraient acheter les chaussures de GANNI alors qu’ils pouvaient acheter les modèles de Steve Madden « qui coûtent moitié moins cher ».
Conséquences pour la mode danoise et européenne
La décision pourrait bien encourager d’autres créateurs à revendiquer leurs droits d’auteur sur des créations de mode, traditionnellement plus difficiles à protéger. Cela renforce également le positionnement de GANNI comme une marque emblématique au Danemark et sur la scène internationale. Cette victoire pourrait dissuader d’autres marques de tenter des copies ou imitations, et invite les entreprises à prendre en compte le droit d’auteur comme moyen de protection dans leurs stratégies juridiques.
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Alain Hazan
Avocat associé
(1) Arrêt du tribunal maritime et commercial, Cas BS-25562/2024-SHR, 9 août 2024
06
août
2024
L’IA à l’épreuve du sacro-saint droit d’auteur, quand le Géant de la musique américaine s’attaque aux petits nouveaux de l’IA
La Recording Industry Association of America (RIAA) a récemment engagé une action judiciaire contre deux jeunes startups américaines, Suno et Udio, pour violation du droit d’auteur. Ces entreprises se spécialisent dans la génération de musique par l’intelligence artificielle (IA), un domaine en pleine expansion mais qui soulève d’importantes questions juridiques, notamment en matière de droits d’auteur.
Les Acteurs en Présence
Suno et Udio sont deux startups qui exploitent des technologies d’IA pour créer de la musique s’inspirant d’œuvres existantes, ce qui vient poser la question de la violation potentielle des droits d’auteur des œuvres dites sources.
La Recording Industry Association of America (RIAA), pour sa part, est une organisation qui représente les intérêts de l’industrie musicale américaine, en particulier ceux des maisons de disques et des artistes, et qui œuvre à la protection de leurs droits d’auteur. Elle inclut notamment des organismes bien connus comme Universal Music Group, Sony Music Entertainment, et Warner Music Group.
Les Revendications de la RIAA
La RIAA accuse Suno et Udio d’utiliser des œuvres protégées par le droit d’auteur pour entraîner leurs algorithmes d’IA sans autorisation préalable. Elles sont accusées d’avoir copié des chansons pour entraîner leurs systèmes, produisant ainsi des morceaux similaires à ceux des artistes humains. Suno et Udio auraient permis à leurs utilisateurs de recréer des éléments de chansons célèbres, telles que « All I Want for Christmas Is You » de Mariah Carey, et de générer des voix impossibles à distinguer de celles de Michael Jackson ou ABBA. Selon la RIAA, cette pratique constitue une violation directe des droits d’auteur des artistes et des maisons de disques.
Les labels américains demandent donc aux tribunaux fédéraux de New York et du Massachusetts de :
• Faire cesser l’utilisation illégale des œuvres protégées, ce qui conduirait à interdire à Suno et Udio de poursuivre l’utilisation d’œuvres protégées, sans obtenir les licences nécessaires au préalable.
• D’obtenir des dédommagements pécuniers pour les préjudices subis, pouvant atteindre 150 000 dollars par chanson copiée. Cette indemnisation financière serait justifiée par les dommages causés par l’utilisation non autorisée des œuvres protégées. Suno est accusée d’avoir copié 662 chansons et Udio 1 670 titres.
• Plus généralement, de réglementer l’utilisation de l’IA dans la création musicale. Est demandé ici l’établissement de nouvelles directives pour garantir aux artistes et maisons de disques que les futures utilisations de l’IA respectent les droits d’auteur.
Les moyens de défense de Suno et Udio
Face à ces accusations, Suno et Udio avancent plusieurs arguments pour leur défense :
• L’innovation technologique et la liberté de création : Les startups soutiennent que leur technologie représente une avancée significative dans la création musicale et qu’elle permet de repousser les limites de la créativité humaine.
• L’absence de préjudice direct : A cet égard, Suno et Udio affirment que leur activité ne porte pas atteinte aux ventes ou à la popularité des œuvres originales, et que leurs créations constituent des œuvres nouvelles et distinctes.
• L’utilisation équitable (Fair Use) : Elles argumentent que l’utilisation des œuvres existantes est transformée de manière substantielle et peut donc être considérée comme une utilisation équitable.
Le « fair use » permet en effet l’utilisation limitée et encadrée d’œuvre protégée sans avoir à demander la permission. Il s’agirait en France du pendant de l’exception de courte citation.
Plusieurs critères sont établis pour déterminer si l’on est en effet dans le cas d’un usage « fair ». Dans le cas d’espèce on peut se demander si les critères sont en effet remplis ?
• Le but et le caractère de l’utilisation litigieuse : Serait-elle commerciale ou éducative ?
• La quantité et la substantialité de la séquence utilisée : Il y a-t-il une utilisation de l’essentiel de l’œuvre ou juste une petite partie ?
• L’effet de l’utilisation sur le marché potentiel de l’œuvre originale : L’utilisation réduit-elle la valeur ou le marché potentiel de l’œuvre source ?
Questions ouvertes pour le futur
Plusieurs bastions du journalisme et de la littérature ont engagé des actions légales contre des entreprises de technologie en intelligence artificielle pour l’exploitation abusive de leurs créations.
Parmi eux, huit journaux de premier plan aux États-Unis, y compris le renommé Chicago Tribune, ont lancé une procédure judiciaire contre OpenAI et Microsoft, accusés de s’approprier illégalement des articles soumis au droit d’auteur. Par ailleurs, une enquête du New York Times a récemment mis en lumière que des entités telles que Google et OpenAI auraient utilisé des millions d’heures de contenu vidéo de YouTube, enfreignant ainsi les règles d’utilisation strictes de la plateforme.
Ces affaires viennent soulever plusieurs questions cruciales pour l’avenir de la musique et de la création de manière générale et des technologies créatives :
• La nécessaire définition des limites du « fair use » pour l’IA : Des lignes directrices plus claires doivent être établies pour distinguer entre l’innovation technologique et la violation des droits d’auteur.
• La nécessaire régulation de l’IA : Il pourrait être pertinent d’introduire une législation adaptée qui reconnaît les particularités de l’IA tout en protégeant les droits des créateurs.
• L’éventuelle collaboration entre artistes et IA : Les artistes pourraient explorer des partenariats avec des développeurs d’IA pour créer de nouvelles formes d’art tout en veillant à ce que les accords de licence respectent leurs droits créatifs. Ces accords ont d’ailleurs été expérimentés et adoptés entre les artistes et les plateformes de musique de type Spotify et Apple musique afin de réguler le marché du téléchargement illégal. Il s’agirait alors d’une source de revenus non négligeables pour les artistes et maisons de disque.
Les procès de Suno et Udio pourraient permettre d’établir de nouveaux standards pour la législation sur les droits d’auteur à l’ère de l’intelligence artificielle dans l’industrie créative. Il est donc essentiel de suivre de près les développements de ce dossier.
Alors que la technologie continue d’évoluer, l’interaction entre innovation et droit d’auteur restera un terrain dynamique et complexe nécessitant un équilibre entre protection des droits et promotion de l’innovation.
Mazélie PILLET
Conseil en propriété industrielle
01
août
2024
Originalité des contenus pédagogiques sur Instagram : le Tribunal n’a pas follow…
Dans une décision du 13 juin 20241, le Tribunal judiciaire de Paris n’a pas admis le caractère original de contenus pédagogiques publiés sur Instagram.
En l’espèce, la demanderesse est titulaire d’un compte Instagram dédié à des tutoriels de dessins. Constatant la reproduction de ses contenus pédagogiques sur un autre compte Instagram, elle a assigné sa propriétaire devant le Tribunal judiciaire de Paris, sur les fondements de la contrefaçon de droit d’auteur (à titre principal) et de la concurrence déloyale (à titre subsidiaire).
Au soutien de ses prétentions, la demanderesse allègue que les contenus publiés sur son compte Instagram seraient des œuvres de l’esprit portant l’empreinte de sa personnalité en ce qu’ils révéleraient une « combinaison de codes graphiques, de pédagogie et de contenus propres à [son compte Instagram] » et qu’ils seraient ainsi marqués par « une physionomie particulière ». Ainsi, elle demande au Tribunal d’ordonner la suppression des contenus publiés par la défenderesse, et de condamner cette dernière à lui verser des dommages et intérêts à hauteur de 25.000 euros.
Le Tribunal judiciaire de Paris a toutefois rejeté l’ensemble de ses demandes.
En effet, sur le fondement de la contrefaçon de droit d’auteur, le Tribunal relève que la demanderesse ne démontre ni sa qualité d’auteur des contenus, ni sa qualité de titulaire dudit compte Instagram. En outre, le Tribunal relève que la demanderesse ne démontre pas le caractère original des contenus pédagogiques qui « ne sont pas en tant que tels susceptibles d’appropriation, s’agissant de tutoriels de dessin ».
Sur le fondement de la concurrence déloyale et du parasitisme économique, le Tribunal relève que la demanderesse de démontre aucun savoir-faire ou efforts particuliers, « les éléments visés appartenant à un référentiel d’identité de marque et la pédagogie spécifique invoquée, limitée à trois points, relevant du fonds commun de l’apprentissage du dessin », ni d’une quelconque notoriété ou investissements dont la défenderesse aurait tiré profit.
Cette décision souligne l’importance de démontrer le caractère original des créations dont la protection est revendiquée, tout en mettant en lumière les difficultés à se prémunir des copies effectuées par le biais des réseaux sociaux.
Delphine Monfront
Avocate à la Cour
(1) TJ Paris, 3ème chambre 1ère section, 13-06-2024, n° 23/14984
18
juillet
2024
Jugement éclair : pas de contrefaçon pour le sac DEMI-LUNE
Author:
TAoMA
Le 7 juin 2024, le Tribunal judiciaire de Paris a rendu une décision dans une affaire opposant la société Atelier de Production et de Création (APC) aux sociétés Monoprix et Monoprix Exploitation concernant des faits de contrefaçon de droit d’auteur, de modèle déposé, ainsi que des faits distincts de concurrence déloyale et parasitaire.
La société APC, ayant déposé le 14 octobre 2013 un modèle de sac nommé « DEMI-LUNE », qui a rencontré un grand succès en France et à l’étranger, a constaté que les sacs commercialisés par les sociétés Monoprix reproduisaient les caractéristiques originales et l’impression d’ensemble de ce sac, incluant « sa forme et ses proportions ainsi que celles de la bandoulière », mais reprenaient également l’empreinte de la personnalité de son auteur.
De plus, la société APC a affirmé, devant le Tribunal, que la commercialisation de ces copies serviles générait un risque de confusion, constituant ainsi des actes de concurrence déloyale.
En conséquence, la société APC a mené des opérations de saisie-contrefaçon et a fait assigner les sociétés Monoprix pour faire cesser la production et la commercialisation de ces produits et obtenir réparation des préjudices commerciaux subis.
LA DÉFENSE DES PARTIES MISES EN CAUSE
Les sociétés Monoprix ont contesté les accusations émises par la société APC en invoquant que :
– le modèle « DEMI-LUNE » déposé par la société APC et les produits qu’elles commercialisent comportent des différences importantes.
– le sac « DEMI-LUNE » n’est pas original au motif que les caractéristiques revendiquées sont inhérentes à la forme du sac et parfaitement connues dans cette industrie (notamment aux vus des antériorités).
– la vente d’un produit similaire n’est pas nécessairement constitutive d’un acte de concurrence déloyale en ce qu’ils visent des consommateurs différents et utilisent des canaux de distribution différents.
Modèle déposé par la société AP
Modèle antérieur
DÉCISION DU TRIBUNAL
Après avoir tranché sur la validité du modèle de sac « DEMI-LUNE » en faveur de la société APC, le Tribunal s’est penché sur la possible contrefaçon du modèle, la violation des droits d’auteur et la présence d’actes de concurrence déloyale et parasitaire.
Tout d’abord, il a conclu que la comparaison des modèles des deux parties n’indiquait aucune contrefaçon, ces derniers se distinguant par « des éléments visuellement importants ».
Ensuite, il a évalué que les caractéristiques revendiquées par la société demanderesse relevait d’un « travail stylistique de qualité mais non un effort créatif concrétisé par une apparence singulière qui viendrait révéler l’empreinte de la personnalité » et refuse donc la qualification d’œuvre originale protégée par le droit d’auteur pour le modèle de sac « DEMI-LUNE ».
Enfin, sur la question de la concurrence déloyale et parasitaire, le tribunal a admis une ressemblance élevée pour certains des modèles des sociétés Monoprix mais a refusé la qualification de copie servile. Il a ajouté, en outre, que les faits n’avaient pas été réitérés. À cet égard, il a admis une « absence de risque de confusion pour la clientèle entre les modèles « DEMI-LUNE » de la société APC et les modèles « DEMI-LUNE » des sociétés Monoprix » écartant ainsi la caractérisation d’acte de concurrence déloyale et parasitaire, la société APC n’ayant pas démontré des investissements significatifs ou une notoriété suffisante pour établir un acte de parasitisme.
Ce jugement du Tribunal judiciaire de Paris renforce ainsi les exigences de protection de création – une création peut valablement être protégée par le biais d’un dessin & modèle tout en se voyant refuser une protection au titre du droit d’auteur. De plus, le Tribunal éclaircit les limites des pratiques de concurrence au sein de l’industrie.
L’affaire n’était finalement pas dans le sac pour APC.
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Elsa OLCER
Juriste Stagiaire
Jean-Charles NICOLLET
Conseil en Propriété Industrielle Associé
(1) Tribunal judiciaire de Paris, 3e ch., 2e sect., 7 juin 2024, n° 21/15173
09
juillet
2024
Quand l’originalité devient flou, zoom sur le préjudice économique !
Les photographies peuvent faire l’objet d’une protection par le droit d’auteur, sur le fondement de l’article L. 112-2 du code de la propriété intellectuelle qui dispose que « Sont considérés notamment comme œuvres de l’esprit au sens du présent code : (…) 9° Les œuvres photographiques et celles réalisées à l’aide de techniques analogues à la photographie. ».
Cependant, pour bénéficier de cette protection, la photographie doit répondre à la condition jurisprudentielle d’originalité, comme le rappelle un jugement rendu par le Tribunal Judiciaire de Rennes le 6 mai 20241.
En l’espèce, un photographe professionnel avait photographié un bateau de croisière, « Le Chateaubriand », à la demande de son propriétaire. Des années plus tard, ce cliché a été utilisé sans son autorisation dans plusieurs articles publiés par le journal Ouest France.
Malgré une tentative de règlement amiable, le photographe avait assigné la société Ouest France pour contrefaçon de droit d’auteur, et subsidiairement, pour faute délictuelle (sur le fondement de l’article 1240 du code civil).
Le Tribunal conteste l’originalité de la photo afin de rejeter l’action en contrefaçon de droits d’auteur.
Le Tribunal judiciaire a étudié l’originalité de la photographie pour déterminer si elle pouvait bénéficier de la protection offerte par le droit d’auteur. A ce titre, il revenait au photographe de démontrer que sa création était le résultat d’un choix personnel et qu’elle portait ainsi l’empreinte de sa personnalité.
Après une analyse particulièrement minutieuse des choix opérés par le photographe, le Tribunal judiciaire de Rennes a conclu que, malgré les efforts entrepris pour capturer l’image, ceux-ci ne suffisent pas à établir l’originalité, puisqu’ils relèvent d’un savoir-faire technique. En effet, les choix du photographe, notamment l’attente de conditions météorologiques favorables ou le cadrage, sont jugés trop communs ou évidents pour conférer à la photographie un caractère unique ou original.
Par conséquent, la photographie n’a pas été jugée éligible à la protection par le droit d’auteur – faute d’originalité, et les demandes de contrefaçon à ce titre ont été rejetées.
Toutefois, le tribunal reconnaît un préjudice économique, réparé sur le fondement de la responsabilité civile.
Subsidiairement, le photographe invoquait un préjudice économique résultant de l’utilisation non consentie et non rémunérée de sa photographie.
Le Tribunal judiciaire a ainsi reconnu que le photographe avait subi un manque à gagner. En effet, en utilisant son travail sans consentement, ni compensation, le journal Ouest France lui a causé un préjudice économique, indépendamment de tout préjudice moral ou patrimonial.
Les juges du fond ont donc prononcé une indemnisation forfaitaire à hauteur de 1.500 € pour cet usage non autorisé, une somme fixée « au regard des redevances habituellement pratiquées en matière de photographie, s’agissant des quatre utilisations frauduleuses ». Ouest France a également été condamné à lui verser la somme de 3.000 v au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Cette décision rappelle, une fois de plus, les strictes conditions requises pour qu’une photographie soit protégée par le droit d’auteur. Mais elle admet qu’une autre voie d’indemnisation est possible pour les photographes : lorsque leurs clichés ne peuvent bénéficier de la protection par le droit d’auteur, ils ne peuvent pour autant être reproduits sans compensation !
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Laurine Janin-Reynaud
Avocat à la Cour
Associée
Juliette Danjean
Juriste stagiaire
1) TJ Rennes, 2e ch. civ., 6 mai 2024, n° 22/01433.
18
juin
2024
Le papier peint fonce droit dans le mur !
Par une décision en date du 25 avril 2024, le Tribunal judiciaire de Paris a reconnu l’existence de droits d’auteur sur différents motifs de papiers peints créés par une artiste plasticienne. Cela étant, malgré la reconnaissance de ces droits d’auteurs, l’artiste a été déboutée de son action en contrefaçon initiée à l’encontre d’une société hollandaise qui proposait un papier peint prétendument contrefaisant1.
Les motifs de papiers peints peuvent bénéficier d’une protection par le droit d’auteur sous réserve de leur originalité.
Conformément aux dispositions du Code la propriété intellectuelle2, une œuvre de l’esprit peut revêtir différentes formes, dont notamment « 7° Les œuvres de dessin, de peinture, d’architecture, de sculpture, de gravure, de lithographie (…) ». Néanmoins, pour que cette œuvre de l’esprit bénéficie d’une protection par le droit d’auteur, encore faut-il qu’elle soit originale.
En l’occurrence, Madame G, artiste plasticienne, a créé une collection de papiers peints parmi lesquels un décor mural intitulé « White Spirit ». Toutefois, Madame G a eu la désagréable surprise de constater que son distributeur proposait à la vente un papier peint blanc produit par la société hollandaise Eijffinger BV qui, selon elle, présentait notamment des ressemblances avec son modèle emblématique.
Sur cette base, elle a assigné la société Eijffinger BV, notamment en contrefaçon de droit d’auteur, devant le Tribunal judiciaire de Paris.
Classiquement, la société Eijffinger BV s’est défendu en invoquant le défaut d’originalité des motifs de papiers peints invoqués et, partant, l’absence de protection par le droit d’auteur.
Le Tribunal judiciaire de Paris rejette ce moyen de défense et considère que les motifs de papiers peints sont originaux. En particulier, il est jugé que l’artiste a superposé de manière arbitraire des formes ou modules graphiques monochromes découpées au cutter dans du papier, ce qui confère à l’ensemble une impression en trois dimensions.
Le Tribunal judiciaire de Paris ajoute que les caractéristiques telles que citées ci-dessus ne se réduisent pas à une simple idée ou à un simple savoir-faire mais traduisent manifestement l’empreinte de la personnalité de l’auteur : « l’illusion d’optique ainsi créée par la mise en relief des formes géométriques découpées et le jeu d’ombre portée évoquent la représentation d’une sculpture de papier, dans une esthétique qui s’avère singulière s’agissant d’une tapisserie murale ».
Le modèle de papier peint « White Spirit », se voit ainsi accorder une protection au titre du droit d’auteur.
La société Eijffinger BV ne se rend toutefois pas coupable d’actes de contrefaçon des motifs de papiers peints de Madame G
Si l’originalité des motifs de papiers peints est admise, il en va différemment de la contrefaçon de ces derniers par la société Eijffinger BV.
En effet, après une analyse détaillée des modèles en cause, le Tribunal judiciaire de Paris considère que les caractéristiques essentielles du modèle de papier peint « White Spirit » ne se retrouvent pas au sein des modèles argués de contrefaçon.
Selon le Tribunal judiciaire de Paris, les modèles litigieux ne représentent pas une superposition, sur différents niveaux, de formes ou modules graphiques découpés dans du papier et superposés pour restituer une impression visuelle de profondeur en trois dimensions.
Partant, la contrefaçon n’est pas caractérisée et Madame G est déboutée de ses demandes.
Il convient de noter que Madame G est également déboutée de ses autres demandes, notamment sur la base de la concurrence déloyale et du parasitisme. De même, Madame G se voit refuser une protection au titre du droit d’auteur de ses autres modèles eu-égard à leur absence d’originalité.
Cette décision rappelle, une fois de plus, les conditions de protection d’une œuvre quelle qu’elle soit, par le droit d’auteur. Toutefois, si cette protection est reconnue, encore faut-il que les actes de contrefaçon soient caractérisés, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.
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Baptiste Kuentzmann
Conseil en Propriété Industrielle
1) Tribunal judiciaire de Paris, 3ème chambre, 1ère section, 25 avril 2024, n° 23/04554
2) Article L112-2 du Code de la propriété intellectuelle
21
mai
2024
Le tabouret Tam Tam, une protection qui tient debout devant la Cour d’appel
Author:
TAoMA
Dans un arrêt du 22 février 2024, la Cour d’appel de Lyon a confirmé le caractère original du tabouret « TAM TAM » et condamné les sociétés LaFoir’Fouille et FF Digital en contrefaçon de droit d’auteur et en concurrence parasitaire.
La société Stamp, détentrice des droits d’auteur sur le célèbre tabouret « Tam Tam » conçu en 1968 par le designer Henry Massonnet, a assigné en contrefaçon de droit d’auteur et en concurrence déloyale les sociétés La Foir’Fouille et FF Digital pour avoir reproduit et commercialisé des modèles de tabourets reprenant les caractéristiques du tabouret « Tam Tam », et pour avoir réalisé une campagne publicitaire faisant directement écho à son produit.
En première instance, le Tribunal judiciaire de Lyon a reconnu le caractère original du tabouret « Tam Tam » et sa protection au titre du droit d’auteur. Toutefois, la société Stamp a été déboutée de ses demandes indemnitaires au titre de la contrefaçon, le Tribunal estimant que les preuves apportées n’étaient pas suffisantes pour établir l’imitation ou la reproduction des caractéristiques originales du tabouret par les défenderesses.
Après s’être ménagée de nouveaux moyens de preuves, la société Stamp a eu gain de cause en appel.
En effet, la Cour d’appel de Lyon a réaffirmé que le caractère original du tabouret « Tam Tam » tenait dans la combinaison spécifique de trois éléments :
• Sa forme en diabolo ;
• L’emploi de la matière plastique ;
• Les parties jumelles démontables et emboîtables.
Elle souligne que cette combinaison d’éléments ne répond pas à des contraintes techniques, et qu’au contraire, elle reflète bel et bien la personnalité de l’auteur.
Ainsi, sur la base des nouveaux éléments de preuves produites par l’appelante, elle condamne les sociétés La Foir’Fouille, FF Digital et Directusine (fabricante du produit) en contrefaçon de droit d’auteur.
S’agissant de la concurrence parasitaire, la Cour a jugé que la référence directe au tabouret « Tam Tam » dans le slogan publicitaire des intimées, constituait « l’une des déclinaisons les plus pures qui soient du comportement parasitaire ». En effet, les intimées utilisaient l’argument publicitaire suivant « 5 euros le tabouret, vous n’aurez qu’à dire que vous l’avez acheté dans une boutique design ».
Cet arrêt rappelle qu’il n’est pas possible de copier impunément les créations d’autrui, et personne n’en tombera de sa chaise.
Delphine Monfront
Avocate à la Cour
19
mars
2024
Packaging alimentaire et droit d’auteur : le Tribunal n’est pas emballé
Author:
TAoMA
Le 8 février 2024, le Tribunal judiciaire de Paris a rejeté l’action intentée par la société Aphinitea Corporation, sur les fondements de la contrefaçon de droit d’auteur et de la concurrence déloyale, contre la société First FFC en raison de la reproduction d’un modèle d’emballage alimentaire baptisé « Magnolia ».1
Un emballage alimentaire peut constituer une œuvre protégée par le droit d’auteur, sous réserve d’en démontrer l’originalité.
Tout d’abord, le tribunal rappelle à juste titre que la protection conférée par le droit d’auteur peut s’appliquer aux œuvres des arts appliqués à l’industrie, ce qui peut inclure des emballages alimentaires.
Cette reconnaissance de principe n’est pas nouvelle et a notamment été réitérée par la Cour d’appel de Rennes, le 5 décembre 2023. A cette occasion, la cour a confirmé la protection par le droit d’auteur d’un emballage de sel sous forme de pot transparent en prenant en considération l’ensemble des éléments constituant son identité visuelle, et notamment sa charte graphique spécifique composée d’une association de couleurs et d’éléments visuels.2
Dans le cadre de l’affaire « Magnolia », la société demanderesse a listé une série de caractéristiques prouvant, selon elle, l’originalité de l’emballage argué de contrefaçon, tout en se référant à une décision rendue par le même tribunal le 13 août 2021 ayant reconnu cette originalité.
La partie défenderesse a pour sa part exposé l’existence sur le marché de nombreux modèles similaires à l’emballage « Magnolia », lesquels s’inscrivent dans la continuité de l’art de l’origami et plus particulièrement du « tato » japonais (petite enveloppe en papier confectionnée en origami).
Tout en rappelant que l’antériorité n’est pas un critère retenu pour apprécier l’originalité d’une œuvre, le tribunal a toutefois considéré qu’en l’espèce, cette antériorité rendait impossible la démonstration de l’empreinte de la personnalité de l’auteur de l’emballage « Magnolia », lequel est donc dépourvu d’originalité.
En motivant sa décision de la sorte, le tribunal semble faire référence à la notion de « fonds commun de l’art », non protégé par le droit d’auteur, et considérer que l’emballage « Magnolia » n’est qu’une simple illustration de l’art ancestral de l’origami sans originalité propre.
Cette solution aurait pu être différente si l’emballage argué de contrefaçon avait présenté, comme dans l’affaire jugée par la Cour d’appel de Rennes, des éléments graphiques spécifiques en plus de sa seule forme.
Pour rejeter les demandes de la société Aphinitea Corporation fondées sur la concurrence déloyale et le parasitisme économique, le tribunal s’appuie également sur l’existence d’un nombre important d’antériorités semblables appartenant au fonds commun des origamis et permettant d’écarter tout risque de confusion entre les sociétés concurrentes, mais également tout savoir-faire ou effort déterminé de la part de la société Aphinitea Corporation.
Ce jugement nous rappelle également que la reconnaissance, dans une décision antérieure, de l’originalité d’une œuvre ne suffit pas à ce que celle-ci soit automatiquement retenue dans le cadre d’une nouvelle procédure portant sur des faits distincts.
En l’espèce, le Tribunal judiciaire de Paris était d’autant plus légitime à reconsidérer l’originalité de l’emballage « Magnolia » dans la mesure où, dans la procédure de 2021 invoquée par la société Aphinitea Corporation, la partie défenderesse n’avait pas comparu et n’avait donc pas contesté les droits qui lui étaient opposés.
Toutefois, le principe selon lequel chaque juridiction est « tenue de se déterminer d’après les circonstances particulières du procès et non par une motivation générale faisant référence à des causes déjà jugées » constitue une règle générale reconnue par la Cour de cassation et doit donc s’appliquer quelles que soient les circonstances dans lesquelles les décisions antérieures ont été rendues.3
Quels sont les autres modes de protection envisageables pour un emballage alimentaire ?
Cette décision du Tribunal judiciaire de Paris met en lumière la difficulté de démontrer l’originalité d’une œuvre d’art appliqué lorsque celle-ci n’est constituée que d’une forme, en particulier lorsqu’elle emprunte à une pratique artistique ancestrale telle que l’origami.
Aussi, pour assurer la protection de ce type de création, les ayants-droits peuvent opter pour d’autres modes de protection.
Le fondement de la concurrence déloyale et/ou parasitaire est, comme nous avons pu l’observer dans cette décision, lui aussi incertain et nécessite la démonstration d’un risque de confusion et/ou d’un savoir-faire, d’efforts ou d’investissements particuliers qui auraient été indûment accaparés par un concurrent.
De tels critères semblent très difficiles à réunir lorsqu’il peut être opposé à celui qui les invoque l’existence de nombreuses antériorités présentes sur le marché.
L’exploitant peut également être tenté d’opter pour le dépôt d’un modèle, mais il faudra alors veiller à respecter les critères de protection que sont :
– la nécessité que les caractéristiques du modèle ne soient pas imposées exclusivement par la fonction technique du produit ;
– la nouveauté, c’est-à-dire le fait que le modèle n’ait pas été divulgué avant son dépôt ;
– le caractère propre, c’est-à-dire le fait que le modèle provoque chez l’observateur averti une impression visuelle d’ensemble différente de celle produite par tout modèle divulgué antérieurement au dépôt.
C’est ainsi qu’en 2006, la Cour d’appel de Paris a pu confirmer la validité du modèle d’emballage de jambon de la marque Herta, sans pour autant retenir les actes de contrefaçon allégués par la société exploitant cette marque.4
Dans notre cas d’espèce, faute de nouveauté et de caractère propre, l’emballage « Magnolia » ne pourrait faire l’objet d’un dépôt à titre de modèle.
Enfin, le recours à une marque tridimensionnelle pour protéger une œuvre d’art appliqué pourrait être envisagé.
La jurisprudence a tendance à rappeler qu’en matière de distinctivité « les critères d’appréciation du caractère distinctif d’un signe constitué par l’apparence du produit lui-même sont en principe les mêmes que pour toutes les autres formes de marques ».5
Pour autant offices et juridictions imposent des conditions supplémentaires afin d’apprécier le caractère distinctif de ce type de marques.
L’enregistrement d’une marque tridimensionnelle sera tout d’abord refusé si celle-ci est constituée uniquement de « la forme d’un produit présentant une ou plusieurs caractéristiques d’utilisation essentielles et inhérentes à la fonction ou aux fonctions génériques de ce produit ».6
De même, une demande de marque tridimensionnelle sera rejetée si la forme déposée est nécessaire à l’obtention d’un résultat technique, comme ce fut le cas pour le Rubik’s Cube.7
Voir nos articles à ce sujet ici et ici.
Enfin, si la forme concernée confère au produit qu’elle désigne sa valeur substantielle, c’est-à-dire qu’elle joue un rôle déterminant dans le choix du consommateur d’acquérir ledit produit, alors elle ne pourra être déposée au titre d’une marque tridimensionnelle.8
En l’espèce, on pourrait s’interroger sur la recevabilité du dépôt de l’emballage « Magnolia » sous forme de marque tridimensionnelle, étant entendu que le motif de refus qui pourrait être opposé résiderait probablement dans le fait que sa forme est nécessaire à l’obtention d’un résultat technique, bien que d’autres formes permettraient d’aboutir au même résultat.
Conclusion
Au regard de la jurisprudence actuelle, la protection d’une simple forme qui, nonobstant une possible recherche esthétique, répond avant tout à une finalité technique semble délicate.
Les droits d’auteurs, des marques et des dessins et modèles nécessitent en effet soit une originalité esthétique marquée soit, à minima, un caractère distinctif permettant au public de percevoir une forme comme une indication d’origine, et non comme la représentation habituelle des produits pour lesquels elle est déposée.
Lorsque la forme est exclusivement ou, à tout le moins, majoritairement dictée par des considérations techniques, le dépôt d’un brevet ou d’un certificat d’invention peut sembler adéquat, mais encore faut-il répondre à une exigence d’innovation technique, ce qui n’est généralement pas le cas lorsqu’une forme constitue la reprise ou la modernisation d’un savoir-faire préexistant.
Quant au parasitisme économique, celui-ci nécessite la démonstration d’efforts, d’une renommée ou d’investissements dont tirerait parti l’entité parasitaire, supposant que l’agent économique concerné devra démontrer plus qu’une simple reprise à son compte d’un savoir-faire existant pour invoquer un tel moyen en défense de ses intérêts.
Une telle réticence des offices et des juridictions à accorder une protection aux formes fonctionnelles, dénuées d’éléments graphiques venant les habiller et ne représentant pas une innovation technique particulière, se comprend aisément au regard du principe de liberté du commerce et de l’industrie, lequel s’oppose à une privatisation des outils de production et de commerce les plus basiques afin de préserver une concurrence la plus libre possible.
Robin Antoniotti
Avocat
(1) Tribunal Judiciaire de Paris, 3e chambre 1re section, 8 février 2024, n° 22/02992
(2) Cour d’appel de Rennes, 1ère Chambre, 5 décembre 2023, n° 21/01537
(3) Cour de cassation, Chambre commerciale, 8 juillet 2014, n°13-16.714
(4) Cour d’appel de Paris, 4e chambre section b, 7 avril 2006
(5) Cour de Justice de l’Union Européenne, 16/06/2015, T-654/13, § 20
(6) Cour de Justice de l’Union Européenne, 18 septembre 2014, aff. C-205/13, Hauck
(7) Tribunal de l’Union Européenne, 24 octobre 2019, T‑601/17
(8) Cour de Justice de l’Union Européenne, 23 avril 2020, C-237/19, Gömböc Kutató
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