19
mars
2024
Packaging alimentaire et droit d’auteur : le Tribunal n’est pas emballé
Author:
TAoMA
Le 8 février 2024, le Tribunal judiciaire de Paris a rejeté l’action intentée par la société Aphinitea Corporation, sur les fondements de la contrefaçon de droit d’auteur et de la concurrence déloyale, contre la société First FFC en raison de la reproduction d’un modèle d’emballage alimentaire baptisé « Magnolia ».1
Un emballage alimentaire peut constituer une œuvre protégée par le droit d’auteur, sous réserve d’en démontrer l’originalité.
Tout d’abord, le tribunal rappelle à juste titre que la protection conférée par le droit d’auteur peut s’appliquer aux œuvres des arts appliqués à l’industrie, ce qui peut inclure des emballages alimentaires.
Cette reconnaissance de principe n’est pas nouvelle et a notamment été réitérée par la Cour d’appel de Rennes, le 5 décembre 2023. A cette occasion, la cour a confirmé la protection par le droit d’auteur d’un emballage de sel sous forme de pot transparent en prenant en considération l’ensemble des éléments constituant son identité visuelle, et notamment sa charte graphique spécifique composée d’une association de couleurs et d’éléments visuels.2
Dans le cadre de l’affaire « Magnolia », la société demanderesse a listé une série de caractéristiques prouvant, selon elle, l’originalité de l’emballage argué de contrefaçon, tout en se référant à une décision rendue par le même tribunal le 13 août 2021 ayant reconnu cette originalité.
La partie défenderesse a pour sa part exposé l’existence sur le marché de nombreux modèles similaires à l’emballage « Magnolia », lesquels s’inscrivent dans la continuité de l’art de l’origami et plus particulièrement du « tato » japonais (petite enveloppe en papier confectionnée en origami).
Tout en rappelant que l’antériorité n’est pas un critère retenu pour apprécier l’originalité d’une œuvre, le tribunal a toutefois considéré qu’en l’espèce, cette antériorité rendait impossible la démonstration de l’empreinte de la personnalité de l’auteur de l’emballage « Magnolia », lequel est donc dépourvu d’originalité.
En motivant sa décision de la sorte, le tribunal semble faire référence à la notion de « fonds commun de l’art », non protégé par le droit d’auteur, et considérer que l’emballage « Magnolia » n’est qu’une simple illustration de l’art ancestral de l’origami sans originalité propre.
Cette solution aurait pu être différente si l’emballage argué de contrefaçon avait présenté, comme dans l’affaire jugée par la Cour d’appel de Rennes, des éléments graphiques spécifiques en plus de sa seule forme.
Pour rejeter les demandes de la société Aphinitea Corporation fondées sur la concurrence déloyale et le parasitisme économique, le tribunal s’appuie également sur l’existence d’un nombre important d’antériorités semblables appartenant au fonds commun des origamis et permettant d’écarter tout risque de confusion entre les sociétés concurrentes, mais également tout savoir-faire ou effort déterminé de la part de la société Aphinitea Corporation.
Ce jugement nous rappelle également que la reconnaissance, dans une décision antérieure, de l’originalité d’une œuvre ne suffit pas à ce que celle-ci soit automatiquement retenue dans le cadre d’une nouvelle procédure portant sur des faits distincts.
En l’espèce, le Tribunal judiciaire de Paris était d’autant plus légitime à reconsidérer l’originalité de l’emballage « Magnolia » dans la mesure où, dans la procédure de 2021 invoquée par la société Aphinitea Corporation, la partie défenderesse n’avait pas comparu et n’avait donc pas contesté les droits qui lui étaient opposés.
Toutefois, le principe selon lequel chaque juridiction est « tenue de se déterminer d’après les circonstances particulières du procès et non par une motivation générale faisant référence à des causes déjà jugées » constitue une règle générale reconnue par la Cour de cassation et doit donc s’appliquer quelles que soient les circonstances dans lesquelles les décisions antérieures ont été rendues.3
Quels sont les autres modes de protection envisageables pour un emballage alimentaire ?
Cette décision du Tribunal judiciaire de Paris met en lumière la difficulté de démontrer l’originalité d’une œuvre d’art appliqué lorsque celle-ci n’est constituée que d’une forme, en particulier lorsqu’elle emprunte à une pratique artistique ancestrale telle que l’origami.
Aussi, pour assurer la protection de ce type de création, les ayants-droits peuvent opter pour d’autres modes de protection.
Le fondement de la concurrence déloyale et/ou parasitaire est, comme nous avons pu l’observer dans cette décision, lui aussi incertain et nécessite la démonstration d’un risque de confusion et/ou d’un savoir-faire, d’efforts ou d’investissements particuliers qui auraient été indûment accaparés par un concurrent.
De tels critères semblent très difficiles à réunir lorsqu’il peut être opposé à celui qui les invoque l’existence de nombreuses antériorités présentes sur le marché.
L’exploitant peut également être tenté d’opter pour le dépôt d’un modèle, mais il faudra alors veiller à respecter les critères de protection que sont :
– la nécessité que les caractéristiques du modèle ne soient pas imposées exclusivement par la fonction technique du produit ;
– la nouveauté, c’est-à-dire le fait que le modèle n’ait pas été divulgué avant son dépôt ;
– le caractère propre, c’est-à-dire le fait que le modèle provoque chez l’observateur averti une impression visuelle d’ensemble différente de celle produite par tout modèle divulgué antérieurement au dépôt.
C’est ainsi qu’en 2006, la Cour d’appel de Paris a pu confirmer la validité du modèle d’emballage de jambon de la marque Herta, sans pour autant retenir les actes de contrefaçon allégués par la société exploitant cette marque.4
Dans notre cas d’espèce, faute de nouveauté et de caractère propre, l’emballage « Magnolia » ne pourrait faire l’objet d’un dépôt à titre de modèle.
Enfin, le recours à une marque tridimensionnelle pour protéger une œuvre d’art appliqué pourrait être envisagé.
La jurisprudence a tendance à rappeler qu’en matière de distinctivité « les critères d’appréciation du caractère distinctif d’un signe constitué par l’apparence du produit lui-même sont en principe les mêmes que pour toutes les autres formes de marques ».5
Pour autant offices et juridictions imposent des conditions supplémentaires afin d’apprécier le caractère distinctif de ce type de marques.
L’enregistrement d’une marque tridimensionnelle sera tout d’abord refusé si celle-ci est constituée uniquement de « la forme d’un produit présentant une ou plusieurs caractéristiques d’utilisation essentielles et inhérentes à la fonction ou aux fonctions génériques de ce produit ».6
De même, une demande de marque tridimensionnelle sera rejetée si la forme déposée est nécessaire à l’obtention d’un résultat technique, comme ce fut le cas pour le Rubik’s Cube.7
Voir nos articles à ce sujet ici et ici.
Enfin, si la forme concernée confère au produit qu’elle désigne sa valeur substantielle, c’est-à-dire qu’elle joue un rôle déterminant dans le choix du consommateur d’acquérir ledit produit, alors elle ne pourra être déposée au titre d’une marque tridimensionnelle.8
En l’espèce, on pourrait s’interroger sur la recevabilité du dépôt de l’emballage « Magnolia » sous forme de marque tridimensionnelle, étant entendu que le motif de refus qui pourrait être opposé résiderait probablement dans le fait que sa forme est nécessaire à l’obtention d’un résultat technique, bien que d’autres formes permettraient d’aboutir au même résultat.
Conclusion
Au regard de la jurisprudence actuelle, la protection d’une simple forme qui, nonobstant une possible recherche esthétique, répond avant tout à une finalité technique semble délicate.
Les droits d’auteurs, des marques et des dessins et modèles nécessitent en effet soit une originalité esthétique marquée soit, à minima, un caractère distinctif permettant au public de percevoir une forme comme une indication d’origine, et non comme la représentation habituelle des produits pour lesquels elle est déposée.
Lorsque la forme est exclusivement ou, à tout le moins, majoritairement dictée par des considérations techniques, le dépôt d’un brevet ou d’un certificat d’invention peut sembler adéquat, mais encore faut-il répondre à une exigence d’innovation technique, ce qui n’est généralement pas le cas lorsqu’une forme constitue la reprise ou la modernisation d’un savoir-faire préexistant.
Quant au parasitisme économique, celui-ci nécessite la démonstration d’efforts, d’une renommée ou d’investissements dont tirerait parti l’entité parasitaire, supposant que l’agent économique concerné devra démontrer plus qu’une simple reprise à son compte d’un savoir-faire existant pour invoquer un tel moyen en défense de ses intérêts.
Une telle réticence des offices et des juridictions à accorder une protection aux formes fonctionnelles, dénuées d’éléments graphiques venant les habiller et ne représentant pas une innovation technique particulière, se comprend aisément au regard du principe de liberté du commerce et de l’industrie, lequel s’oppose à une privatisation des outils de production et de commerce les plus basiques afin de préserver une concurrence la plus libre possible.
Robin Antoniotti
Avocat
(1) Tribunal Judiciaire de Paris, 3e chambre 1re section, 8 février 2024, n° 22/02992
(2) Cour d’appel de Rennes, 1ère Chambre, 5 décembre 2023, n° 21/01537
(3) Cour de cassation, Chambre commerciale, 8 juillet 2014, n°13-16.714
(4) Cour d’appel de Paris, 4e chambre section b, 7 avril 2006
(5) Cour de Justice de l’Union Européenne, 16/06/2015, T-654/13, § 20
(6) Cour de Justice de l’Union Européenne, 18 septembre 2014, aff. C-205/13, Hauck
(7) Tribunal de l’Union Européenne, 24 octobre 2019, T‑601/17
(8) Cour de Justice de l’Union Européenne, 23 avril 2020, C-237/19, Gömböc Kutató
12
décembre
2023
Délai de prescription de l’action en contrefaçon : la Cour de cassation ne lâche pas la bride
Author:
TAoMA
Dans un arrêt du 15 novembre 2023, la Cour de cassation se prononce sur la question du point de départ du délai de prescription de l’action en contrefaçon en présence d’un délit continu.
En 1985, l’artiste Frédéric Jager avait conçu pour le Musée du cheval vivant aux Grandes écuries de Chantilly, une sculpture monumentale de trois mètres de hauteur représentant trois chevaux dans une demi-vasque circulaire intitulée « Fontaine aux chevaux » ou « La Prueva ».
Après avoir eu connaissance de l’existence de reproductions illicites de son œuvre, l’artiste a lancé une procédure afin de déterminer leur origine et localisation.
C’est ainsi qu’a été découverte une reproduction exposée dans le Potager des Princes à Chantilly. Son caractère contrefaisant a été définitivement reconnu par arrêt de la Cour d’appel de Paris du 17 décembre 2008.
En 2021, à la suite d’une tentative de règlement amiable infructueuse, l’artiste a finalement assigné la société le Potager des Princes et son gérant, en référé, afin de faire cesser le trouble manifestement illicite résultant de l’atteinte à ses droits de propriété intellectuelle.
Le juge des référés du tribunal judiciaire de Lille ayant fait droit à ses demandes, la société Le Potager des Princes a interjeté appel devant la Cour d’appel de Douai. La Cour a infirmé l’ordonnance du juge des référés et rejeté l’ensemble des demandes de l’artiste au motif que son action était prescrite.
C’est dans ce contexte que Frédéric Jager a formé un pourvoi devant la Cour de cassation.
Pour démontrer que l’action n’était pas prescrite, il a soutenu qu’en présence d’un délit continu (en l’occurrence constitué par la détention et l’exposition de l’exemplaire contrefait), le point de départ du délai de prescription se situait au jour de la cessation des actes contrefaisants.
La société Le Potager des Princes soutient quant à elle que le délai de prescription commençait à courir au jour où l’artiste a eu connaissance de la contrefaçon : au plus tard, le 15 octobre 2008. L’action était donc prescrite depuis le 16 octobre 2013.
En réponse, la Cour de cassation rappelle d’abord l’article 2224 du Code civil selon lequel « les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. »
La Cour reconnait que la présence de la statue litigieuse dans le Potager des Princes a été connue de l’artiste dès le dépôt du rapport d’expertise du 3 septembre 2004 et que son caractère contrefaisant a définitivement été reconnu par arrêt de la Cour d’appel de Paris du 17 décembre 2008.
Ainsi, elle fixe le point de départ du délai au 17 décembre 2008 ; son expiration est donc intervenue le 17 décembre 2013.
L’auteur est désormais impuissant pour faire cesser l’exposition de cette statue contrefaisante dans le Potager des Princes.
Une interrogation demeure : pourquoi la Cour a-t-elle privilégié comme point de départ du délai la date à laquelle le caractère contrefaisant de l’œuvre a été définitivement reconnu, et non la date à laquelle l’artiste a eu connaissance de son existence ?
En tous les cas, cette décision clarifie les règles relatives à la prescription en matière de contrefaçon en présence d’un délit continu et oblige les demandeurs à engager au plus vite leurs actions contentieuses.
Alain Hazan
Avocat associé
Delphine Monfront
Avocat à la Cour
26
septembre
2023
Andy Warhol, contrefacteur ? Débat sur la notion américaine de fair use et la transformation artistique
Author:
teamtaomanews
Dans une décision du 18 mai 2023[1], la Cour suprême des États-Unis a dû s’interroger sur l’appréciation du fair use, à propos d’une œuvre d’Andy Warhol réalisée à partir d’un portrait photographique de Prince et utilisée pour illustrer un article de presse.
Le conflit juridique autour des portraits de Prince
L’affaire trouve son origine en 1984, lorsque le magazine Vanity Fair sollicite Lynn Goldsmith, photographe de renom, pour que soient utilisée l’une de ses photographies du chanteur Prince et la confier à Andy Warhol, en vue de réaliser l’une de ses fameuses sérigraphies, en guise d’illustration d’un article consacré au chanteur.
Ce sont finalement pas moins de 13 déclinaisons coloriées de la photographie, qui ont été réalisées par le roi du pop art, sans l’accord de la photographe.
Peu après le décès de Prince en 2016, Vanity Fair a versé 10.000 dollars à la Fondation Warhol pour re-publier au sein de son magazine un nouvel article sur Prince, illustré d’une déclinaison orangée de la série de portraits de Prince réalisée par Andy Warhol. En revanche, Vanity Fair n’a pas contacté Lynn Goldsmith à cette occasion.
La photographe, a vainement tenté d’obtenir une indemnisation au titre de l’utilisation de sa photographie, auprès de la Fondation Warhol. Cette dernière a préféré porter l’affaire devant les tribunaux.
Violation du copyright ou exception de fair use ?
Si le copyright permet à un auteur de protéger son œuvre contre toute exploitation non-autorisée, le concept américain de fair use permet au juge d’apprécier en cas de litige, si l’utilisation d’une œuvre par un tiers est loyale ou non, ce qui lui permet d’échapper à toute condamnation en matière de contrefaçon.
Dans le cas d’espèce, c’est précisément ce que soutenait la Fondation Warhol pour considérer que l’utilisation de la photographie de Lynn Goldmsith ne constituait pas une violation du copyright.
La Cour d’appel a refusé de faire application de cette notion pour exonérer la Fondation Warhol, laquelle a formé un recours devant la Cour suprême. Elle repose et analyse les différents critères d’appréciation du fair use.
La Cour Suprême rejette l’application du fair use en raison d’une transformation de l’œuvre originale insuffisante
En l’espèce, même si la Cour Suprême revient en partie sur le raisonnement juridique de la Cour d’appel, elle refuse de considérer que la sérigraphie réalisée par Andy Warhol pouvait bénéficier de l’exception de faire use.
En l’espèce, la Cour Suprême se concentre sur le premier critère du fair use, à savoir le but et le caractère de cet usage : pour que ce critère soit rempli, elle rappelle que l’usage de l’œuvre originale par l’œuvre seconde doit être transformatif, c’est-à-dire que l’œuvre première doit être transformée par la création d’une nouvelle information.
Et la Cour Suprême estime que la série de portraits de Warhol ne constituait pas une transformation suffisante pour justifier le fair use.
Bien que les portraits soient immédiatement identifiables comme étant du style distinctif de Warhol, cela restait néanmoins objectivement un portrait de Prince ayant juste un style différent. La Cour ajoute que l’usage que pouvait faire Lynn Goldsmith de sa photographie, était le même que celui que la Fondation Andy Warhol pouvait faire des sérigraphies.
La Cour en conclut que les critères requis pour bénéficier de l’exception du fair use n’étaient pas remplis.
Autant dire que la technique bien connue d’Andy Warhol consistant à recoloriser des clichés existants n’est pas regardée comme un apport créatif significatif…
Juliette DANJEAN
Stagiaire pôle avocat
Alain HAZAN
Avocat associé
[1] Andy Warhol for the visual art, inc. v. Goldsmith Et Al.
26
septembre
2023
Ballade pour Adeline » ou la « Ballade de la vengeance » : quand une musique romantique est détournée
Author:
TAoMA
C’est une victoire pour le cartel mexicain « Narcos » : l’usage d’une musique douce pour mourir est bien autorisée ! (sous conditions)
Un compositeur français avait accordé l’exploitation de sa composition « Ballade pour Adeline » à une société française. Cette dernière a conclu un contrat de sous-édition avec une société américaine, qui a elle-même cédé ses droits, et notamment celui du droit d’adaptation au sein d’une œuvre cinématographique, aux sociétés de production américaines Narcos Mexico.
La série mondialement connue a alors utilisé le morceau afin d’illustrer une scène violente de l’épisode 10 de la saison 2.
Mécontent de voir son œuvre empreinte de douceur et de romantisme, associée à une scène de violence, le compositeur a assigné en justice les sociétés américaines pour atteinte au droit au respect de son œuvre et au droit de paternité sur le fondement de l’article 121-1 du Code de la propriété intellectuelle.
Dans une décision du 9 juin 2023, le Tribunal judiciaire de Paris rejette la demande fondée sur l’atteinte au respect de l’esprit sur son œuvre, mais confirme l’atteinte au respect de son nom.
L’atteinte au droit au respect de l’œuvre rejetée
La scène litigieuse représentait un meurtre de vengeance perpétré au moyen d’une batte de baseball, où l’on pouvait distinguer une vue du corps ensanglanté de la victime, le tout sur un fond musical de la « Ballade pour Adeline »
Le tribunal indique que l’usage de l’œuvre musicale pour illustrer « la représentation de la violence n’est en soi illicite que si l’esprit de l’œuvre y est incompatible, ce qui ne se présume pas ».
D’ailleurs, le compositeur ne démontre pas que l’usage du morceau est strictement limité au thème de « la tendresse », de « l’amour » ou de « la pureté » puisqu’au contraire, celui-ci a admis d’autres usages antérieurs de sa musique notamment pour illustrer une scène de suicide d’une mère dont son enfant serait témoin.
Le tribunal ajoute que la violence de la scène ne valorise ni n’encourage le crime, la violence ou la drogue mais incite le spectateur à réfléchir sur les conséquences de ce meurtre fait par vengeance.
La musique est utilisée comme un « accompagnement détaché de la scène », elle débute comme une musique d’ambiance devenant de plus en plus forte à l’approche de la scène qui, elle bascule dans l’horreur. Le décalage atténue « l’impact de la scène sur la perception de l’œuvre et l’association qui en résulte entre celle-ci et le sujet ».
En outre, le tribunal rejette la demande fondée sur l’atteinte à l’intégrité de l’œuvre estimant que le compositeur avait consenti par le contrat d’édition à la reproduction partielle de son œuvre, cette autorisation ne constituait pas une cession de droit moral.
L’atteinte au droit de la paternité retenue
Dans un second temps, le tribunal retient en revanche l’atteinte à la paternité de l’œuvre de l’article 121-1 du Code de la propriété intellectuelle, dans la mesure où le générique de l’épisode de la série ne mentionne ni l’œuvre jouée, ni son auteur, les sociétés américaines se contentant d’alléguer un simple usage dans la série.
Autre point à signaler dans cette décision : afin de déterminer le montant du préjudice, il fallait s’accorder sur le périmètre géographique de l’atteinte, ce qui a posé une difficulté.
En effet, le compositeur alléguait la compétence du juge français pour connaitre des atteintes résultant de la diffusion de l’épisode sur le territoire national et à l’étranger.
Il soutenait que le droit moral est un droit de la personnalité, permettant la réparation de l’ensemble du préjudice subi dans le monde entier, au lieu du domicile du compositeur.
Le tribunal a cependant refusé d’admettre cette position : il retient que l’atteinte au droit moral n’est pas attachée à un droit de la personnalité. Le lieu du dommage est alors celui où il se manifeste concrètement, ce qui limite l’appréciation du préjudice aux actes réalisés sur le territoire national.
Pour les juges, l’absence de « crédit » pour l’usage de son œuvre n’a causé qu’un préjudice moral « caractérisé par le simple désagrément de découvrir qu’une de ses prérogatives n’a pas été respectée par un tiers ».
Au regard de la très grande diffusion de l’œuvre en France mais aussi de la faible gravité du manquement, le préjudice est estimé à 1.000 euros.
Il faut donc retenir que l’usage d’une œuvre musicale pour illustrer une scène violente ne caractérise pas, en soi, une violation du droit moral. Seul un examen préalable de l’esprit de l’œuvre est nécessaire pour la déterminer.
Alain Hazan
Avocat Associé
Emeline Jet
Juriste
22
août
2023
La « Marianne asiatique » : Politique et street art ne font pas campagne commune
Author:
TAoMA
Combo, un street artist, est l’auteur de « La Marianne Asiatique », que l’on peut admirer sur un mur du Boulevard du Temple à Paris !
Cette œuvre de street art apparaît brièvement dans trois films de campagne de La France Insoumise, sans que l’auteur en ait donné l’autorisation. Il a fait assigner La France Insoumise et Jean Luc Mélenchon pour atteinte à ses droits moraux et patrimoniaux.
Le 21 janvier 2021, le tribunal judiciaire de Paris1 a reconnu que « La Marianne Asiatique » était une œuvre de l’esprit, protégée par le droit d’auteur. Néanmoins le juge a rejeté les demandes de l’auteur, tenant à la condamnation de La France Insoumise et de Jean Luc Mélenchon, considérant que la reproduction de l’œuvre relevait des exceptions de courte citation et de panorama. L’auteur a alors interjeté appel.
La Cour d’appel de Paris2 a infirmé la décision de première instance, considérant que les conditions des exceptions précitées n’étaient pas remplies !
Les œuvres de street art peuvent être protégées par le droit d’auteur
La Cour d’appel ne revient pas sur la question de la qualité d’œuvre de l’esprit de « La Marianne asiatique ». En effet, elle explique que « la cour fait sienne, par motifs adoptés, l’analyse des premiers juges qui ont reconnus à la fois que M. [V] démontrait être l’auteur de la fresque en litige et que cette fresque était, par son originalité, éligible à la protection par le droit d’auteur ».
Pas d’exception de courte citation et de panorama pour les films de campagne
En revanche, la Cour rejette le jugement de première instance en ce qu’il concerne l’application des exceptions de courte citation et de panoramas.
Concernant l’exception de courte citation, l’article L. 122-5 du code de la propriété intellectuelle dispose que « Lorsque l’œuvre a été divulguée, l’auteur ne peut interdire :
(…)
3° Sous réserve que soient indiqués clairement le nom de l’auteur et la source :
a) Les analyses et courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information de l’œuvre à laquelle elles sont incorporées».
Toutefois, dans ce cas, bien que la citation soit courte, la Cour relève que ni le nom de l’auteur (pourtant facilement identifiable, selon le raisonnement développé par les juges du fond), ni la source de la fresque, n’ont été indiquées.
S’agissant de l’exception de panorama, le 11° de l’article L. 122-5 du code de la propriété intellectuelle dispose que :
« Les reproductions et représentations d’œuvres architecturales et de sculptures, placées en permanence sur la voie publique, réalisées par des personnes physiques, à l’exclusion de tout usage à caractère commercial » sont autorisées.
Cependant, la cour considère que la fresque en question ne peut être considérée comme une œuvre architecturale ou sculpturale, et étant soumise à des aléas extérieurs, « (dégradations volontaires, effacement par le propriétaire du support, altérations du fait des intempéries…) », elle n’est pas non plus « placée en permanence sur la voie publique ». Les conditions n’étaient donc pas remplies.
Ainsi, ces exceptions ne pouvaient s’appliquer !
L’atteinte au droit moral de l’auteur retenue
En ce qui concerne le droit moral de l’auteur, la Cour a également reconnu une atteinte à la paternité et à l’intégrité de l’œuvre, rejetant l’argument de Monsieur Jean Luc Mélenchon selon lequel, l’œuvre de street art est soumise, en raison de sa « nature évolutive et éphémère », à de nombreuse atteinte à son intégrité.
D’une part, la Cour relève une absence de la mention du nom de l’auteur dans le film de campagne concluant à une atteinte à la paternité de l’auteur.
D’autre part, l’ajout non autorisé du signe LFI, l’intégration de l’œuvre non autorisée dans un support audiovisuel accompagné d’un message sonore et d’un titrage, ainsi que l’utilisation, sans le consentement de l’auteur « au soutien de l’action et des intérêts d’un parti et d’une personnalité politiques, (…) de nature à faire croire que l’auteur apportait à son appui ou son concours à la France insoumise », suffisent à démontrer une atteinte à l’intégrité de l’œuvre.
Ainsi, si le code de la propriété intellectuelle établit la possibilité d’accorder la protection du droit d’auteur à toute œuvre, sans égard à sa forme d’expression, son genre, son mérite ou sa destination, cet arrêt établit sans ambiguïté que les œuvres issues de l’art urbain, peuvent légitimement revendiquer la qualité d’œuvre de l’esprit, et surtout bénéficier d’une protection par le droit d’auteur en cas d’atteinte à ses droits moraux et patrimoniaux. À condition, bien sûr, de répondre au critère d’originalité !
Juliette Danjean
Juriste stagiaire
Jean-Charles Nicollet
Associé – Conseil en Propriété Industrielle
[1] TJ Paris, 21 janvier 2021, n° 20/08482
[2] CA Paris, pôle 5 ch. 1, 5 juill. 2023, n° 21/11317
08
août
2023
Cession de droits de propriété intellectuelle : si c’est gratuit, c’est notarié
Author:
TAoMA
Les droits de propriété intellectuelle peuvent faire l’objet d’une cession par contrat, que ce soit à titre onéreux ou bien à titre gratuit.
Après s’être prononcé en 2022 sur la cession d’une marque à titre gratuit (dont vous pouvez retrouver la news de TAoMA ici) [1], le Tribunal judiciaire de Paris semble confirmer son approche dans une ordonnance de référé rendue le 12 avril 2023 [2], s’agissant cette fois-ci de droits d’auteur.
Guerre et PI
Le demandeur est un ancien militaire de l’armée russe, qui a participé à l’invasion de l’Ukraine. Après avoir été blessé sur le front puis rapatrié en Russie, il a diffusé sur le réseau social VKontakte son témoignage intitulé « ZOV », qui signifie « l’appel ». Ce terme a notamment été peint sur des chars russes lors de l’invasion.
Ayant dû fuir la Russie pour la France, il a décidé de céder à titre gratuit et par acte sous seing privé ses droits d’auteur sur son manifeste à une association, en septembre 2022.
Cette association a elle-même conclu un contrat de cession de droits d’auteur avec la société d’édition Albin Michel, pour la publication de l’œuvre en format imprimé et électronique. Conformément à ce contrat, un livre intitulé « ZOV : L’homme qui a dit non à la guerre » a été publié en novembre 2022 en France.
L’association et la société d’édition ont alors été assignées devant le Tribunal judiciaire de Paris par l’ex militaire. Elles ont ensuite été assignées en référé pour que soit réalisé le placement sous séquestre conservatoire des recettes générées par l’ouvrage, dans l’attente du rendu d’une décision au fond.
Le sort de la cession gracieuse de droits de propriété intellectuelle à nouveau face aux juges
Rappelant les dispositions de l’article 931 du code civil (prévoyant que « tous actes portant donation entre vifs seront passés devant notaires dans la forme ordinaire des contrats ; et il en restera minute, sous peine de nullité »), le juge des référés a constaté que le contrat conclu entre l’ex militaire et l’association emporte « explicitement cession « gratuite » de droits d’auteurs », et qu’il est « donc possible que cet acte conclu sous seing privé soit nul ».
Le juge des référés ne peut rendre une décision sur le fond de l’affaire mais uniquement sur des mesures provisoires. Ainsi, il ne fait ici que « supposer » la nullité de l’acte laissant au juge du fond trancher la question.
Le séquestre provisoire des recettes issues du livre a en conséquence été ordonné, dans l’attente d’une décision au fond. Les juges du fond devraient, selon toute vraisemblance, prononcer la nullité de la cession des droits d’auteur à titre gratuit, qui aurait dû être réalisée par acte notarié pour pouvoir être valide.
Il est ainsi rappelé que la propriété intellectuelle, tant s’agissant de cession gracieuse de marque que de droit d’auteur, ne déroge pas aux règles du droit commun de la donation entre vifs.
La cession à titre gratuit de droits de propriété intellectuelle est juridiquement considérée comme une donation et doit être passée devant notaire, sous peine de nullité.
Cette solution réitérée semble sceller le sort de cette pratique répandue, notamment pour les cessions de marque.
Arthur Burger
Stagiaire juriste
Jean-Charles Nicollet
Associé – Conseil en Propriété Industrielle
[1] Tribunal judiciaire de Paris, 3e ch, 8 février 2022, n° 19/14142
[2] Tribunal judiciaire de Paris, 12 avril 2023, n° 23/50949
18
juillet
2023
Nestlé & AMPC : 0% de contrefaçon mais 100% de cacao !
La société AMCP commercialise le chocolat qu’elle fabrique sous forme de tablettes de dégustation sous la marque « Encuentro », l’emballage de ces produits s’appelle « Encuentro 70% Haïti », représentant une cabosse de couleur orange à reflets jaune apposée sur un fond uni couvrant la quasi-totalité de l’emballage.
Elle reproche à la société Nestlé la contrefaçon de droit d’auteur sur ses emballages et la concurrence déloyale, pour avoir reproduit les caractéristiques essentielles de son packaging dans sa tablette de chocolat « Incoa ».
Tout en retenant l’originalité du packaging, le Tribunal judiciaire de Paris rejette pourtant ses demandes le 13 avril 2023[1]
Le tribunal retient l’originalité du packaging « Encuentro 70% Haïti »
Même si certains éléments sont dictés par la fonction technique de l’emballage, et d’autres banals, ces éléments, pris dans leur ensemble, attestent d’une opposition entre une étiquette à la typographie d’imprimerie traditionnelle et une représentation stylisée, sous forme d’aquarelle, d’une cabosse de cacao accentuant ses couleurs naturelles orangée ou violette.
Les emballages sont présentés de façon lisse, avec des couleurs vives et des effets de dégradés et de reflets.
Le tribunal retient que cette présentation véhicule une atmosphère artisanale et sobre d’authenticité et de qualité, combinée de façon originale, avec une représentation graphique colorée pouvant évoquer un élément passionnel et la gourmandise associée au produit.
Le tribunal rejette le fondement de la contrefaçon
Le tribunal est ferme et indique que les éléments l’ayant mené à reconnaître l’originalité du packaging du demandeur n’existent pas pour la tablette Incoa de la société Nestlé, dont la version de la cabosse de cacao est épurée, simple, droite et sans reflets.
Par ailleurs, le tribunal rejette le fondement de la concurrence déloyale car le consommateur du chocolat Encuentro d’attention élevée ne pourra pas confondre des produits qui se distinguent par leurs marques, leurs prix et leurs qualités, la faute n’est donc pas démontrée.
En effet, le public pertinent, au cas d’espèce acheteur du chocolat Encuentro, est considéré comme recherchant un produit de qualité gustative et par sa composition, il dépensera donc un prix élevé pour acheter du chocolat, la tablette Encuentro étant vendue au prix de 7 à 8 euros. Le chocolat Encuentro est un chocolat haut de gamme, ciblant un public d’amateurs ou de connaisseurs et distribué dans un réseau de commerce au détail et spécialisé.
Le consommateur est donc considéré comme disposant d’un niveau d’attention élevée.
Au contraire, la tablette Incoa est un chocolat industriel ciblant un large public et commercialisée dans un réseau étendu de magasins de grande surface.
Il est donc peu probable que le public pertinent soit en situation de confondre les deux produits.
Cette position est assez surprenante dans la mesure où les tablettes de chocolat sont un produit ordinaire dans la consommation quotidienne et à destination du grand public, le degré d’attention du consommateur devrait être qualifié de moyen, comme cela a été jugé à propos de boissons rafraichissantes[2] par exemple.
L’attention plus élevée du consommateur est généralement retenue lorsque les produits sont spécifiques et onéreux comme les vins de Champagne[3].
Ici, c’est sans doute la qualité certaine du chocolat qui en fait un produit cher conduisant donc à considérer le consommateur qui va l’acheter comme ayant un niveau d’attention élevée.
Enfin, les fondements de parasitisme et pratiques commerciales trompeuses sont également écartés.
Nestlé et son chocolat ont encore de beaux jours devant eux…
Des questions sur vos droits d’auteur et leur protection ? Les équipes de TAoMA sont à votre disposition pour en discuter !
Emeline JET
Elève-avocate
Jean-Charles Nicollet
Associé – Conseil en Propriété Industrielle
[1] TJ Paris, du 13 avril 2023 n°21/09930
[2] TUE, 23 février 2022 Ancor Group GmbH c/ EUIPO
[3] Tribunal judiciaire de Paris, 3e chambre, 1e section, 29 juillet 2021, RG n° 19/13569
14
mars
2023
Pas belle la vie pour l’exécuteur testamentaire de Jean Ferrat
Author:
TAoMA
La Cour de cassation est récemment venue clore un litige de longue date opposant l’exécuteur testamentaire de Jean Ferrat et l’éditeur d’un ouvrage biographique consacré au chanteur.
Dans cette affaire, l’exécuteur testamentaire de Jean Ferrat reprochait notamment à l’éditeur de reproduire plus de 130 extraits des chansons de l’artiste.
Une telle exploitation de l’œuvre du chanteur constituait selon le demandeur une contrefaçon de droits d’auteur ainsi qu’une atteinte à l’intégrité de l’œuvre musicale.
Le demandeur est débouté de l’intégralité de ses demandes par une décision de la Cour d’appel de Paris, confirmée par la Cour de cassation dans une décision du 8 février 20231.
En effet, cette dernière considérant que :
L’exception de courte citation doit être appliquée. Chacune des citations reproduites dans l’ouvrage servant l’analyse critique de l’œuvre de Jean Ferrat permettant au lecteur d’en comprendre le sens et l’engagement de l’artiste. Ces citations ne s’inscrivant pas dans une démarche commerciale ou publicitaire mais étant justifiées par le caractère pédagogique du livre en cause ;
Le texte et la musique d’une chanson relevant de genres différents et étant dissociables, le seul fait que le texte ait été séparé de la musique ne portait pas nécessairement atteinte au droit moral de l’auteur.
Une analyse critique d’une œuvre d’un auteur peut donc conduire à l’exception de courte citation, mettant en échec une action en contrefaçon, surtout si l’objectif est pédagogique.
Des questions sur vos droits d’auteur et leur protection ? Les équipes de TAoMA sont à votre disposition pour en discuter !
Émeline JET
Élève-avocate
Jade de Lumley Woodyear
Stagiaire juriste
Anne Laporte
Avocate
(1) 8 février 2023, Cour de cassation, Pourvoi n° 21-23.976 : pour lire la décision
31
janvier
2023
🕵️♂️ Fin de l’American Dream pour Mickey Mouse et Sherlock Holmes
Author:
TAoMA
L’heure de la retraite a ou va bientôt sonner pour certains de nos personnages de fiction préférés.
D’après la loi sur le droit d’auteur aux Etats-Unis, les droits de propriété intellectuelle sur les œuvres artistiques expirent 95 ans après la première publication.
Ainsi, ce 1er janvier 2023 il était l’occasion de compter ses trimestres pour les œuvres divulgués en 1927. Résultat, Les Archives de Sherlock Holmes contenant notamment des ouvrages tels que La Pierre de Mazarin, Le Vampire du Sussex ou encore Les Trois Pignons tombent dans le domaine public.
Contrairement à Sherlock Holmes, Mickey Mouse n’a pas fini de cotiser pour Walt Disney. En effet, le dessin originel de la souris date de 1928 et est encore protégé par le droit d’auteur pour une année. Même si la fin approche, Mickey restera protégé par le droit des marques, la firme pourra donc continuer de jouir de droit de propriété intellectuelle sur la souris.
Élémentaire mon cher Mickey !
Jade de Lumley Woodyear
Stagiaire juriste
Anne Laporte
Avocate
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