31
janvier
2023
LOUBOUTIN VS. AMAZON – Le géant de l’e-commerce à côté de ses pompes !
Ces dernières années, les titulaires de droits de marque, et particulièrement les grandes entreprises du luxe et de la mode font face à une recrudescence de la contrefaçon de leurs marques et produits sur les sites de places de marché. Perte importante de chiffre d’affaires et de compétitivité pour ces entreprises, elles subissent avant tout une atteinte à leurs droits de marque. La lutte contre la contrefaçon en ligne s’inscrit alors en priorité absolue pour ces grandes maisons qui ont adopté d’importantes stratégies de défense en ligne.
Elles iront d’abord rechercher la responsabilité dite « primaire » des contrefacteurs directs, à savoir les annonceurs, vendeurs tiers ou encore détenteurs de noms de domaine. Mais les titulaires rencontrent souvent des difficultés à remonter jusqu’à ces contrefacteurs, tant il est complexe de les identifier et de les localiser.
En outre, compte tenu de l’évolution des services proposés par les plateformes en ligne, il n’est plus possible de considérer qu’elles font preuve d’une totale neutralité, ce qui incite les titulaires de droit à engager leur responsabilité (directe et indirecte) lorsque des atteintes sont portées à une marque du fait des activités de ces plateformes et de celles de tiers sur leurs sites Internet.
C’est dans ce contexte que le chausseur français, Christian Louboutin, a formé deux recours au Luxembourg (affaire C-141/21) et en Belgique (C-184-21) contre le géant Amazon, lui reprochant des actes de contrefaçon caractérisés par la présence d’annonces relatives à des chaussures à semelles rouges publiées par des vendeurs tiers sur son site Internet, ainsi que le stockage et l’expédition de ces marchandises.
Les Cours nationales ont alors saisi la CJUE de deux questions préjudicielles portant sur l’interprétation de l’article 9, paragraphe 2 du Règlement 2017/1001, afin de savoir si l’exploitant d’une place de marché peut être tenu directement responsable de l’atteinte aux droits du titulaire d’une marque, qui résulte d’offres à la vente de produits contrefaisants émanant de vendeurs tiers, du stockage et de l’expédition de ces mêmes produits.
Elles s’interrogent particulièrement sur le point de savoir si, dans la perception d’un internaute normalement informé et raisonnablement attentif, cet exploitant a joué un rôle actif dans l’élaboration de cette publicité ou si celle-ci peut être perçue comme faisant partie de sa propre communication commerciale.
Dans sa décision du 22 décembre 2022, la Cour renvoie aux apports des arrêts L’Oréal C-324/09 du 12 juillet 2011 (C-324/09) et Coty Germany C-567/18 du 2 avril 2020 aux termes desquels elle avait considéré que les places de marché en cause n’avaient pas fait un usage des signes dans le cadre de leur propre communication commerciale et donc que leur responsabilité n’était pas susceptible d’être engagée.
La Cour rappelle ainsi que « faire usage », au sens du droit des marques, implique un comportement actif et une maîtrise, directe ou indirecte, de l’acte constituant l’usage.
Elle souligne néanmoins que les circonstances d’espèce de ces décisions sont différentes : l’exploitant ne faisait pas la promotion de ses propres produits sur son site Internet, il n’avait pas connaissance du caractère contrefaisant des produits et leur expédition était réalisée par des prestataires externes.
Pour déterminer si l’usage du signe contrefait correspondait à une communication commerciale d’Amazon pour son propre compte, la Haute cour estime qu’il convient d’identifier si l’annonce est susceptible de créer un lien entre les services offerts par la plateforme et le signe Louboutin : l’utilisateur étant alors susceptible de croire qu’Amazon commercialise en son nom et pour son propre compte le produit contrefaisant.
À ce titre, la Cour détaille les circonstances dans lesquelles un lien entre le signe contrefait et les services fournis par cette plateforme est susceptible d’être créé et renforcé aux yeux des utilisateurs :
• L’exploitant recourt à un mode de présentation uniforme de ses propres offres et de celles des vendeurs tiers sans distinction en fonction de leur origine, tout en faisant apparaître son propre logo ;
• La nature et l’ampleur des services fournis par l’exploitant permettent de caractériser son implication (traitement des questions des utilisateurs, stockage, expédition et gestion des retours).
Dans ces circonstances, la CJUE estime que l’exploitant d’une place de marché est susceptible d’être considéré comme faisant lui-même usage d’un signe identique à une marque de l’Union européenne pour des produits identiques proposés à la vente par des vendeurs tiers et par conséquent, d’être reconnu comme responsable direct d’actes de contrefaçon.
À ce stade, la Cour ne tranche pas le litige car il ne lui appartient pas de déterminer si Amazon a fait un usage contrefaisant des signes en cause.
Il incombera donc aux juridictions nationales Belge et Luxembourgeoise de se prononcer conformément à la position de la Cour.
Il s’agit, d’ores et déjà, d’une première victoire pour les titulaires de droit en matière de lutte contre la contrefaçon de marque. Reste à savoir si la jurisprudence future s’inscrira dans cette lignée.
Cette décision s’inscrit dans un contexte global de responsabilisation des plateformes au niveau européen et ouvre la voie vers une nouvelle jurisprudence en la matière.
En effet, après une évolution non-négligeable en matière de droit d’auteur par l’adoption de la directive (UE) 2019/790, le Parlement européen et le Conseil ont très récemment adopté le Règlement Digital Service Act (DSA), qui vient renforcer les obligations des plateformes en lignes et moteurs de recherche afin de lutter contre les contenus illicites et notamment contre la contrefaçon en ligne (remplace et modifie la directive 2000/31 sur le commerce électronique devenue dépassée).
Un changement de paradigme est en cours, tant d’un point de vue législatif que jurisprudentiel.
Margaux Maarek
Juriste
Sources :
• Décision du 22 décembre 2022
• https://www.village-justice.com/articles/nouvelle-saisine-cjue-amazon-est-responsable-pour-vente-sur-plateforme,39324.html
• https://www.actualitesdudroit.fr/browse/affaires/immateriel/39441/market-place-usage-d-un-signe-contrefaisant-sur-un-marche-en-ligne
• https://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf;jsessionid=DB78F7914456E863F6A501DDA16A86E4?text=&docid=268788&pageIndex=0&doclang=fr&mode=lst&dir=&occ=first&part=1&cid=17357
• https://entreprendre.service-public.fr/actualites/A16089
• https://blip.education/responsabilite-des-plateformes-en-cas-de-contrefacon-apports-des-conclusions-de-lavocat-general-dans-les-affaires-louboutin-contre-amazon-c-148-21-et-c-184-21-par-jerome-tassi
• https://curia.europa.eu/jcms/upload/docs/application/pdf/2022-12/cp220213fr.pdf
31
janvier
2023
🖼 Napoléon ne se fera pas tirer le portrait
La société néerlandaise TREND DEVELOPMENT a déposé auprès de l’EUIPO plus d’une dizaine de marques figuratives représentant le visage de personnages historiques tels que Napoléon, Kant ou encore Mozart.
Malheureusement pour l’entreprise, l’EUIPO dans une décision du 15 décembre 2021 a rejeté les différentes demandes jugeant que ces portraits ne remplissaient pas la condition de caractère distinctif nécessaire à une marque.
En effet, selon l’office, bien que chaque visage soit unique, cela ne signifie pas qu’il est immédiatement perçu comme une indication de l’origine commerciale des produits et services. Autrement dit, reconnaitre n’est pas pareil à distinguer par l’origine.
Aussi, pour autant que le consommateur soit familier avec l’apparence des personnages visés par les différents dépôts, l’office est d’avis que le signe ne sera pas utilisé et perçu comme un signe distinctif mais une œuvre d’art.
Jade de Lumley Woodyear
Stagiaire juriste
Anne Laporte
Avocate
31
janvier
2023
🕵️♂️ Fin de l’American Dream pour Mickey Mouse et Sherlock Holmes
Author:
TAoMA
L’heure de la retraite a ou va bientôt sonner pour certains de nos personnages de fiction préférés.
D’après la loi sur le droit d’auteur aux Etats-Unis, les droits de propriété intellectuelle sur les œuvres artistiques expirent 95 ans après la première publication.
Ainsi, ce 1er janvier 2023 il était l’occasion de compter ses trimestres pour les œuvres divulgués en 1927. Résultat, Les Archives de Sherlock Holmes contenant notamment des ouvrages tels que La Pierre de Mazarin, Le Vampire du Sussex ou encore Les Trois Pignons tombent dans le domaine public.
Contrairement à Sherlock Holmes, Mickey Mouse n’a pas fini de cotiser pour Walt Disney. En effet, le dessin originel de la souris date de 1928 et est encore protégé par le droit d’auteur pour une année. Même si la fin approche, Mickey restera protégé par le droit des marques, la firme pourra donc continuer de jouir de droit de propriété intellectuelle sur la souris.
Élémentaire mon cher Mickey !
Jade de Lumley Woodyear
Stagiaire juriste
Anne Laporte
Avocate
31
janvier
2023
Un contrat de franchise qui porte bien son nom
Dans l’univers du luxe, tout n’est pas calme et volupté.
La Cour d’appel de Paris a été témoin de cela dans une affaire qui met en jeu la diffusion des produits de la marque Elie Saab. Dans un arrêt du 9 novembre 2022 la Cour a rappelé que l’absence de remise d’un Document d’Information Précontractuelle (DIP) au franchisé, ne permet pas de caractériser automatiquement une réticence dolosive et un manquement contractuel de la part du franchiseur envers ses obligations précontractuelles.
Le DIP est la somme d’information obligatoirement communiquée par le franchiseur dans le cadre d’un contrat de franchise. Imposé par la loi Doubin depuis 1989, il doit être remis par le franchiseur à son franchisé au moins 20 jours avant la signature du contrat ou avant tout versement d’argent dans le cadre d’un précontrat de réservation de zone (Article L330-3 du Code de commerce).
Ce document a pour objectif de s’assurer que le franchisé signe le contrat de franchise en pleine connaissance de cause après avoir pris connaissance de toutes les informations nécessaires avant son plein engagement. Le franchiseur s’engage à fournir tout ce qui est nécessaire à la mise en place d’une collaboration basée sur la transparence et la sincérité.
Dans cette affaire, la société DJ Couture avait conclu un contrat de franchise avec la société SIM Licensing, en mars 2012 concédant l’exclusivité de la distribution de la marque Elie Saab sur une partie du territoire de la Suisse. Elle a résilié le contrat trois ans plus tard et a demandé la réparation du préjudice causé par la résiliation du contrat aux torts exclusifs du franchiseur.
Pour cela, elle s’est fondée entre autres, sur la réticence dolosive, et des manquements précontractuels du franchiseur pour s’être abstenu de la renseigner en toute loyauté et transparence sur les coûts réels des travaux d’aménagement de la boutique dont elle était la franchisée.
Par deux décisions du 31 octobre 2018 et 3 février 2020, le Tribunal de commerce de Paris a débouté la société DJ Couture de sa demande qui a été portée ensuite en appel.
La Cour a confirmé sur ce point la décision du Tribunal de commerce du 31 octobre 2018, en retenant que « si le franchiseur n’avait effectivement pas fourni de document d’information précontractuelle (DIP) comme l’impose la loi française choisie par les parties au contrat de franchise (…) la société DJ Couture ne démontre pas en quoi l’absence de ce document avait vicié son consentement ni de la réalité d’une réticence dolosive du franchiseur ou de grossières erreurs de sa part lors de la phase précontractuelle sans lesquelles la société DJ Couture n’aurait pas contracté »
Par cette décision, la Cour d’appel rappelle un principe constant1 : en l’absence de document d’information pré contractuelle ou si celui-ci est incomplet, la nullité du contrat n’est pas automatique. Pour l’obtenir, le franchisé doit prouver que son consentement a été vicié.
A contrario, le dol est retenu lors d’un mensonge délibéré, entrainant la nullité du contrat2.
Dans cet arrêt, la Cour relève que malgré l’absence de « DIP », il y a bien eu des échanges d’informations entre les Parties.
En effet, le franchiseur soumet aux débats des courriels où il communique des informations relatives au contrat de franchise qui permettraient au franchisé de développer au mieux sa franchise. Ces informations comprennent des exigences sur la taille recommandée du magasin, sur les frais de design, et, sur la base de son expérience, les coûts de décoration et du mobilier de la boutique, ainsi que sur le personnel nécessaire à la bonne tenue de la boutique.
Par ailleurs, le franchisé a obtenu, à l’occasion d’un rendez-vous demandé par lui auprès du franchiseur, des informations complémentaires sur le contrat de franchise.
Enfin, le franchisé n’a jamais fait lors de ces échanges « d’injonction de communiquer » des documents ou informations supplémentaires sur l’aménagement de la boutique.
La Cour retient que ces échanges ne démontrent pas de manœuvres dolosives de la part du franchiseur visant à dissimuler intentionnellement des informations, ni de déloyauté particulière pour la communication d’information dans le secteur confidentielle de la haute-couture.
La haute-couture peut Voguer tranquillement…
Emeline Jet
Elève-avocate
Anne Messas
Avocate
(1) Cass. com., 10 févr. 1998, n° 95-21.906 ; Cass. 1re civ., 3 nov. 2016, n° 15-24.886
(2) Cass. 1re civ., 3 nov. 2016, n° 15-24.886 : A titre d’exemple, il avait été décidé qu’en occultant les raisons de l’échec du précédent franchisé ainsi que les répercussions qui en ont découlé sur le secteur au regard de la réputation commerciale de l’enseigne, en procédant à une présentation erronée du réseau et en opérant une transmission erronée des chiffres prévisionnels, le franchiseur a enfreint son obligation de sincérité sur des données nécessairement déterminantes au regard du consentement du franchisé et que les informations transmises, par leur caractère erroné et dénué de sérieux, sont révélatrices de la volonté délibérée de la société SDAR de tromper le consentement de son cocontractant.
31
janvier
2023
Imiter n’est pas créer : Attention au boomerang !
Author:
TAoMA
Bijoux de fantaisie : la concurrence fait rage. En quelques années, le marché des bijoux de fantaisie s’est fortement développé et il peut parfois être difficile de se distinguer de la concurrence, en particulier compte-tenu de l’encombrement créatif dans le secteur. Cet encombrement créatif a joué en faveur de la société Atiwell, dans le cadre de l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris, le 2 novembre 20221.
La société Zag bijoux a assigné la société Atiwell le 26 avril 2019, pour des actes de concurrence déloyale et parasitaire liés à la commercialisation de bijoux en apparence identiques aux modèles de ses propres collections, mais de qualité médiocre et de moindre prix.
Le Tribunal de commerce de Bobigny a débouté la société Zag bijoux de ses demandes par jugement en date du 17 novembre 2020. En particulier, le Tribunal de commerce de Bobigny a considéré que les bijoux commercialisés par la société Zag Bijoux relevaient plus de la fantaisie commune que de produits originaux. Dans ce contexte, la société Atiwell pouvait s’en inspirer, sans contrevenir aux usages honnêtes et loyaux qui doivent présider à la vie des affaires.
Mécontente de cette décision, la société Zag Bijoux a porté l’affaire devant la Cour d’appel de Paris qui a confirmé le jugement.
En effet, et après une analyse minutieuse des modèles de bijoux de la société Zag bijoux, la Cour d’appel conclu qu’il existe des différences certaines entre les bijoux en cause et, par ailleurs, elle constate que de nombreux modèles de bijoux de la société Zag bijoux s’inscrivent dans la tendance du marché et, de surcroît, s’inspirent fortement de modèles protégés antérieurement au titre du droit des dessins et modèles, par d’autres concurrents.
La Cour en conclut que
• Il ne peut y avoir de risque de confusion entre les modèles de bijoux en cause, dès lors que la société Zag Bijoux s’est elle-même inspirée de modèles tombés dans le domaine public et/ou appartenant à la tendance actuelle du secteur. De même la Cour d’appel écarte également l’existence d’un effet de gamme sur cette base, puisque les éléments repris sont usuels et banals dans le secteur de la bijouterie ;
• La société Zag Bijoux ne justifie pas d’une valeur individualisée dont il résulterait des efforts créatifs, ainsi que des investissements. La concurrence déloyale et parasitaire est donc également rejetée par la Cour d’appel de Paris.
Cet arrêt, qui s’inscrit dans la jurisprudence actuelle, laisse entendre que les créations qui proviennent de l’imitation et/ou sont inspirées de la tendance du secteur ne peuvent pas être protégées par l’action en concurrence déloyale ou parasitaire. On doit préciser que ces créations ne seraient pas, a fortiori, protégées par le droit d’auteur.
Baptiste Kuentzmann
Conseil en Propriété Industrielle
(1) Cour d’appel de Paris, Pôle 5 chambre 1, 2 novembre 2022, n°21/00039 ;
31
janvier
2023
👑 Couronnement raté pour Mariah Carey…
L’interprète mondialement connu de « All I want for Christmas is you », Mariah Carey, a déposé le 10 mars 2021 trois demandes de marques devant l’USPTO. Les marques en question : « Queen of Christmas », « QOC » et « Princess Christmas » désignant notamment des produits cosmétiques, des parfums ou encore lunettes de soleil.
Cette tentative d’auto-proclamation n’est pas passée inaperçue. Une de ses rivales, la chanteuse Elizabeth Chan a aussitôt formé opposition contre ses demandes considérant que Mariah Carey ne pouvait se revendiquer comme la seule et unique reine de Noël. Pour fonder cette opposition, la chanteuse se base notamment sur un titre qu’elle a sorti en 2021 « The Queen of Christmas ».
Mariah Carey n’ayant pas répondu à l’opposition de Elisabeth Chan, les demandes de marques ont été rejetées par l’USPTO le 15 novembre 2022. Pas de couronnement pour Mariah Carey…
Jade de Lumley Woodyear
Stagiaire juriste
Anne Laporte
Avocate
24
novembre
2022
Coup de projecteur sur l’originalité des photographies de plateau
Author:
TAoMA
Pour démontrer l’originalité d’une photographie, le critère des choix libres et arbitraires ne suffit pas. Encore faut-il que ces choix révèlent l’empreinte de la personnalité de l’auteur de la photographie.
Dans un arrêt du 25 octobre 2022, la Cour d’appel de Versailles est venue préciser la nature des critères à remplir pour démontrer l’originalité de la photographie de plateau.
Les photographies de plateau sont les photographies prises lors du tournage ou en dehors de celui-ci, destinées à assurer la promotion de l’œuvre cinématographique. Le rôle du photographe est alors de refléter fidèlement l’atmosphère du film.
Dans cette affaire, la société Diosphere Limited reproduisait, sur sa banque d’images en ligne, sept photographies représentant Jean-Paul Belmondo et le réalisateur Jean-Luc Godard sur le tournage du film « Pierrot le fou ».
Après avoir découvert cette reproduction, l’épouse et ayant-droit du photographe décédé, auteur des photographies litigieuses, assignait la société Diosphere Limited aux fins d’obtenir la réparation de son préjudice résultant de la violation de ses droits patrimoniaux et moraux d’auteur.
Par décision du 11 février 2021, le Tribunal judiciaire de Nanterre jugeait ses demandes irrecevables et, mécontente de ce verdict, l’épouse interjetait appel devant la Cour d’appel de Versailles, qui confirma la décision de première instance pour défaut d’originalité.
En effet, la Cour fait fi des descriptions détaillées par l’appelante des choix esthétiques et arbitraires de son défunt mari, et rappelle que :
« Le critère des choix, pour libres et arbitraires qu’ils soient, ne suffit pas à octroyer la protection du droit d’auteur. Ces choix doivent en outre révéler l’empreinte de la personnalité de l’auteur. »
Elle se fonde notamment sur la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne ayant défini les critères à prendre en compte afin de démontrer l’originalité des photographies réalistes : une photographie de portrait est susceptible d’être protégée dès lors qu’elle constitue une création intellectuelle de l’auteur reflétant la personnalité de ce dernier et se manifestant par des choix libres et créatifs de celui-ci lors de la réalisation de cette photographie1.
Reprenant les critères posés par la juridiction européenne, la Cour d’appel de Versailles en déduit que :
« si, certes le photographe a fait quelques choix de mise en scène, d’éclairage, de pose, de cadrage ou encore d’angles de prise de vue distincts de ceux du réalisateur du film, il ne dégage pas des photographies une impression visuelle différente de celle produite par les scènes filmées de sorte que l’impression d’ensemble reflète, voire accentue, les choix préexistants du réalisateur et non l’empreinte de la personnalité propre du photographe, qui n’est au demeurant nullement explicitée dans les éléments mis en avant par l’appelante. »
C’est également l’occasion pour la Cour de rappeler que l’originalité d’une œuvre de l’esprit constitue une condition de fond de sa protection au titre du droit d’auteur et non une condition de recevabilité.
Cet arrêt s’inscrit dans un courant jurisprudentiel pointilleux en matière de démonstration de l’originalité des photographies de plateau. Si ce genre photographique a pu jadis bénéficier de la protection offerte par le droit d’auteur2, cette tendance semble aujourd’hui en déclin.
Delphine Monfront
Juriste
(1) CJUE, 1er déc. 2010, C145/10 Eva Maria P. C/ Standard Verlags GmbH ;
(2) Par exemple : CA Paris, 15 novembre 2013, n°13/06792.
14
novembre
2022
La forme du « Saddle bag » de Dior refusée à l’enregistrement pour absence de caractère distinctif
La protection par le droit des marques peut s’avérer très utile pour les entreprises du secteur de l’industrie du luxe notamment, en complément d’une protection par le droit des dessins et modèles.
En effet, lorsque l’apparence d’un produit présente une certaine particularité, il est possible pour son créateur de déposer une marque dite « bidimensionnelle » ou « tridimensionnelle » selon les cas. Cet outil juridique a l’avantage de conférer un droit de propriété intellectuelle illimité sur cette forme, sous réserve d’une exploitation sérieuse par son titulaire.
Toutefois, afin d’éviter d’octroyer un monopole sur une forme quelconque au détriment des concurrents, l’examen par les Offices d’une telle demande est soumis aux mêmes conditions que pour les autres catégories de marques et fait l’objet d’une appréciation stricte par les examinateurs. En effet, une marque de forme est notamment refusée à l’enregistrement si elle est :
Dépourvue de caractère distinctif 1. Le signe doit permettre d’identifier les produits ou services pour lesquels l’enregistrement est demandé et donc de les distinguer des entreprises concurrentes.
Constituée exclusivement par la forme/les caractéristiques du produit 2 :
• imposée par la nature de ce même produit ;
• nécessaire à l’obtention d’un résultat technique ;
• qui donne une valeur substantielle au produit.
Ces conditions constituent des motifs absolus de refus à l’enregistrement d’une marque. Dans une décision récente 3,, la chambre des recours de l’EUIPO s’est prononcée sur l’absence de distinctivité de la demande de marque 3D du « Saddle Bag » de Dior. Cette décision vient illustrer l’appréciation du caractère distinctif de cette typologie particulière de marque.
La société Christian Dior Couture a déposé une demande de marque 3D portant sur la forme de son célèbre « Saddle bag » – créé en 1999 par John Galliano – le 24 mars 2021, pour désigner des produits en classes 9 et 18. La marque demandée était notamment représentée comme suit au moment du dépôt :
Après avoir essuyé un premier refus partiel devant l’EUIPO le 11 novembre 2021 sur le fondement de l’Article 7 paragraphe 1, point b) du RMUE, la demanderesse a formé un recours en appel contre cette décision.
Une fois saisie, la chambre des recours a alors estimé que la marque demandée était dépourvue de caractère distinctif, dès lors qu’elle est constituée d’une combinaison d’éléments qui sont « typiques » des produits concernés en classe 18, à savoir les « Sacs, sacs à main, pochettes (maroquinerie), trousses de voyage (maroquinerie), trousses de toilette et de maquillage (vides) ». De ce fait elle a considéré que la marque 3D ne pouvait pas diverger, dans son ensemble et de manière significative, de la norme ou des habitudes du secteur de la maroquinerie.
Pour rappel, seule une marque qui, de manière significative, diverge de la norme ou des habitudes du secteur et, de ce fait, qui est susceptible de remplir sa fonction essentielle d’origine n’est pas dépourvue de caractère distinctif.
D’après l’Office, il est notoire que ce secteur soit caractérisé par une multitude et une abondance de formes auxquelles le public est régulièrement exposé. L’examinateur avait notamment considéré que le signe demandé était « la forme d’un sac à main, d’une sacoche, d’une housse, d’un étui, d’une pochette voire d’une trousse qui pourrait être fabriquée en cuir/peau d’animal ».
La forme du « Saddle bag » ne peut donc remplir sa fonction essentielle d’origine, à savoir celle d’identifier l’origine commerciale des produits en cause et notamment les articles de maroquinerie susmentionnés en classe 18, afin de les différencier des entreprises concurrentes.
En revanche, l’Office a annulé le refus pour les produits de la classe 9 (Lunettes de vue, etc) et certains produits de la classe 18 (Cuir et imitation du cuir; peaux d’animaux et fourrures, etc), considérant que ces produits ne prendraient pas la forme de la marque en cause ou une forme similaire.
Ainsi, la chambre des recours de l’EUIPO a confirmé la décision de l’examinateur et a refusé partiellement l’enregistrement de la marque 3D de Dior, portant sur la forme du « Saddle Bag » pour absence de caractère distinctif.
Ce n’est pas la première fois que Dior rencontre des difficultés pour obtenir la protection de la forme de son sac, puisque le 9 mars 2021, l’USPTO (l’Office américain des marques et des brevets) a refusé l’enregistrement de cette demande pour les mêmes motifs.
Ainsi, la protection des marques 3D n’est pas chose aisée pour les déposants et notamment pour les grandes maisons de luxe, afin de ne pas créer un monopole sur une forme et donc un avantage concurrentiel en faveur d’un seul opérateur économique.
Margaux Maarek
Juriste
(1) Article 7, paragraphe 1, point b), du Règlement sur la marque de l’Union européenne : « 1. Sont refusés à l’enregistrement : (…) (b) les marques qui sont dépourvues de caractère distinctif (…) » ;
(2) Article 7, paragraphe 1, point e), du Règlement sur la marque de l’Union européenne : « 1. Sont refusés à l’enregistrement : (…) (e) les signes constitués exclusivement : (i) par la forme, ou une autre caractéristique, imposée par la nature même du produit ; (ii) par la forme, ou une autre caractéristique du produit, nécessaire à l’obtention d’un résultat technique; (iii) par la forme, ou une autre caractéristique du produit, qui donne une valeur substantielle au produit ; (…) » ;
(3) EUIPO, Décision de la Deuxième chambre de recours du 7 septembre 2022, affaire R 32/2022-2 ;
11
juillet
2022
Le TUE n’est pas d’humeur festive, Amsterdam Poppers descriptive
Si Amsterdam, capitale des Pays-Bas, est connue pour son patrimoine culturel et artistique, ainsi que ses richesses historiques, elle l’est tout autant pour sa vie nocturne et les plaisirs y associés. Ce fait, qualifié de notoire par le Tribunal de l’Union européenne (TUE) dans sa décision du 6 avril 20221, n’a pas joué en faveur de la société Funline International, déposante de la demande de marque AMSTERDAM POPPERS.
Le 15 décembre 2020, la société de droit américain Funline International a déposé auprès de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) la demande de marque AMSTERDAM POPPERS pour désigner divers produits des classes 3 et 5, y inclus « produits à inhaler à vocation aphrodisiaque et/ou euphorisante ».
L’EUIPO a, dans le cadre de l’examen de cette marque, émis un refus total de protection de la marque sur la base des deux motifs suivants :
La marque AMSTERDAM POPPERS est contraire à l’ordre public et aux bonnes mœurs dès lors qu’elle fait référence à une drogue récréative ;
La marque AMSTERDAM POPPERS est descriptive des « produits à inhaler à vocation aphrodisiaque et/ou euphorisante » dès lors qu’elle sert à décrire la provenance des produits en cause, à savoir une substance récréative provenant de la ville d’Amsterdam.
Sur recours de la société Funline International, la Chambre d’appel de l’EUIPO a confirmé partiellement la décision de refus. En effet, si la Chambre d’appel de l’EUIPO déjuge l’examinateur concernant la contrariété à l’ordre public et aux bonnes mœurs au motif que la consommation de poppers n’est pas prohibée dans les États membres, elle maintient la conclusion selon laquelle la marque AMSTERDAM POPPERS est descriptive pour les « produits à inhaler à vocation aphrodisiaque et/ou euphorisante ».
La demande de marque AMSTERDAM POPPERS a donc été acceptée à l’enregistrement pour l’ensemble des produits qu’elle désigne en classes 3 et 5, exception faite des « produits à inhaler à vocation aphrodisiaque et/ou euphorisante ».
C’était sans compter la détermination de la société Funline International qui a porté l’affaire devant le TUE afin d’obtenir l’annulation de la décision au motif qu’elle violerait l’Article 7, paragraphe 1, sous c), du Règlement 2017/10012.
En effet, la société Funline International considérait que la marque AMSTERDAM POPPERS ne pouvait être considérée comme descriptive dès lors que la ville d’Amsterdam n’était pas connue pour la production de poppers, de sorte qu’il n’existait aucun lien direct entre le lieu géographique et le produit en cause. Par ailleurs, la société américaine affirmait que la combinaison des termes AMSTERDAM et POPPERS était inhabituelle, conférant à l’ensemble un caractère arbitraire au regard des produits objectés.
Le TUE dans sa décision du 6 avril dernier rejette les arguments ci-dessus et confirme la décision de la Chambre d’appel de l’EUIPO.
En ce sens, le TUE rappelle la jurisprudence classique selon laquelle une marque composée de plusieurs termes descriptifs et/ou de termes géographiques peut faire l’objet d’un enregistrement à titre de marque au sein de l’Union européenne, à la condition toutefois que (i) la combinaison ne soit pas elle-même descriptive et (ii) qu’il n’existe pas de lien direct entre le lieu géographique et le produit désigné.
Or, tel n’est pas le cas en l’espèce puisque, contrairement à ce qu’affirme la société Funline International :
le terme AMSTERDAM sera nécessairement associé à la ville du même nom qui est notoirement connue pour sa tolérance concernant l’usage de drogues ;
le terme POPPERS renvoie directement à la nature des produits en cause, à savoir une substance qui est généralement utilisée dans un cadre festif.
Aussi, il existe un lien direct entre le lieu géographique utilisé et les produits objectés, le public pertinent pouvant raisonnablement penser que les produits en cause proviennent d’Amsterdam, ville réputée pour la consommation de ce type de produits.
Au surplus, le TUE considère de manière assez logique que la construction grammaticale de la marque demandée est banale, à tout le moins pour le public anglophone et francophone. La signification descriptive de la marque est effectivement immédiatement perceptible par ce public et ne nécessite pas particulièrement d’efforts intellectuels.
Il n’y aura donc pas de poppers à Amsterdam, le TUE confirme le rejet de la demande de marque AMSTERDAM POPPERS pour les « produits à inhaler à vocation aphrodisiaque et/ou euphorisante ».
Cette décision, en phase avec la jurisprudence classique de l’Union européenne, permet de rappeler les critères de protection des marques descriptives, en particulier quand elles sont composées d’une juxtaposition de termes descriptif et/ou d’un terme géographique. La vigilance reste donc de mise !
Baptiste Kuentzmann
Conseil en Propriété Industrielle
1 Tribunal de l’Union européenne du 6 avril 2022, Funline International c/ Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle, Affaire T-680/21 ;
2 « 1. Sont refusés à l’enregistrement: (…) c) les marques qui sont composées exclusivement de signes ou d’indications pouvant servir, dans le commerce, à désigner l’espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, la provenance géographique ou l’époque de la production du produit ou de la prestation du service, ou d’autres caractéristiques de ceux-ci; »
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