08
octobre
2024
Quand la mode fait jurisprudence : GANNI marche sur Steve Madden avec style
Le tribunal maritime et commercial de Copenhague vient de marquer un tournant dans la protection des créations de mode au Danemark.
Le 9 août 2024, le tribunal a rendu une décision favorable à la marque danoise GANNI en lui accordant la protection de ses droits d’auteur sur son célèbre modèle de chaussure Buckle Ballerina. Face à cette reconnaissance, la société américaine Steve Madden se voit désormais interdite de commercialiser la chaussure GRAND AVE, jugée trop similaire, sur le territoire danois.
Une décision remarquée pour le droit d’auteur dans la mode
En s’appuyant sur l’arrêt Cofemel de la Cour de justice de l’Union européenne (C-683/17), le tribunal a reconnu que le design de la Buckle Ballerina pouvait bénéficier de la protection du droit d’auteur en tant qu’œuvre d’art appliqué. Jusque-là, les tribunaux danois, même la Cour suprême, avaient été réticents à accorder ce statut aux créations de mode. Cette décision établit que l’assemblage unique des éléments de design — la forme fine et féminine, le bout pointu contrastant avec l’angularité de la semelle, les boucles et les rivets inspirés du style punk — constitue l’expression intellectuelle propre du designer de GANNI, Emmelie Karlström.
Steve Madden en difficulté face à la notoriété de GANNI
GANNI considérait le modèle GRAND AVE comme une copie quasi identique de la Buckle Ballerina. Le tribunal a donné raison à GANNI, soulignant que malgré les différences mineures entre les deux modèles, GRAND AVE donne une impression générale similaire à celle de la Buckle Ballerina.
Le tribunal a également souligné que même si Steve Madden bénéficiaiy d’une réputation internationale, la GRAND AVE n’a pas pu être conçue sans connaissance préalable du modèle de GANNI, qui jouit d’une exposition massive sur les réseaux sociaux et dans les magazines de mode tels que Vogue et Harper’s Bazaar. A cet égard, la plaignante avait également relevé l’existence de nombreuses vidéos TikTok expliquant pourquoi les clients devraient acheter les chaussures de GANNI alors qu’ils pouvaient acheter les modèles de Steve Madden « qui coûtent moitié moins cher ».
Conséquences pour la mode danoise et européenne
La décision pourrait bien encourager d’autres créateurs à revendiquer leurs droits d’auteur sur des créations de mode, traditionnellement plus difficiles à protéger. Cela renforce également le positionnement de GANNI comme une marque emblématique au Danemark et sur la scène internationale. Cette victoire pourrait dissuader d’autres marques de tenter des copies ou imitations, et invite les entreprises à prendre en compte le droit d’auteur comme moyen de protection dans leurs stratégies juridiques.
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Alain Hazan
Avocat associé
(1) Arrêt du tribunal maritime et commercial, Cas BS-25562/2024-SHR, 9 août 2024
12
décembre
2023
Délai de prescription de l’action en contrefaçon : la Cour de cassation ne lâche pas la bride
Author:
TAoMA
Dans un arrêt du 15 novembre 2023, la Cour de cassation se prononce sur la question du point de départ du délai de prescription de l’action en contrefaçon en présence d’un délit continu.
En 1985, l’artiste Frédéric Jager avait conçu pour le Musée du cheval vivant aux Grandes écuries de Chantilly, une sculpture monumentale de trois mètres de hauteur représentant trois chevaux dans une demi-vasque circulaire intitulée « Fontaine aux chevaux » ou « La Prueva ».
Après avoir eu connaissance de l’existence de reproductions illicites de son œuvre, l’artiste a lancé une procédure afin de déterminer leur origine et localisation.
C’est ainsi qu’a été découverte une reproduction exposée dans le Potager des Princes à Chantilly. Son caractère contrefaisant a été définitivement reconnu par arrêt de la Cour d’appel de Paris du 17 décembre 2008.
En 2021, à la suite d’une tentative de règlement amiable infructueuse, l’artiste a finalement assigné la société le Potager des Princes et son gérant, en référé, afin de faire cesser le trouble manifestement illicite résultant de l’atteinte à ses droits de propriété intellectuelle.
Le juge des référés du tribunal judiciaire de Lille ayant fait droit à ses demandes, la société Le Potager des Princes a interjeté appel devant la Cour d’appel de Douai. La Cour a infirmé l’ordonnance du juge des référés et rejeté l’ensemble des demandes de l’artiste au motif que son action était prescrite.
C’est dans ce contexte que Frédéric Jager a formé un pourvoi devant la Cour de cassation.
Pour démontrer que l’action n’était pas prescrite, il a soutenu qu’en présence d’un délit continu (en l’occurrence constitué par la détention et l’exposition de l’exemplaire contrefait), le point de départ du délai de prescription se situait au jour de la cessation des actes contrefaisants.
La société Le Potager des Princes soutient quant à elle que le délai de prescription commençait à courir au jour où l’artiste a eu connaissance de la contrefaçon : au plus tard, le 15 octobre 2008. L’action était donc prescrite depuis le 16 octobre 2013.
En réponse, la Cour de cassation rappelle d’abord l’article 2224 du Code civil selon lequel « les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. »
La Cour reconnait que la présence de la statue litigieuse dans le Potager des Princes a été connue de l’artiste dès le dépôt du rapport d’expertise du 3 septembre 2004 et que son caractère contrefaisant a définitivement été reconnu par arrêt de la Cour d’appel de Paris du 17 décembre 2008.
Ainsi, elle fixe le point de départ du délai au 17 décembre 2008 ; son expiration est donc intervenue le 17 décembre 2013.
L’auteur est désormais impuissant pour faire cesser l’exposition de cette statue contrefaisante dans le Potager des Princes.
Une interrogation demeure : pourquoi la Cour a-t-elle privilégié comme point de départ du délai la date à laquelle le caractère contrefaisant de l’œuvre a été définitivement reconnu, et non la date à laquelle l’artiste a eu connaissance de son existence ?
En tous les cas, cette décision clarifie les règles relatives à la prescription en matière de contrefaçon en présence d’un délit continu et oblige les demandeurs à engager au plus vite leurs actions contentieuses.
Alain Hazan
Avocat associé
Delphine Monfront
Avocat à la Cour