Un dépôt décoiffant et controversé : une marque représentant le visage d’une femme pour des services de mannequinat est-elle distinctive ?

Le 26 octobre 2017, la société Roos Abels Holding B.V. a déposé une demande de marque figurative représentant le visage d’une femme pour couvrir les « services de mannequins et de modèles photographiques pour la publicité ou la promotion des ventes » en classe 35 et les « services de modèles et de mannequins à des fins récréatives ou de loisirs » en classe 41.

Nous rappelons qu’aux termes de l’article 7, 1° b) et c) du Règlement sur la marque de l’Union européenne du 20 décembre 1993, sont refusées à l’enregistrement « les marques qui sont dépourvues de caractère distinctif » et « les marques qui sont composées exclusivement de signes ou d’indications pouvant servir, dans le commerce, pour désigner l’espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, la provenance géographique ou l’époque de la production du produit ou de la prestation du service, ou d’autres caractéristiques de ceux-ci ».

Un refus de l’EUIPO fondé sur l’absence de caractère distinctif : cette demande de marque ne présente aucune caractéristique particulière

En l’espèce, considérant que le signe était dépourvu de caractère distinctif à l’égard des services couverts, l’EUIPO a entièrement rejeté le 17 avril dernier cette demande de marque.

Cette décision était notamment fondée sur les constations suivantes :

–  « L’image en cause ne consiste qu’en une représentation naturelle de la tête/du visage d’une (jeune) femme. Compte tenu de l’attention du public concerné, la marque demandée ne permet pas à ce public de distinguer immédiatement et infailliblement les services démandés d’apparences similaires d’une origine commerciale différente ».

« Des images ou des photos de personnes apparaissent et sont utilisées dans le cadre de services de toutes sortes, principalement ceux liés à l’habillement et à la mode. Bien que ces images puissent représenter certaines personnes ou individus concrets, elles n’impliquent rien de plus qu’une représentation banale des personnes en général, de sorte que ces images sont comprises comme étant communes aux services en question (…) ».

– « La présente marque figurative ne présente aucune caractéristique particulière susceptible d’influencer la mémoire des consommateurs au point de distinguer les services demandés des autres. La forme de présentation n’est pas substantiellement différente d’autres représentations fidèles de la tête/du visage d’une (jeune) femme (…) ».

En désaccord avec cette appréciation, la société déposante a formé un recours contre cette décision le 16 juin 2023, faisant notamment valoir que :

– « La particularité et l’originalité sont des critères de distinction. Le visage d’un adulte est précisément l’élément du corps humain qui permet de distinguer une personne d’une autre (…). Les chambres de recours ont déjà décidé, à plusieurs reprises, que le public perçoit une image photographique d’une personne comme identifiant l’origine des produits et des services (…) ».

– « Le fait que les images de personnes soient généralement plus utilisées dans la vente ou la fourniture de produits et de services n’enlève rien au caractère distinctif de la présente demande. Tant que l’image faisant l’objet de la marque demandée est en elle-même reconnaissable et unique, elle peut servir de signe d’origine ».

– Outre le fait que le visage humain d’une personne adulte est une marque de distinction, la femme représentée est une personne connue dans le monde du mannequinat (…). Son visage est sa marque et avec son succès, elle a acquis une popularité et une renommée rachetables qui constituent un motif suffisant pour l’enregistrement de son portrait en tant que marque ».

La chambre de recours de l’EUIPO reconnait l’existence d’un caractère distinctif : ce signe est apte à remplir la fonction essentielle d’une marque

À la lumière de ces éléments, la chambre de recours a annulé la décision contestée et autorisé la publication de la demande de marque de l’UE No. 017393125 pour l’ensemble des services couverts, dans une décision rendue le 30 octobre 20231.

En premier lieu, la chambre de recours rappelle qu’il n’est pas nécessairement plus difficile d’établir le caractère distinctif de la marque figurative en cause simplement parce qu’il s’agit d’une représentation naturelle.

Elle considère en effet que « les caractéristiques particulières ou originales ne sont pas des critères du caractère distintif d’une marque, la marque en question doit permettre au public de distinguer les produits et services en cause de ceux d’autres entreprises ou personnes ».

En l’espèce, même s’il s’agit d’une représentation fidèle d’un visage de femme, cette image peut être interprétée comme une marque d’autant qu’elle n’évoque aucunement les services en cause. Ainsi, la chambre de recours considère que le public concerné percevra le signe comme identifiant l’origine des services couverts, à savoir qu’ils proviennent de la personne représentée.

En outre, la chambre de recours conteste le raisonnement de l’examinateur selon lequel, « en ce qui concerne les services demandés dans les classes 35 et 41 de mannequins et de modèles photographiques, l’image ne représenterait que la personne fournissant ces services ». Au contraire, selon elle, cette image permettra de distinguer l’origine commerciale de ces services.

Enfin, la chambre de recours déclare que le fait que la personne soit connue du public concerné n’a pas d’incidence sur son caractère distinctif intrinsèque.

A la lumière de cette décision, la chambre de recours de l’EUIPO considérerait-elle qu’un visage permet aussi facilement qu’un nom patronymique d’identifier des produits et services ?

Le cas échéant, les demandes de marques ne manqueront pas d’affluer chez les avares de célébrité… !

Gaëlle Bermejo
Conseil en Propriété Industrielle

(1) Décision de la quatrième chambre de recours du 30 octobre 2023