28
novembre
2023
Champagne vs. Champaign : pour l’EUIPO, les ingrédients ne sont pas réunis en cuisine pour rejeter la demande de marque !
Le Comité Interprofessionnel des Vins de Champagne (CIVC) qui représente et défend les droits de l’AOP « Champagne » constate tous les jours des dépôts de marques comportant le mot « Champagne » ou faisant référence à l’univers du Champagne.
C’est sans conteste le cas de la demande de marque de l’Union Européenne « Champaign » déposée en juillet 2022 par la société américaine Monument Grill pour des produits de cuisson, de réfrigération, etc. Cette marque a la même prononciation anglosaxonne que le mot Champagne et se présente de la manière suivante :
Fidèle à son combat, le CIVC a formé opposition contre la demande de marque litigieuse afin de tenter d’empêcher son enregistrement.
Contre toute attente, l’EUIPO, en rupture avec sa propre jurisprudence et celle de la CJUE, a rejeté l’opposition du CIVC dans une décision datée du 10 octobre dernier en considérant que : « Même si les appareils et installations frigorifiques mentionnés peuvent être utilisés pour stocker du vin, les produits litigieux et le vin couvert par l’AOP Champagne sont très éloignés en termes de nature et d’aspect physique, de méthode de fabrication/élaboration et de destination ».
L’Office ajoute que le fait que les deux termes se prononcent de façon similaire « n’est pas suffisant pour que le public puisse établir un lien clair et direct entre la demande de dépôt de marque de l’Union Européenne contestée, pour des réfrigérateurs, et le produit protégé, du vin provenant de la région de Champagne ».
Enfin, l’CJUE considère que le public ne percevra pas une signification particulière dans le terme contesté « Champaign » dans la mesure où celui-ci signifie également en vieil anglais « étendue plate de campagne » ou « étendue de terrain plat », élément qui, selon lui, est de nature à démontrer l’absence de volonté délibérée de la société américaine de parasiter l’AOP Champagne.
Même si l’Office se justifie en précisant que cette décision « n’est pas remise en cause par les nombreuses décisions citées par le CIVC étant donné que les circonstances, les faits et les éléments de preuve à l’égard desquels ces affaires ont été appréciées étaient différents de l’espèce ». On l’aura compris, cette décision vient en rupture de la jurisprudence de la CJUE en la matière.
On peut en effet citer notamment l’affaire du bar à tapas espagnol « Champanillo » (notre news sur cette affaire ici) dans laquelle la CJUE, interrogée par la Cour de Barcelone, affirme que les AOP doivent être protégées à l’encontre d’une évocation se rapportant tant à des produits qu’à des services, en cas d’incorporation partielle de l’appellation protégée, de parenté phonétique et visuelle, de proximité conceptuelle ou de similitude entre les produits couverts par l’AOP et les produits et services couverts par le signe litigieux.
L’arrêt « Champanillo » pose ainsi le principe selon lequel les AOP sont protégées vis-à-vis de signes utilisés pour désigner des produits ou des services non couverts par l’appellation « Champagne » et démontre ainsi la volonté de la CJUE de garantir aux indications géographiques une protection étendue.
La voie que vient d’emprunter l’EUIPO est toute autre. Il convient toutefois de préciser qu’il s’agit là de la position de la Division d’Opposition.
Dans une affaire similaire, l’opposition contre le dépôt d’une marque de l’Union Européenne « Champagnola » par une société tchèque en classes 30 (pains et pâtisseries) et 40 (services de boulangerie et pâtisserie) avait été rejetée par la Division d’Opposition en 2019 au motif que les produits et services désignés par la demande n’étaient pas similaires au vin de Champagne et qu’il n’y avait en l’espèce ni usage commercial ni évocation et dès lors aucun risque de confusion.
Saisie d’un recours contre cette décision par le CIVC, la Chambre de Recours a annulé la décision, le 17 avril 2020, en refusant l’enregistrement de la marque « Champagnola » en classes 30 et 40 en considérant que celle-ci est une évocation certaine du terme Champagne et qu’elle exploite la renommée de l’AOP « Champagne », peu important que les produits et services visés ne soient pas similaires.
L’affaire Champaign est, depuis le 20 octobre, dans les mains de la Chambre de Recours de l’EUIPO qui optera pour la protection des appellations ou pour la poursuite du putsch engagé par la Division d’Opposition à l’égard de la CJUE.
Alors, Champagne ou pas ?
Juliette Biegala
Juriste
Jean-Charles Nicollet
Conseil en Propriété Industrielle Associé
21
novembre
2023
Un dépôt décoiffant et controversé : une marque représentant le visage d’une femme pour des services de mannequinat est-elle distinctive ?
Le 26 octobre 2017, la société Roos Abels Holding B.V. a déposé une demande de marque figurative représentant le visage d’une femme pour couvrir les « services de mannequins et de modèles photographiques pour la publicité ou la promotion des ventes » en classe 35 et les « services de modèles et de mannequins à des fins récréatives ou de loisirs » en classe 41.
Nous rappelons qu’aux termes de l’article 7, 1° b) et c) du Règlement sur la marque de l’Union européenne du 20 décembre 1993, sont refusées à l’enregistrement « les marques qui sont dépourvues de caractère distinctif » et « les marques qui sont composées exclusivement de signes ou d’indications pouvant servir, dans le commerce, pour désigner l’espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, la provenance géographique ou l’époque de la production du produit ou de la prestation du service, ou d’autres caractéristiques de ceux-ci ».
Un refus de l’EUIPO fondé sur l’absence de caractère distinctif : cette demande de marque ne présente aucune caractéristique particulière
En l’espèce, considérant que le signe était dépourvu de caractère distinctif à l’égard des services couverts, l’EUIPO a entièrement rejeté le 17 avril dernier cette demande de marque.
Cette décision était notamment fondée sur les constations suivantes :
– « L’image en cause ne consiste qu’en une représentation naturelle de la tête/du visage d’une (jeune) femme. Compte tenu de l’attention du public concerné, la marque demandée ne permet pas à ce public de distinguer immédiatement et infailliblement les services démandés d’apparences similaires d’une origine commerciale différente ».
– « Des images ou des photos de personnes apparaissent et sont utilisées dans le cadre de services de toutes sortes, principalement ceux liés à l’habillement et à la mode. Bien que ces images puissent représenter certaines personnes ou individus concrets, elles n’impliquent rien de plus qu’une représentation banale des personnes en général, de sorte que ces images sont comprises comme étant communes aux services en question (…) ».
– « La présente marque figurative ne présente aucune caractéristique particulière susceptible d’influencer la mémoire des consommateurs au point de distinguer les services demandés des autres. La forme de présentation n’est pas substantiellement différente d’autres représentations fidèles de la tête/du visage d’une (jeune) femme (…) ».
En désaccord avec cette appréciation, la société déposante a formé un recours contre cette décision le 16 juin 2023, faisant notamment valoir que :
– « La particularité et l’originalité sont des critères de distinction. Le visage d’un adulte est précisément l’élément du corps humain qui permet de distinguer une personne d’une autre (…). Les chambres de recours ont déjà décidé, à plusieurs reprises, que le public perçoit une image photographique d’une personne comme identifiant l’origine des produits et des services (…) ».
– « Le fait que les images de personnes soient généralement plus utilisées dans la vente ou la fourniture de produits et de services n’enlève rien au caractère distinctif de la présente demande. Tant que l’image faisant l’objet de la marque demandée est en elle-même reconnaissable et unique, elle peut servir de signe d’origine ».
– Outre le fait que le visage humain d’une personne adulte est une marque de distinction, la femme représentée est une personne connue dans le monde du mannequinat (…). Son visage est sa marque et avec son succès, elle a acquis une popularité et une renommée rachetables qui constituent un motif suffisant pour l’enregistrement de son portrait en tant que marque ».
La chambre de recours de l’EUIPO reconnait l’existence d’un caractère distinctif : ce signe est apte à remplir la fonction essentielle d’une marque
À la lumière de ces éléments, la chambre de recours a annulé la décision contestée et autorisé la publication de la demande de marque de l’UE No. 017393125 pour l’ensemble des services couverts, dans une décision rendue le 30 octobre 20231.
En premier lieu, la chambre de recours rappelle qu’il n’est pas nécessairement plus difficile d’établir le caractère distinctif de la marque figurative en cause simplement parce qu’il s’agit d’une représentation naturelle.
Elle considère en effet que « les caractéristiques particulières ou originales ne sont pas des critères du caractère distintif d’une marque, la marque en question doit permettre au public de distinguer les produits et services en cause de ceux d’autres entreprises ou personnes ».
En l’espèce, même s’il s’agit d’une représentation fidèle d’un visage de femme, cette image peut être interprétée comme une marque d’autant qu’elle n’évoque aucunement les services en cause. Ainsi, la chambre de recours considère que le public concerné percevra le signe comme identifiant l’origine des services couverts, à savoir qu’ils proviennent de la personne représentée.
En outre, la chambre de recours conteste le raisonnement de l’examinateur selon lequel, « en ce qui concerne les services demandés dans les classes 35 et 41 de mannequins et de modèles photographiques, l’image ne représenterait que la personne fournissant ces services ». Au contraire, selon elle, cette image permettra de distinguer l’origine commerciale de ces services.
Enfin, la chambre de recours déclare que le fait que la personne soit connue du public concerné n’a pas d’incidence sur son caractère distinctif intrinsèque.
A la lumière de cette décision, la chambre de recours de l’EUIPO considérerait-elle qu’un visage permet aussi facilement qu’un nom patronymique d’identifier des produits et services ?
Le cas échéant, les demandes de marques ne manqueront pas d’affluer chez les avares de célébrité… !
Gaëlle Bermejo
Conseil en Propriété Industrielle
(1) Décision de la quatrième chambre de recours du 30 octobre 2023
07
novembre
2023
Bien choisir la catégorie de votre marque : l’erreur peut coûter cher !
Dans cette décision1 rendue par la Cour d’appel de Paris le 9 juin 2023, les juges rappellent l’importance du choix de la catégorie dans laquelle le signe est déposé, étant un choix délimitant l’étendue de la protection !
La Société Handiréseau, spécialisée dans l’accompagnement d’entreprises mettant en place des politiques d’accueil de personnes handicapées, est titulaire de la marque tridimensionnelle No. 3764270. La gérante de la société Handiréseau est elle-même titulaire, de la marque verbale handiréseaux No. 3685730 et de la marque semi-figurative No. 4074584.
La société Handiréseau et sa gérante, après avoir pris connaissance de l’existence d’une association dénommée Handiréseaux 38 a mis en demeure cette dernière de cesser l’utilisation de l’expression « handiréseaux 38 » qui porte atteinte, selon elles, à leurs droits de marque.
A défaut de résolution amiable du litige, la société Handiréseau et sa gérante ont assigné l’association Handiréseaux 38 notamment en contrefaçon de marques devant le tribunal judiciaire de Paris.
En première instance, le tribunal judiciaire de Paris a, entre autres, déclaré nulle pour défaut de clarté la marque tridimensionnelle No. 3764270.
Déboutées de leurs demandes en première instance, la société Handiréseau et sa gérante ont interjeté appel de cette décision devant la Cour d’appel de Paris.
La qualification du signe « handiréseau » à un impact sur la portée de la protection
Dans cette décision, la Cour d’appel va s’appuyer sur un arrêt de la Cour de Justice de l’Union Européenne2, lequel expose d’une part que « L’article 2 de la directive 2008/95 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, à l’enregistrement d’un signe en tant que marque du fait de l’existence d’une contradiction dans la demande d’enregistrement, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier ». Et rappelle, d’autre part, que « la qualification donnée à un signe lors de son enregistrement par le déposant, en tant que « marque de couleur » ou « marque figurative », constitue un élément pertinent parmi d’autres pour déterminer si ce signe est susceptible de constituer une marque ».
En l’espèce, dans le dépôt puis dans l’enregistrement, la marque « handiréseau » est qualifiée de « marque tridimensionnelle » et le signe est décrit comme disposant « d’un logo (rouge et prune) trois ronds réunis entre eux avec un trait et un rond de couleur différente finalisant un carré ».
La catégorie de « marque tridimensionnelle » apparaît donc incohérente avec
le signe tel que déposé qui est un signe semi-figuratif.
En outre, la Cour d’appel déclare que la qualification du signe « handiréseau » enregistré en tant que marque tridimensionnelle a une incidence sur l’étendue et l’objet de la protection, dans la mesure où elle permet de spécifier si la troisième dimension fait partie de l’objet de la demande d’enregistrement.
A la lumière de cette incohérence, la Cour conclut que « la contradiction qui existe entre le signe « Handiréseau » déposé sous la forme d’une marque semi-figurative, et la qualification qui est donnée à ce signe par son déposant de marque tridimensionnelle, rend impossible la détermination exacte de l’objet et de l’étendue de la protection sollicitée au titre du droit des marques ».
Le défaut de clarté de la marque est une cause de nullité
Dans ces conditions, la Cour confirme la décision du tribunal judiciaire de Paris en considérant que le défaut de clarté et de précision suffisait pour justifier la nullité d’une marque.
Cet arrêt de la Cour d’appel de Paris rappelle la nécessité de définir avec précision et cohérence le type de marque (verbale, semi-figurative, tridimensionnelle, etc.) au moment du dépôt. Une erreur sur la qualification pouvant avoir de lourdes conséquences juridiques.
En conclusion, déposer une marque n’est pas si simple…. !
Juliette Danjean
Stagiaire – Pôle Avocat
Gaëlle Bermejo
Conseil en Propriété Industrielle
(1) CA Paris, pôle 5 ch. 2, 9 juin 2023, n° 21/09755
(2) CJUE, 27 mars 2019 C-578/17, Oy Hartwall A